Eltanin

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MessagePublié: 31 Juil 2005, 19:57 
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Extincteur des ténèbres
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Inscription : 14 Juil 2004, 15:32
Message(s) : 651
Localisation : Dans le coté obscur de la force.
En gros, tu as raison sur un point et tort sur un autre.
En gros.

_________________
La vie est faite d'obstacles à  surmonter pour progresser...
...moi je passe à  côté...


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MessagePublié: 31 Juil 2005, 20:54 
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Banni
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Inscription : 13 Jan 2005, 03:58
Message(s) : 407
Localisation : Orléans
En gros: Ce sont bien des Trauméniens, et il nous explique bien d'où ils viennent.

_________________
~.


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MessagePublié: 01 Août 2005, 20:24 
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S.A.V de Lamenoire
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Inscription : 03 Mai 2004, 01:42
Message(s) : 945
Localisation : Montauban,France
Dans ce cas, je vais faire un régime en attendant le prochain chapitre.

_________________
Une lame qui glisse silencieusement hors du fourreau, une gorge ouverte sans un cri, un corps qui glisse sans bruit au sol.

Voila une agréable soirée en perspective...


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MessagePublié: 14 Août 2005, 22:22 
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Extincteur des ténèbres
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Inscription : 14 Juil 2004, 15:32
Message(s) : 651
Localisation : Dans le coté obscur de la force.
Comme prévu, bien qu'un peu en retard, voic les nouveaux chapitres de Traumenschar. Pour explication, je n'ai pas eu le temps de faire les deux chapitres comme convenu, mais j'ai entièrment retapé le premier chapitre que ne me convenait pas, avec le recul. Voici donc, pour cette semaine, le chapitre 1 de l'épisode 6 version deux, et le chapitre deux. La semaine prochaine, pour combler mon retard, je produirai deux autres chapitre, le trois et le quatre, et nous serons revenu à  la normale.
Bonne lecture!


ÉPISODE 6 : MAL?
1. ?dans sa peau.
1 Lui.
Encore eux.
Ils recommencent, comme en primaire. Ils ne me lâcheront pas. J?en reviens pas. Une telle hargne, une telle envie de faire le mal? Comment peut-on en arriver là  ? Comment peut-on ennuyer les mêmes personnes, années après années, et sans lassitude ?
Je ne les comprendrais jamais.
« Comment ça va, le gros ?
-Ça roule ? »
Et ça les fait rire. Ils se marrent comme des ânes, ils braient. Oui, c?est ça : braire. Des vrais animaux enragés, des vraies bêtes qui ne cherchent qu?à  s?amuser sans se soucier des conséquences. Ils se foutent de ce que je ressens, ils songent juste à  leur égoïste bonheur éphémère. Je les hais.
Comment leur expliquer, de toute façon ? Comment leur expliquer en détails la vie d?un écolier un peu trop gros, un peu trop rond, un peu trop large. Trop. C?était le mot : Trop. Trop de ceci, trop de cela. Trop de bide, trop de gras. Trop. Des années de trop, qu?on supporte sans mot dire. Des années de bousculades innocentes, de regards méprisants, d?insultes plus ou moins bon goût.
Mais ce n?est pas grave. J?ai presque onze ans, et c?est ainsi depuis toujours. J?ai appris seul à  m?en sortir, à  baisser les yeux et à  m?éclipser, comme un bon garçon persécuté. Ils étaient là  en primaire pour me lancer leurs railleries, et ils sont encore là  cette année, alors que j?entre au collège. Il ne me reste qu?à  ramper encore, et éviter les coups.
Ensuite, je?
« Ah ! »
Je m?étale sur le trottoir. Je n?ai pas vu son pied venu entraver les miens. Je n?ai rien vu venir. Et me voilà  par terre. Et ils rient encore. Je sens le mollard chaud et gluant qui me coule sur les cheveux. Pourquoi n?ai-je pas un mètre de plus ? Pourquoi ma graisse n?est-elle pas muscle ? Pourquoi ne puis-je pas me défendre ?
Pourquoi suis-je si misérable ?
Ils partent. Mais je préfère rester encore quelques secondes à  terre. Je sais que les gens me regardent, je sais que les passants examinent mon dos d?enfant à  terre. Et je sais également que personne ne me viendra en aide. Je sais tout ça, parce que je l?ai déjà  vécu. Des années.
Des années en trop.
Bon. Il est temps. Le temps de se lever, et d?essuyer ce glaire de mes cheveux. Il suffira de frotter avec un de mes bon gros mouchoirs en tissus, qui contribue à  une réputation de raté comme rien d?autre. Ça et mon superbe anorak flambant neuf ! Quelle joie. Quel panache. Oh, et en plus, j?ai déchiré ma manche en tombant. Bof. Ma mère m?en rachètera un, et puis c?est tout. Enfin? Si je trouve le temps de lui dire.
Reprenons notre route. Direction : le collège. Ce n?est pas le premier jour que je dois arriver en retard. Ni le dernier. Ni jamais. Et ce n?est pas parce que j?ai mal à  la tête à  force de frotter, ni à  mon genou qui dit être écorché, que je dois arriver en retard à  l?école. En cours, même. Ce n?est plus l?école, ce sont les cours.
Même si, en arrivant maintenant devant les grilles de mon nouvel établissement scolaire, en jetant un ?il à  la fois émerveillé et anxieux à  la faune que je vais côtoyer durant des années, je note une bien triste remarque : Les fortes têtes sont toujours là , les élèves neutres qui peuvent se fondre dans la populace locale sans autres désagréments?
?et mon espèce. Les faibles. Les soumis.
Et j?entre, comme chaque année, en baissant les yeux.

