- Ah, on peut dire que vous êtes partis à temps ! grinça Bugen l'ancien.
Proche parent de Bugenhagen, c'était un robuste vieillard de quatre-vingt-dix ans. Il tenait à la main une bouteille typique de la Bougie Cosmo.
- Pendant que vous vous amusiez avec votre excursion sylvestre, les exemplaires de la matéria rouge Odin en notre possession ont éclaté !
Nanaki ne dit que " Quoi ? ", incapable d'assimiler cette information.
- La Chimère a été libérée. Et cette invocation de mes deux se saoule en ce moment même à la Bougie Cosmo.
- Odin n'est qu'un esper, rappela Nanaki. Un esprit. Il se doit d'obéir aux humains.
- Eh bien, il s'émancipe, votre esper !
- Et comme je dis toujours, hoqueta Odin, c'est un miracle que j'aie survécu au Ragnarok.
Assis en tailleur sur une table, il consommait cocktail sur cocktail. Il vida sa chope et la projeta contre le mur. Explosion.
- Serveur ! Ramène-moi de la bière ! Ce machin est chouette, mais il n'arrache pas assez les tripes !
- Vous ne devriez pas tant boire, monsieur Odin, répondit le garçon en lui apportant un énorme tonneau.
- Ne me dites pas, hic, ce que je dois faire ou ne pas faire ! hurla Odin.
Il but au robinet du tonneau avant de lever son faciès jaune et grimaçant.
- Pendant des milliers d'années, oui, des milliers d'années, j'ai été l'esclave des êtres humains ! D'abord réduit à une essence vitale, ensuite enfermé dans un cristal ! J'ai fini par être pétrifié par un sorcier, transformé en magicite ! Magicite qui finit par évoluer en matéria rouge, puis par se dédoubler en divers points du globe ! Voir mon être dissocié? et aujourd'hui, je suis libre ! Libre !
Après avoir consommé trois rasades supplémentaires, le géant se leva, ses cornes frôlant le plafond, son corps aux muscles épais comme des rondins faisant cliqueter son armure.
- Esclave des humains? Hic ! Fais ci, fais ça? Odin, ramène-moi une jolie fille? Odin, tranche ce dragon en deux avec ton Zantetsuken? même mon épée d'acier et mon javelot en ont assez ! Assez !
Il brisa une table d'un coup de poing.
- Vive la liberté !
- Oui, oui, s'empressa d'approuver le serveur en amenant un second tonneau. Mais comment vous êtes-vous libéré ?
Ce fut à cet instant que Nanaki, Django et Wind entrèrent dans le bar.
Sans faire attention à eux, Odin attrapa le tonneau et le vida d'un trait. Puis il laissa échapper un rot monumental.
- Comment me suis-je libéré ? Il se passe quelque chose, hic, en ce moment, une véritable restructuration de la magie. Les matérias faiblissent,hic. Les miennes sont devenues trop fragiles pour retenir un esper aussi puissant que moi. Et je n'ai pas survécu, hic, au crépuscule des dieux pour rester enfermé dans des morceaux de pierre.
Il ne semblait pas avoir remarqué l'irruption des Tions et de l'enfant.
- Je ne vous ai pas encore raconté, hic, l'histoire de ce traître de Loki. Comment l'a-t-on puni ? Attaché à un rocher, hic, avec les entrailles de son fils Fenrir. Fenrir qui devint lui aussi un esper? un esclave des monstres que vous êtes !
Le colosse se retourna et jeta sa lance mauve sur le trio. Nanaki bondit, l'attrapa au vol avec les dents, mais elle glissa, lui échappa, fila ; le javelot magique rebondit contre une cloison et plongea dans le torse de Wind avant d'exploser.
L'enfant s'écroula.
- Dommage pour ce gosse, hic ! fit Odin.
La lance se matérialisa dans sa main.
- C'est toi que je visais, Rouge XIII !
Il sauta ; Nanaki envoya le talent de l'Ennemi Boîte-Pandore. Un point d'interrogation mordoré surgit dans la salle soudain obscure ; Odin eut le torse perforé par la décharge de magie brute.
- Combien de fois m'as-tu retenu et invoqué, Rouge XIII ? Tu n'es que mon cruel geôlier !
Rangeant sa lance dans son dos, il sortit son épée. Django donna un coup de griffes bien ajusté qui rebondit contre l'armure.
C'est dingue, pensa-t-il, je vais me faire dégommer par un type au torse troué.
Odin brandit sa lame et enchaîna les coups.
- Zantetsuken !
Django retomba en trois portions, laissant échapper des flots de sang. Il vit le néant venir à sa rencontre.
L'esper se saisit du tonneau de bière encore plein et le leva au-dessus de sa tête. Il le lança sur Nanaki. Celui-ci reçut les dix litres sur le crâne, mais il se redressa dans l'alcool et les éclats de bois.
- Tu n'es qu'un lâche, Odin !
- Faux. J'ai un grand sens de l'honneur. Le bolet et le caniche n'avaient qu'à filer s'ils voulaient survivre.
Odin ramassa un autre tonneau. Nanaki fut alors entouré par des fumerolles jaunes.
- Que fais-tu, Rouge XIII ? l'interrogea son adversaire.
- Mon nom est Nanaki.
