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MessagePublié: 17 Mars 2017, 16:32 
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Pamplemousse Panchromatique
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Inscription : 28 Avr 2004, 01:00
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Localisation : Paris, France.
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Fort de ses voyages et de ses expériences, paré de l'Ordre de Lénine et du Prix Staline, Einsenstein vit pourtant dans un monde qui ne lui convient pas, où l'on assiste à la montée des grands totalitarismes. Religieux de cœur mais athée de parole, soupçonné de sympathies coupables lors de son travail aux États-Unis et de trahison en URSS, marié mais attiré par les garçons, il se voit en outre menacé par la sévérité du régime communiste : quand votre producteur exécutif a disparu dans la dernière purge, le travail devient tendu...

Qu'importe, son nouveau projet a le soutien de Staline ! Le dictateur a adoré son dernier film, Alexandre Nevski, et ainsi Einseinstein le Maudit se trouve propulsé à la tête d'une grande fresque. Le rôle-titre sera encore une fois tenu par Nikolaï Tcherkassov - on fait gentiment savoir au réalisateur qu'il ne choisira pas d'autre interprète, Tcherkassov étant l'acteur fétiche de Staline - et il s'agira à nouveau d'une figure historique, un modèle pour l'Homme d'acier : Ivan le Redoutable, Tsar sanguinaire de l'ère médiévale.



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Tcherkassov campe le Tsar en grand oiseau de proie



L'histoire

Sa mère assassinée dans sa petite enfance, son pouvoir usurpé par des Boyards puissants, Ivan a pourtant hérité de la couronne moscovite. Après avoir livré un haut dignitaire au chenil sous le coup de la colère, il observe la discrétion : le garçon attend son heure, tandis que couve en lui la haine des grands seigneurs...

Lors de son couronnement, Ivan révèle la mission dont il se sent investi par le divin comme par le pays : il doit amener une unité à la Sainte Russie, récupérer les terres cédées aux étrangers, protéger le pays et lui procurer une force éternelle. Il est le Tsar sauveur du peuple.

Mais face aux complots et aux envahisseurs, à un clergé puissant et des juges corrompus, aux faux amis et aux traîtrises, Ivan durcit, se vide. Très vite, il n'est plus qu'une coquille, un fantôme, que seule sa détermination guide le long des couloirs, au travers des champs de bataille. Dans sa main, il serre le pouvoir absolu, et pourtant plus forte est son emprise, plus chacun s'éloigne de lui. Les amitiés se font distantes, la famille ennemie, les conseillers perfides. Que reste-t-il à un homme plus aimé de personne ?



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Le moine Philippe, transfiguré, champion du clergé



Formaliste convaincu dès ses débuts, Einsenstein n'évolue hélas plus dans le monde où il a réalisé Le Cuirassé Potemkine. L'école qui triomphe en terre de Russie, à présent, est le réalisme socialiste, qui a banni tout type d'expérimentation et d'esthétisation comme un signe de décadence occidentale et bourgeoise. Héraut du formalisme, Einsenstein devient ainsi son propre pire ennemi, et c'est dans cette tension constante que se comprend la forme d'Ivan le Terrible, son triomphe puis son échec, sa tragédie cinématographique.

Auparavant, le spectateur était un jouet entre les mains du cinéaste ! L'hirsute Soviétique pouvait projeter ce pantin d'émotion en émotion, donner vie à un lion de pierre, transpercer l'écran de ses canons, multiplier chausses-trappes et illusions au gré du montage, son arme principale. Les plans défilaient à grande vitesse, violence comme retenue explosaient à l'écran, ouvraient des zébrures noires où tombait le public. Ce n'est plus le cas sous le joug du réalisme socialiste, carcan claustrophobique matérialisé dans Ivan par des portes trop petites dans une architecture torturée. Les plans se font posés, la grammaire précautionneuse, la temporalité linéaire. Le film se réduit à une enfilade de scènes quasi naturalistes, satisfaisant les exigences du régime...

