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MessagePublié: 27 Juin 2004, 17:51 
(DragonNoir, tu veux de l'argumenté de ma part, tu vas en avoir.)

Le Japon, à  l?heure actuelle, est un pays riche, industrialisé, que l?on peut qualifier de puissant. Mais sous quels aspects peut-on considérer cette puissance ? D?où lui vient-elle et quelles sont ses limites ? Et plus encore : est-ce que cette puissance est une puissance mondiale ? Par rapport à  quels autres pays ? Le Japon est-il bien intégré dans l?espace mondial ?
Nous allons ici étudier les fondements de la puissance du Japon, soutenue en grande partie par son industrie, mais aussi par son organisation économique et sociale, et par son ouverture vers la mer, puis nous allons étudier ses aspects, vis-à -vis des pays de l?Asie-Pacifique, des autres puissances mondiales, et de sa propre puissance financière. Enfin, nous verrons les limites de la puissance japonaise, en étudiant sa concurrence, sa faiblesse politique, et son organisation du territoire inégale.



L?industrialisation a été un facteur important dans l?émergence de la puissance japonaise, pour ne pas dire un pilier. Le Japon a su développer des industries de toutes sortes, complémentaires, allant de l?industrie lourde et la pétrochimie, aux industries de pointe, sans oublier les produits manufacturés plus traditionnels : automobile, textiles, etc. Afin de faire face aux problèmes relatifs au manque d?espace inhérent au territoire japonais, les habitants ont su, outre la délocalisation dans les Nouveaux Pays Industrialisés (NPI), créer des Zones Industrialo-Portuaires (ZIP), où la plupart des produits pourront y être élaborés, et immédiatement être exporté. De même, les matières premières importées pourront y être immédiatement traitées, notamment dans le cas de la pétrochimie, ce qui fait de ces Zones Industrialo-Portuaires de véritables interfaces entre le Japon et le reste du monde. Cette organisation de l?espace utile japonais vient notamment compléter le système du « Juste-à -temps » (Kanban), visant l?idéal des « cinq zéros » : zéro panne, zéro défaut, zéro délai, zéro papier, zéro stock. De plus, le réseau de communication à  très haut débit (Trains à  grande vitesse, comme le Shinkansen, le « Japan corridor » ou le « Super express », ou le réseau autoroutier) permet une circulation optimale des hommes et des marchandises.

Cependant, il est nécessaire d?ajouter que le Japon dispose d?un système économique et social adapté aux exigences d?un capitalisme fort. Ainsi, dès l?ère Meiji, à  partir de 1868, existaient les Zaïbatsu, conglomérats dominés par de grandes familles, qui servent de modèle aux Keiretsu, à  partir de 1945 : il s?agit de grands groupes d?organisation triangulaire : banque, société-mère (Holding), et compagnies commerciales (Sogo-Sosha), faisant la promotion des produits de la société-mère. De plus, le Japon comporte bon nombre de Petites et Moyennes Entreprises (PME), ayant trois rôles fondamentaux : la sous-traitance, l?artisanat, et l?industrie de pointe. Cette organisation économique est soutenue par un subtil interventionnisme d?Etat. Le Ministry of International Trade and Industry (MITI) élabore des études de marché, conseille les entreprises japonaises, créé des plans d?économie d?énergie, encourage à  la Recherche-Développement (R.-D), et favorise les secteurs d?activité prioritaires. De plus, le Japan External Trade Organization (JETRO) se charge de la promotion des produits nationaux. Ensuite, la société japonaise dispose d?un niveau d?éducation élevé (Les ouvriers les moins qualifiés disposent tous d?un diplôme de type baccalauréat). Elle se fonde sur une hiérarchisation omniprésente (Entreprise, à  l?image de Stupeur et tremblements, d?Amélie Nothomb, famille, Etat, notamment), et le patriotisme (pour reprendre le titre d?une nouvelle de Yukio Mishima) est présent à  tous points de vue : les japonais consomment essentiellement des produits nationaux, respectent leurs entreprises et travaillent beaucoup dans la semaine et dans l?année (D?où une relative absence de contestation sociale).

