0. …-en-point.
1 Dans la caverne.
Des jours et des jours de marche s’étaient écoulés pour les pionniers des voyages post-mortem. Ils avaient eut un accident, ils avaient eu des combats, ils avaient eu des révélations, ils avaient eu deux membres à ajouter dans leur groupe, ils avaient eu de nouveaux alliés et de nouveaux ennemis, et ils avaient eu un nouvel endroit à aller.
Sauf que cet endroit commençait à taper sur les nerfs des plus endurcis.
« On est coincé ici pour l’éternité ! couina Haschatan.
-L’éternité n’en sera que plus longue, si tu continues à te plaindre. »
Haschatan regarda Erwan avec de grands yeux emplis de larmes, puis, voyant que ça ne suffisait pas à dérider son compagnon, reprit sa marche silencieusement en regardant ses pieds. Erwan Linvorge soupira, se décala pour se mettre à coté de Squall.
« Combien de temps allons-nous marcher ainsi ?
-Aucune idée, Calisto. Vraiment aucune. »
Erwan ne releva pas l’erreur. Une voix dans son dos le fit sursauter.
« De toute façon, dit Mr.Magnum, il serait ridicule de faire demi-tour maintenant, tu ne penses pas ?
-Vu le chemin qu’on a parcouru, ajouta Fury, c’est sûr. »
Squall plissa les yeux mais n’aperçut toujours pas le bout du tunnel. Depuis leur départ du pays des Dames Blanches, ils n’avaient rencontré personne, et cette solitude, même à six, devenait pesante.
« Lâche-moi !! »
Tout le monde se retourna vers Kefka, qui titubait sous les coups d’éperons de K-Ro. Elle lui était monté sur le dos et tentait de le faire avancer comme un canasson. Le pauvre demi-Dieu se débattait furieusement.
« Mais tu es lourde !
-J’en ai marre de marcher. Tu peux bien me porter, tout de même ! Tu ne ressens pas la fatigue, en tant que créature issue de mon imagination !
-Mais alors toi non plus tu ne la ressens pas ! répliqua Kefka en se secouant.
-J’ai pas dit que j’étais fatiguée, juste que j’en avais marre de marcher. »
Kefka regarda sa maîtresse vénérée, puis abandonna. Il la cala le plus confortablement possible sur ses épaules et se remit à avancer. Les autres le regardèrent passer avec un petit sourire. Ce sourire signifiait autant leur amusement que leur solidarité avec cet éternel souffre-douleur.
« Et si ce couloir était infini ? proposa Erwan. S’il ne menait nulle part ?
-J’aime ton optimisme, railla Squall.
-A force de descendre, nous tomberons forcément sur quelque chose ! les rassura Mr.Magnum. Forcément.
-J’espère qu’ils auront du chocolat, en bas.
-Tu en as plein ton sac, K-Ro ! dit gentiment Erwan.
-C’est du chocolat virtuel, il a pas le même goût. »
Un bruit résonna derrière eux. Immédiatement, Squall se retourna, arme au poing, imité peu après par Fury, Erwan et Mr.Magnum. Ils scrutèrent les ténèbres au-delà de la lumière des torches, mais n’entendirent rien d’autre que leurs propres respirations.
« On a dû rêver. »
Mr.Magnum resta en arrière pour éviter de se faire prendre par surprise, puis ils reprirent leur route. Le groupe passa sur un des nombreux paliers qui jalonnaient la route, mais préférèrent ne pas s’y attarder.
« Nous nous arrêterons au prochain, pour une pause.
-Tant mieux ! » approuva Kefka.
Un coup de feu retentit, puis un piaillement humide. Les Trauméniens se retournèrent à nouveau, les nerfs à vifs. Mr.Magnum abaissa son arme, alors que des frottements sirupeux leur parvenaient aux oreilles. Les ténèbres se firent plus oppressantes.
« C… C’était quoi, ce truc ? bafouilla Kefka.
-Je pense que c’était une sorte d’immense ver des sables géant, style Dune, que Magnum vient de repousser en l’attaquant judicieusement en tirant entre ses centaines de dents effilés, perforant la gencive. Mais je ne pense pas qu’il l’ait tué. »
Ils regardèrent K-Ro, perplexes.
« Oh, mais ne soyez pas jaloux ! Il va bien revenir, et vous aussi vous le verrez ! »
Comme pour confirmer les paroles de K-Ro, un glougloutement de mauvais augure retentit dans la caverne, suivit d’un vagissement affamé. Sans plus réfléchir, ils se mirent à dévaler la pente de la caverne. Squall jubilait.
« Enfin de l’action ! »
Un immense bruit d’avalanche s’enclencha à leur suite, signe que le ver géant avait décidé d’entamer son casse-croûte. La scène rappela à Mr.Magnum un des derniers chapitres du cycle de la Tour Sombre, de Stephen King : Les deux héros étaient poursuivit par une créature abominable dans des tunnels souterrain. Il espéra en réchapper, comme eux.
Des balles fusèrent près de lui, et il vit Squall faire feu sur le ver qui ondulait, de plus en plus proche. Comme l’avait dit K-Ro, ses dents étaient nombreuses et effilées. Un système compliqué de rotation permettait à ce qu’il ingurgitait d’être suffisamment lacéré, écorché, réduit en purée pour qu’il ne risque pas de s’étrangler.
Il aurait tout de même pu éviter de nous lancer ça, merde ! songea Mr.Magnum en vidant à son tour son chargeur dans les gencives du monstre. Ce dernier rugit et du sang gicla de partout. Mais il poursuivait sa chasse.
