Eltanin

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MessagePublié: 21 Août 2006, 01:42 
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Songes de louve

Inscription : 09 Juil 2004, 00:25
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Nadia m’observe tandis que je quitte la pièce. Elle semble sur le point de dire quelque chose mais renonce au dernier instant. Sans doute vient-elle de réaliser que je partirai pour de bon, malgré les mises en garde et ce qu’elle peut penser de moi. Une fois hors de son bureau, je sors mon foulard d’une poche de ma veste, et le noue autour de mes cheveux. Il est grand temps de se consacrer à  mon expédition.

--

Seul Dan est visible au bord de la piste, comme je m’y attendais. Il se tient immobile dans la lumière déclinante, attendant mon départ. Les derniers préparatifs m’ont pris davantage de temps que prévu. Je frôle de la main la calandre de mon explorateur et récolte une fine couche de poussière. Encore quelques jour et il sera parfaitement fondu dans le paysage, sorte de fossile géant. Je réalise que je n’ai encore jamais été seul avec lui, jusquâ€™à  présent. Dans quelques instants ce sera enfin le cas.

L’homme de la Catena ne dit rien, il m’observe sans mot ni geste. Suis-je stupide, il ne vient pas me souhaiter bonne chance ou quoi que ce soit. Il est là  pour s’assurer que je prends la bonne direction. Qu’une fois aux commandes de l’appareil je ne me laisse pas envahir par des idées malvenues à  leurs yeux. Je ne suis pas dupe. La liberté ne monte pas à  la tête, je n’ai fait qu’accepter une offre et ses conséquences. Débuter ce soir une existence de fugitif ne me tente guère.

Je découvre l’intérieur comme si c’était la première fois. Sans la présence de Lee, ce cockpit prend une autre dimension, une énergie que je sens irradier à  mon contact. Je m’installe et ferme les yeux, enivré par cette puissance que je n’ai plus connue depuis trop longtemps. Les commandes en main, je visualise à  nouveau l’Ether immense et menaçant. L’Ether s’ouvrant pour me laisser passage dans ses entrailles furieuses. Je regarde devant moi et découvre le ciel morne de Venturion, mais je le devine au loin. J’enfile mon casque.

La vue en ultraviolet se superpose sur mes yeux, révélant le mur de force qui ceint toute la parcelle. Ses longs filaments s’étirent et se tordent, et quelque part dans cette agitation se trouvent les fissures que je vais emprunter. Mais pour le moment il me faut choisir laquelle. J’affiche la carte comme j’en avais autrefois l’habitude, celle de ne choisir ma direction qu’une fois dans mon appareil. Hors de toute interférence.

Venturion est reliée au monde par quatre canaux. Celui menant à  la civilisation, qui m’est interdit. Des trois autres je note surtout les noms que les géographes leur ont donnés. Voie mineure, voie majeure, sillon oblique. Je n’ai aucun élément tangible pour me guider. Sauf à  bien y songer, le fait que mes ravisseurs semblaient connaître les lieux. Que feraient-ils ? Peut-être tenir compte de ce que saurait le public, à  savoir l’existence de ces trois chemins. Et dans ce dernier cas, n’aurait-il pas convenu de prendre le plus improbable d’entre eux ? Celui que des géographes auraient noté comme mineur… Cette idée en vaut bien une autre.

Je note mentalement les informations sur la voie mineure, supposée menée à  une parcelle notée « Pic Dendare ». Ouverture, apparence, caractéristiques de parcours. Davantage un pense-bête qu’autre chose, tant la traversée de champ s’apparente souvent à  une gymnastique. Rares sont les pilotes s’essayant seuls à  une nouvelle faille. L’imprévu est trop souvent mortel au cours d’une traversée.

Il est grand temps. L’explorateur vrombit quand je lui redonne sa puissance. De l’extérieur, Dan doit le voir surgir de sa gangue grisâtre, sorte d’insecte quittant son sommeil. Les antennes de contre-champ se déploient autour du fuselage. Le moment venu, elles crépiteront d’énergie afin de rendre la traversée possible. Je serai alors à  la frontière entre deux mondes. Un pouvoir qui me donne des frissons, celui pour lequel j’ai accepté de venir. Un risque et un plaisir inimitables. Je m’arrache à  la terre avec un rugissement de joie..

Le vent s’est levé avec l’obscurité, je peux le sentir frapper mon appareil. Ça n’a aucune espèce d’importance. Je file vers le champ d’Ether qui surmonte les montagnes. Les yeux électroniques dévoilent les trois déchirures, formes sombres et mouvante dans la tempête d’énergie. J’ai trouvé la voie mineure, petite faille presque timide à  côté de sa grande sÅ“ur. C’est un cyclone sombre et inquiétant, un Å“il dans lequel je vais plonger. Je quitte les nuages de poussières et l’aperçois de mes propres yeux. J’ai franchi le point de non retour. Une pensée pour moi, une pour Anita… J’entends brièvement le bruit des décharges sur les antennes, puis vient le silence.

Le grand silence de l’Ether.


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FIN DU CHAPITRE

(NB : j'ai changé le nom de louise en Nadia, pardon pour la confusion)


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MessagePublié: 21 Août 2006, 02:02 
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Pamplemousse Panchromatique
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Inscription : 28 Avr 2004, 01:00
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Localisation : Paris, France.
Superbe ! J'ai relu une ou deux lignes plusieurs fois après avoir fini, sur les murs tempétueux...
J'adore ce passage, franchement. Court, pas porteur d'enjeu, il ne s'y passe guère de choses, juste cette fameuse approche... mais c'est excellent, on ressent bien les sentiments de Louis.

Et pour la confusion, moi, j'aimerais bien le prénom Louise... c'était amusant, comme coïncidence.

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MessagePublié: 22 Août 2006, 23:37 
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Songes de louve

Inscription : 09 Juil 2004, 00:25
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Cycle des vents


Chapitre II : Anciennes terres


L’onde de choc remonte de mes entrailles jusquâ€™à  mes yeux. Je vois de minuscules lucioles noires danser tandis que mon sang s’agite. Je dois me raccrocher aux commandes. Les lucioles tourbillonnent et envahissent peu à  peu ma vision. J’entends l’air hurler autour de l’explorateur. Le son ! Le silence est rompu après un moment qui m’a semblé interminable. Je me mords la lèvre pour ne pas succomber à  cet incident. Enfin, les aérofreins se déploient. Ils mêlent leur plainte à  celle de l’engin. Le goût du sans dans ma bouche… il est comme métallique. Mais peut être suis-je sauvé.

