Intention philosophique du texte
La suite de cette nouvelle apparaîtra tantôt. Il y a une intention philosophique derrière, à l'image de romans tels que "La nausée" ou "Huis Clos" de Sartre ou encore ceux de Camus, cette nouvelle est la représentation romantique - ou romancée - d'un concept philosophique. Ce concept est l'Angoisse. Il ne s'agit pas de l'Angoisse dans le sens ou les existentialistes l'entendent (Angoisse chez Kierkegaard ou Heidegger dite Nausée chez Sartre) mais d'une Angoisse qui pousse au questionnement et qui s'inscrit tout de même dans le cadre de l'existentialisme moderne. Il ne s'agit donc pas de l'Angoisse comme vertige de la liberté mais plutôt d'une angoisse comme "résultante d'une indigestion intellectuelle : de ce qu'on ne se reconnaît pas en l'autre". Dans la nouvelle suivante, il s'agit d'un soldat placé en temps de guerre. Tantôt dans la réalité, tantôt dans ses souvenirs, tantôt mêlant les deux, il commence à perdre pied, à mélanger. Le traumatisme psychique de guerre accompli, le soldat sombrera dans l'Angoisse et sa représentation du monde deviendra chaotique, la cohérence ne sera plus.
L?Angoisse
Partie 1, chapitre 1
Clic clac, clic clac ? le cliquetis des grenades, comme symphonie mortelle, résonnait en mon esprit. S?il y avait bien une chose qui ne vienne pas seulement de moi et qui me pouvait fasciner, donnant à chaque autre une expression maussade ou la pouvant même faire passer pour mince, c?était un bruit récurrent et monotone comme celui-ci. Les Camarades, le commandant, les Autres, moi ? tous en uniforme ? jouions à qui meurt le premier, à qui crache sa vie le dernier, chacun sa grenade fermement accrochée au plastron et son arme à l?épaule ? au repos. Tous étaient de la nuance du lin, douce et mêlée au vert du sapin, et pourtant nous n?étions pas dans les forêts et nous n?étions pas plus des arbres nous-mêmes.
J?errais dans un sale bourg ruiné, grisé et noircit par les bombes, les projectiles de rockets et les grenades ? clic clac, clic clac ? et j?attendais, perdu et apathique, ou bien l?ennemi sous couvert de l?Autre ou bien l?ordre du commandant. D?enluminé il n?y avait que la peau des soldats, leur sang et mes robustes souvenances vieillottes laissées à l?abandon ; tout le reste était seulement bariolé. Caché et en attente, j?étais étendu dans une gadoue vermeille. Et, posé, lorgnant au travers de meurtrières plénières, le spectacle du sale bourg, semblables à un écho, retournaient à mes yeux. Et de moi à moi, je pensais encor au cliquetis des citrons-verts explosifs. Ma vigilance était pointée sur cet étonnant glas et, regard dans le vague, quelques résurgences manifestes coloraient les décombres.
La voûte m?apparaissait ambrée ; grommelant, elle pleurait quelques neiges qui recouvraient plancher comme les linceuls recouvrent les défunts. Lentement, les voiles célestes se posaient sur moi en me soufflant « tu es pareillement trépassé ! ». Les nuances de lin devenaient teintes entre pigeon et colombe. Puis moi d?accepter que ces couleurs puissent me saisir, et elles me prirent comme elles prirent tout. Maints corbeaux laiteux tournoyaient au-dessus de ma tête quand d?autres dépeçaient les dépouilles qui, rosées, d?un cassis délavé par la fraîcheur, avaient dû être grenat.
Vautré comme j?étais, face à la meurtrière et face à l?esthétique, rien de plus ne se donnait à moi et pourtant je le souhaitais et le pouvais soupirer. Il fallait bien que je m?attarde en épiant, perdu et apathique, ou bien l?ennemi sous couvert de l?Autre ou bien l?ordre du commandant. Tous en uniforme, et moi, blanc cassé. Malgré l?absence d?instruction, je m?étais retourné ; cessant de guetter : j?étais trépassé. Veillant dans l?imprécis, fatigué, je discernais les corbeaux entachés du cassis détrempé - et je sentais l?odeur du fruit ? peignaient le dôme ambré. Quelques heures passaient ; je fatiguais. Clic clac, clic clac?
Ma vision somme toutes enfuie du vague, je revenais des souvenances nébuleuses qui m?avaient plongées dans une petite valse étrange. Air à danser qui m?avait guidé quelques temps. À présent, les cliquetis aussi étaient plus loin ; ils allaient seul et j?allais moi aussi. Les heures avaient passé, le soleil avait tourné ; nous étions affamés, j?avais famine. Le commandant m?ordonnait, enfin, non pas d?éclabousser l?Autre de mes balles en plomb mais plutôt d?ériger un feu pour la ripaille. Et je m?exécutais. Plusieurs morceaux de bois putrides pourraient flamber alors je m?arrangeais pour les trouver au sol, plancher vermeil, dans des recoins plus secs. Il convenait encor que j?allume le feu ; au fond de ma poche de lin, je trouvais le briquet rouillé et j?allumais d?abord les pampres.
On y voyait enfin la fournaise ou les brindilles s?éclataient ? tic tic tac tic ? dansant la sarabande, agonisant dans l?oranger soleil qui nous pourrait tôt servir de chauffage pour la bouffe.
_________________ La première règle est : il est interdit de parler d'Eltanin !
Quand les larmes et le sang n'auront plus aucun sens, j'irai prier, si j'y pense. © Lenorman
|