Des images revinrent à l’esprit de Squall, en tête de la troupe : Ils avaient parfois dû passer des orifices géants qu’ils avaient rencontrés durant leur long périple. Parfois, ils avaient eu la place de passer sur le coté du trou, parfois l'ouverture était pratiquée dans le mur, ou au plafond. Et ils avaient toujours préféré suivre le chemin principal plutôt que de s’aventurer dans une de ces ouvertures.
Il était soudainement content de cette décision. Il remarqua Kefka qui peinait et qui perdait du terrain, à coté de lui.
« K-Ro ! Tu ne voudrais pas courir un peu, non ?
-Ouais, pas une… pfuu… mauvaise idée… pfuu…
-Non ! répondit-elle en croquant un morceau de chocolat.
-Mais K-Ro… commença Squall.
-Oh, c’est bon, d’accord! »
Elle sauta à terre et se mit à courir également, mais Squall remarqua que ses jambes ne remuaient pas. Il hausa un sourcil. K-Ro termina sa tablette et le regarda, tout sourire.
« Les contrats n’ont pas de bouche pour protester. » dit-elle sentencieusement. En dessous de sa semelle gauche, une pancarte « Au secours ! » apparu furtivement. Squall préféra détourner les yeux, et étouffa un rire.
C’est à cet instant qu’il entraperçut de la lumière, devant lui.
« Terre ! Terre ! brailla Haschatan à ses cotés, qui l’avait vu en même temps.
-Je dirais plutôt : Lumière, lumière, dit Squall.
-Et moi, j’ai plutôt envie de dire : Ver ! Ver !! »
Mr.Magnum, toujours entrain de tirer sur l’immense monstruosité qui avançait toujours plus vite, eut un instant de flottement : il venait de trébucher sur une pierre un peu plus grosse que les autres, et était maintenant en vol. Il regarda le ver qui roulait des dents, puis son champ de vision bascula, comme au ralenti, sur Erwan, de dos, qui courait au plafond.
Mais c’était lui qui avait la tête en bas. Il ouvrit la bouche pour leur crier de aire attention à lui, qu’il allait leur tomber dessus, mais il n’en eut pas le temps. Erwan se sentit propulsé en avant par une masse indéterminée, et il cru un instant que le Ver l’avait rattrapé. Ensuite, ce fut Kefka qui fut envoyé au tapis, roulant sur lui-même comme les autres, et donc continuant d’échapper aux dents de la terre.
Squall s’arrêta sur le promontoire, ainsi que K-Ro et Haschatan, et regarda l’immense salle qui se déployait à ses pieds. Une lumière bleutée était diffusée par d’immenses projecteurs, et le grand bâtiment du centre lui semblait familier. Il leur semblait à tous familier. Squall resta sans voix en comprenant ce qui se dressait devant lui, des dizaines de mètres en contrebas.
« Oh, merde, nous voilà devant la … »
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que Mr.Magnum le percuta, laissant Kefka à K-Ro et Erwan à Haschatan. Les six Trauméniens chutèrent en hurlant, en ayant au moins un problème de résolu : ils n’avaient plus à se creuser la tête pour descendre. Le ver émergea à son tour, puis tata le vide, à tout hasard, et rentra sa tête dans l’orifice. Il y avait d’autres tunnels, et avec un peu de chance, il retrouverait une proie plus facile.
2 Dans la hutte.
La pénombre régnait toujours en maître, et seuls quelques échos étouffés lui parvenaient de sa cachette. Elle sourit à sa pensée.
« Cachette, marmonna Youfie. C’est plutôt ma prison, oui. »
Elle avait crié, au début, mais elle s’était fait assommer en contrepartie.
Elle s’était débattue, mais on la battait en guise de réponse.
Elle avait alors cessé de s’opposer et avait accepté la nourriture sans cracher à la figure de ses ravisseurs (des gifles en contrepartie), elle avait arrêter de leur demander de sorties pour des besoins et au final de rien faire (des coups de bâton dans les mollets) et elle ne s’était plus enfuie (des heures plongée dans de l’eau en compagnies de créatures plus ou moins orthodoxes, et plus ou moins venimeuses.).
Depuis qu’elle s’était assagie, sa mort était devenue plus vivable.
Mais elle ne s’était pas résignée, et ce soir, après des jours et des jours d’attente, elle retentera sa chance. Le village d’homme dans lequel elle était séquestrée fonctionnait selon un système de rondes, toutes les trois heures. Youfie ignorait le laps de temps exact entre chaque changement, mais elle avait comprit qu’il était régulier, et elle avait apprit à deviner à quel moment la sécurité était moindre.
Elle se redressa, sous l’œil amorphe de son garde qui ne leva même pas les yeux. Il était manifestement en train de confectionner une arme en pierre taillée, pour se défendre. Elle ne se posa même pas la question de se défendre de quoi : l’homme était occupé, c’était l’essentiel. Elle plia le poignet et tira d’un coup sec sur la corde tressée qui maintenait ses bras dans son dos. Elle céda.
L’évasion avait été mûrement préméditée : Prétextant une fausse manÅ“uvre, elle avait brisé une assiette et récupéré un éclat pour cisailler la corde. Elle avait également fabriquée un coutelas avec un autre de ces éclats associé avec un morceau de bois déniché pendant un de ses excursions dans la forêt alentour. Elle ne voulait pas s’en servir, mais au cas où elle n’aurait pas le choix, il serait présent. Et prêt.