Le choc me fait revenir à  moi. Un bruissement terrible, mais pas le raclement tant craint des roches sur le fuselage. Le ballet noirâtre se dissipe et laisse enfin place à  mon cockpit. Je suis immobile, allongé dans mon siège. Ça ne va pas. Ça ne peut pas aller. Comment ai-je pu me faire happer dans un tel courant ? Je tente de réunir les souvenirs épars des premiers sauts, quand j’étais encore sous la tutelle de Lee. Je n’avais pas ressenti de telles secousses. Mes mains reposent sur mon ventre, sans un tremblement. Je n’ai pas pu commettre d’erreur. Auraient-ils trafiqué l’appareil, et dans quel horrible but ?

Mon imagination galope, excitée par ma colère. Je m’arrache à  ce siège, je secoue ces jambes trop lourdes. La vitre me révèle un ciel strié de nuages argentés, signe d’une parcelle de grande taille. L’explorateur fait un angle bizarre avec l’horizontale. Le sang bat toujours à  mes tempes, mais mes pensées redeviennent claires. M’extraire, avant qu’il n’arrive quelque chose. Mes jambes semblent avoir subi tout le choc. Elles sont comme tétanisées, chaque geste me coûte mais je parviens enfin devant l’issue. L’ont-ils réellement saboté ? Je n’aime pas l’idée de quitter l’appareil sans comprendre. Cette colère sourde me pousse à  analyser ce qui vient de se dérouler. Mais je n’y parviens pas. L’angoisse de l’inconnu s’est insinuée en moi. Je dois savoir où je suis. D’une poussée brutale je libère la porte.

De la végétation. Partout. Plus que je n’en ai jamais rencontré. Je bascule en sortant et me retrouve accueilli par une épaisse couche d’herbe. Elle bruisse doucement, tout comme le reste. Les plantes des serres ne connaissent jamais le vent. Elles ne s’étendent pas à  perte de vue. Je réalise que je suis assailli d’odeurs nouvelles. De sensations nouvelles.

Je découvre mon explorateur en levant les yeux. Il est appuyé contre un arbre. Ou peut être un groupe, je ne saurais dire tant cette masse végétale est enchevêtrée. Je me remets debout pour mieux comprendre. Mais cette scène aussi étrange qu’inquiétante ne retient pas longtemps mon regard.

Je surplombe une sorte de vallée. Elle s’étend au loin pour donner naissance à  un pic solitaire, prodigieux. Et partout ce tapis végétal, dont je commence à  peine à  saisir les dimensions. Il recouvre les reliefs, enserre des rochers saillants, entoure enfin cette montagne qui nous domine. D’instinct, je cherche la barrière. Trop lointaine pour que je l’aperçoive. Elle existe pourtant, je viens de la franchir au péril de ma vie. Elle mène à  cet endroit gris et son fort minable. C’est trop irréel. Un rêve ? Je suis peut être en train d’agoniser dans mon vaisseau. Evanoui et incapable de quitter ce songe.

Je fais quelques pas en écartant les herbes. Je n’ai jamais rien vu de tel. Comment pourrai-je rêver, sans souvenirs ? Mon pas s’accélère. Les tiges s’agitent et fouettent mes jambes mais je continue de plus belle. Aucun mur ne se dresse. Je sens la terre meuble amortir mes foulées. Je ne vais rien trouver. Il n’y a pas de limites, de paroi vitrée. Je réalise que je pourrai courir autant que je voudrais. La montagne solitaire se dresse toujours au loin, elle n’a pratiquement pas bougé. Je me sens pris de vertige.

Je saisis fermement une touffe d’herbe et l’arrache. Les brins se dispersent dans ma main, laissant des traces sombres et une odeur puissante. Je sais qu’une part de moi a compris et qu’une autre tente de nier la vérité. Je me rappelle d’un nom, entraperçu sur la carte. La voie mineure… mène au Pic Daendre. Je n’y avais pas fait attention. La froide et implacable logique a raison de mes derniers doutes. J’ai parcouru le bon chemin. Je suis parvenu à  l’endroit que je voulais atteindre. Une montagne solitaire et libre. Non, pas libre, sauvage, ce doit être le bon terme.

Il n’y a aucune trace humaine ici. Je viens de quitter le monde rassurant du Triangle et de ses bordures. Arrêt de la civilisation. Elle n’a pas sa place ici, peut-être ne l’a-t-elle jamais eue. Quelqu’un a proposé ce nom un jour lointain et ce souvenir a dormi dans une carte. Je viens d’entrer dans l’inconnu.

Celui qu’on nomme Ceinture Obscure.


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MessagePublié: 26 Août 2006, 15:11 
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Songes de louve

Inscription : 09 Juil 2004, 00:25
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J
Je mange assis sur l’herbe, tout en songeant à  ma situation. La lumière ne décline toujours pas, ce qui me rassure. Avec le recul je me demande si je n’aurais pas dû en demander davantage aux gens de fort Venox. Non pas qu’ils semblent très loquaces au sujet de la ceinture mais ça m’aurait toujours servi. Je ne m’étais pas vraiment représenté ma destination, comment aurais-je pu du reste ? Mais trouver des indices du passage des ravisseurs semble illusoire. Pour commencer, il est peu probable qu’ils se soient posés ici. Je ne vois pas d’endroit où vivre. L’alternative serait de trouver une autre faille – en espérant qu’il n’en existe qu’une seule. – ou peut-être des témoins. A tout prendre, j’ai une préférence pour la recherche d’une seconde faille. L’endroit est agréable. Je ne pourrai plus voir les maigres aires de loisir du Triangle de la même façon, après ce voyage. Mais me sentir perdu, sans rien savoir de ce monde ni de ces habitants me pèse.

Si je veux partir dès maintenant il faudra m’occuper de l’explorateur. Le temps de quelques tentatives, j’ai réalisé que les arbres qui ont arrêté ma glissade sont plus robustes que prévus. Je n’ai aucun outil pour trancher quoi que ce soit. Il faudra sans doute pas mal de sueur pour me libérer. A moins que la poussée vectorielle ne suffise, j’espère. Mais j’ai envie de laisser ce problème de côté pour l’instant.

Je m’enfonce progressivement dans la vallée, un bon sac sur les épaules. Hors de question de débuter mon enquête sans aller fouiner. Sinon je ne reviendrais jamais en compagnie d’Anita. Pour le moment j’ai pu avancer dans un endroit relativement dégagé, mais devant moi se dresse un mur d’arbres à  l’allure inquiétante. Trop tard pour reculer. Je franchis la lisière et me retrouve plongé dans l’ombre. Au bout de quelques mètres, l’atmosphère change du tout au tout. L’air est plus froid et immobile, je ne peux y voir quâ€™à  quelques mètres. Je tente malgré tout de repérer un chemin, en pure perte. Je compte sur mon épais pantalon de vol pour franchir les broussailles qui me barrent le chemin.

