Compères analphabètes ? Mes collègues ont au moins autant, sinon plus de verve que vous. Voici l'un des égarement de jeunesse de l'un d'entre eux :
Citer:
EMILIEN MARCHE EN VILLE (dans la fange)
Chapitre I _ Entrée en matière
Quand rien ne va, quand le dégoût de la routine me prend à la gorge ou que le quotidien perd ce qui lui reste de sens, une échappatoire s'impose. La mienne s'apparente presque à une fuite, ou une déroute, c'est selon : muni d'un sac contenant un nécessaire contre les frimas physiques et ceux intellectuels, je traduis : un parapluie et un livre de Goethe, je m'en vais arpenter les rues de Strasbourg, tantôt pluvieuses et maussades, tantôt bondées de la faune touristique propre aux jours ensoleillés. Repoussant mes répulsions naturelles face à cette assemblée humaine communément appelée populace, je m'immerge dans cette multitude des stimulis, et je m'offre dans un élan proche du masochisme à cette agression de sons, d'odeurs et de présence qu'est la vie citadine. Tout âme sensée s'inquièterait de mon état mental, mais durant ces phases j'ai le sentiment d'être investi de la mission de l'explorateur traversant ces nouveaux territoires inconnus, aux noms évocateurs comme : le marais de la mort qui fait plop, la plaine des pigmés nains végétariens ou les montagnes des terribles falaises horizontales. Ainsi tel un martyre moderne aux affres des tourments lyriques d'une âme écartelée entre mission transcendante et cruelle réalité, j'ose fendre les sots de la mer populacière.
A un oeil naïf, la prétention de décrire exhaustivement cette foule pourrait sembler relever du délire pur, ou tout au moins d'un emportement prétentieux tant elle semble protéiforme, et d'ailleurs peu digne d'intérêt quelconque. Si sur le second point je ne vais pas forcément vous détromper, un regard attentif reconnaîtra rapidement dans cette multitude des motifs récurrent, voir permanent pour certains. J'hésitait à employer indélébile, mais je me le réserve pour plus loin. Je conjecture intuitivement, et l'expérience m'a permis de le vérifier à plusieurs reprises, que la médiocrité humaine est la même partout dans les villes. Oups ! J'ai dit médiocrité, lapsus navrant, je voulais dire populace ! Que le lecteur m'excuse. Toutefois je ne m'aventurerai pas à décrire la biosphère rurale, les compétences m'en manquent et je m'en excuse donc d'avance de devoir délaisser ce développement et le réserver à des confrères de spécialité anthropologues.
Cette mise au point étant effectuée, je vais m'essayer à esquisser, ceci à main levée en me gardant d'insister sur les traits de peur de froisser de lecteur, ou pire de l'effrayer, les assemblages d'acides aminées du groupe des homininés, appelés homo sapiens, ou Momo pour les intimes qui déambulent ici et là . Ceci dit, de haut on pourrait croire qu'ils rampent. Ce doit être un effet d'optique ... ou un débordement de mes préjugés, va savoir. Jettons rapidement la scène de la farce humaine qui s'y déroule : une enfilade de rues, plus ou moins grandes, mais c'est pas la taille qui compte, des bâtiments qui incarnent toutes les activitées humaines et ses plus grands achèvements, restoration rapide, boutique de parfums, représentant des pompes funèbres, l'armée de l'air, j'en passe et des pires. Concernant le temps, il influe modérément sur l'importance du débile, zut, débit, et sur la longueur de la vestimentation, ceci indépendament de la tranche d'âge et du genre de l'individu considéré. Prenons le maussade et un peu couvert, le temps, pas l'individu, quoique ce serait cohérent, et plaçons nous à l'orée de l'après-midi, pour englober dans un même regard une importante tranche de vie.
Le décors est planté, et je peux maintenant m'y promener d'un ton allègre de fonctionnaire allant faire des heures supp' (c'est vous dire son état de choc et de décripitude psychique) en observant à ma guise cette humanité citadine. Me voilà planté dans mon rôle d'enthomologue où, malheureusement, je n'ai toutefois pas la permission d'empaler mes sujets d'études pour les placer derrière une vitre, ce qui en passant ne me dérange pas beaucoup pour deux raisons : d'abord parce que la seule réutilisation possible d'une telle collection serait dans un musée aux horreurs réservé aux marxistes et autres amis du consumérisme consumé, et puis que pour un moindre effort, qui est de me déplacer devant une quelconque devanture de magasin, je peux contempler foule de spécimens agglutinés autour de présentoirs variés de rebus divers. Ce qui me permet en outre d'avancer une hypothèse de classification dans différentes branches de cette espèce qui derrière ses couleurs foisonnantes cache toutefois une morne et monotone réalité.
Pour conclure cette entrée en matière, je me dois de présenter ma méthode d'investigation, et l'énoncer en termes clairs. En effet, comme l'a laissé supposé mon précédent discours, il apparaît de manière évidente qu'elle repose sur des bases scientifiques rigoureuses : premièrement elle s'ancre dans le plus absolu objectivisme, et deuxièmement elle découle de l'empirisme le plus radical. On objectera facilement que le caractère de cette étude est superficiel et ne s'intéresse qu'à ce que l'expérimentateur, c'est à dire moi, observe et décrit. Et alors! Qu'avez vous à y redire! Vous n'êtes qu'un tas grouillant de cloportes qui constitue cette foule que j'honnis et qui dégouline sous mes pieds. Je suis infiniment différent par nature de vous, et cela découle directement de l'axiome premier de l'observateur de la fange : dans le monde, il y a l'observateur et le reste, et le reste s'appelle peuple, et il grouille. Axiome intuitif, je ne vous le fait pas dire, mais fondateur. Et vous n'y avez rien à redire : depuis quand les cloportes parlent-ils? Le second axiome est plus trivial ainsi que plus abscons, et il est inaccessible au lecteur moyen. Second axiome : « On peut pas, on est des cailloux ». La métaphysique qui en découle est à l'origine de dissensions à l'intérieur de la discipline, le schisme principal relève de l'interprétation de cailloux : d'un côté se trouvent ceux qui l'interprètent comme quadrumane bicéphale de la branche des grands singes à facheuse tendance de semer la merde autour d'eux tout en se massacrant allègrement, qui se trouvent affrontés par les partisans du politiquement correct qui jugent que cailloux est discriminant et qu'on devrait plutôt utiliser agrégat de composés inertes, moins blessant pour cette minoritée certes vaste, mais minoritaire quant même par principe. Ils donnent alors à la phrase une traduction moins ésotérique, « Met moi un caillou dans mon pastis! », qui replace l'humanité dans sa vacuité fondamentale. Le sujet des digressions dogmatiques sur le fondement de la science de l'observation citadine du comportement de ces descendants des amibes primordiales étant clos, l'étude peut donc se dérouler de façon parfaitement scientifique. A ce stade, toi lecteur, tu dois admettre ces axiomes évidents qui vont servir de fondements aux raisonnements suivant. J'espère que tu es toujours entrain de me lire, et tu me le dois bien, car je suis toujours entrain d'écrire.
(Dire qu'il a failli devenir Littéraire... *se signe*)