La lueur du feu de camp entra dans la hutte quand la relève du garde releva le rideau qui faisait office de porte. Ce rideau arrangeait Youfie : pas de porte, pas de serrure, pas de clef. Elle sourit, puis s’élança. Un pas de coté, puis un autre, et son pied se retrouva dans la gamelle, qu’elle envoya dans la tête du premier garde avec aisance. La gamelle se brisa en deux sous l’impact, comme le nez et la conscience de l’homme, qui s’effondra.
Deux autres pas, de l’autre côté.
La relève n’avait pas eu le temps de bouger, ni de tirer sa dague, que Youfie était déjà sur lui. Elle lui passa les bras autour du cou, comme pour accolade, et en fit prestement le tour. Puis elle serra ses liens défaits à la gorge du pauvre homme, qui tomba à genoux. Ses mains battirent l’air, comme pour y rechercher un air inexistant, puis se portèrent à sa gorge. D’immondes gargouillements parvinrent aux oreilles de Youfie.
Non, je ne veux pas tuer.
Elle relâcha les liens, et l’homme inspira un grand coup. Il retrouva rapidement son souffle, et ses esprits, et se retourna, au moment même où une jarre s’abattait sur le haut de son crâne, le réduisant de nouveau à l’impuissance. Il s’écroula sur son comparse.
« Bonne nuit les petits. » murmura Youfie, contente d’elle-même.
Elle sortit de la hutte à pas feutrés, puis en fit le tour. Les habitants de ce village n’osaient pas s’aventurer trop loin dans la forêt. Ils craignaient certainement les superstitions que d’autres leur avaient inculqués. Elle repensa à Lord FireFly. Oui, c’était bien lui que j’avais vu juste avant de passer de l’autre côté. Il m’avait sourit dans le rétroviseur, et là j’avais eu mon accident. Je ne risquais pas de retrouver Squall et les autres, s’il m’a emmené dans un autre au-delà . Elle soupira.
Grâce aux marques qu’elle avait laissée lors d’une de ses trop courtes escapades, elle retrouva facilement l’orifice qui plongeait dans la terre. Sans savoir exactement pourquoi, Youfie avait le pressentiment que la suite de son parcours devait passer par ces tunnels peu rassurant. Un rugissement bestial résonna dans son dos, et elle perçut également des vociférations des hommes dont elle avait faussé compagnie.
Elle sauta dans le trou béant.
Sa marche à pied ne dura pas aussi longtemps que celle de Squall et ses compagnons, tout au plus trois jours. Mais l’état d’esprit de Youfie était tel qu’elle se retrouva dans le même abattement qu’eux après ces quelques dizaines d’heures de marche. Elle avait viré, tourné, s’était perdue dans le labyrinthe de grottes qui s’enchevêtrait. Sans le savoir, elle était passée de nombreuse fois au même endroit. Elle était même tombée dans une des cavités creusées dans le sol.
« Peut-être que je n’aurais pas dû me fier à mon intuition, justement ? » se dit-elle pour la cent vingt-troisième fois alors qu’elle dépassait une motte de terre qui lui en rappelait fortement une autre des heures auparavant.
« Déjà que je suis partit sur un coup de tête pour aller chercher Squall et les autres, sur une intuition, justement. La seule bonne nouvelle, c’est que personne ne m’a volé les pilules qui nous permettrons de revenir à la vie. Mais maintenant je suis coincée dans ce labyrinthe, sans savoir où je vais ni s’il existe une sortie ! J’en ai maaaarre !!! »
Son hurlement se répercuta en échos sur les parois de la caverne, et un beuglement sourd lui répondit. Youfie s’immobilisa, scrutant les ténèbres. Elle n’avait pas de torche, et n’y voyait pas grand-chose. Elle se retourna en poussant un petit cri, certaine qu’une créature immonde était derrière elle. Elle ne vit rien. Au loin retentit un nouveau beuglement.
« Merde, manquait plus que ça. »
Elle hésita entre se mettre à courir dans tous les sens en criant, et s’asseoir à même le seul pour pleurer. Mais lorsqu’elle entendit un nouveau vagissement, plus proche que les autres, sa décision fut prise : courir serait l’option la plus salvatrice. Elle se mit donc à parcourir le terrain accidenté, n’y voyant rien, mais en évitant de crier pour attirer les choses qui peuplaient cet endroit.
Au détour d’un tunnel, elle se cogna contre un amas humide et tiède, et tomba sur les fesses. Elle se releva en se frottant le nez et en râlant, inconsciente qu’elle se trouvait devant la queue d’un ver géant dont la tête était à sa poursuite, derrière elle. Elle posa sa main sur la surface, à la recherche d’une faille pour passer.
« Beuark… Dégueulasse… C’est mou, c’est chaud et c’est poisseux. J’ai l’impression de tripoter une bestiole qui… » Elle s’interrompit. Son esprit venait de faire le lien : Parois humides/créatures/rugissements/elle-pour-le-dîner. Elle recula et repassa le coin du tunnel, tremblante de peur, et elle sentit un souffle chaud dans son cou.
La tête était là .
Elle vit les dents tournoyer sur elles-mêmes, elle vit le fond de la gorge battre furieusement, comme incapable d’attendre que son corps soir déchiqueté, elle vit les gencives suintantes de bave et de divers liquides nauséabonds. Elle vit sa mort prochaine, son autre mort. Pas un instant elle ne songea à prendre une pilule, hypnotisée par cette bouche/mixer géante qui n’avait d’yeux (ou de dents) que pour elle.