Je me surprends à  consulter de plus en plus souvent ma montre. L’idée d’une perte de la notion du temps me terrifie. A l’époque de mon séjour dans les bas-fond de Venezia, passer mes journées à  demi endormi me plaisait bien, à  vrai dire, tuer le temps était devenu mon objectif quotidien. Sans doute parce qu’alors ma situation ne semblait pas devoir changer. Ici, chaque seconde me paraît précieuse. Ce n’est pourtant qu’une notion très vague sur cette parcelle sauvage. Mais chacune d’entre elles m’éloigne un peu plus de mon moyen de retour.

Je me sens observé. Sensation sans doute normale dans cette épaisse couche végétale. Je me sentirais incapable de dénicher quelqu’un dans ce décor, personnellement. Je décide donc d’avancer sans trop en tenir compte. S’il existe une présence dans cet îlot de verdure, ce sera à  elle de se montrer.

Une son étrange attire mon attention. Je presse le pas, impatient de découvrir enfin quelque chose de nouveau. Il me rappelle le bruit de l’eau, mais différent de ce que j’ai déjà  eu l’occasion d’entendre. Les nombreux arbres brouillent les pistes, ce qui ne m’empêche pas de me rapprocher. Et puis je découvre enfin son origine. De l’eau coule entre les arbres, formant un petit ruisseau. Je n’avais jamais pu observer un véritable cours d’eau laissé ainsi en liberté. Je me penche vers sa surface et tente d’attraper une des pierres rondes qui en tapissent le fond. L’eau est froide. Je la goûte. Elle n’a aucune odeur, ni saveur désagréable. Je décide de suivre son parcours. Des habitants pourraient vouloir s’installer près d’elle et elle me trace un chemin tout trouvé.

Je dois avoir atteint le fond de la vallée car l’eau s’accumule sous forme d’un petit bassin. La végétation et le ciel se reflètent sur sa surface lisse. Je sens comme une sérénité nouvelle dans l’air. Pour la première fois depuis mon arrivée ici, je parviens à  me détendre. Je m’installe au bord de l’eau et observe les reflets. Je me découvre pour la première fois depuis mon départ. La surface sombre me donne l’air d’un égaré un peu fou avec ses longs cheveux. C’est amusant de se découvrir sous un autre jour. Je m’apprête à  rire de tout ça quand une vision me stoppe net. Un autre visage vient de se glisser parmi les reflets du lac.

Je lève les yeux et le découvre, debout de l’autre côté. Un jeune garçon à  la coiffure hirsute qui me dévisage le plus tranquillement du monde.


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MessagePublié: 28 Août 2006, 00:33 
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Songes de louve

Inscription : 09 Juil 2004, 00:25
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Je n’ose dire un mot. Un silence incommodant vient de s’installer. Sensation stupide, bien sûr, puisqu’il ne me dérangeait pas tant que je me croyais seul. Ce sera finalement lui qui me sauvera.

« Tu viens du ciel ?» La question est naturelle, presque innocente. Il a un accent terrible mais c’est bien ma langue. Je me contente de hocher la tête, trop surpris pour faire autre chose.
« Suis-moi. » Le temps d’un regard, il commence à  s’enfoncer parmi les arbres. Je lui emboîte le pas à  vive allure. S’agit de ne pas le perdre !

Le garçon semble à  son aise dans cette végétation. Je dois chasser les branchages qu’il se contente d’enjamber ou de contourner. Quel âge a-t-il ? Je lui donnerai une dizaine d’années tout au plus. Mais sa vie au bord du pic lui a donné un air plus grave et mûr que celui des enfants du Triangle. Au bout de quelques minutes, nous débouchons sur un chemin, un vrai celui-là , visiblement entretenu. Il m’attend, et me laisse revenir à  sa hauteur. J’en profite pour lui poser les questions qui me brûlent les lèvres.

« Qui es-tu ? Et où allons-nous ? » Il me jette un coup d’œil et reprend sa marche. J’espère que je suis parvenu à  me faire comprendre
—Tu viens du pays bleu ?
—Non, je ne crois pas.
—Ha. Tu dois venir du pays gris alors. » Je me décide à  lui redemander son nom.
—Oui, je viens du pays gris… comment t’appelles-tu ?
—Je suis Noam.
—Parfait, Noam, moi c’est Louis. Peux-tu me dire où nous sommes ?
—Tu ne le sais pas ? » Il lève un sourcil interrogateur. Suis-je en train de commettre une erreur ? Ce garçon est le mince fil qui me relie aux autres habitants de cet endroit.
—Je ne sais pas comment vous l’appelez.
—C’est la forêt. » Sur ces mots, le gamin semble perdre son attention envers moi. Malgré sa taille, il avance d’un pas vif sur le sentier et c’est moi qui ait pratiquement du mal à  rester à  sa hauteur. Une forêt. De vagues souvenirs me reviennent au sujet de ce genre de lieu. Le genre de chose qu’on laisse traîner dans un coin de sa mémoire faute de pouvoir s’en servir.

« Noam ? Où m’emmènes-tu ?
—Chez Hypochras. C’est lui qui parle aux gens qui viennent du pays gris. Il veut qu’on lui amène les voyageurs qui entrent dans la forêt.
—Tu m’as vu arriver ?
—J’ai vu le feu dans le ciel. Hypochras nous a dit ce qu’on voit quand un voyageur arrive. »
—Qui est Hypochras ?
—Il te le dira. »

Les sous-fifres ne changent jamais. J’observe plus attentivement ce nouveau compagnon. Il porte des habits beiges, grossièrement tissés, peut-être faits à  la main. Certaines de ses mèches sont tressées et décorées de petites perles de bois. Tout indique que ce garçon n’a pas de contact avec la civilisation du Triangle. En fait, si. Le contact, c’est moi.