Enfin, l?une des raisons pour lesquelles le Japon est un pays puissant, est qu?il est depuis longtemps tourné vers la mer. L?insularité (Plus de 3400 îles et 30 000 kilomètres de côtes) a permis un développement considérable de la pêche (13 millions de tonnes de produits marins pêchés par an), et bien que son territoire soit de superficie moyenne (378 000 km²), son espace maritime est très étendu. Sa position au sein de l?Asie-Pacifique est idéale : sa proximité avec tous les autres pays d?Asie du Sud-Est et (Chine, Corée du Sud, Singapour?) facilite grandement les échanges, d?autant plus que, dans la seconde moitié du XXème siècle, jusqu?à  aujourd?hui, l?économie japonaise est essentiellement tournée vers l?exportation.



Le développement d?un tel système au Japon a permis à  celui-ci d?obtenir une grande puissance mondiale, jouant plusieurs rôles selon les régions.



Le Japon est une puissance motrice en Asie-Pacifique. Au cours des années 1950 à  1990, le pays du soleil levant a délocalisé nombre de ses activités dans les proches pays d?asie : Parmi les quatre Dragons (Singapour, Hong-Kong, rétrocédée à  la République populaire de Chine en 1997, la Corée du Sud, et Taïwan), les trois Tigres (Malaisie, Indonésie, Thaïlande), entre autres, notamment pour les produits à  faible valeur ajoutée, en raison du faible coût de la main-d??uvre locale, contribuant au développement de l?économie des pays concernés. Ainsi, les plus proches pays devenant plus riches et augmentant le coût de leur main-d??uvre, le Japon leur a délégué des secteurs d?activité plus complexes (Produits de moyenne valeur ajoutée), et en délocalisant les précédentes industries vers les pays voisins, et ainsi de suite. Au final on peut tout à  fait parler de vagues d?investissements, ou d?investissements en spirale, ce qui a accentué le développement économique de toute la région (Le Japon fournissant des crédits à  ces pays, et leur vendant ses produits à  forte valeur ajoutée). Le modèle japonais a permis ce que l?on appelle en termes économiques l? « Asiatisme ». Certains de ces pays se réclament d?ailleurs officiellement d?influence japonaise, si bien qu?il est pertinent d?affirmer que le Japon est devenu un modèle économique au sein de la région Asie-Pacifique.

La puissance du Japon ne se cantonne pas à  cette seule région. Depuis sa reprise économique fulgurante durant les Trente glorieuses, le Japon est avant tout devenu une grande puissance mondiale, d?une importance comparable à  celle des Etats-Unis d?Amérique et de l?Union Européenne. Le Japon est l?un des trois pôles de la Triade, terme géographique regroupant ces trois derniers ensembles, et qui représente 80 % de la production mondiale, et 80 % des Investissements Directs à  l?Etranger (A raison d?un total annuel moyen de 1002 milliards de dollars entre 1998 et 2001, pour l?ensemble du monde). Le Japon investit et exporte massivement dans ces pays (Usines Toyota à  Valenciennes, en France, ou dans d?autres pays de l?Union Européenne, échanges de capitaux entre Renault et Nissan?). La puissance des entreprises japonaises est comparable à  celle des Etats-Unis. Plus d?une centaine des 500 plus grandes entreprises mondiales sont japonaises. Toyota est la seconde plus grande entreprise automobile du monde, en termes de Chiffre d?Affaires (CA).

Ensuite, il est à  noter que le Japon est la plus grande puissance financière mondiale : c?est le plus grand créancier. La population fortement épargnante (Les japonais mettent en épargne l?équivalent du budget de la France chaque année) a permis au Japon de compter 11 de ses banques parmi les 25 plus grandes banques du monde, et 6 de ses banques parmi les 10 premières. Le Japon, pays du « tout-exportation », investit dans tous les pays de la Triade. Enfin, ce pays est depuis longtemps intégré aux grandes organisations internationales, malgré sa défaite militaire en 1945 qui a dès lors réduit sévèrement ses courbes de croissance, avant une reprise rapide dans les années 1950. En 1955, le Japon intégrait le General Agreement of Tariffs and Trade (GATT) ; en 1956, il intégrait l?Organisation des Nations Unies (ONU), et, dix ans plus tar, l?Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), sans oublier son rôle dans le G7, aujourd?hui le G8, regroupant les sept pays les plus industrialisés du monde, plus la Fédération de Russie.