La suite de déroula extrêmement rapidement. Un éclair, aveuglant dans cette obscurité, déchira la bouche du ver, réduisant une bonne moitié de ses dents et de ses gencives en une bouillie rosâtre d’où s’échappait d’immenses filets de sang noir. La créature émit un mugissement de protestation et de douleur, et cogna son immense tête sur le plafond de la grotte. Youfie restait immobile, à recevoir des éclats de pierre sur elle.
Un autre éclair, accompagné d’un cri humain, perfora à nouveau la chose, qui recula. Elle perdait énormément de sang, et laissait un véritable ruisseau de fluide poisseux et sombre sur le sol. Le ver grogna, ce qui ressemblait plus encore à un gargouillis écoeurant, puis s’élança à nouveau sur Youfie, affamé. Il avait déjà raté des proies faciles quelques jours auparavant, il n’allait pas laissée celle-ci s’échapper.
« Tant pis pour toi ! » cria la voix humaine, et un troisième éclair immaculé trancha l’extrémité du ver, qui s’écrasa dans ses propres flaques de sang, éclaboussant Youfie, avant de s’arrêter à ses pieds justement. Youfie, les joues baignées de larmes de peur, tremblante de la tête aux pieds, baissa les yeux sur la tête de la créature, dont les dents tournaient encore. L’épais sang lui dégoulinait sur les pieds. La puanteur de l’agonie de cette bête parvint à ses narines, et elle ne put retenir sa nausée.
Qu’est-ce qu’un mort peut vomir, alors qu’il est mort ? se dit-elle alors que son estomac faisait des saltos, et que son ventre était secoué de spasmes. Elle tomba à genoux, hoquetant, et une main se posa sur son épaule. Elle reconnu son contact, malgré son Å“sophage en feu et son esprit congestionné de souffrance.
Lord FireFly.
« On va dire que j’arrive à temps, hein ? dit-il. Si je ne t’avais pas retrouvé dans ce dédale de caverne, ce gros machin se serait fait un plaisir de te bouffer. »
Youfie trouva la force de se dégager de son étreinte, et se releva pour se mettre face à lui, chancelante mais déterminée. Elle essuya ses lèvres du revers de sa manche.
« Qu’est-ce que tu es sexy, même quand tu gerbes, lâcha Lord FireFly.
-Très romantique. Qu’est-ce que tu fais là ? »
Sa voix était chargée de menace, mais elle ne tremblait pas. Youfie se demanda même comment elle arrivait à parler alors que tout son corps protestait contre la puanteur et la fatigue. Un goût horrible persistait dans sa bouche, et elle cracha.
« Ce que je fais là ? répéta Lord FireFly. Mais ça ne se voit pas, peut-être ? Je te sauve la vie, petite idiote ! Au lieu de rester bien sagement chez le peuple d’hommes, là -haut, il a fallu que tu te barres. Je n’ose penser à Sa réaction si je Lui avais raconté que je t’avais perdu.
-Je dois retrouver Squall et les autres, répondit-elle fermement.
-Oh, mais ne t’inquiète pas pour ça. Justement, j’allais t’y emmener. »
Lord FireFly leva une main, et Youfie eut le malheur de la suivre des yeux. Sa concentration flancha rien qu’une seconde, ce qui permit à Lord FireFly de foncer sur elle et de lui enfoncer son poing dans le ventre.
« Désolé, chérie, mais après ce qu’il s’est passé chez DragonNoir, je ne prends plus de risques. Bonne nuit, amour ! »
3 Dans un enfer.
Le démon jaugea son adversaire, puis pouffa. Dans l’arène, le public de démons criait, hurlait, vociférait, leva des bras, des jambes, des queues, des cornes et d’autres appendices en direction du combat qui se déroulait – ou pour le moment qui ne se déroulait pas – en contrebas. Les occasions de se distraire dans cet enfer n’étaient pas légions.
Assit sur un trône surplombant les tribunes et le spectacle, un démon majeur scrutait avec impatience les deux gladiateurs qui s’opposaient à ses pieds. Il avait sonné le début de l’affrontement de longues minutes auparavant, mais aucun des deux ne semblait vouloir lancer la première attaque. Bientôt, songea le démon majeur, le public ne sera plus en train de crier d’excitation, mais de colère. Il se frotta une de ses cornes velues.
Sur le sable chaud – mais ici, tout était chaud – au milieu de l’arène, l’immense démon continuait de scruter son adversaire. Son nom était Malckiar, et il restait depuis des années, des siècles même, invaincu. Le seul problème se trouvait en face de lui, car son ennemie restait elle aussi invaincue depuis son arrivée dans les limbes quelques semaines auparavant.
Le démon fouetta l’air de ses deux queues, sous une nouvelle série d’ovation d’un public déchaîné.
« Tu ne préfères pas abandonner tout de suite ? dit-il. Tu risques de ne pas t’en tirer indemne, tu sais. »
Le jeune femme en face de lui, une humaine, modifia ses traits et lui accorda un sourire. Malckiar recula, à la fois subjugué par ce sourire et effrayé par l’assurance qui émanait de cette humaine dressée face à lui. Elle ajusta une mèche de ses longs cheveux et, toujours en souriant, déploya ses ailes.
« Sourire numéro quarante-trois : Ne-me-sous-estime-pas. »
Hilde s’élança d’un coup d’aile et fondit entre les jambes de son ennemi. Acclamations du public. Elle attrapa une des queues de Malckiar et se redressa rapidement. El quelques instants, elle virevolta autours de la tête du démon, l’immobilisant avec son propre appendice, puis lâcha le tout avant de se reposer gracieusement devant lui. Malckiar ne pouvait plus bouger, ligoté par sa queue.