« Dis-moi, Noam. Tu en rencontres souvent des voyageurs ?
—Tu es le premier.
—Le premier que tu amènes à  Hypochras.
—Non, le premier. »
Est-ce seulement possible ? Plus je l’observe, et plus je le sens détendu, voire serein. De quoi ai-je l’air moi, en comparaison ? Je ne peux pas être le premier étranger qu’il rencontre.
—Et tu n’es pas inquiet ? De rencontrer un voyageur pour la première fois ?
—Inquiet ? Pourquoi ? Hypochras m’a bien dit ce qu’il fallait savoir sur les voyageurs.
—Et que t’a-t-il dit ?
—Que le voyageur voudrait le rencontrer. Et que je n’avais rien à  craindre. »

Nous tournons en rond. Mais qu’ils considèrent les étrangers sous le bon jour ne peut pas me desservir. Autant pour l’accueil à  coup de pierres et de torches ! La méfiance restera de mise, malgré tout car, je suis bien placé pour savoir combien l’attitude des gens varie d’une parcelle à  l’autre. Seuls les pilotes sont à  l’abri de ces traits de caractère nés de l’isolement dans lequel les autres macèrent. Le petit Noam semble également épargné, mais les enfants ne sont-ils pas toujours plus ouverts ?

—Alors allons voir Hypochras. C’est encore loin ?
—Nous approchons.
Il dit vrai. Je constate que le relief est devenu escarpé, et les arbres plus rares. Je viens de remarquer une structure en bois, appuyée contre l’un d’entre eux. Des gens vivent ici. Les signes se font de plus en plus nombreux à  présent. J’ignore la véritable fonction de ces constructions. Ce ne sont pas des habitations, même primitives, mais que puis-je juger de ce que peuvent et doivent faire ces gens au cÅ“ur d’une forêt ? Avant de les connaître, je ne comprenais rien à  ce que pouvaient faire les merdeux de Venezia. Que chacun trouve un sens à  ce qu’il fait, si ça les arrange. Le temps de songer à  tout ça je constate que Noam s’est arrêté. Il me désigne une échelle en bois. Elle ne m’inspire pas confiance, mais il s’est déjà  précipité et grimpe à  vive allure. Je ne vais pas laisser un gamin me donner une leçon de vertige. Je m’agrippe et commence l’escalade.

Je réalise aussitôt la raison d’être de cette échelle. Nous venons de franchir un surplomb de roche qui mène à  une sorte de terrasse. Le sol est couvert d’un tapis de plantes sèches et mène à  l’entrée d’une petite hutte. Assis sur une pierre plate, un homme attend sur le seuil. Je lui donne dans les soixante ans, avec sa moustache striée de blanc. Lui aussi dégage cette impression que j’ai trouvé au jeune Noam, cette aura sauvage. Mais cet homme là  n’est pas indifférent à  ma venue contrairement au garçon. Il me tend une main décharnée que je serre aussitôt. Impossible de se tromper, ce type m’attendait avec impatience. Sa main semble ne pas vouloir lâcher la mienne, mais je ne montre aucun signe d’énervement.

« Noam, merci pour tout. Tu peux retourner voir les autres. » L’enfant hoche rapidement la tête et file par l’échelle encore plus vite qu’il n’était monté. La voix du vieillard est un peu cassée mais très compréhensible.
—Vous êtes Hypochras ? Il m’a amené à  vous. Pour quelle raison ?
—Vous ne savez pas qui je suis ?
—Je crains que non. Je ne sais même pas ce qui pouvait m’attendre ici.
—Ils ont oublié avant nous, alors… » Sa déception est très perceptible.
—Je suis désolé. Pouvez-vous m’aider à  comprendre ? C’est bien le pic Dendare, ici ?
—Ce n’est qu’un nom. Pour ceux qui viennent du Triangle. Vous venez du Triangle, je le reconnais à  vos manières. Et à  vos vêtements.
—Je ne suis donc pas le premier.
—Non, bien sûr. Le premier depuis longtemps. Je pensais que le Triangle nous avait oubliés.
—Longtemps… vraiment ?
—Noam n’était pas né lorsque les derniers sont partis. Je ne comprends pas ce que vous êtes venu faire ici », ajoute-t-il, l’air un peu perdu. « Cet endroit n’a plus… d’intérêt. »


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MessagePublié: 30 Août 2006, 23:36 
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Songes de louve

Inscription : 09 Juil 2004, 00:25
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tadaaa! je suis encore là 

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Ma propre déception s’efface devant la sienne. Je frisonne et prends brusquement conscience que le temps s’est rafraîchi. Hypochras se lève et m’invite à  le suivre.
« Venez. Les cycles sont longs ici, il vaut mieux nous abriter.
—Longs comment ? Que voulez vous dire ?
—Presque trois journées… journées normales. Ce sont les vôtres qui l’ont constaté en venant ici. Bien sûr, pour nous tout cela est naturel.
—Vous semblez très marqués par cette rencontre.
—Il y en a eu plusieurs. J’étais, je suis l’intermédiaire… l’homme à  qui parler. La nuit sera fraîche, nous aurons tout le temps qu’il faudra.

Je déteste n’être pas à  ma place, du moins en avoir le sentiment. Il attendait quelqu’un d’autre, ça crève les yeux et me met mal à  l’aise. Je note rapidement que sa hutte se prolonge dans le rocher. Hypochras s’empare d’une branche et remue un tas de cendres d’où s’échappent aussitôt quelques flammes. Un feu de bois ! Je l’observe, captivé, tandis que le vieil homme ferme la porte. Puis il nourrit l’âtre en souriant.
« C’est tout de même mieux ainsi. Vous verrez, on peut passer de bonnes soirées dans notre coin de terre, même si ça n’a pas grand-chose à  voir avec le Triangle.
—Vous êtes nombreux à  vivre ici.
—Nous ne sommes qu’une vingtaine. Oui, je sais c’est difficile à  croire. Mais cela n’a pas toujours été ainsi.
—Le Triangle ? » J’ignore quelle est l’histoire, mais la clef ne peut être celle-ci.
—Regardez voir », fait-il en me montrant une couverture. Elle est synthétique et semble avoir pas mal vécu. En la retournant j’aperçois un logo défraîchi par le temps. Panethereal. Une nuée de souvenirs m’assaille sans crier gare.
« Vous savez de quoi il s’agit, n’est-ce pas ? Inutile de demander, ça crève les yeux.
—La Panathereal… Mon dieu. Ce seraient eux qui…
—Qui un beau jour, ont franchi l’Ether et découvert notre parcelle. C’était il y a longtemps et c’est là  que mon histoire commence. Mais avant nous allons boire à  votre arrivée.
—Boire à  mon arrivée ? Je…
—Je n’ai pas souvent ce plaisir », ajoute-t-il non sans me glisser un regard malicieux. Mon homme se glisse dans l’obscurité qui tapisse le fond de la grotte et en revient tenant un récipient en métal. Pendant qu’il prépare son attirail, j’inspecte à  nouveau sa couverture.
La Panethereal aurait donc été jusquâ€™à  commander des couvertures promotionnelles ? Du temps des pionner, un voyage dans les fissures pouvait prendre un temps considérable, tant les risques de se perdre étaient réels. Ce genre d’accessoire aurait bien pu faire partie des expéditions. Un milieu tel que celui des pilotes a tôt de fait de créer sa propre culture, avec ces ascendants de légende. La Panethereal avait été la première tentative d’unifier autant que possible des pilotes et de fournir un véritable service. Mais la rareté des appareils, les pertes en vies et en matériel avaient fait voler ce rêve en éclats. Nos sociétés étaient encore trop traumatisées par l’Exode, et ironiquement, trop habituées à  une certaine sécurité pour tolérer ce genre de désagrément. Depuis lors la galaxie des pilotes était resté éparpillée, peuplée de marchands indépendants ou d’aventurier plus ou moins recommandables. Et bon sang, je ferai tout pour en faire à  nouveau partie.