2 Eux.
On dit souvent que faire du vélo, ça ne s?oublie jamais. Eh bien, les cours, c?est la même chose : On retrouve toujours, après les deux mois de vacances, comment s?y prendre. Que ce soit en Français, en Mathématiques, en Biologie, en Histoire, en Géographie, en Anglais, en Espagnol ou en Allemand pour ceux qui l?on prit, en Sport et parmi les diverses options comme la Musique ou l?Art Plastique, la méthode est toujours la même.
Les seules choses qui changent sont les façons de les nommer : les maîtresses deviennent des professeurs, les récréations deviennent des intercours, les leçons deviennent des cours, le cahier vert devient le carnet de correspondance, l?école s?appelle collège, etc. Mais à  part cette remise à  jour du vocabulaire scolaire, le fond reste le même : les enseignants, quels que soient leurs noms, dispensent des leçons et râlent si on n?a rien retenu, les intercours sont pleins de bruits et de chahut, les cours sont ennuyeux, etc.
J?ai la chance d?être doué dans toutes les matières, ce qui ravit les professeurs. J?aime apprendre, j?aime comprendre, analyser, disséquer. C?est ainsi. Je suis un affamé de connaissances. J?ai appris à  lire avant de terminer ma maternelle. Je savais tout sur les opérations mathématiques de base à  la fin du CP. Ce que je préférais : Avoir un train d?avance sur les autres, même tout petit.
Mais j?ai toujours refusé de sauter les classes, même si j?en avais le potentiel. Je mettais un point d?honneur à  rester un élève bon, mais pas trop. Tiens, encore ce mot : trop. Dès qu?il était question de m?envoyer à  la classe supérieure en cours d?année, je faisais sensiblement baisser mes notes, jusqu?à  ce que l?idée leur passe. Je sais que mes parents auraient adoré avoir un fils surdoué, ou quelque chose comme ça.
Et c?est aussi une raison pour moi de rester simplement bon.
Pas trop.
Et ici, dans mon nouveau collège que j?ai intégré depuis bientôt trois semaines, tout est effectivement identique. Je suis bon en tout, je surpasse les autres, j?ai chez moi la plupart des livres de cours de la cinquième et de la quatrième, et j?étudie à  en crever. Pour être meilleur qu?eux, que les autres, et ainsi faire ma petite vengeance à  moi. Une revanche discrète, mais personnelle, sur les autres et le monde.
Les autres, ce sont les fortes têtes, mais aussi les bons élèves qui veulent à  tout prix me dénigrer, les passants qui me regardent comme une bête de foire, les commerçants qui sourient à  mon approche, les chiens qui aboient sur mon passage. Ce sont les autres. Ce sont eux.
Eux.
Jacques Lainé est l?un d?Eux. C?est lui le chefaillon de cette bande qui me cherche en permanence des crosses. Je suis sa tête de turc préférée, parmi les faibles qui déambulent au collège. Je ne lui ai pourtant rien fait, mais il semble en avoir après moi. C?est sa seconde année de sixième. Il a rapidement prit la place vacante du chef de la bande, et ainsi reprit le flambeau de son prédécesseur qui s?était rangé dès les premiers jours de la rentrée parmi les neutres, certainement à  cause de sévères remontrances parentales.