Elle se tint face à lui, puis se détourna. Le démon tomba au sol, vaincu. La foule poussa un hurlement collectif de satisfaction, faisant trembler les fondations de l’arène. Une partie des gradins s’effondrèrent, et les applaudissements redoublèrent. Hilde leva les yeux sur le démon majeur, qui applaudissait plus pudiquement que les autres. Elle hésita.
Était-ce le moment ?
« Pour ce que j’ai à perdre… » dit-elle d’une voix rauque. Elle déploya à nouveau ses ailes et s’envola vers le démon. En deux brassées d’air, elle fut à son niveau, et il la dévisagea avec tout l’intérêt d’un enfant face à un merveilleux jouet. Hilde le détailla : il était de taille humaine, deux cornes sur le haut du crâne, une longue queue, un teint rougeâtre comme la plupart des démons qu’elle avait vu/rencontré/combattu depuis son arrivée. Mais son statut devait être plus élevé que les autres, vu sa place haut perchée.
« Vous avez bien combattu, à nouveau, dit-il avec un accent d’admiration dans la voix. Vous m’impressionnez de bataille en bataille.
-On ne peut pas dire que ça soit réciproque, répliqua-t-elle, cassante.
-Qu’il est regrettable que vous meniez votre dernier combat sous peu. »
Hilde resta interdite. Elle aurait voulu articuler un Comment ça mon dernier combat ? mais elle ne put que continuer à fixer le démon majeur d’un regard interrogateur. Celui-ci parut presque gêné en lui répondant :
« J’ai reçu des ordres. Des ordre d’en haut. Oh, pas de tout en haut non plus, mais de mon… » Il hésita sur le terme à employer. Hilde trouva soudainement cette conversation surréaliste. « …de mon supérieur, conclu-t-il. C’est le problème, avec l’autorité : dès qu’on commence à s’amuser, ou à trouver un occupation intéressante, elle vous l’occulte. »
Le démon se mit à rire, dévoilant deux rangées d’incisives jaunies.
« Occulte, ha ! gloussa-t-il. En tout cas, vous me manquerez. »
Il claqua des doigts, et un immense filet s’étendit au-dessus de Hilde, qui n’eut pas le temps de s’échapper. Elle tomba lourdement sur le sol, incapable de s’enfuir. Trois démons horriblement laids achevèrent de refermer la nasse et se tinrent prêt. Mais ce n’est pas un autre démon qui apparu pour emmener Hilde.
« Radamenthe ! s’écria-t-elle. Comment tu as fait pour venir me sauver ?
-J’ai des amis… » dit-il simplement. Puis il jeta un regard complice au grand démon qui se grattait distraitement une corne velue, et ajouta : « …des amis haut placés. »
Hilde comprit alors de nombreuses choses, lors de ce regard, et se jura qu’elle se vengerait elle-même de tout ce qu’avait fait Radamenthe. Alors qu’elle se retrouvait portée par les trois horribles démons, à suivre le Trauménien renégat, elle afficha le sourire « Tu-me-le-payeras », mais personne ne le vit.
4 Dans un groupe.
Paolo Carne bouscula les personnes qui se trouvaient devant lui et qui se pressaient inexorablement vers la lumière. Mais personne ne haussait jamais le ton, lorsqu’il écrasait les orteils et poussait les corps. La fille était immense. Paolo se retourna vers son petit groupe d’explorateurs, comme ils s’étaient baptisés, et leur fit signe d’avancer.
Dan Sofres émergea le premier de la fille, suivit de Séphira Strife. Ce fut ensuite le tour de Hideo Nataka, le chauffeur de bus asiatique, le représentant/philosophe Clyde Barrow, la jeune suédoise muette surnommée Isabelle accompagnée de sa nouvelle nourrice qui répondait au doux nom de Yvonne Soignies. Les six autres rejoignirent l’ancien acteur italien, qui bougonnait, comme à son habitude.
« Il y a des vigiles.
-Comment ça, des vigiles ? s’étonna Sofres.
-Des mecs qui trient ceux qui rentrent et ceux qui ne rentrent pas dans les boîtes de nuit. » expliqua Yvonne. Dan lui lança un regard moqueur.
« Je sais encore ce qu’est un vigile. Ce qui m’étonne c’est : Qu’est-ce qu’ils font là . »
Personne n’avait d’explication plausible.
La lumière orangée provenait d’une porte qui semblait ouverte sur du vide. Au-delà de cette entrée, le désert du décor qui s’étendait autour d’eux se prolongeait, indéfiniment. Pourtant, en regardant par cet accès, on devinait un autre horizon.
Un autre monde, se dit Séphira Strife. Un autre au-delà .
« Vous avez dit quelque chose ? demanda Barrow, le vieux représentant, en s’approchant d’elle.
-Non. » Ils avancèrent dans la foule, se frayant un passage parmi les centaines de personnes qui continuaient d’affluer de toute part. Néanmoins, et Sofres l’avait remarqué, ils ne semblaient pas de plus en plus nombreux : personne n’avait débarqué de nulle part depuis l’arrivée de Séphira Strife.
« Je crois que j’ai compris, dit-elle. Vous tous avez été tué par la folle avec son arc, dans le Wyrd, voilà ce qu’il s’est passé. Elle a tiré au hasard, et le hasard, c’était vous tous. »
Les six autres la regardèrent, interloqués. Ils ne semblaient pas convaincus, mais l’explication – pour ceux qui connaissaient un peu la mythologie nordique – en valait une autre. Hideo Nataka s’avança.
« Serions-nous en enfer, alors ?
-Une sorte de purgatoire, corrigea Dan Sofres.
