Eltanin

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MessagePublié: 01 Juil 2013, 14:55 
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Il est les ténèbres
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Inscription : 01 Mai 2005, 12:16
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Localisation : Grenoble
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Au XXIIe siècle, une formidable opportunité sociologique est offerte à tous ceux qui en ont l'ambition et le sérieux : une chance de bâtir une société utopique telle qu'ils la conçoivent. Des planétoïdes terraformés, chapeautés par le Conseil des utopies (organisation administrative), accueillent chacun une expérience de ce genre. L'un de ces planétoïdes est baptisé Kirinyaga, du nom kikuyu pour le mont Kenya. C'est son histoire que nous allons suivre...



A l'origine de cette saga constituée d'une dizaine de nouvelles-chapitres il y a le projet d'Orson Scott Card de publier un recueil de nouvelles basées sur le concept d'utopie. Il contacte divers écrivains de science-fiction et leur présente le postulat de départ - que j'ai exposé ci-dessus ; l'un de ces auteurs est Mike Resnick.

A ce niveau de la présentation, il est important de savoir que Resnick est passionné par l'Afrique et plus précisément l'Afrique orientale. Cette influence a marqué profondément son œuvre d'auteur de science-fiction, lui conférant une couleur des plus originales et orientant fortement ses thématiques.
Resnick répond présent à l'appel et décide de mettre en scène une utopie kikuyu (les Kikuyus sont une des ethnies du Kenya actuel). Après avoir livré la nouvelle attendue, Resnick se rend compte qu'il peut aller bien plus loin et au gré des années en écrira d'autres à sa suite, qui au final seront autant de "chapitres" de la saga de Kirinyaga.



Le personnage central, tant du point de vue scénaristique que de la technique narrative, est Koriba. Koriba est le mundumugu de Kirinyaga, c'est à dire le sorcier et le gardien de la tradition ; comme il l'explique lui-même, il est l'homme le plus puissant de tout son peuple car si les chefs de village peuvent commander, c'est le mundumugu qui préserve, interprète et veille à faire appliquer la loi, tranchant entre ce qui est bon et ce qui ne l'est pas pour son peuple. Il est le pivot sur lequel tout repose.

Koriba est un personnage des plus intéressants. Né au Kenya, il fait des études à Cambridge et à Yale, dont il sort diplômé ; mais il développe, à un moment donné de sa vie, une pensée "nationaliste" qui le pousse à rejeter tout ce qui est occidental et à se faire le chantre de la culture kikuyu originelle, d'avant le contact avec les Européens. C'est sa détermination à offrir une nouvelle chance à ceux de son peuple qui, comme lui, rejettent les influences extérieures qui conduit à la concrétisation de l'utopie Kirinyaga.
De son poste de mundumugu, Koriba est en fait le gardien de Kirinyaga et de sa raison d'être originelle : permettre aux Kikuyus de renouer avec leur culture et de vivre suivant leurs traditions, d'être de nouveau le peuple qu'ils étaient avant sa contamination par le style de vie européen qui aboutit à son abâtardissement et à sa transformation en "ces Européens noirs, la tribu artificielle des Kenyans". Par ses contes qui cachent autant de paraboles, il éduque, guide et conseille les siens, luttant férocement contre tout changement au nom de la préservation de l'identité kikuyu.



La question au cœur de Kirinyaga est moins la nature de l'utopie (Resnick n'ayant pas cherché à répondre à cette question en imaginant une société totalement fantaisiste et inédite) que la nature d'une culture.
Koriba et ceux qui l'ont suivi dans son combat pour Kirinyaga puis sur place voulaient renouer avec leur mode de vie ancestral, leur culture dans sa forme pure, garante de leur identité ethnique ; afin d'éviter que l'Histoire du Kenya ne se répète, Koriba se bat farouchement pour que ce Graal si difficilement atteint perdure intact, c'est à dire exempt de tout changement. Mais s'il est relativement facile, sur un planétoïde perdu au milieu de l'espace, de lutter contre les influences extérieures, celles qui surgissent à l'intérieur même de Kirirnyaga et qui, à chaque fois, prennent Koriba de court car il ne s'attendait pas à devoir batailler sur ce front, sont bien plus difficiles à éconduire.
Une culture peut-elle changer ou est-ce synonyme de mort pour elle ? Kirinyaga peut-il évoluer et demeurer une utopie kikuyu ou deviendra-t-il un deuxième Kenya ? La réflexion est rendue d'autant plus passionnante et complexe que le cas étudié (la formation du Kenya à partir de l'ancienne colonie britannique) regorge d'exemples qui montrent tout le mal que peut faire l'introduction irréfléchie de traits étrangers à un mode de vie jusque là en équilibre - "Si l'eau devient facile à se procurer, elle devient facile à gaspiller. Et nous n'avons pas plus d'eau à gaspiller ici sur Kirinyaga que nous n'en avions au Kenya, où tous les lacs sont à sec grâce à des hommes clairvoyants comme [celui qui parle d'introduire l'eau courante].".