Lainé est grand, et son année supplémentaire lui confère une aura de sagesse qu?il n?a pourtant pas. Lorsqu?il a intégré la bande, il s?est rapidement monté au niveau de leader incontesté, assurant aux autres une autorité qu?ils désiraient. Les autres membres, justement, n?avaient pas changés depuis la primaire.
Sébastien Munoz a le même âge que moi, et pourtant il est loin d?avoir le même niveau. Il avait été par obligation la tête pensante du groupe, et Lainé lui avait succédé sans difficulté. Munoz avait cédé sa place au profit de second. Sa peau mate et son visage doux et avenant lui assuraient un rôle prépondérant dans la bande : Celui d?arranger les éventuelles implications d?adultes dans les conflits. Munoz avait un visage d?ange, et il en abusait sans honte. Personnellement, je n?avais jamais aimé son sourire de faux jeton.
Il est l?un d?Eux.
Tout comme celui qu?on surnomme Tony. Je ne sais toujours pas son véritable prénom, ni son nom de famille, seulement le surnom dans sa bande, pour l?avoir mainte fois entendu durant mes lynchages. Tony est la force de frappe de la bande. Il suffit que Lainé claque des doigts et que Tony apparaisse pour que le plus récalcitrant des bizuts se laisse faire, pour que le plus têtu des rackettés se laisser piquer son argent. Tout le monde s?écrasait devant lui. Il avait lui aussi un an de plus, mais son redoublement s?était effectué quelques années plus tôt.
Le dernier de la bande, c?est ce que les gens appelaient, dans les campagnes au début du siècle, l?idiot du village. Mais Benoît Blanchot était également l?un d?Eux, et même s?il n?effectuait que les basses besognes, il n?en restait pas moins un parfait abruti à  mes yeux. Physiquement, il n?a que la peau sur les os, et peu d?autres choses pour combler les cavités béantes de son cerveau inexistant. Ses longs cheveux blonds filasse n?arrangeant rien, j?espère simplement qu?il se rendra un jour compte de son erreur.
Le reste des élèves n?est finalement pas très intéressant. Je ne distingue pas untel d?untel, et les visages se succèdent sans que je ne retienne rien. Je ne m?intéresse pas à  eux, point. Ils ne sont pas Eux, mais simplement eux. Pour moi, ils sont une masse compacte et inintéressante, qui s?active et grouille comme un remous fangeux. Ils font partie du décor, comme le tic tac d?une horloge, comme le ballet incessant des oiseaux dans le ciel.
Je m?en contrefous.
Seul deux personnes ont réussit à  retenir mon attention. Ils sortent du lot des communs, pour s?élever au rang de personnes, à  mes yeux. La première est un élève de quatrième, Guillaume Dastein. Un solitaire, comme je les aime. Mais celui-ci est plus que ça, encore. Il dégage quelque chose de particulier. Je n?ai encore pas cherché à  l?approcher, mais c?est plus par respect que par timidité. Lorsque je le vois ou que je le croise, dans la cour de récréa? pendant l?intercours, il est toujours habillé de la même façon, dans les tons sombres, et arbore un visage si froid qu?il en est fascinant. Il semble se fondre dans la foule, et personne ne le remarque. Mais moi, je l?ai remarqué.
La seconde personne, c?est une fille de ma classe.
Elle s?appelle?