-Drôle de Saint Pierre alors. » marmonna Carne en regardant les deux immenses sentinelles qui gardaient la porte. Il se demanda même à quoi ils servaient exactement, car tous ceux qui se présentaient à eux passaient la porte, sans distinctions. Il s’apprêtait à poser la question lorsque Séphira Strife passa à coté de lui, d’un pas assuré.
« Qu’est-ce vous faites ? demanda dan en lui courant après.
-Je ne compte pas rester ainsi les bras ballant. Si vous ne vous décidez pas à y aller, je le fais à votre place. »
Le groupe chemina donc vers les deux gardes, qui se trouvaient être en fin de compte deux immense statues de bronze. Néanmoins, les regards que jetaient ces deux statues semblaient plus vivants que leurs corps rigides. Isabelle fourra sa tête dans la jupe d’Yvonne et celle-ci la prit dans ses bras pour la rassurer.
Lorsqu’ils atteignirent, en doublant la majorité des autres personnes qui faisaient la queue, la source de la lumière orangée, ils découvrirent avec stupéfaction une seconde porte, close celle-ci, près de l’autre. Le groupe se présenta devant les deux statues, et celles-ci se mirent à bouger.
Et à parler.
« VOUS VOILÀ ENFIN. » grondèrent-ils en même temps. Leurs deux voix mêlées se propagèrent aux alentours et la foule recula indiciblement. Les deux géants de bronze regardaient Séphira Strife avec intérêt.
« VOUS IREZ DE CE Cà”TÉ. VOUS ÊTES ATTENDUE. »
Ils montrèrent avec une synchronisation parfaite l’autre porte, fermée, qui elle aussi semblait s’ouvrir sur du vide. Séphira Strife prit la main de Dan Sofres et celle de Clyde Barrow, et déclara qu’elle n’irait nulle part sans ses compagnons de route.
« CE N’ÉTAIT PAS UNE QUESTION MAIS UN ORDRE, JEUNE HUMAINE. ET VOUS N’AVEZ PAS LE CHOIX.
-Laissez tomber, lui dit Dan à l’oreille. Après tout, nous ne savons pas laquelle de ces deux portes est la pire à passer.
-Et qui te dit que j’ai envie de venir avec toi ? râla Paolo Carne.
-J’ai un mauvais pressentiment, voilà tout. »
Et plus elle regardait par l’orifice orangé et le monde sur lequel il s’ouvrit, plus ce pressentiment lui tiraillait le ventre. Elle n’imaginait que souffrances et châtiments au-delà de ce passage, alors que, si son raisonnement se tenait, les deux statues ne l’avaient pas attendue elle pour la réduire en charpie une fois la porte passée. Elle serra les mains de ses compagnons, avec une pensée pour Halvorc et Soulblighter.
Et, bien sûr, pour DragonNoir.
Les deux statues firent un geste vague vers la seconde porte, et celle-ci s’ouvrit lentement. Une lumière bien plus douce et bien plus engageante que la lueur orangée déferla sur les visages ébahis des sept aventuriers. Une lumière bleutée, émanant de l’autre monde derrière cette porte, émanant d’un bâtiment immense qui se dressait.
Séphira Strife se baissa, émerveillée, puis ne put réfréner un frisson d’horreur en découvrant la nature exacte de la tour, qu’elle reconnu immédiatement.
« Impossible… » dit-elle dans un souffle, avant d’entendre quelque chose s’abattre derrière elle. La main d’un des colosses la séparait de ses nouveaux amis. Elle avait lâché leurs mains, fascinée par la lumière bleutée. C’était une erreur. Elle tenta de faire le tour de l’immense main, mais le géant de bronze l’en empêcha.
Elle entendit la voix de Sofres.
« Nous nous retrouverons ! Ne vous en faite pas ! »
Puis celle, horrifiée, d’Yvonne Soignies.
« Isabelle !! »
Un autre bruit de main qui s’abat succéda à ce cri, et Séphira se mordit la lèvre. Elle ne pouvait rien voir, à cause de cette main qui lui interdisait tout mouvement. De nouveaux cris lui parvinrent, ceux de Carne, et de Nataka. Et d’autres claquements de mains sur le sol, des chocs sourds. Encore des cris.
Le cÅ“ur de Séphira battait à sent à l’heure. Elle ne savait plus quoi faire. Elle hésitait entre sauver ses amis, ou aller à la rencontre de son destin dans la jungle bleutée derrière la porte. Un mouvement à sa droite lui fit tourner la tête.
« Partez avec elle, nous nous débrouillerons ! »
Isabelle sauta dans ses bras et Séphira Strife leva les yeux sur le géant de bronze qui la regardait à nouveau. Elle décela des étincelles de meurtres dans ces yeux métalliques, et partit en courant par la porte, la petite fille dans les bras.
5 Dans la bretagne.
La voiture se gara dans une petite rue en côte, et Serge Thourn en descendit. Il s’ébroua. C’est plus de mon âge de faire tant de route d’un coup, sans s’arrêter. Il attrapa une bouteille d’eau et en but deux longues rasades en regardant la boutique. Il s’assit à la place conducteur, les jambes en dehors du véhicule, et ressortit la carte qu’il avait dérobée au cimetière.
« À ma très chère Séphy-Roshou, nous te retrouverons. » lit-il à voix haute. L’adresse au dos de la carte correspondait bien à ce fleuriste qu’il avait devant les yeux. Il rangea le bout de papier et resta un instant à examiner les lieux.