« C’est prêt. Il est peut être temps de vous donner votre nom, tant que nous y sommes.
—Je m’appelle Louis Iranegra. » Je saisis prudemment le bol qu’il me tend et tente d’en deviner le contenu. La première gorgée se révèle un peu amère, mais supportable.
—Les plantes à  infuser ont souvent des vertus relaxantes. J’espère que vous les trouverez à  votre goût. J’imagine que ça doit être bien différent de la nourriture du triangle.
—Les gens, mmm, mangent des choses bien différentes d’une parcelle à  l’autre. Et puis vous savez le monde ne se limite pas au Triangle d’or. Mais allez-y vous alliez me parler de votre histoire avec la Panathereal », excellente occasion pour laisser refroidir ma boisson. Hypochras hoche doucement la tête avant de prendre lui-même une bonne gorgée.
—Vous avez raison, mais vous me devrez quelques nouvelles du monde extérieur après ça » ajoute-t-il non sans malice. « Nous n’avons pas gardé un grand souvenir de la Déchirure, ou quelque soit le nom qu’on a pu lui donner. D’ailleurs ce que vous appelez Ether, nous le nommons simplement le mur. Une fois convaincu de son existence et de son caractère infranchissable, il ne nous restait plus quâ€™à  vivre. Et même si cet endroit peut vous paraître sauvage, j’estime qu’il fait bon y vivre. »

« Et puis un jour l’impensable s’est produit, le mur a été franchi. L’équipage de la Panethereal était composé de cinq personnes, pour la plupart jeunes et aventureuses. La rencontre s’est bien passée, si on considère le contexte particulier. En réalité ces explorateurs avaient déjà  rencontré des communautés dans notre situation, et parfois de bien malheureuse manière. Nous avons appris deux choses à  cette époque : nous étions pas seuls au monde, mais des prisonniers parmi d’autres. Et ces autres avaient vécu des histoires différentes pour le pire et le meilleur. Et puis les choses ont évolués, avant tout parce que les envoyés du Triangle sont revenus à  plusieurs reprises. Nous avons pris conscience de notre retard, de notre mode de vie primitif, même si je n’aime pas ce terme. Réussir à  survivre dans cet endroit couvert de forêt par nos propres moyens aurait pu nous rendre fiers, je pense. Mais ce n’est pas ainsi que l’on vécu les gens.
—Comment l’ont-ils vécu, alors ?
— Nous n’avons pas forgé de tradition, en réalité. Ce passé nous ne pouvons que le déduire de ce que nos visiteurs nous ont dit. La Déchire, omniprésente, l’Exode… Cette rencontre n’est pas devenu un simple pont. C’était une libération. Nous avions enfin accès à  ce monde que nous dessinaient nos visiteurs, cette civilisation dont nous étions sortis.
—Le Triangle a toujours suscité l’envie. Mais les gens ne circulent pas aussi facilement. Nous sommes trop peu nombreux, le voyage est cher et dangereux.
—C’était différent. Bien différent. Nous n’étions pas nombreux nous non plus, une centaine, sans doute. Et plongés dans un état d’apparence si misérable. Alors on nous a offert de partir, au fil des voyages de la Panetheral. Puis quand la Panathereal a cessé d’être, l’offre a été maintenue par ses successeurs. Il y avait un tel engouement à  cette époque. L’humanité retrouvait peu à  peu ses enfants perdus dans les mailles de l’Ether. Avez-vous une idée de tout cela ? En avez-vous une ?
—Je ne sais pas… A vous entendre nous étions plus optimistes, plus aventureux. Pourtant les voyages n’ont pas cessé de croître, je ne comprends pas trop.
—Les derniers pilotes venus à  notre rencontre nous ont parlé des changements du monde. Un monde qui se révélait plus menaçant de jour en jour. Ils me parlaient de leur caste, de ces voyages toujours plus communs, mais aussi prudents. Les temps ne sont plus à  l’exploration naïve. Et cette longue absente en a été la meilleure preuve. Du moins c’est ce que j’ai pensé jusquâ€™à  aujourd’hui et votre venue.
—Mais vous, vous êtes encore ici. Expliquez-moi, Hypochras. Et comment en savez-vous autant sur cette histoire ?

Il me prend mon bol vide des mains et part le ranger. Je ne vois rien dans sa démarche qui marque le signe des années. Je devrais me méfier de mes premières impressions. Elles sont rarement bonnes, et je l’ai appris à  plusieurs reprises. Mes yeux se sont doucement habitués à  l’obscurité et je peux enfin détailler l’intérieur de la hutte. C’est sobre, mais bien plus agréable que les locaux de fort Venox.

—Chaque peuple a besoin d’une mémoire, reprend-il à  voix basse. Je suis celle-là . Considérez-moi comme un voyageur immobile, si vous le souhaitez.