Un torrent de flammes se matérialisa et enveloppa Odin qui brandissait déjà le tonneau. Tout explosa, la bière se répandit et s'enflamma, des morceaux de bois se plantèrent dans toute la taverne.
La Chimère avait disparu. Il ne restait plus qu'une sorte d'ectoplasme translucide au centre de la pièce.
Nanaki sortit deux bouquets de plumes vermeilles de sa crinière. Il lança les queues de Phénix sur Django et Wind. Ses amis se régénérèrent et se relevèrent.
Django vomit.
- J'ai cru? que j'allais?
- Tant que ton c?ur et ton cerveau sont intacts, qu'il te reste assez de sang, que tu n'as pas pourri, que tu n'es pas mort de vieillesse? on peut te ramener du trépas, déclara Nanaki. Moult conditions pour échapper à la Faucheuse.
Wind leva son épée runique en désignant le fantôme.
- Tu l'as eu, Nanaki ?
- Non. Les esprits ne meurent pas, ils ne font que se dématérialiser temporairement. Ce sont, sur ce monde, les êtres les plus proches de l'invincibilité.
Django avança jusqu'à se confondre avec l'ectoplasme indistinct qui se tordait au milieu des flammes.
Coup de tonnerre.
Nanaki vit des tentacules de lumière courir sur les flancs de son fils spirituel. Nouveau coup de tonnerre. Django grimaça.
La voix d'Odin sortit de sa bouche.
- Nous sommes appelés Eons car nous vivons des Eons. Toujours nous existons, Chimères, G-Forces, espers. Django? tu vas devenir mon hôte. Accepte-moi et je te ferai bénéficier de mes pouvoirs.
- Je me défie de toi, Odin. Mais soit, demeure en mon être. J'ai le pressentiment que ton aide ne sera pas de trop.
Seul dans sa chambre, Django observait la lune par la fenêtre au cadre de bois. Le croissant gris se détachait dans le firmament.
Le jeune Tion avait entendu dire que des monstres vivaient dans la lune, et qu'ils en descendaient lorsqu'il y avait une forte concentration de magie en un point donné. Ils étaient tombés quand Jenova, la Calamité des Cieux, était arrivée d'au-delà de cet univers, et les astronomes avaient observé une concentration inhabituelle de ces choses sélénites au moment où le Météore avait chuté sur la Planète.
Django entendit la porte s'ouvrir.
C'était Lina. Elle n'avait pas son air arrogant habituel et semblait douce, gentille.
- Es-tu seul, Django ?
- Comme tu peux le voir.
Elle s'assit à ses côtés.
- Ces derniers temps? j'ai réfléchi, avoua-t-elle. Je suis fière, et cette fierté me fait peut-être passer à côté des plaisirs de la vie. Et le mépris que j'éprouve pour toi? serait-ce un moyen de lutter contre mes véritables sentiments ?
- Lina?
- Tu es un combattant, Django. Mais toi aussi, abandonne ton amour-propre un moment.
Il se détourna.
- Lina, la situation du monde me préoccupe. Les esprits?
- Ne détourne pas la conversation, coupa-t-elle. Regarde-moi en face.
Il plongea ses yeux dans les siens. Les pupilles iridescentes le fixaient avec amour.
Ce ne fut pas l'aube qui réveille le fauve, mais Lina.
- Debout, paresseux. La course dans les rochers n'attend pas.
- Eh, une seconde ! Tu es bien placée pour savoir que je suis épuisée?
- Oui, tu as beaucoup donné.
Elle eut un sourire salace.
- C'était la première fois, hein ?
Django acquiesça, puis souffla :
- Ce sera peut-être la dernière. Un habitant de Nibelheim possède une matéria d'invocation, Fenrir. Nanaki souhaite qu'on aille lui rendre visite et qu'on parlemente avec cet esprit. Il est assez belliqueux.
Il plissa les yeux.
- Je dois d'abord faire quelque chose. Quelque chose de dangereux? mais d'indispensable.
- J'ai quelques monstres à tuer, Django, fit Lina. Se reverra-t-on ce soir ?
- Espérons-le.
Ils frottèrent leurs museaux l'un contre l'autre.
Django galopait de toute la force de ses quatre pattes à travers la jungle, esquivant lézards et grenouilles.
Il savait qu'il allait faire quelque chose de terrible. Mais il devait le faire.
Le monde changeait. Odin lui soufflait que tout évoluait, la magie, les animaux, la mentalité des gens. L'astre où il était né se déroulait sous ses pieds, il pouvait le sentir palpiter, grandir, se métamorphoser. La Planète changeait, et il devait changer lui aussi. Car les espers, autrefois enfermés, étaient sur le point de se libérer. Car, au contact des sources de magie, les monstres se fortifiaient. Car, le conglomérat Shinra Inc. dissous, le monde se réduisait à quelques gouvernements aussi volatiles que la fumée d'un sortilège. Car la nature reprenait ses droits et tout se réorganisait selon de nouveaux rapports de force.
Il devait gagner en puissance pour survivre.
L'anarchie menaçait tout, mais elle engendrerait elle-même son propre équilibre. Tout renaissait d'une manière incompréhensible, le chaos accouchant de la stabilité.
Django galopait, et le monde changeait.
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