3 Julie.
Je l?ai vue dès la rentrée, cette petite blonde aux yeux bleus clairs. Bien que je m?estime trop jeune pour souffrir des affres de l?Amour avec un grand A, ce joli brin de fille m?attire de plus en plus. Plus les mois passent, plus je ressens quelque chose envers elle. Quelque chose d?indéfinissable, mais quelque chose tout de même. Quelque chose de fort, même.
Ce n?est que récemment qu?elle m?a adressé la parole pour la première fois, alors que les vacances de Noël venaient de toucher à  leur fin, et que nous étions les deux premiers en classe après ces deux semaines de sapins, de neige éparse et de cadeaux. Je ne me souviens même plus de ce que j?ai reçu, mais c?est logique tant mes cadeaux sont impersonnels et choisit avec soin par un sous fifre de mes parents.
Mais bref, là  n?est pas la question.
Elle était donc arrivée vers moi avec un grand sourire, et s?était arrêtée à  un mètre de moi à  peine. J?étais en nage malgré le froid extérieur, mais les gros ont toujours chaud. Ils transpirent toujours. Je me souviens même avoir pensé qu?elle allait être dégoûtée par mon aspect suintant et essoufflé, mais elle avait levé une main et avait dit :
« Hello ! Les vacances se sont bien passées ? »
J?étais resté sans voix, puis j?avais tant bien que mal réussi à  bafouiller une réponse potable. Depuis, la situation a bien changé : Nous nous parlons souvent, la plupart du temps pour que je l?aide à  résoudre un exercice ou à  comprendre un cours, mais cela me suffit. Tous les soirs, je rentre chez moi et j?écris dans mon journal intime ce que j?ai fait avec elle, ce que j?ai dit, tout. Pour plus tard.
Je m?imagine déjà , si nous venons à  sortir ensemble, lui montrant mes centaines de pages écrites à  la main. Elle saura à  quel point je pense à  elle depuis longtemps. J?ai commencé à  écrire depuis cette rencontre à  Noël, et je me rappelle parfaitement des premières lignes : « Hello ! Les vacances se sont bien passées ?
-Je, euh, oui, très bien? Et? Et toi ?
-Moi aussi, sauf que j?ai eu quelques problèmes en histoire. Tu peux m?aider pour cet exercice ? Je n?arrive pas à  répondre à  cette question? »