Malgré tout, le Japon souffre de problèmes qui l?empêchent d?être une puissance mondiale à  part entière, le condamnant, à  l?heure actuelle, à  n?être qu?une puissance incomplète.



Tout d?abord, pour évoquer les limites de la puissance japonaise, il est nécessaire de parler de l?effet pervers qu?a engendré ses délocalisations : l?émergence d?une concurrence féroce. Les pays dans lequel le Japon a délocalisé en premier (Corée du Sud, Taïwan) ont développé eux aussi des industries à  haute valeur ajoutée, et surtout ont l?avantage d?être plus compétitifs que le Japon. Les Nouveaux Pays Industrialisés (NPI), malgré une dépendance financière pour certains, sont donc « dangereux » pour certains secteurs commerciaux japonais.
Ensuite, il est incontestable que le Japon, bien qu?il soit un géant économique, est un « nain politique ». Ce pays est sous la tutelle des Etats-Unis d?Amérique dès sa défaite en 1945, qui leur ont imposé une constitution préconisant l?absence d?une armée régulière, toujours en vigueur aujourd?hui. Les choses viennent à  peine de changer, en 2003, avec l?envoi en Irak et au Cambodge de contingents militaires japonais (qui n?ont d?ailleurs pas de vocation strictement martiale, mais plus humanitaire). De plus, le Japon n?a pas de siège permanent au Conseil de Sécurité de l?Organisation des Nations Unies, malgré ses multiples demandes.
Autre point : le Japon, du fait de contrastes sévères dans l?organisation du territoire, aggrave la situation engendrée par son manque de place. Au final, ce pays est condamné à  importer presque toutes ses matières premières. Outre ceci, la façade asiatique du Japon est dite « vide » (notamment à  Hokkaido), alors que la façade pacifique est urbanisée à  outrance, et que les ruines de la guerre n?ont su laisser place qu?à  un amoncellement de tours et de zones industrielles polluées sur 1200 kilomètres de long.

Enfin, le Japon est atteint par une véritable crise sociétale, pouvant trouver une de ses sources dans une remise en cause du système éducatif, ou encore dans l? « occidentalisation » des jeunes japonais, engendrant une rupture générationnelle croissante. En effet, les tenues parfois extravagantes des jeunes japonais dans les quartiers « branchés » des grandes villes ne correspond certainement pas à  l?image de rigueur que l?on tient de la société japonaise traditionnelle. Aujourd?hui, ce phénomène s?étend, et le terme de « hikikomori » a même été adopté sociologiquement pour désigner les « décrocheurs extrêmes » qui passent quasiment toute la journée enfermés chez eux à  s?adonner à  l?informatique ou aux jeux vidéos?


Nous voyons donc que le Japon est effectivement une grande puissance mondiale, basée principalement sur la force de ses industries et de ses capitaux, mais qu?elle est incomplète, du fait de sa concurrence, de sa faiblesse politique, d?une crise de sa société, et de son territoire, source de nombreux problèmes.


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MessagePublié: 20 Août 2004, 18:47 
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Pamplemousse Panchromatique
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Je ne pense pas que les hikikomoris soient une menace pour le règne du Japon au rang de superpuissance. Si les Japonais sont si passifs face à  la décadence de leur jeunesse, c'est parce qu'ils savent pertinemment que celle-ci finira tôt ou tard par rentrer dans le rang. On ne peut pas passer toute sa vie avec une coiffure mohawk vert fluo, des vêtements oranges déchirés et une attitude de paumé délinquant façon "Akira".