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MessagePublié: 02 Sep 2006, 12:19 
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Songes de louve

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—Je ne vous suis pas...
—Je ne suis pas parti mais c’est avec moi que les étrangers ont passé le plus clair de leur temps. J’ai donc découvert le Triangle par leurs yeux, et leurs souvenirs. J’ai même gardé quelques objets, comme cette fameuse bouilloire que vous avez pu voir. De par ce fait, j’ai été acteur des derniers instants de notre contact avec le reste de la Diaspora.
—Que s’est-il passé ?
—Je vous l’ai dit, le mode devenait moins aventureux et la majeure partie d’entre nous était partie découvrir la civilisation. Les pilotes qui tenaient encore à  venir nous ont donc prévenu que tout ceci toucherait tôt ou tard à  sa fin. Il était temps pour les derniers d’entre nous de quitter notre parcelle de forêt et retrouver le reste de l’humanité.
—Si vous êtes là  c’est que vous ne l’avez pas fait. Sinon je n’aurais trouvé que cette forêt, vide de toute présence.
—L’aspect de cet endroit n’aurait pas été très différent. Nous ne marquons que très peu notre présence… c’est une des choses qui m’a convaincu du choix, comprenez… Le Triangle n’existe que pour l’homme et pourtant les gens ne sont pas satisfaits de leur vie là -bas. Nos derniers invités ne comprenaient même plus le monde qu’ils quittaient pour partir à  notre rencontre. J’ai compris alors que pour moi et les quelques autres la vie n’avait tout son sens qu’ici, dans cette parcelle si lointaine et tranquille. Tous ceux qui s’en étaient allés retrouver notre civilisation risquaient de ne poursuivre que des rêves. Mais la vérité c’est qu’ils sont plus sûrement tombés dans la fange du Triangle. N’ai-je pas raison ? »

Je n’aime pas Venezia et malgré tout j’y ai vécu suffisamment longtemps pour accuser le coup en entendant ces paroles. On dit souvent des habitants du Triangle qu’ils se plaignent de tout mais ne vivraient ailleurs pour rien au monde. Hypochras n’a pas l’air d’un homme malheureux, ni d’un simple d’esprit. D’ailleurs son regard vif sonde le doute sur mon visage, tandis que je songe à  cette hutte si simple, si éloignée des complexes des grandes villes. Je ne me vois pas y passer ma vie. Je suis un pilote, épris de mouvement, mais même sans ça j’ai le sentiment qu’une fois connu l’ailleurs, je ne ferai que tourner en rond dans cette forêt. Et cependant… Les bas fonds de Venezia se sont emparés de tant de naïfs attirés par les lumières d’une grande ville. Il suffit de pas trouver l’occasion voulue, comme j’ai pu l’expérimenter à  mes dépends. Au moins on a pas trompé Hypochras sur la marchandise.

« J’ai bien entendu fait davantage qu’écouter des histoires. Comme vous l’avez remarqué, je manie la langue commune et je me suis efforcé que les autres fassent de même. C’est pour profiter d’une vie sereine que nous sommes restés dans ce grand jardin, certainement pas pour nous couper du reste du monde.
—D’accord, je crois que tout s’éclaire, maintenant. Comment s’est déroulé le dernier contact ?
—Assez sobrement. Joannes, le dernier pilote est venu me voir et m’a dit qu’il ne savait pas s’il pouvait revenir un jour. Je n’ai fait que lui confirmer notre décision, et nous l’avons laissé partir. Et depuis… nous attendons. Et maintenant, si vous le voulez bien, j’aimerai vous emmener voir notre campement. »
Hypochras se saisit d’un grand bâton et se dresse dans l’espace réduit de la hutte. Je fais de même et me retrouve avec une sorte de fourrure épaisse entre les mains. Il en a une semblable qu’il jette sur ses épaules avant de se diriger vers la porte. Elle dégage une odeur puissante, inconnue comme toutes celles que j’ai rencontré durant ce voyage.

« Monsieur Iranegra, je pense que vous avez une autre question qui vous brûle les lèvres depuis un moment. Ne voulez-vous pas me la poser maintenant, tant que nous sommes encore seuls ? Nous auront bien le temps de parler de vous en compagnie des autres.»
Je sursaute, et glisse machinalement la main vers la poche contenant les photographies. Bien sûr, j’aurais du commencer directement par là . Mais je ne nourris qu’un maigre espoir.
—Avez-vous aperçu ou rencontré un autre appareil que le mien, ces derniers temps ? Qui serait passé il y a deux semaines environ.
—Non. Vous êtes le premier depuis Joannes, j’en ai bien peur.
—Je m’en doutais un peu. »


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MessagePublié: 03 Sep 2006, 01:54 
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Songes de louve

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Hypochras m’a guidé avec une rapidité et une assurance étonnante pour son âge. L’obscurité est presque palpable et je ferais bien de m’y habituer pour les temps à  venir. Nous avons emprunté un chemin sinueux à  flanc de roche tout au long duquel sa voix m’a permis de suivre. Je découvre enfin le fameux campement. Ces habitations sont réunies en cercle et brillent des feux allumés au sol ou suspendus aux toitures. J’ai noté des restes de construction aux alentours, visiblement abandonnés. Ce centre devait s’étendre bien davantage avant le départ des habitants. Des silhouettes se détachent sur cette lumière diffuse et changeante. Elles nous observent mais n’osent pas encore s’approcher. Peut-être une consigne d’Hypochras, je ne dois pas avoir l’air bien méchant.

Quand nous entrons dans ce qui semble être la plus grande construction, la foule se montre enfin. Jeunes, vieux, femmes et hommes, il y en a un peu de tout les types. Tous coiffés à  la manière de Noam, leurs longues tresses enserrant diverses décorations en bois. Hypochras fait rapidement les présentation et nous nous installons sur le sol recouvert de tapis végétaux – une des femmes me confirmera que ce sont des nattes. L’odeur des plats me rappelle brusquement ma faim et achève de détendre l’atmosphère.

Je m’installe confortablement dans une sorte de siège tressé et regarde le ciel à  peine moins noir que la cime des arbres. Hypochras et une des jeunes femmes – Leandis si je me souviens bien s’installent bientôt près de moi. Le repas était agréable, même si tous les regards se tournaient vers moi. Finalement, ces gens n’ont pas appris grand-chose de ma part. Chacune de mes nouvelles s’est vue ponctuée de « Comme Joannes avait dit » à  croire que rien ne change jamais dans le Triangle. Ce vieil homme est un fin renard, lui avait deviné depuis le début que mon arrivée, après dix ans d’attente, constitue un parfait non évènement. Je soupire et sort machinalement une photo d’Anita. Son visage se détache mal dans cette obscurité.