4 Retour Chaotique.
Je n?en reviens pas !
Ils m?ont carrément foutu la honte en public, devant tout le monde, aujourd?hui ! Les salauds ! Merde ! Merde de merde ! mais qu?est-ce que j?ai bien pu leur faire, pour qu?ils s?en prennent à  moi tout le temps ?! Ah je comprends pourquoi Julie rechigne de plus en plus à  venir me voir, à  me demander de l?aide, ou à  me parler ! Ah je sais, oui oui ! S?ils lui font la même chose qu?à  moi, c?est vite vu.
Quel connard, ce Lainé !
Bon, il faut que je me calme. Il faut que j?arrête d?entrer dans leur jeu, parce que c?est exactement ce qu?ils veulent : Que je me mette en colère et que je tente de me rebeller, comme ça ils pourront me tabasser complètement, et j?aurai tout gagné. Non, il ne faut pas que je m?emporte. Rester calme, et oublier tout ça. Je vais passer à  la Boulangerie et chez mon Libraire, ça ira mieux après.
Ensuite, je pourrais voir plus clair et?
Oh non?
« Eh v?nez voir les mecs, j?ai pêché une baleine !
-C?est pas une baleine, c?est le gros tas. Une baleine, t?aurais eu moins de risques de te faire écrabouiller le pied, sûr ! »
Merde, je ne les ai même pas vu arriver. J?étais tellement plongé dans mes pensées, que je ne les ai pas vu du tout. Bon, il ne me reste plus qu?à  rester encore une fois allongé sur le trottoir, et attendre que Lainé me crache dessus, ou qu?il m?envoie bouler. Je sens son pied sur mes côtes, et je sais que c?est lui. Je le sens.
« Alors, gros tas, tu rentres chez toi à  pied ? Pas trop essoufflé de faire de la marche tous les soirs, comme ça ? »
Ne rien répliquer, ne rien rétorquer, faire profil bas. Ça m?a sauvé des années, et je pense que ça me sauvera encore bien longtemps. Son pied appuie un peu plus fort. Il veut me faire céder, mais je ne lui laisserai pas ce plaisir. Non. J?entends déjà  les autres qui beuglent de rire derrière lui. Mais Lainé, lui, est sérieux.
« Peut-être que tu fais un régime ? »
Il appuie encore.
« Peut-être que c?est pour plaire? »
Non, ne le dit pas, enfoiré?
« ?à  la belle? »
Il ne faut pas que je réponde à  ça, il sait que ça me touche.
« ?et douce Julie ? »
C?est trop. Je sais bien qu?il l?a mis dans le même panier, avec moi. Mais elle est au-dessus de moi. Elle est au-dessus d?eux. Elle est au-dessus de tout le monde. Je ne peux pas le laisser dire ça.
« Ne lui fait rien, elle n?y est pour rien. »
Je sais parfaitement que c?est nul, comme réplique. Et eux doivent le savoir aussi, car même si ma vue est brouillée par les larmes, je devine leurs rictus et leurs regards méchants. Pourquoi je ne suis pas capable de leur livrer ce que je ressens avec toute la rage que j?ai en moi ? Pourquoi?
« Aaahh !! »
Il n?a pas aimé ma réponse, c?est manifeste? gnh? Il me tire les cheveux en arrière. Ça? Ça fait mal? Merde? je pleure? je ne voulais pas pleurer ! Je ne dois pas pleurer ! Pourquoi je pleure ainsi, comme une lavette ?
« Mais c?est qu?il se rebiffe, le gros !
-Fous-lui un pain ! Ouch?
-Ferme-la, Blanchot. »
Je sens son haleine dans mon oreille. Je devrais lui filer un coup de tête. Je pourrais le faire. Ou bien tourner la tête et lui cracher au visage. Mais je reste là , à  pleurer, comme un gamin. Un gamin que je suis. J?attends que tout ça se termine, comme d?habitude.
« Tu y tiens à  cette Julie, hmmm ? Alors pour ça? »
Il me relâche. Voilà . C?est finit. Je vais peut-être avoir droit à  un crachat, ou à  quelques insultes bien senties, et je rentrerai chez moi.
« ?il va te falloir perdre ce que tu as ici. »
Respiration coupée. Je ne sens pas encore la douleur. Son coup de pied m?a balancé sur la route. C?est fou que j?arrive à  analyser aussi froidement quelque chose d?aussi violent. Je devrais me tordre de douleur, mais je ne fais que regarder le ciel. Les nuages qui passent, sans se soucier de cet écolier dont les côtes commencent à  chauffer, qui ne respire pas, au milieu du bitume sale et malodorant.
« Tu n?as pas été un peu trop fort, sur ce coup là , Jacques?
-Barrons-nous.
-Ouais, y a un péquin qu?arrive, en plus. »
Je sens lentement la douleur qui irradie, et qui se fait de plus en plus forte. Mais j?arrive enfin à  respirer. Comment ça se fait que je n?aie pas eu plus mal ? Pourquoi je n?ai qu?une respiration sifflante et un point de coté ? Je devrais hurler, je devrais me rouler dans tout les sens, crier, souffrir, mais je n?ai rien. Pourquoi ?
Je me relève, à  tâtons, m?attendant à  tout moment à  subir un assaut de douleur, mais rien. Rien de rien. Je retourne sur le trottoir avant que le passant annoncé par Tony n?arrive. Je n?ai aucune envie qu?il me voit dans une situation aussi pitoyable. J?ai beau me tâter le ventre, je n?ai rien. Et me poser des questions sans arrêt ne changera rien.
Je ferais mieux de rentrer.