Par ailleurs, tant de pays sont en voie d'accéder à  un stade de développement économique, culturel et/ou militaire que l'on considérait voici encore peu de temps comme "suprême" que nous devrions peut-être réviser l'échelle à  laquelle nous jaugeons les Etats.
La majorité des nations seront bientôt en mesure de lancer une attaque nucléaire. Peut-on encore considérer ce facteur, par exemple, comme révélateur de l'état de "superpuissance" ? Tout est relatif.

Ce qu'il me semble intéressant d'étudier, c'est le respect on ne peut plus "relatif", également, des Droits de l'Homme par la plupart des pays puissants. Ne parlons pas des Etats-Unis, pays de la liberté, de la peine de mort, de la prohibition de la sodomie dans certains Etats... il nous suffira d'évoquer que cent cinquante pays dans le monde violent encore les Droits de l'Homme.
On peut aussi parler de l'aberrante pénurie d'Etats laïcs...
Ou encore utiliser le Japon, thème de ce sujet (oui, pléonasme), comme exemple de culture incompatible avec certaines idées humanistes. Le cas "lolicon" est symptomatique de ces problèmes. La mondialisation sera pénible avec un pays où la pédophilie, encore récemment, était intégrée aux moeurs, et où ce laxisme à  l'égard d'une pratique ignoble subsiste encore dans certains mangas (j'en veux pour preuve les innombrables immondices que l'on peut apercevoir sur des sites hentaïs).

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MessagePublié: 03 Oct 2004, 14:46 
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Petit suicidaire
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Tout à  fait d'accord avec toi DragonNoir. Mais juste pour préciser, il y a vraiment une ambigusité sur le Lolicon par rapport au fait que l'on ne peut le considérer comme de la pédophilie puisque ce n'est pas des enfants dit "réels" selon pas mal de textes de loi...

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MessagePublié: 14 Déc 2004, 01:35 
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Familier des lieux

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Six mois après, c'est pas grave...

C'est juste pour dire que la puissance économique d'un Etat n'est pas dissociable de la puissance géopolitique et/ou militaire, ce qui fait cruellement défaut au Japon.

Findae

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MessagePublié: 14 Déc 2004, 18:58 
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Le sataniste de papier
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Inscription : 23 Juin 2004, 04:53
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Localisation : Dans la salle des tortures.
La puissance d'un pays recouvre plein d'aspects et le japon si on s'en fout pas il est surtout important a un niveau culturel là . Le manga et les idées du pays s'infiltrent dans le monde lentement mais surement, je dirais que c'est bien parce que ca met du sang neuf dans les esprits, mais je ne dirais pas que le japon est surpuissant.

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MessagePublié: 15 Déc 2004, 00:57 
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C'est juste pour dire que la puissance économique d'un Etat n'est pas dissociable de la puissance géopolitique et/ou militaire, ce qui fait cruellement défaut au Japon.




Ci-joint, un petit article que j'ai écrit il y a environ six mois.

Citer:
Le Japon fait partie de ces pays que les Français connaissent de nom, dont ils connaissent la couleur de peau des habitants, qu'ils savent (presque) placer sur une carte (quand ils ne se trompent pas de continent) et pour lesquels ils ont une image toute définie, ou plutôt un stéréotype. Pour le Japon, c'est très simple :

Le samurai (et pas forcément le "dernier").

Ce terme bien connu vient d'un ancien mot japonais, le verbe saburau, qui signifiait "escorter un noble", ce qui n'est pas exactement la vision que l'on a habituellement. Cependant, il faut comprendre que le samurai était un garde armé d'une grande habileté, qui désigna pendant un temps les membres d'escorte des Grands, avant que le mot ne vienne se superposer à  celui de bushi, qui signifie "guerrier" et désignait un noble de la Cour s'adonnant aux affaires militaire.

