Eltanin

Le XVIe siècle. Une austère silhouette arpente le monde ; vêtu de noir, portant rapière et pistolets, les traits émaciés, le puritain Solomon Kane parcoure les routes et les chemins, se voulant l'agent de Dieu sur Terre. Empli de compassion pour les innocents, traqueur implacable à  la poursuite des coupables, Kane est un homme intéressant, par la grâce de la plume de Robert E. Howard.
Car cet auteur d'exception ne saurait se contenter de créer un simple vengeur ; le personnage est un peu plus complexe qu'il n'y paraît. Ainsi que je l'ai dit, Solomon Kane se veut le poing vengeur du Seigneur, allant là  où celui-ci veut bien guider ses pas, pour redresser les torts et combattre les forces des ténèbres qu'on lui désignera comme devant subir l'ire céleste. Ne nous y trompons pas : Howard nous le dit lui-même, Kane n'est pas un héros, un croisé moderne, mais un fanatique. Peu importe de quoi il est persuadé ; c'est son goût pour l'aventure, et non le Ciel, qui l'entraîne sur les routes et face aux périls qu'il confronte. Sa foi est la source de sa détermination, mais c'est à  lui seul qu'il doit ses errances et les périlleuses confrontations que nous narre Howard.

Anglais, Solomon Kane nous apparaît pourtant peu dans les îles britanniques, ni même en Europe. C'est en Afrique que la majorité, et les plus belles et terribles, des histoires du puritain vengeur prennent place.
L'Afrique ! Le Continent Noir, dans tous les sens du terme. On ne saurait faire abstraction du contexte dans lequel Howard écrit ses nouvelles ; l'entre-deux guerres, pour la revue Weird Tales. L'Afrique de Howard, dans laquelle s'enfonce Kane, est une terre primitive au sens originel du terme : c'est là  que les choses sont demeurées le plus proche possible de l'état de nature, sans les artifices et les retouches de l'évolution et de la civilisation.
C'est là  que le passé ténébreux, que l'Homme moderne a tenté d'enfouir au plus profond de son subconscient et de bannir de sa mémoire, subsiste. Ce passé mythique, épique et maléfique, celui de l'Hyperborée et de Conan, de l'Atlantide et du Roi Kull (deux autres personnages créés par Howard dans ses nouvelles), et avant eux, des races préhumaines... Souvenons-nous que les oeuvres de Lovecraft et de Howard sont interconnectées même si elles ne sont pas formellement confondues.
L'Afrique est le continent dépositaire de ces survivances, à  la fois matériellement, dans les cités perdues que Solomon Kane découvrira, et dans une dimension plus spirituelle ; dès la première nouvelle, Kane entend, dans les battements des tam-tam, la litanie africaine évoquant les souvenirs enfouis dans son cerveau, la mémoire atavique et reptilienne chantant une antiquité plus ancienne que tout.
L'Afrique de Howard est en fait la matérialisation de cette dimension ignorée et refoulée de la psyché humaine moderne. Les luttes contres les forces ténébreuses qu'y mènera Kane forment à  ce titre une allégorie de la lutte de son temps en Europe, où la civilisation moderne s'affirme. Cette civilisation sur laquelle Howard pose un regard si critique, si méprisant pour ses faussetés, son hypocrisie et sa bien-pensance. Le père de Conan est catégorique : au civilisé invoquant les meilleures intentions du monde pour commettre les crimes les plus atroces, il préfère le barbare franc et droit, luttant honnêtement pour ce en quoi il croît. Solomon Kane, de par ses errances loin de sa terre natale et des contrées européennes, incarne ces valeurs : celles d'un homme sévère et honnête, aux mains rougies par le sang qu'il a répandu non par cruauté ou par intérêt, mais parce que le monde dans lequel il vit en veut ainsi et qu'il a choisi de se défendre et de défendre ceux qui en ont besoin. "Le feu par le feu..."

Les aventures de Solomon Kane forment donc des histoires fascinantes et originales. Les amateurs du genre y retrouveront avec bonheur les racines de certains concepts et idées aujourd'hui tellement galvaudés et (bien souvent mal) recyclés...

Les excellentes éditions Bragelonne ont eu la non moins excellente idée de nous offrir, l'année dernière, une intégrale toute neuve des textes de Howard sur Solomon Kane. Enrichie d'ébauches qui n'ont, pour certaines, jamais été publiées avant aujourd'hui, accompagnée de réflexions d'une experte sur l'auteur et son oeuvre monumentale qui replace dans son contexte et décrypte avec brio certains aspects du travail de l'écrivain, je ne saurais trop vous conseiller d'essayer de vous la procurer (lien dans l'image en début d'article).

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Il est facile de distinguer les jours où je suis de bonne humeur de ceux où je suis de mauvaise humeur : les premiers, je me définis comme obscurantiste et professe que l'Humanité a désespérément besoin d'être ramenée au niveau technologique d'il y a trois siècles ; les autres, je me définis comme nihiliste et professe que le meilleur avenir auquel l'Humanité puisse aspirer, c'est une extinction sans douleur.