5 Le libraire de la rue Brouillard.
Bien. Aujourd?hui, j?ai évité les quatre illuminés à  la sortie des cours. Depuis la dernière fois et le coup de sang de Lainé, ils ont l?air de se calmer. Peut-être ont-ils eu peur ? J?ai cru sentir un peu de panique, lorsque Munoz lui avait parlé après. Mais peut-être l?ai-je imaginé. J?étais quelque peu sonné, après le coup de pied dans l?estomac. Le plus important, c?est qu?il n?a pas tenté de recommencer.
Oh, les insultes, les brimades et le reste continue toujours, mais ça ce n?est pas grave. Et il y a des jours, comme aujourd?hui, où ils partent en avance et où je suis tranquille. Je vais pouvoir rentrer sans me demander quand ils vont me tomber dessus, sans avoir le c?ur battant à  chaque coin de rue, sans me retrouver à  terre et martelé de coups.
Je vais même en profiter pour aller voir madame Pasquin. Je sais pertinemment qu?elle ne m?aime pas, mais j?aime sa boulangerie, ses croissants et ses pâtisseries aussi appétissantes que variées. Et même si elle ne se montre pas particulièrement aimable, elle doit bien être au courant que les trois quarts des étudiants de mon collège vont lui acheter sa marchandise. Elle aurait tort de faire la fine gueule.
« Encore venu te goinfrer de bonbons ? »
Et voilà , elle recommence. C?est sa phrase préférée. Mais seulement lorsque je suis le seul client de sa boutique, sinon elle se contente d?un ?bonjour? courtois. Mais je m?en fous. Je ne lui réponds même pas, et je me contente de lorgner à  travers la vitre ses présentations de gâteaux, de tartelettes et autres sucreries.
« Trois pains au chocolats, s?il vous plaît.
-Tu vas encore me filer un billet pour ça, hein ? »
Je suppose qu?elle ne m?aime pas à  cause du relatif confort financier dans lequel je me trouve. Mais est-ce que c?est de ma faute si mes parents préfèrent me donner de l?argent au lieu de s?occuper de moi ?
« Mettez ce qu?il reste en bonbons.
-Ben voyons. »
Jamais contente, évidemment. Mais du moment qu?elle me donne ce que je veux, elle peut râler et m?insulter, ça me passe au-dessus de la tête. De toute façon, elle ne dira rien de plus, car un client vient de rentrer.
« Au revoir, madame Pasquin ! »
Je pense que j?aurai le temps de manger tout ça avant d?arriver à  la librairie. J?ai horreur de tripoter des livres ou des revues en même temps que de la nourriture. Ce n?est pas respectueux. Les bonbons, je les garderai pour le chemin entre la librairie et chez moi. Comme ça, j?aurai les mains libres.