Cette précision, ressemblant, j'en conviens, à  l'égarement d'un historien japonais lancé sur son sujet de prédilection ou au prosélytisme d'un fanatique des films de Kurosawa, a pourtant le mérite de pointer du doigt une défaillance des services d'information du peuple français, des médias populaires, trop occupés à  évoquer la température de l'eau à  Quimper ou les tartes aux prunes de cette charmante madame Micheline (qui battent d'ailleurs à  plate couture celles de la boulangerie du petit village de la Creuse où elle réside depuis sa plus tendre enfance).

Car en effet, un véritable séisme idéologique est en train de perturber, voir violenter, le Japon moderne : d'un côté, des idéaux profondément ancrés dans les mentalités, et de l?autre, en challenger, les nécessités d?un monde où les relations internationales sont chaque jour plus tendues et difficiles. Quels que soient les choix des politiques japonais (le Premier ministre Koizumi le premier), le Japon sortira changé de ce conflit, qui n?aura certainement pas uniquement des conséquences internes : il faut s?attendre à  ce que l?Asie, voir le monde, doive aussi subir les effets du tsunami que causeront les réponses à  l?unique question qu?il faut se poser à  l?heure actuelle.

Le Japon doit-il se réformer ?

Le but de ce texte n?est pas de répondre à  une question qui semble universelle et bien trop large pour impliquer une réponse, qui serait certainement trop manichéenne. L?avenir nous le dira, et, ici, il s?agit plus modestement de présenter les évènements récents qui poussent toute personne un tant soit peu concernée à  s?interroger sur le bien-fondé des réformes envisagées et le destin d?un pays comme le Japon.
Il faut étudier deux régions du monde pour comprendre les raisons de la situation actuelle.

L?Irak?

? Représente l?élément déclencheur de cette mutation de la politique japonaise. Mais avant d?aller plus loin, il serait juste de rappeler l?existence d?un texte se trouvant tout en haut de la hiérarchie des normes du Droit positif japonais :

« Aspirant sincèrement à  une paix internationale fondée sur la justice et l?ordre, le peuple japonais renonce à  jamais à  la guerre en tant que droit souverain de la nation, ainsi qu?à  la menace ou à  l?usage de la force comme moyen de règlements des conflits internationaux [?] Pour atteindre le but fixé au paragraphe précédent, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l?Etat ne sera pas reconnu ».

Il s?agit de l?article 9 de la Constitution japonaise, rédigée en 1946 sur pression de l?état-major américain, qui se trouve être la clef de voûte du pacifisme japonais depuis presque une soixantaine d?année. Aujourd?hui, ce texte est en passe d?être abrogé, pour deux raisons essentielles :
D?une part se trouve la volonté du gouvernement Koizumi d?envoyer des troupes en Irak pour prêter main forte à  une armée américaine enlisée dans un conflit qu?elle n?arrive pas à  maîtriser efficacement. Plus de mille soldats des FAD, les Forces d?autodéfense japonaises, (ou JSDF, Japan Self Defense Force) devraient ?uvrer en Irak pour la reconstruction du pays, et non dans une optique guerrière. Le Premier ministre prend un grand risque en agissant dans ce sens, car les GI américains sont loin d?être les seules victimes non irakiennes des attentats et attaques de la guérilla : les dix-neuf carabiniers italiens tués, par exemple, restent à  l?esprit de tous les hommes politiques, mais aussi de l?opinion publique japonaise, opposée à  80% à  l?intervention des FAD. A partir du moment où les troupes japonaises débarqueront en Irak, elles deviendront (du point de vue irakien, et de manière plus large, du point de vue de nombreux pays du Moyen-Orient) les ennemis de la paix, et les suppôts du ?Malin? américain, brisant le fragile, mais ô combien précieux, capital de sympathie engrangé par le Japon dans cette région du monde.
Et qu?en sera-t-il si jamais des japonais sont tués ? Combien de décès l?opinion publique de l?Archipel pourra-t-elle supporter ? Il suffit de constater l?impact de l?annonce de la mort des deux diplomates japonais le 29 novembre dernier, et l?émoi de la population, pour comprendre que celle-ci ne pardonnera aucun faux pas au Premier ministre. Les FAD n?ont jusqu?à  présent jamais eu à  déplorer la perte d?un de leurs membres, mais d?un autre côté, aucun d?eux n?a encore eu recours à  des armes mettant en danger la vie de l?adversaire. On peut s?interroger sur l?utilité de troupes d?autodéfense dans un pays où les attentats quotidiens entretiennent un climat de terreur. Mais le gouvernement Koizumi ne veut pas que l?on dénonce, comme en 1991, la ?diplomatie du chéquier? derrière laquelle se réfugiait le Japon, se contentant d?envoyer pour plus de quatorze milliards de dollars au trésor américain sans risquer le sang de ses soldats.