« Elle a l’air heureuse sur ce dessin. » Leandis me décoche un sourire timide.
« Qui est-ce ? » rajoute Hypochras. « Elle a un rapport avec votre venue, n’est-ce pas ? »
—Elle a disparu. Je suis parti dans la ceinture obscure… pour la retrouver.
—Nous ne vous avons été d’aucune aide, je le crains.
—Bien sûr que si. Vous m’évitez de suivre une mauvaise piste, puisque vous m’avez bien dit que personne n’était venu.
—A moins que le vaisseau n’est pas été visible…
—Ils le sont tous. C’est une conséquence de la méthode utilisée pour franchir le mur. Pendant quelques instants avant et surtout après le passage, toutes les navettes brillent d’une lueur bleutée. Nous appelons ça la flamme des cieux.
—Oui, bien sûr. Vous devez avoir raison, je m’égare… » Quelque chose me perturbe dans l’attitude d’Hypochras. Le sentiment net que pour la première fois depuis notre rencontre il me cache volontairement quelque chose. Et il soutient gravement mon regard… comme pour me dire que l’heure n’est pas à  poser d’autres questions.
—Combien de temps resterez-vous, voyageur Iranegra ? Nous pouvons vous accueillir tout le temps que vous souhaiterez. » Leandis vient de rompre ce début de malaise.
—Intéressante question. J’avoue ne pas avoir du tout réfléchi à  cela depuis que j’ai rencontré Noam. En théorie je devrai me lancer à  la poursuite d’Anita le plus rapidement possible.
—Elle s’appelle Anita, alors. Je suppose que vous avez raison sur ce point, le temps joue contre vous. Mais vous ne pouvez pas partir de nuit, n’est-ce pas ?
—Vous allez vraiment voir les autres mondes oubliés ? Peut-être pouvons nous vous aider pour ce voyage, nous connaissons bien des choses utiles pour les visiteurs du Triangle, ajoute Leandis. Elle pointe soudainement un doigt sur mon ventre repu. « Par exemple préparer vous-même votre nourriture. »

L’option ne semble pas si insensée que ça. Retrouver les ravisseurs n’est plus une question de vitesse. Ils ont du regagner depuis un moment leur repaire ou équivalent et pour le coup en apprendre plus sur ces régions me semble plus logique. Je fais plus confiance à  ces exilés quâ€™à  la bande de fort Venox en ce qui concerne la survie dans ces terres sauvage. Je repousse doucement la main de Leandis tout en murmurant mon accord. Elle en profite pour nous laisser tandis que quelqu’un l’appelle. Durant quelques instants je suis du regard sa silhouette vivace et entraînante.

« Charmante personne…
—C’est la mère de Noam, peut-être l’avez-vous deviné. En tout cas elle raison sur un point, les habitants du Triangle ne savent plus vivre dans les régions sauvages. Accepterez-vous sa proposition ?
—La mère de Noam ? Et qui en est le père ?
—Il n’est plus des notres. Ne vous méprenez pas, son père est parti en la laissant ici, enceinte. Il ne savait pas pour l’enfant. »
—Vous me cachez encore quelque chose, Hypochras… »Les yeux du vieil homme se font rieurs.
—Et bien nous serons trois à  savoir. Si le père de Noam est parti c’est parce qu’il s’agissait d’un des pilotes venus du Triangle. Joannes, bien entendu. Ne le répétez à  personne, et surtout pas à  Noam. Je ne veux pas le retenir contre son gré mais il ne pourra pas partir. Je préfère éviter qu’il ne sente des liens avec… votre monde. Cela ne pourrait que le faire souffrir, vous comprenez ?
—Je comprends. Et j’accepte la proposition de Leandis, je serai des votres pour quelques jours de plus, si ça ne vous dérange pas.
—Nous ferons notre possible pour vous préparer. Vous êtes un homme de bien, Louis, même si vous semblez en douter, j’espère que vous réussirez. »

S’il le dit…


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MessagePublié: 03 Sep 2006, 14:56 
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Songes de louve

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vous pourrez également suivre la parution sur http://coeurdefragments.canalblog.com/

------ à  plus tard pour la suite


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MessagePublié: 04 Sep 2006, 00:32 
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Songes de louve

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Retrouvez ce passage également sur le blog Coeur de Fragments


Les formes de l’explorateur se détachent nettement sur la colline, acérées et luisantes. Je suis en nage. La montée s’est révélée plus épuisante que prévu et les hautes herbes que j’ai découvertes à  mon arrivée n’ont fait qu’empirer les choses. J’admire d’autant plus Noam qui continue de gambader devant moi, comme insensible à  des choses aussi terre à  terre que la fatigue. Je l’ai choisi comme guide, seul au lever du jour, afin de m’épargner des adieux interminables. Ainsi la boucle est bouclée. Nous sommes tous deux sur le sommet arrondi et contemplons mon vaisseau. Les arbres qui le retenaient ont été abattus pendant mon séjour. Encore une preuve du sens de leur profond sens de l’accueil. Je m’assois un peu pour reprendre mon souffle. En contrebas, je peux voir la forêt et cette montagne solitaire qui a gardé tout son mystère. Non pas qu’elle soit sacrée ou interdite. L’escalade en est simplement dangereuse et sans utilité, le mieux reste encore de l’admirer de loin, comme je le fais maintenant. Ce tableau résume toute l’essence de la vie ici, une existence hors des futilités du monde, sereine. Mais définitivement coupée de la marche de l’Histoire.

Je ne sais pas trop comment me séparer de Noam. Je crois que j’ai trop évité ce garçon suite à  ma conversation concernant son père. La peur de se trahir, involontairement. Il observe mon appareil d’un Å“il curieux. J’ai presque eu l’impression que sa mère flirtait pendant mon séjour, mais une autre personne a bien davantage besoin de moi. Une prisonnière, perdue quelque part dans ce labyrinthe dont je n’ai même pas franchi le seuil. Je me sens coupable d’avoir passé ces quelques jours ici, même si je sais qu’ils m’ont appris des choses essentielles.

« Où vas-tu aller, Louis ?
—Probablement au fort, Noam. Vous n’étiez pas sur la route des gens que je cherche. Je vais devoir prendre un autre chemin, je suppose.
—D’autres pilotes viendront ?
—Je ne sais pas. Je ne peux pas savoir… » Je préfère éviter un mensonge facile et ingrat. Une idée me vient à  l’esprit, je vais lui offrir un de mes autres foulards, presque du même rouge que le mien. Cela lui fera un excellent souvenir. Je lui demande de m’attendre et pars chercher le futur cadeau. A mon retour je le trouve assis en tailleur l’air un peu soucieux. Je lui montre le foulard et entreprends de le nouer autour de ses cheveux. C’est alors qu’il me glisse quelque chose dans la main. J’hésite à  terminer mon geste. Noam s’empare du bout de tissu et l’attache à  son avant bras en souriant, cela me suffit. Je me sens vide tandis que je le vois s’éloigner, sans même me dire au revoir. Je lui hurle de ne pas s’approcher lors du décollage. Mes cris se perdent dans la vallée. J’ouvre ma main et y trouve un petit rouleau de papier.

Le cockpit sent un peu le renfermé. En claquant la porte derrière moi, je quitte pour longtemps l’atmosphère pure de la montagne Daendre. Je me laisse tomber dans le siège et regarde ce ciel paisible. Je suis parti comme un voleur, et pourtant je sais qu’ils comprendront. Il est temps de prendre connaissance du message, avant mon départ. L’écriture est fine mais bien lisible.