Rien de bien particulier, une boutique semblable à toutes les boutiques de fleurs qu’il avait visité durant sa vie : Des fleurs, des fleurs et encore des fleurs. La caissière était jolie. Serge se demanda si c’était elle qui avait envoyé ces fleurs sur cette tombe, où si elle était venue elle-même les déposer. Il secoua la tête.
« C’est tout de même débile d’avoir acheté des fleurs à quatre cents bornes de l’endroit où on veut les déposer. Si je devais me ramener avec un bouquet, je les aurais acheté sur place, coupon fidélité ou non. »
Il s’apprêtait à entrer dans le magasin quand son téléphone portable sonna. Grommelant, il décrocha avec un Allô brutal.
« Commissaire ? dit la voix de Sylvain Detroit. Commissaire, c’est vous ?
-Non, c’est le Père Noël ! rétorqua Thourn avec irritation. Évidemment que c’est moi, tu m’appelles sur mon portable, triple idiot !
-Désolé. J’ai des mauvaises nouvelles, commissaire. »
Pour changer, songea Serge.
« Qu’est-ce qui se passe ? Le commissariat est en feu ? Ta copine t’a plaqué ? Tu t’es découvert des tendances zoophiles ? » Puis, devant le silence incrédule de son assistant, ce qui l’agaçait encore plus que ses paroles, il ajouta : « Alors, qu’est-ce qu’il y a ?!
-Les corps des adolescents ne sont plus à la morgue.
-Comment ça, ils ne sont plus là ?
-Et bien, ils ont disparus, euh…
-Detroit, ils ne sont tout de même pas sortit, se sont tous recousu mutuellement pour aller se faire un ciné, hein ?
-Non, bien sûr ! répondit Sylvain Detroit. On pense que ça serait un kidnapping.
-Pardon ? »
La patience du commissaire commençait à s’émousser. Il inspira longuement, puis reprit d’une voix calme.
« Est-ce que tu peux me répéter lentement ce que tu viens de me dire ?
-Il s’agirait d’un kidnapping. Les corps ont été dérobés à la morgue, et un des assistants engagés récemment reste introuvable. Ça doit être un des complices des ravisseurs.
-Bon, mets-moi ça de coté, je verrais ce que je peux en faire, je suis sur autre chose, là .
-Commissaire ? »
Serge Thourn ferma les yeux et retira son doigt du bouton pour raccrocher.
« Oui ? dit-il en serrant les dents.
-Est-ce que vous reviendrez bientôt au commissariat ? J’ai peur de devoir rendre des comptes à votre supérieur, si jamais votre absence devait se prolonger. »
Serge raccrocha. Puis il éteignit son portable et le fourra dans sa poche, avant d’ouvrir la porte de la fleuriste et faire tinter la sonnette d’entrée.
6 Dans la jungle, terrible jungle.
Les écrans de contrôle diffusaient diverses images devant Lui. Cet étage avait été aménagé après l’éviction du Patron, et il Lui servait dorénavant telle une immense salle regorgeant de panoramas sur le monde. Sur les mondes, même.
L’un des écrans montrait un monde noyé sous une peste mondiale, décimé de la majeure partie des humains.
Un autre avait une vue sur les cavernes remplies de Ver géants, où Il venait d’apercevoir Lord FireFly sauver Youfie d’une seconde mort atroce.
Un des moniteurs était centré sur un village perdu, embrumé, peuplé de créatures aussi incongrues qu’effrayantes, dans lequel s’échouaient de temps à autre des voyageurs égarés au passé complexe.
Le dernier, parmi les dizaines d’autres allumés, était placé en plein cÅ“ur d’une jungle profonde. C’était celui-ci qu’Il regardait avec autant d’attention. Il actionna une manette et la caméra, à des lieux de là , bougea. L’angle de vue changea, se tourna et le champ de vision s’élargit, délaissant les profondeurs de la jungle pour les cimes des arbres.
Et une tour.
Une immense tour qui baignait dans une lumière bleutée.
Il la contempla longuement, béatement, presque subjugué par ce monument qu’Il avait reconstruit dans cet endroit, dans cette jungle. Mistrophera se mit à fredonner.
« Dans la jungle, terrible jungle, Traumen est mort ce soir… »
Et Il Se laissa choir dans son fauteuil et Se mit à rire.
À n’en plus pouvoir.
7 Dans la mort.
Une goutte de sueur atterrit sur le tapis, près d’une myriade de ses congénères. Mais les autres étaient faites de sang. Gorgon_Roo, le teint pâle, les yeux cernés, haletait bruyamment pendant que DarKenshin lui faisait un garrot improvisé en haut de la cuisse.
« Ça fait un mal de chien ! grogna-t-il les dents serrées.
-Désolé. » répondit la jeune femme en tirant de toutes ses forces sur le morceau d’étoffe, régulant un minimum l’afflux sanguin dans la jambe du malheureux. Arkh et Q-Po étaient revenu bredouilles de leur poursuite avec Mistrophera, et étaient au chevet d’Hitomi avec DragonNoir. La jeune femme avait demandé expressément à leur parler, à eux trois.
« Comment tout ça a-t-il pu se passer si vite ? » dit TheMaker, la main bandée. Les brûlures infligées par Radamenthe n’étaient que superficielles, et il s’en tirait avec quelques jours de bandages gras, tout au plus. Il se pencha sur la blessure à la jambe de Gorgon_Roo.
« Il faut l’emmener à l’hôpital.
-On n’a pas le choix, répondit DarKenshin.