D?autre part, et c?est une conséquence implicite de l?envoi de troupes en Irak, Koizumi affiche clairement son ambition de réformer le statut des FAD. Crées en 1954, soit à  peine huit ans après la rédaction de la Constitution et de son article 9, elles ont dans un sens trahi l?idéal pacifiste un peu utopique du Japon post-seconde guerre mondiale souhaité par le général MacArthur, ne pouvant cependant intervenir que dans le cadre du territoire japonais, et uniquement à  des fins défensives.
Le Premier ministre veut aujourd?hui en faire une armée digne de ce nom, affirmant à  qui veut l?entendre que « les FAD sont en réalité une armée : le temps viendra où il faudra leur accorder, y compris sur le plan constitutionnel, l?honneur et le statut qu?elles méritent », et arguant que les dépenses militaires placent déjà  le Japon au 4e rang mondial avec un budget de quarante-deux milliards de dollars. Mais on peut se demander si ces propos ne visent pas à  faire accepter à  la population une pilule trop grosse pour être avalée sans l?aide d?un peu de miel. Jusqu?à  présent, les FAD ne sont intervenues dans le monde (au Cambodge, en Irak pendant le guerre du Golfe, etc.) que mandatées par l?ONU, et toujours en gardant le statut pacifique qui fait leur particularité.

Koizumi a choisit l?année 2004 pour réformer l?armée japonaise : coïncidence ou man?uvre politique ? L?anniversaire, en juillet de cette année, des FAD verra-t-il leur fin, au profit d?une armée imposante, consacrée par une réforme constitutionnelle prochaine ?
Mais l?opinion publique japonaise n?est pas la seule à  s?inquiéter, et des pays asiatiques regardent avec incertitude l?agitation de l?Archipel.

L?Asie?

? Représente elle-même un terrain dangereux pour le Japon, car il a, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, à  faire face au ressentiment des autres pays asiatiques, à  cause de son passé militariste. Mais d?autres faits méritent d?être expliqués ici, pour comprendre pourquoi le contexte asiatique est à  présent tellement tendu.

Ainsi, la Corée du Nord représente pour le Japon un problème majeur : il est déjà  bien sûr question des ressortissants japonais kidnappés en octobre 2002. Cela a d?ailleurs été l?un des chevaux de bataille du Parti Libéral Démocrate (PLD, à  la tête duquel se trouve le Premier ministre Koizumi) pour les élections législatives du 9 novembre dernier, notamment au cours d?un meeting organisé par Shiego Omae, où Katsumi Sato, de l?association nationale pour le secours des Japonais enlevés en Corée du Nord, a annoncé que « en élisant M. Omae, vous exprimerez votre volonté de punir Pyongyang de manière extrêmement sévère et de lutter résolument contre le terrorisme ». A l?heure actuelle, le problème n?est toujours pas résolu, et les tensions sont toujours aussi grandes entre les deux pays.

Mais il est aussi question des capacités nucléaires de la Corée du Nord. Le Japon se sait protéger par le parapluie nucléaire des Etats-Unis, mais pour combien de temps et avec quelle efficacité ? Il semble que Pyongyang ait obtenu sa technologie par le biais du Pakistan, et qu?elle commence à  la faire transiter vers d?autres pays, comme le Myanmar. Ces transferts incertains de technologie nucléaire porte quasiment un coup fatal à  la sécurité du monde asiatique, et c?est d?autant plus inquiétant car ces pays ont une optique similaire, font cause commune pour pouvoir se défendre : par exemple, les généraux birmans admirent la manière dont les nord-coréens tiennent tête aux Etats-Unis et souhaiteraient pouvoir en faire autant, mais ils n?ont pas le même poids que Pyongyang. L?acquisition d?une force de frappe nucléaire pourrait détruire l?équilibre précaire qui est en place aujourd?hui.