J?adore passer chez le libraire de la rue Brouillard. Je pourrais y passer des heures. Je feuillette des magazines, passant d?un sujet à  un autre en quelques secondes. Je regarde tout, là -bas : Les bandes dessinées, les revues de science-fiction, d?horreur, de collection, d?autres sur les jeux vidéos. Tout. Je m?intéresse à  tout. Et ce qu?il y a de bien, chez lui, c?est qu?il me laisse tout regarder sans bougonner.
Dès que j?ai du temps de libre, j?y passe. Si je pouvais m?y faire enfermer, une nuit, ça serait le rêve. C?est presque devenue ma seconde maison, cette librairie.
« Salut, toi, déjà  fini l?école ? »
Toujours la même phrase, répétée sans cesse et sans lassitude. Que je sois en vacances ou non, et il le sait pertinemment, il me la lance dès que j?ai mis un pas dans sa boutique. Et je lui réponds continuellement la même chose :
« L?école est terminée, mais je poursuis mes études ici. »
Et il rit. Moi, je fais souvent de même. Parfois, lorsque la bande à  Lainé ou autre chose ne va pas, je ne ris pas et il le remarque. Il semble être le seul à  s?occuper de moi. Je veux dire, à  s?occuper vraiment de moi, contrairement à  mes professeurs qui ne voient qu?un élève doué, à  Lainé qui ne voit qu?un souffre-douleur, ou à  mes parents qui ne voient qu?un être de petite taille qui vit dans la même maison qu?eux.
« Alors, ça avance avec ta copine ? »
Il sait pertinemment que je n?aime pas qu?il appelle Julie ainsi, mais à  y réfléchir, c?est de ma faute : je n?aurais pas dû lui en parler aussi franchement. Mais je sais qu?il plaisante, et je ne lui en veux pas. Une autre personne m?aurait fait la même remarque, je me serais muré dans un silence réprobateur, mais lui non.
Je lui confie tout.
« Aucun problème, même si ça n?avance pas beaucoup.
-Eh bien, ce n?est pas en achetant des bonbons que ça va s?arranger ! »
Ah. Il a remarqué mon sac. D?ordinaire, je le cache dans mon sac à  dos, pour qu?il ne me fasse pas de remontrances.
« Je sais.
-Si tu ne lui parles jamais, à  ta copine, ça ne risque pas d?avancer des masses ! »
Je sais tout cela. Mais?
« Mais je voudrais bien, moi ! Mais ça va attirer des ennuis. Jacques Lainé ne va pas arrêter de l?emm? de l?ennuyer ! Pardon.
-Tu sais, des gros mots, j?en ai entendu des pires que ça. »
Là , je ris franchement. La façon qu?il a de faire son clin d??il est à  la fois amusante et rassurante. Je me sens bien, dans cet endroit. Pas autant que dans ma chambre, mais plus que chez moi. Je suis en sécurité, loin de Lainé, de l?école et de tout le reste. Quand je repense à  notre rencontre, alors que je cherchais une cachette pour fuir l?ancienne bande qui me cherchait des crosses, je ne peux que remercier le hasard. Sans lui, je n?aurais peut-être pas trouvé cet ami.
Cette famille.
Ce père.