Et c'est là qu'Einsenstein se rebelle et dynamite la chose. Chaque personnage se voit caractérisé de manière graphique, à la fois chamanique et cartoonesque dans le renvoi à des animaux symboliques. Ces figures sont parées de costumes insensés, sans rapport avec la réalité historique, directement issus des croquis du cinéastes, et se voient encouragées à pousser la gestuelle, les voix, à déborder du cadre. Les interprètes s'emparent des personnages et les dévorent ; accompagnés d'une musique vissée au story-board - Prokofiev, soudé au cinéaste, partageant sa démarche, son âme même -, ils transforment le film en tourmente insensée. Les décors combinent les distorsions de l'expressionnisme allemand et les grandes salles vides d'un Citizen Kane en un tout onirique. Les violences s'enchaînent, abstraites, hors caméra. La couleur surgit, sanglante comme de juste, dévoilant la vérité derrière les statues. La tempête continue jusqu'à la conclusion, où Ivan se trahit, se poignarde symboliquement, et au discours final, qui ne peut être vu que comme une absurdité, une caustique parodie de tirade propagandiste. Face à l'(in)humanité, l'idéologie sonne creux.



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Chaque plan est l'occasion d'une composition rigoureuse et démesurée



Aussi si le premier film (1944) est salué, distribué à grande échelle, et que le régime octroie à son auteur un nouveau Prix Staline, dans Ivan le Terrible - Partie 2, tout devient clair. En 1946, la tempête éclate. Personne ne se méprend sur le sens du dernier discours. Le Parti épingle le film comme "historiquement faux et esthétiquement médiocre" et en interdit la diffusion. Il ne sortira sur les écrans que douze ans plus tard.

Eisenstein, comme en un signe prémonitoire, a été victime d'une attaque cardiaque la nuit même de la complétion de la Partie 2. Il ne sort de l'hôpital que pour se trouver frappé d'opprobre. Plus d'invitations au Kremlin. Plus de petits déjeuners avec Staline. Plus de cérémonies. Le deuxième volet d'Ivan le Terrible sera son dernier film, le tournage de la Partie 3 sera interrompu. Le cinéaste sera forcé à désavouer publiquement son propre travail. Son compositeur Prokofiev quittera le cinéma, ayant perdu tout goût des bandes originales avec ce drame. Sergei Einsenstein périra à cinquante ans, bientôt suivi par Prokofiev et Staline. Aucun de ces hommes ne verra jamais la diffusion du deuxième film.



Film maudit, fiévreux, cauchemardesque, mystère éternel, nœud d'ambiguïtés, carrefour politique, Ivan le Terrible reste avant tout le récit torturé d'un homme emprisonné.



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MessagePublié: 17 Mars 2017, 21:29 
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Toujours débutant
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Inscription : 30 Déc 2016, 13:30
Message(s) : 27
Je me souviens de ce film, de sa démesure, des séquences pendant lesquelles Ivan se joue de ses ennemis.

Sauf s'il s'agit d'un faux souvenir, les images de la cour et de l'ambassadeur de Pologne montrent le décalage entre la Russie à peine sortie du moyen-âge, et le reste de l'Europe, en pleine Renaissance ....

Eisenstein construisait chaque plan de ses films come un dessin où tout avait une signification.

Un détail dont je me rappelle compte tenu des explications reçues en cour : la manière dont Eisenstein et ses acteurs, formés à l'école du muet, utilise l'œil comme signifiant !

https://www.google.fr/search?q=ivan+le+terrible+film&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=0ahUKEwiqsJb3ot7SAhXLXhoKHU_UCp0Q_AUIBygC&biw=1280&bih=668#spf=1


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MessagePublié: 03 Avr 2017, 17:52 
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Néophyte en cours de familiarisation

Inscription : 01 Mars 2017, 18:46
Message(s) : 15
L'Histoire d'Ivan le Terrible m'a toujours fascinée, mais je n'ai jamais vu le film.

Il va falloir que je le regarde bientôt


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