Cela pose problème à  la fois pour le Japon, qui commence à  douter de sa sécurité (en particulier après des évènements comme le survol du pays par un missile expérimental nord-coréen en août 1998, qui avait traumatisé la population), mais aussi pour les Etats-Unis, qui voient ?l?axe du mal? devenir de plus en plus puissant.

Einstein a dit un jour que le nationalisme était « une maladie infantile, la rougeole de l?humanité ». Cette tendance à  la propagation semble toucher le Japon, qui connaît une montée en puissance d?un mouvement nationaliste, notamment au sein du parti au pouvoir. On l?a vu dans les propos de monsieur Sato, mais aussi dans ceux de Nisohachi Hyodo, essayiste et commentateur écouté de la droite du PLD, qui pense que « le Japon doit aussi se doter d?une force nucléaire dissuasive, non pas pour contenir la Corée du Nord, mais pour se protéger de la Chine ».
Par ces propos, il dit tout haut ce qu?une partie de la population pense tout bas, car si les japonais parlent abondamment de la Corée du Nord, beaucoup pensent que le vrai défi stratégique porte un autre nom : la Chine. En effet, Pékin regarde d?un ?il inquiet les volontés de réforme constitutionnelle et s?inquiète ouvertement du réarmement japonais. D?ici dix à  vingt ans, la Chine va devenir l?un des plus importants pays capitalistes au monde, son économie se libéralisant et s?ouvrant aux pays occidentaux. Les dirigeants japonais savent qu?ils doivent rester en bons termes avec ce pays, mais le gouvernement Koizumi adopte une démarche ambiguë.

D?un côté, en affirmant que la Chine représente une opportunité et non une menace, le Premier ministre japonais a clairement nié la théorie de la menace chinoise, ce qu?elle a énormément apprécié. Mais d?un autre côté, Koizumi agace la Chine (et par la même occasion la Corée du Sud) en allant se recueillir sur le sanctuaire Yasukuni, controversé car il honore non seulement les âmes des soldats morts, mais aussi celles de criminels de guerre (responsables d?exactions, comme celles de Nankin, aux alentours des années 1936-1937).

Un autre problème, moral cette fois, se pose avec la Chine : comment cautionner les intérêts d?un pays où les droits de l?Homme sont coutumièrement bafoués ? Les neufs points de réforme constitutionnelle chinoise dont on a beaucoup parlé fin 2003 sont certes un pas en avant, mais encore faut-il qu?ils soient appliqués, ce qui n?est pas évident. Et même si la Chine fait beaucoup d?efforts pour éteindre le feu nord-coréen et apaiser l?anxiété du Japon, elle reste elle-même trop difficile à  cerner pour que se mette en place une situation de confiance mutuelle.

La finalité?

? Des possibles mutations de Japon semble être une volonté pour Koizumi de débarrasser le Japon de l?image de ?nain politique?, qui lui colle à  la peau depuis sa défaite en 1945. Ainsi, l?Archipel, délivré du pacifisme, deviendrait enfin un pays comme un autre, pouvant gérer sa défense comme il l?entend et surtout s?affirmer sur la scène internationale comme une grande puissance avec laquelle il faut compter.

Cependant, il faudrait aussi que le Japon se ?désaméricanise?, cesse de suivre à  tout prix la politique américaine en prenant, en quelques sortes, son indépendance politique. De même, il devrait opérer un rapprochement avec ses partenaires asiatiques, au lieu de leur tourner le dos à  chaque fois qu?une quelconque opportunité se présente.