-On n’a plus le choix. » rectifia TheMaker. Il revit en images Mistrophera qui arrivait, la débandade, les blessures, Hitomi à terre, les pleurs. La douleur. Ses yeux se posèrent sur le tapis maculé de sang, le sang d’une jeune fille qu’il avait cru connaître, jusqu’à tout à l’heure. Puis il regarda vers la chambre de DragonNoir où se tenait un conciliabule extraordinaire.
« On a plus le choix. »
Dans la pénombre de la chambre, personne n’osait parler. Un sifflement maladif provenait du lit autour duquel trois silhouettes se tenaient agenouillés, comme en train de prier. De temps à autre, un horrible borborygme sortait de la poitrine de la jeune femme alitée, puis elle se mettait à tousser. À cracher de petits caillots de sang.
Ensuite, la respiration poussive, sifflante, reprenait cours.
« On devrait l’emmener à l’hôpital, dit Q-Po. Elle a peut-être encore une chance de…
-Avec ce trou au milieu de la poitrine ? » rétorqua DragonNoir, plus sèchement qu’il ne l’aurait voulu en relevant le draps baigné de sang. Le petit corps d’Hitomi se levait au rythme de sa respiration, de plus en plus faible. Une odeur de mort régnait dans la pièce.
Le silence reprit sa place.
« J’aurais dû le voir venir, j’aurais dû le sentir… Tout ça n’aurait pas dû arriver.
-Ça n’est… pas ta faute, DragonNoir… » Hitomi se mit à tousser, une toux qu’ils entendaient jaillir de sa bouche et du trou béant qui déchirait son torse. La toux se calma, et Arkh essuya religieusement un mince filet de sang qui coulait de sa narine.
« Ne parle pas, Hitomi, nous allons t’emmener à l’hôpital et ils vont te soigner. Tu vas t’en sortir. » Mais même ses paroles semblaient plus faite pour le convaincre lui-même que pour la rassurer, et Q-Po n’ajouta plus rien.
« Impossible, articula-t-elle faiblement. C’est… C’est trop tard…
-Il n’est jamais trop ta… »
Chut !
Les trois Trauméniens, au pied du lit, ouvrirent des yeux grands comme des soucoupes. Avaient-ils entendus ce qu’ils avaient entendus ? La voix d’Hitomi résonna à nouveau dans leurs esprits, faible mais plus vivace que celle entrecoupée de toux.
La mort n’est pas une fin en soi. Et vous, vous êtes en vie, et vous avec maintenant une charge de plus sur vos épaules…
« Hitomi, nous ne… »
Tais-toi, DragonNoir. Laisse-moi parler, je n’en ai plus pour longtemps, même avec mes compétences hors normes. Et il reste tant à vous dire.
Et Hitomi se mit à leur raconter l’histoire d’un adolescent mal dans sa peau, un adolescent victime de mauvaises blagues, d’énormément de mauvaises blagues. Un adolescent qui avait trouvé un moyen de se venger des autres, d’une manière peu commune. Un adolescent qu’elle avait côtoyée, à qui elle avait parlé, avec qui elle avait ri et pleuré. Un adolescent qui s’était fait prendre à un jeu dont les envergures le dépassaient.
Elle leur expliqua ses relations avec Lui, la trahison de Sa confiance, un soir, dans un parc, et les conséquences qui en avaient découlés. Encore maintenant, dit-elle en pensées. Ce qui s’est passé aujourd’hui n’est peut-être qu’un ultime reflet de mon inconscience de l’époque, et ce trou dans mon abdomen n’est qu’une justice à ses yeux.
« Qu’est-ce que tu attends de nous ? » lâcha finalement Arkh.
Les respirations d’Hitomi étaient de plus en plus espacées, et du sang s’écoulait maintenant continuellement de son nez et de la commissure de ses lèvres. Malgré cela, la voix astrale d’Hitomi se fit plus forte que jamais, dans leurs esprits.
Vous avez ce qu’Il recherche, à savoir des capacités latentes. Les vôtres sont encore dissimulés par ce que vous croyez être la vérité, et il y a maint et maint moyens pour vous d’acquérir ces pouvoirs. Il vous faut…
Une quinte de toux l’interrompit, et DragonNoir cru un instant qu’elle ne s’arrêterait jamais. Au bout de longues minutes insoutenables, où la souffrance d’Hitomi ne faisait qu’empirer, son corps imbibé de sang coagulé cessa ses soubresauts et devint immobile. Plus de respiration. Arkh, Q-Po et DragonNoir restèrent, interdits, à contempler la mort, mais Hitomi n’avait pas interrompu son combat contre sa plus farouche ennemie.
« Il vous faut développer vos aptitudes à dominer ces facultés, dit-elle d’une voix étonnamment claire. Ainsi, vous aurez une chance… »
La respiration saccadée d’Hitomi reprit à nouveau son mouvement chaotique et les jeunes hommes attendirent patiemment son dernier souffle. Hitomi entrouvrit un Å“il, et leur parla dans leurs esprits.
Maintenant, j’aimerai partir avec quelqu’un…
DragonNoir sortit le premier, suivit de Q-Po et de Arkh, qui fermait la marche. Leurs visages étaient sombres, et ils ne décrochèrent pas un mot, sous les regards des autres. Seul Arkh, s’approcha de TheMaker pour lui glisser un mot à l’oreille. Ce dernier, s’étreignant toujours la main douloureuse, sentit ses yeux s’emplirent de larmes, et il se dirigea d’un pas digne vers la chambre de son amie.
Les derniers mots qu’ils entendirent d’Hitomi furent : « …Désolée… »
Et la porte se referma.
FIN DE L’ÉPISODE 6 : MAL…
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...moi je passe à côté...
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