Eltanin

J'entrai dans le sas et levai lentement les bras. Les jets à  hydrogène du système automatique de décrassage firent leur apparition sur le mur circulaire de la pièce. Les senseurs émirent un ronflement métallique puis firent une fois le tour de mes jambes et de mon torse. Enfin, le gaz vint fouetter en silence les moindres replis de ma combinaison. Plus que quelques secondes, et les tubes de latex se rétracteront. Puis, le sas s'ouvrira en deux, tel un cercueil, afin de, successivement, me laisser sortir et permettre au prochain de rentrer.
Je connaissais le protocole par coeur. Comme tous les soldats de la Myst. C'est d'ailleurs pour cette raison que le système de lavage était muet ; chacun savait quoi faire et tout était parfaitement ordonné. Et c'est ce qui avait fait la puissance de la Myst à  travers les temps. Depuis qu'elle existait, elle n'avait eu aucune défaillance, aussi loin que les historiens s'en rappellent. Elle avait ainsi réussi à  établir son influence sur l'ensemble de la Terre, ainsi que sur les quelques malheureuses colonies luniennes. De toutes manières, il n'avait pas été bien difficile de convertir la poignée de millionnaires exubérants qui avaient élu domicile sur l'astre cratérisé. Si le seul consortium qui gérait le monde était corruptible, alors il n'y avait aucune raison de ne pas le corrompre, à  plus forte raison si on en avait les moyens.

Comme prévu, les parois chromée coulissèrent dans un sens au bout de quelques secondes, puis dans l'autre. J'entendis les semelles de carbone du soldat suivant cliqueter sur le sol stérile, après le bruit caractéristique de la dépressurisation de la cellule.
La salle d'exécution, qu'irradiait la lumière de la nuit à  travers le plafond transparent, s'organisait sur plusieurs niveaux. Le chef d'escouade avait un fauteuil réservé, au sommet d'une volée de marches. C'est lui qui prononçait l'extrême-onction et qui donnait l'ordre d'exécution. Le long des murs circulaires de la pièce se situait un gradin où les hommes du groupe prenaient place. Chaque siège était équipé d'un interrupteur. Un seul d'entre eux permettait l'initiation du processus de dégradation neurale du mis à  mort. Personne ne savait s'il était le bourreau ou si c'était son voisin. Une mort propre dont la Myst faisait sa signature depuis sa création. "Vous n'êtes pas des assassins !", s'évertuait à  nous rebâcher Nel, notre chef de division.

"Vous avez fait du bon boulot aujourd?hui, Despen !", prononça une voix dans mon dos tandis que j?admirais béatement la pièce.

C'était Nel. Comme tous les sous-dirigeants, il portait une combinaison intégralement noire et un crucifix de la même couleur, tatoué sur la pomme d'Adam. C'était ainsi. Au sein de la Myst, tous ceux qui étaient responsables de vies devaient faire promesse de foi. Mais c'était devenu depuis longtemps chose naturelle et tout le monde s'y pliait volontiers.
Je retirai prestement mon casque. Instantanément, le vide se fit dans ma combinaison intégrale, qui se changea aussitôt en tenue relativement présentable. Je lui tendis une main qu'il serra avec entrain.

"Ce gars n'était vraiment pas facile à  coincer. (Son regard se voila.) Si la conquête de l'espace n'a pas été entamée, attelons-nous à  faire régner l'ordre dans nos contrées du mieux que nous le pouvons... (Il sourit). Continuez comme ça mon ami !", ajouta-t-il avant de partir en direction du fauteuil qui lui était dédié.

Depuis des années, les forces saintes de la Myst sillonnaient le globe à  la recherche de ses ennemis, qu'elle traquait puis exécutait sans pitié. Les guerres intestines et les rebellions étaient plutôt rares, si bien que les principaux différents étaient d'ordre religieux.
Aujourd'hui, comme souvent, nous devions capturer un individu auto-proclamé prophète d'une religion inconnue. Encore le gourou d'une secte comme il en fleurissait des dizaines chaque mois sur Terre...
Le pauvre gars que nous cherchions devaient être plus cinglé et perdu qu'il ne semblait s'acharner à  le dire. Il avait néanmoins réussi à  réunir en trois semaines plus de deux millions de fidèles sur deux continents et plus de vingt pays différents. Après quelques heures, nous l'avions finalement retrouvé, à  moitié nu et agonisant de fatigue, coincé au sommet d'une tour émettrice de le Nevrax. Il n'avait été ni violent ni farouche, mais s'acharnait à  nous expliquer qu'il avait vécu il y a des dizaines de milliers d'années auparavant et qu'il était revenu propager son message de paix et d'amour. Mes hommes et moi avions échangé un sourire entendu.

Un murmure monta dans la pièce, tandis que mes collègues achevaient de s'installer. L'accusé entra dans la pièce à  présent inondée par la lueur des étoiles. Je noyai un instant mon regard dans la voûte céleste et m'assis comme tout le monde.
L'homme fut placé sur le siège de mort par deux responsables en uniforme blanc. Son visage sans âge regarda un instant l'assemblée qui l'entourait. Il paraissait extrêmement fatigué. Un éclair de lucidité sembla passer dans ses yeux, tandis qu'on lui fixait les électrodes dans la paume des mains. Les hommes repartir aussi discrètement qu'ils étaient venus, puis l'expression du mis à  mort redevint aussitôt vitreuse. Une pointe de ce qui semblait être du pardon ou de la pitié transfigurait son visage tandis qu'il fixait chacun de nous dans les yeux.

Nel se leva après que le silence se fit. Il regarda l'homme avec un mélange de colère et de condescendance.

"Pas de discours pour les ennemis de la Myst.", déclama-t-il avant de se signer et de se rasseoir.

Nous nous signèrent tous et appuyâmes sur le bouton lumineux rouge qui s'éteint aussitôt après la pression.
L'homme se figea alors sans même changer d'expression. J'essayai d'imaginer le processus de destruction cellulaire qui sévissaient actuellement dans son organisme. Des millions de virions étaient en train d'attaquer les cellules de son encéphale et sa moëlle épinière. A cet instant, il devait déjà  être aveugle et sourd. Un filet de morve coula de son nez et une larme perla sur sa joue. Sa tête bascula et il me fixa alors dans les yeux. A ce moment précis, j'acquis la certitude que c'était moi qui l'avait tué. J'avais eu ce putain d'interrupteur, le seul qui fonctionnait.
Je plaçait une main devant ma bouche. Mes bras se figèrent et une pensée absurde germa en mon esprit.

"Jésus... Quel drôle de nom tout de même...", me dis-je.

(C'est de l'écriture instantanée, hein.)