La position du Japon est aujourd?hui des plus inconfortables : il lui faut choisir entre rester un pays samurai garantissant la paix par la paix, ou entrer dans la Cour des autres pays bushi pour appliquer la maxime « si vis pacem, para bellum* »?


* = « si tu veux la paix, prépare la guerre »


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MessagePublié: 15 Déc 2004, 01:57 
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Dire que cet article est intéressant ne serait qu'un euphémisme qui ne lui rendrait guère justice. Aussi, je me contenterai de louer sa clarté et sa précision. Et bon sang, qu'est-ce que j'en ai appris en ces lignes.
:coeur:


Si j'ai bien compris, le Japon est actuellement dans une position ambiguë entre le pacifisme qui lui a été imposé par les Etats-Unis (et qui se révèle finalement tout à  l'honneur de l'archipel) et une politique un rien plus militaire qui seule permettrait que le pays soit considéré comme une véritable "puissance mondiale".
Je crois que dans une décennie, l'armée japonaise sera très forte. Et si un certain mimétisme partiel à  l'égard des Américains se poursuit, ils pourraient bien suivre son exemple et faire preuve d'une volonté d'interventionnisme, avec toutefois davantage de discernement, espérons-le (non, je ne digère pas la politique Bush).

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MessagePublié: 15 Déc 2004, 02:16 
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DragonNoir a écrit:
Si j'ai bien compris, le Japon est actuellement dans une position ambiguë entre le pacifisme qui lui a été imposé par les Etats-Unis (et qui se révèle finalement tout à  l'honneur de l'archipel) et une politique un rien plus militaire qui seule permettrait que le pays soit considéré comme une véritable "puissance mondiale".


Exact.


DragonNoir a écrit:
Je crois que dans une décennie, l'armée japonaise sera très forte.


Mais elle est déjà  très forte, c'est bien là  l'ambiguïté de la situation ! Les FAD sont une armée puissante, mais il ne leur manque que le titre.


DragonNoir a écrit:
Et si un certain mimétisme partiel à  l'égard des Américains se poursuit, ils pourraient bien suivre son exemple et faire preuve d'une volonté d'interventionnisme, avec toutefois davantage de discernement, espérons-le (non, je ne digère pas la politique Bush).


Je pense au contraire que si le Japon sort de son pacifisme, il n'adoptera pas une politique militaire interventioniste à  la manière Bush, car cela ferait forcément écho à  son attitude en Asie à  partir des années 30, ce qui aurait des conséquences tout à  fait néfastes pour l'image du Pays, aussi bien au niveau de la population japonaise que des gouvernements étrangers ainsi que de l'ONU.

Findae

EDIT : En fait, je l'ai écrit il y a pile-poil un an, cet article.

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"Ne croyez pas que cette lettre a été écrite par un fou. Hélas, c'est la tragique, horrible, vérité. Horreur, horreur ! Homme, déchire tes vêtements, couvre ta tête de cendres, cours dans les rues et danse dans ta folie. Je suis si las que ma plume ne peut plus écrire. Créateur de l'univers, viens à  mon secours !"

Tractatus Pacis Christianitati Findae


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MessagePublié: 15 Déc 2004, 07:20 
Si les deux Corée se réunifient, la puissance du Japon se réduira à  peau de chagrin. Voilà  pourquoi il l'a toujours refusé.


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 Sujet du message:
MessagePublié: 15 Déc 2004, 13:07 
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Inscription : 05 Oct 2004, 00:28
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Si les deux corées se regroupent, ça aura le même effet que la réunification de la RDA et de la RFA : une partie riche, une autre pauvre, un déséquilibre, de graves problèmes sociaux, une antipathie, etc. Il faudra des années pour que la Corée redevienne quelque chose.

Findae

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 Sujet du message:
MessagePublié: 15 Déc 2004, 20:07 
En l'occurence, ça fera une grosse (tout est relatif) puissance économique et une grosse puissance militaire. Peu importe que le résidut soit homogène, c'est déjà  plus que le Japon ne pourrait tolérer. (Au fait, Corée, c'est invariable)


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