Je vous invite à lire cet excellent ouvrage et à proposer ensuite votre propre réponse... kwaheri !

_________________
Il est facile de distinguer les jours où je suis de bonne humeur de ceux où je suis de mauvaise humeur : les premiers, je me définis comme obscurantiste et professe que l'Humanité a désespérément besoin d'être ramenée au niveau technologique d'il y a trois siècles ; les autres, je me définis comme nihiliste et professe que le meilleur avenir auquel l'Humanité puisse aspirer, c'est une extinction sans douleur.


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MessagePublié: 22 Juil 2013, 11:02 
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Inscription : 01 Mai 2004, 11:57
Message(s) : 1161
Je te remercie du conseil, c'est le meilleur roman que j'ai lu depuis un bon moment.

Je suis bien entendu en radical désaccord avec l'idéologie de Koriba, mais elle est présentée de manière très intéressante, dans des situations ambigues et difficiles à trancher. Il est au passage appréciable que ce ne soit pas une utopie mièvre façon "Avatar" de Cameron, faite de bons sauvages et d'harmonie avec la nature. Il s'agit d'une société traditionnelle africaine, cruelle, psychorigide et obscurantiste : on tue les bébés nés dans le mauvais sens, on excise les femmes à la puberté, on jette les vieillards en pâture aux hyènes...

Cependant, je comprends la logique. Toute société se définit par certains axiomes : la liberté, l'égalité, la vérité, le progrès... Ici, cet axiome est la tradition. Le raisonnement est simple : si nous abandonnons la tradition, nous cessons par définition d'être des Kikuyus, et perdons notre identité. Cette logique est poussée jusqu'à l'extrême, au point de rejeter toute forme de progrès, même rudimentaire : un Kikuyu ne dois pas attacher de pointe en fer à sa lance, ne doit pas stocker d'eau, ne dois pas protéger son bétail avec des barrières d'épines... Cela peut sembler absurde, leur société découlant elle-même de progrès techniques antérieurs (l'utilisation de lances, la fabrication de récipients, l'élevage de bétail...). Mais tout cela est cohérent si on se souvient que l'axiome absolu est la tradition (et non le progrès, le bien-être ou la vérité - Koriba n'hésite d'ailleurs pas à mentir pour préserver la tradition). Tout le reste en découle, il n'y a pas à chercher au-delà. Koriba ne rejette pas la culture européenne parce qu'elle est "mauvaise", simplement parce que ce n'est pas la sienne. Pour lui, devenir un Masaï, un Wakamba ou un occidental du 22ième siècle sont des dégénérescences équivalentes.

Si cela semble choquant, dit comme ça, sachez cependant que tout ceci est remis en question à chaque chapitre du livre, à chaque fois d'une manière différente - c'est ce qui en fait tout l'intérêt. Au final, je ne prendrai pas le parti de Koriba ou de ses adversaires, et me contenterai de préciser que ma culture (qui place le progrès au-dessus de la tradition) n'est "pas la sienne".

Les idées les plus intéressantes du livre, selon moi :
- Une utopie ne peut exister que tant qu'on se bat pour la défendre. Autrement, le temps impliquant la lutte et le changement, elle ne peut que se corrompre de l'intérieur.
- La connaissance peut être une source de souffrance inutile. Un Kikuyu peut accepter de mourir à quarante ans si c'est le lot que tous ceux qu'il connait. Cependant, s'il sait qu'un européen peut vivre un siècle grâce à sa médecine, cela lui sera moins facilement supportable.

_________________
Spoiler! :
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MessagePublié: 13 Fév 2014, 23:37 
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Inscription : 15 Juil 2006, 15:28
Message(s) : 1530
Localisation : Ici
Avant tout chose, je dois préciser que c'est dans le contexte d'un débat sur la nature de la culture et de l'identité, qu'Yves m'a conseillé de lire ce livre.
Ne soyez donc pas étonnés si c'est dans ce contexte que j'analyse ce livre.
viewtopic.php?f=18&t=4373&start=240

"je suis viscéralement du même bois que Koriba. "
- Yves

Suivant les idées d'Yves à ce moment sur les bienfait de l'obscurantisme, je m'attendais à une sorte de propagande insipide et illogique, un scénario remplit d'arguments fallacieux en faveur de l'idée que les gens doivent appartenir à une "culture" gravé dans le marbre (probablement au moment de la création.de l'univers). Heureusement, le formidable outils d'échange culturel qu'est Wikipédia m'a permit d'y d'entrevoir l'opposé. Et de fait m'inciter à lire le livre en question.
Finalement, je dois dire que je ne suis pas déçu. Le livre est intéressant et stylistiquement narré sous la forme d'histoire "éducative" tiré des légendes Kikuyu.