« Personne n’a pu me certifier ce que je vais vous dire, mais je crois qu’il vaut mieux que vous en preniez connaissance. Si vous pensez toujours que les navettes sont visibles lors de leurs trajets, sachez que ceci est faux. Cela ne nous concernait pas, c’est pourquoi je ne vous en ai rien dit sur l’instant. Selon certains des anciens pilotes, l’endroit où vous comptez vous rendre n’obéit pas aux mêmes lois que celle que vous devez connaître. N’oubliez pas : l’Ether ne sera jamais votre ami. »

Le souvenir de mon arrivée tumultueuse surgit dans mon esprit. Je préfère ne pas y songer, ce genre d’idées vous emmène droit vers des pensées désagréables. Trop désagréables. Je vais filer à  Fort Venox, voilà  ce que je vais faire. Décrire un peu au personnel leur voisins qu’ils ne connaissent même pas, et tenter de leur soutirer encore une ou deux informations intéressantes. Et puis… il faudra prendre une autre route. J’allume les instruments et retrouve mon ébauche de carte. Je le compléterai au retour, si j’en ai le temps. Les turbines s’enclenchent, elles doivent ravager le sol tout autour de moi dans un terrible grondement.

Ce sera la seule cicatrice que je laisserai ici, du moins je l’espère.


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MessagePublié: 05 Sep 2006, 00:37 
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Songes de louve

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le prochain chapitre s'intitulera Colonnes oubliées

et n'hésitez pas à  venir poser quelques mots sur le blog :cry: :x2d:


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MessagePublié: 05 Sep 2006, 11:02 
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S.A.V de Lamenoire
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*s'en vas faire son petit tour sur le blog*

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Une lame qui glisse silencieusement hors du fourreau, une gorge ouverte sans un cri, un corps qui glisse sans bruit au sol.

Voila une agréable soirée en perspective...


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MessagePublié: 06 Sep 2006, 18:04 
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Songes de louve

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suite sur le blog, je posterai ici quand y aura matière


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MessagePublié: 09 Sep 2006, 02:03 
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Songes de louve

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On m’avait promis que j’allais considérer Fort Venox comme un havre de paix et de volupté quand je reviendrais des terres de la ceinture. Il va de soi que ce ne sera pas le cas. La minable petite piste bétonnée est toujours là , je m’y pose sans enthousiasme. Il fait encore jour, mais le vent ne va pas tarder. Personne au bord de la piste d’atterrissage, cette fois on ne s’est même pas donné la peine de m’offrir un accueil formel. Je sais que je ne vaux pas grand-chose aux yeux de cette chère Nadia, mais j’espérais secrètement qu’il y en ait un ou deux contents de mon retour. Je n’ai guère le temps de flâner avant la tempête. J’embarque le minimum et me dirige vers les cubes grisâtres. Quelque chose me semble différent, bien que je n’arrive pas à  mettre le doigt dessus. Un examen rapide des environs ne m’apprend pas grand-chose. Je ne suis resté que moins de deux jours lors de mon premier passage, juste de quoi avoir ce sentiment désagréable de changement, mais bien trop peu pour que je sache exactement quoi. Les projecteurs de la cour sont éteints malgré l’approche de la nuit. Je me sens stupide avec mes questions, alors que je retrouve un endroit connu.

J’ai la farouche impression de revenir sur mes pas en franchissant la porte du bloc principal. Quoique… Toujours ce souffle humide mais même plus de lumière jaunâtre dans le couloir. Non, en fait mon retour est pire que ma première venue. Cela me donne l’étrange sensation de revivre une version plus sombre d’évènements passés. Au début de ma descente aux enfers de Venezia je l’avais ressentie à  plusieurs reprises.A présent, elle s’incruste insidieusement dans mon esprit tandis que je monte les mêmes escaliers, franchis les mêmes portes. Dans l’obscurité. Je m’attends presque à  les trouver tous attablés et m’ignorant ouvertement. En réalité je commence à  espérer que ça se termine ainsi.

Les néons s’allument en cascade révélant sous leur lueur blafarde les tables inoccupées. Je me sens comme dans un rêve, ma main encore posée sur l’interrupteur. Le bâtiment est vide. Déambuler dans les allées, de porte en porte, ne fait que confirmer cette insondable vérité. Je termine ma visite par le bureau de Nadia. Déserté, lui aussi, nettoyé même. Je contemple les tristes étagères fixées au mur, la chaise laissée dans un coin, inutile. Ironiquement je ne retrouve qu’un seul objet, bien posé en évidence sur le bureau. La pierre de Vortirion. Je la saisis, sans trop savoir pourquoi. Rien de particulier de visible. Peut-être constitue-t-elle un message, ou peut être qu’il n’en est rien. La solitude commence à  me peser à  présent. J’ai envie de quitter les lieux, devenus sinistres. Lorsque je surgis de l’entrée, le vent et ses nuées grises m’attendent. J’ai un petit rire sec devant l’absurdité de la situation. Me voilà  seul et pris entre des blocs de béton désertés et une tempête de poussière, loin de chez moi et de tout endroit agréable. Les autres ont quitté le purgatoire, eux. Je sentais l’angoisse monter pendant ma courte visite du bloc, à  présent elle se libère, hachant menu toute tentative de réflexion. J’ai envie de partir, vite, très vite. Mais je ne peux pas. Je ne dois pas revenir dans le Triangle, pas maintenant.

Je file à  l’aveuglette vers mon dortoir de l’autre fois. Je heurte presque le mur qui surgit brusquement de la brume. Il me suffit de quelques pas pour pressentir que cet endroit sera tout aussi vide. Heureusement ils ont laissé les literies, tout n’est donc pas perdu. Je n’aime pas l’idée de passer la nuit ici, mais ai-je réellement le choix ? Je referme derrière moi la porte d’une des chambres. Un peu stupide sans doute puisque je suis seul, mais c’est toujours plus réconfortant. Avec le silence mes pensées retrouvent leur fil. Je réalise que je ne me suis toujours pas demandé le pourquoi cette disparition. Volontaire ou forcée, les deux hypothèses ne sont pas réjouissantes. Loin de là , même. Et finalement, le mieux ne serait-il pas de continuer comme si de rien n’était ? Je finis par m’endormir sur cette idée étrange…


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MessagePublié: 09 Sep 2006, 08:14 
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S.A.V de Lamenoire
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*attend la suite avec impatience (un pote )*

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Voila une agréable soirée en perspective...


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