REGARDEZ-LE EN 3D.
Après vision des deux versions, je peux l'affirmer : "Beowulf" tel qu'il est projeté dans la quasi-totalité des phrases françaises n'est qu'une pâle copie, un ersatz, une castration (ironique, vu le sous-texte du film).
J'avais trouvé là un plaisant spectacle, absolument mythologique, extrêmement dynamique, détaché de toute réalité et bourré de thématiques évidentes ou sous-jacentes.
Mais il s'agit d'un chef-d'oeuvre définitif et d'une véritable attraction foraine.
La chose parvient à être une incroyable synthèse culturelle et mythologique, renvoyant directement à tout un panorama de fantaisie, à certaines problématiques ésotériques et judéo-chrétiennes (dont l'assimilation des légendes nordiques par le christianisme, justement, voyez combien le motif de la croix est martelé dans le film au détour des objets les plus significatifs, le dernier étant le mât en feu d'un navire funéraire), au mythe du Roi Arthur (
l'homme doré pourrait s'appeler Mordred), mais aussi à la culture populaire la plus moderne, comics, science-fiction ténébreuse (surtout chez la démone), jeu vidéo (pléthore d'allusions à "Shadow of the Colossus" et "God of War", dont deux plans qui relèvent de l'hommage direct !).
Cela dit, "La légende de Beowulf", c'est aussi une oeuvre méritante par elle-même. Par rapport aux influences énumérées, la valeur ajoutée est gigantesque, de la dimension des titans qu'affronte le héros éponyme. Galerie de personnages creusés un maximum en peu de lignes, narration basée sur la répétition de divers cycles qui s'interpénètrent même (cycle des enfants de la démone, cycle du Beowulf faillible, cycle des conquêtes, etc...) et martèlent des thématiques introduites, développées et bouclées sans jamais nuire au récit, figures psychanalytiques et psychologiques majeures...
Tant sur le plan de la narration tout court que celui des symboles, maestria encore, maestria toujours.
Passons à l'intérêt esthétique. "Beowulf" est un beau film, un très beau film. Chaque élément est artistiquement recherché, il n'est pas un personnage, un accessoire, un décor qui manque de soin. Le souci du détail est palpable. Les créatures sont magnifiques. On peut regretter une animation parfois un peu engourdie ou, au contraire, trop fluide, mais dans l'ensemble, c'est là un merveilleux travail.
Enfin, "Beowulf" est une oeuvre novatrice.
Conçu par Zemeckis pour être projeté en 3D, le long métrage joue un maximum avec cette technologie, en exploite chaque ficelle, et notamment celle du détachement d'un élément unique sur un "fond", quand le réalisateur veut attirer l'attention du spectateur sur cet élément sans recourir au flou qui vous ruine une image. On se prend à songer, pour ce genre d'artifices, à "La liste de Schindler". C'est tout un langage cinématographique que l'on retrouve enrichi, approfondi, décuplé dans cet emploi du relief.
C'est aussi un travail d'infographie pure, permettant ainsi à Ray Winstone,
un acteur qui n'a absolument pas le physique de l'emploi, d'incarner le svelte et musclé Beowulf avec brio et crédibilité. À l'avenir, un acteur pourra être considéré pour chacune de ses qualités, apparence, voix, jeu, de manière indépendante, et l'être total comme une alchimie savoureuse, mais sur laquelle on peut intervenir pour obtenir le personnage souhaité.
Bref, on peut regretter que le photoréalisme souhaité ne soit pas tout à fait atteint, ou que l'animation soit parfois peu naturelle, mais dans l'ensemble, véritablement, chef-d'oeuvre, et tout simplement film qui fait date, qui fait changer les choses, fer de lance technologico-artistique.
Post-scriptum : Quelques mots sur le "Beowulf" immédiatement antérieur, 1999, le nanar avec Christophe Lambert. La version de Zemeckis (celle dont nous parlons ici, donc) est l'illustration brillante de cette loi que connaissent déjà tous les conteurs du monde : l'idée ne compte pas, peu importe les bases de la chose narrée, ce qui compte, c'est la manière dont le récit va être raconté.