Le ton est donnée très tôt : Koriba, le personnage principal est prêt à tout pour créer son idéal d'une culture africaine Kikuyu ''purifiée'' de l'horrible et putride ''influence occidentale'' (tel que le respect pour la vie ou le bon sens).
Autoproclamé : Kikuyu, ''mundumugu'' (sorcier) et gardien des traditions, Koriba justifiera les moyens au nom d'une fin : l'Utopie.

La narration me fait penser à Koriba comme un moyen pour l'auteur de mettre en perspective le caractère inéluctable du progrès, opposé a l'idée d'une culture immuable et "saine par défaut" que défend son personnage, malgré ses propres expériences et sa propre "culture" (protips, elle n'est pas Kikuyu).
Mais si j'aimerais pouvoir dire que des personnes tel que Koriba et les premiers "colons" (oh l'ironie) ne peuvent exister dans la réalité, ils sont malheureusement l'archétype d'ultraconservateurs, traditionalistes et religieux dont les croyances survivent en parti grâce a l'incroyable capacité humaine à rejeter les raisonnements qui les dérange tout en en appliquant quant même la logique par instinct de survie.

C'est ainsi à travers de petit détails qu'apparaissent les contradictions entre le voulu de Koriba et la réalité.
Spoiler! :
- L'ordinateur et les livres de Koriba.
- La façon de penser et le savoir occidental de Koriba.
- L'absence d'éléments indispensables à la culture Kikuyu, tel que les éléphants, les lions ou d'autre tribu.
- L'évolution naturel des Kikuyu et de leur traditions.
- Le fait que sur ce monde terraformé, personne ne parle réellement la langue originelle des Kikuyu.
- Le tri sélectif des traditions et savoir autorisé par Koriba.
- Le caractère universel des idées.
L'histoire du Chasseur Masaï, rare histoire où (selon nos critères d'occidentaux répugnant) Koriba n'est pas le seul gourou révèle une similarité entre le guerrier Masaï et Koriba dans ce qu'ils sont prêt à faire au nom de leurs "utopie".


Cela ressort d'autant plus quant Koriba commence à faire face à sa propre faillibilité et à sa dépendance envers la (vrai) pierre angulaire de la culture qu'il a recréé : l'ordinateur de "l'Administration des Utopies", l’outil d'une "autre culture" qui lui permet de contrôler la météo et le seul lien culturel vers l'extérieur.
Naturellement on réalise que l'utopie de Koriba n'est que son interprétation personnelle, l'homme n'ayant que très peu de considération pour la vie, le bien-être et encore moins l'opinion d'autrui.
C'est alors que l'on commence à entrevoir la vrai nature de la culture : Ce qui ressort d'une population de coutumes et d'usages, en un lieu et pendant un temps plus ou moins bien définit.

Spoiler! :
Petit à petit la désinformation de Koriba s’effondre quant il perd le contrôle de l'information.
Information, savoir et fait qui ne se limite à ni homme, ni culture, ni frontière.
Les autres habitants de Kirinyaga commence à lui répondre, le contredire et relever ses mensonges.
Puis c'est son autorité quant l'aspect pratique des choses devient plus important que le fanatisme religieux.
L'épouvantail Européen brandit par Koriba se révèle sans effet sur une nouvelle génération d'enfant nés sans idée-reçue.

A contrario de ce qu'espérait Koriba, ce n'est pas lui, mais la population qui est la gardienne / le terreaux sur laquelle pousse la culture Kikuyu, et qu'elle que soit l'origine des graines celle-ci change et évolue car rien n'est figé dans le temps.


La fin est ... ce que l'on peux attendre de moins tragique concernant l'histoire d'un homme qui avait fondamentalement tord. Koriba étant le narrateur de l'histoire et ayant passé sa vie à croire être le prophète de Ngai (dieu) il aurait été étonnant qu'il change.

Quelques citations :
"Tu n'est qu'un homme Koriba, et tu m'a déjà fait tous le mal que tu pouvait".
"Alors peut-être que les utopies n'existe pas, et que chacun doit se soucier de son propre bonheur.
"Soit on change, soit on meurt. Je n'ai pas l'intention de mourir."
"C'est faux, Koriba"
"Ce serait comme si cet incident n'avait jamais eu lieu" ; "Mais il a bien eu lieu"
"Nous serions devenus les épouvantails que tu bénie tous les matins."
(dit à Koriba)

Après une tel description je n'ai qu'un seule chose à faire remarquer à Yves quant au vieux débat : Est ce que tu réalise que ce livre contredit toute tes opinions (et celle de Koriba) ?

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