Monsieur Lafarge, puisque votre pouvoir vous donne du cachet plus que tout autre, vous arrive-t-il d’avoir plus de tact dans l’expression de votre souveraineté ? Vous voyez que j’accorde de l’intérêt à votre réponse et que j’essaye d’en extirper la pertinence la moins malsaine (car comment croire que les misérables bribes de vos arguments soient dignes de réflexion ? Poussez plus loin le vice de me répondre, mon cher, ou vous ne passerez que pour un isolent ou, au contraire, et pire encore, pour un honnête homme). Quoi que j’aime beaucoup les jardins, et que j’adore la sauvagerie, un jardin sauvage est-il vraiment le lieu idéal pour que deux rhéteurs présentent les plaies philosophiques de leur existence ? Je préférerais me rendre nu à l’opéra plutôt que d’avoir à exposer ma pensé dans la décharge de tout un forum. Ici, tout n’est que ruine, et il semble que les idées ne sont présentées que pour le plaisir de ne les pas pousser dans leurs retranchements. Construit-on quatre murs dans le but avoué de ne pas y adjoindre de toiture ? Je vous en prie, donnez à mon débat le refuge de la section zoologie, pour lui éviter la souillure des sujets abjects que l’on accumule les uns par-dessus les autres, et qui noient les positions de nos intelligences dans l’autorité vulgaire des choses, nombreuses et futiles, produites pour l’ambition malsaine d’être oubliées. Je ne vous demande pas de justifier ma position, qui est stupide, déraisonnable, invraisemblable. Serait-elle débattue sinon ? Aucun acte intellectuel n’est intéressant qui n’est illogique, et ce sont les incohérences qui forment les vertus de nos discours. Si mes raisonnements avaient les rigueurs mathématiques des conclusions portées par nos pensées les plus intelligentes, en quoi devrait-ils être contredit ? Je serais fat alors de ne savoir moi-même me porter à la conscience les arguments que vous m’opposez. Les sociétés seraient habitées de gens paresseux ou idiots, incapables d’aboutir eux-mêmes à des concepts inébranlables, car les autres vivraient dans le confort de leurs parfaites abstractions. Qu’est-ce qui pousse un philosophe à sortir de sa grotte ? Qu’avez-vous à opposer à mon attitude injurieuse ? Le devoir de faire fonctionner une société aux rouages bonasses ou la niaiserie de croire que c’est en étant poli que l’on est citoyen ? Aucun homme n’est en société qui n’est méchant. Faut-il voir là un mal ? Don Juan est-il méprisable ? Iago a-t-il tous les torts ? Le Bertrand Morane de Charles Truffaut lui-même, cet « hommage à toutes les femmes » (Télérama) ne finit-il pas par dégoûter son innocente et très objective scripteuse ? Les harangues rageuses des plus grands vampires ne sont-elles que des fanfaronnades ? La sculpture de Goldmund serait-elle laide ? Lorsque l’on fait l’amour, est-on malhonnête ? Faut-il vivre ailleurs que sous le méridien de sang ? L’insulte, la rage, l’emportement bileux, je ne vois rien de plus humain sur cette terre, et la violence si elle est un exutoire n’en reste pas moins un moyen comment un autre de communiquer avec ce qu’il y a de plus profond en nous, et qu’il serait folie de faire taire. Vous louez l’audace et la réprimez en même temps, et j’aurais le cÅ“ur à rendre cela cohérent si je n’y voyais pas une marque ambiguë de votre intimité (et que vous me faites l’honneur de me dévoiler à notre premier contact). Mais faite attention quand vous servez des paradoxes, ou vous ne serez bientôt rien d’autre qu’un homme qui « dit ce qu’il fait mais ne fait pas ce qu’il dit » (et je serais peiné de perdre, qui sait ?, un adversaire acceptable). J’avais cru reconnaître dans la distinction de votre langage une noblesse cognitive adéquate, dans cette communauté des crépitements assez artistes pour être délicate, et je pensais avoir mis assez d’absurdités dans mon introduction pour que des personnes moins subtiles que vous devinent la logique de ma démarche. Mais je vois que nul n’a osé mettre en place un réquisitoire opposé au mien qui soit digne de comparaison. Persévérez donc, et prenons enfin la plume. Allons, je vais vous donner un peu d’aide, de peur de vous avoir égaré. La vrai question est : la misogynie est-elle une attitude souhaitable ? Ne vous trompez pas d’épouvantail trop souvent, corbeau royal, ou vous régnerez bientôt sur un empire de friches intellectuelles.
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