6 Accord parental absent.
Je n?aime pas être chez moi.
Tout est grand, tout est vide, tout est propre et bien rangé. Dans un sens, ça devrait me rassurer, vis-à -vis de l?école et son brouhaha perpétuel, mais le résultat est contraire : Tout me paraît froid. Distant.
C?est ainsi depuis toujours.
J?ai l?impression de vivre seul, entouré de meubles et de tableaux aussi vieux que les murs, sinon plus. J?ai la permission d?aller où je veux, mais je n?ai pas le droit de faire ce que je souhaite. Alors je préfère me contenter d?un minimum. Comme maintenant, alors que je rentre chez moi, et que je traverse le hall d?entrée, que je passe dans le couloir, que je monte l?escalier et que je file à  toute vitesse dans ma chambre.
Le reste de l?habitation me fait peur, et je me contente amplement de ces quelques bribes de couloirs et d?escaliers. Oh, je peux y ajouter la cuisine, où je prends mes repas seul, les toilettes et la salle d?eau, évidemment. Mis à  part ces quelques pièce, le reste de la maison appartient à  ma mère, à  la poussière et aux courant d?air.
Mon père est courtier en bourse, et il n?est jamais là . Lorsqu?il passe, c?est en coup de vent pour chercher un dossier, arracher ses feuillets de fax ou consulter ses mails. Et encore, ceux-ci sont la plupart du temps lus de l?extérieur. Il lui arrive de me croiser, moi ou ma mère, mais il ne semble même pas nous remarquer. Parfois, dans un élan de bonne volonté, il nous envoie un baiser distrait du haut de son épaule.
C?est signe de pluie, quand il fait ça.
« Mère ? Mère tu es là  ? »
Non, évidemment. Pas de problème, je vais descendre à  la cuisine me faire un sandwich. Je n?ai pas pu passer à  la boulangerie aujourd?hui, car Lainé et sa bande s?y trouvaient. J?ai préféré m?abstenir. Mais je sais qu?il y a tout ce qu?il faut dans le frigo. Peut-être que je la verrai passer, d?en bas.
Ma mère devrait normalement être plus présente que mon père, car elle ne travaille pas. Elle a arrêté de travailler à  ma naissance, soit disant pour m?élever et avoir du temps pour elle et moi. Foutaises. Depuis aussi loin que je me souvienne, elle n?a jamais eu à  s?occuper de moi. Je doute même qu?elle m?ait allaité, elle a dû me confier aux seins d?un de ses bonnes.
Elle passe son temps en séances de stretching, en séances de bavardage autour d?une tasse de thé, en séances de télévision, en séances de remise en forme, en séances de repos découragé et pour finir une journée aussi bien remplie : En séances de levage de coude assidu. Tout pour elle, l?égoïsme à  l?état brut. Elle me répugne.
Ce n?est pas elle qui me faisait les repas, mais une nourrice. Ce n?est pas elle qui me faisait prendre des bains, mais une nourrice. Pas elle non plus qui changeait mes couches, qui venait me voir après un cauchemar, non. Une bonne, une nourrice, une baby sitter. Tout sauf elle. Elle devait sûrement être trop accaparée par son thé ou son Gin pour me venir en aide.
Je me suis donc débrouillé seul. J?ai rapidement appris à  m?en sortir, d?ailleurs : Je fais mes repas, maintenant, et je gère mon emploi du temps de A à  Z. Avec une famille comme la mienne, il vaut mieux rapidement devenir autonome.
Bien, mon quatre heures est prêt : Sandwich au Nutella avec un paquet de gâteaux et une bouteille de coca. Pourquoi je me priverais ? De toute façon, Anna, notre domestique, aura rempli le frigo demain avec la même chose. Je n?ai pas vu ma mère. Je pense qu?il est l?heure de son feuilleton à  la noix, et elle doit être enfermée dans le salon, avec probablement plus d?alcool qu?il n?en reste dans la bouteille.
Je remonte dans ma chambre.
Quand j?y pense, ce mode de vie n?est pas si déplaisant. Quand j?entends certains de mes camarades de classe qui se plaignent de parents trop collants, je me demande ce qu?ils diraient de ma situation. Je ne peux pas me plaindre de ça. Mais je les envie. Ils ont des soutiens, eux, des gens qui s?intéressent à  leur vie.
Moi, je n?ai rien.
Mais je me console en me disant que ce n?est qu?un mauvais moment à  passer. Comme le reste. Je subis, et nous verrons comment se déroule la suite. Ça ne peut pas être pire. Au moins, une fois grand, je serais apte à  me débrouiller totalement. Et je n?aurais plus à  songer que je suis certainement le seul gamin au monde dont le père n?a pas pris deux minutes pour apprendre à  son enfant à  lacer ses chaussures.

7 Déprime.
Ma chambre.
Personne d?autre que moi n?a le droit d?y entrer. J?ai une clef, et je suis le seul à  l?avoir. Personne n?a de doubles, et si je l?égare, je serais le seul à  blâmer. La porte est fermée en permanence, que je sois dans ma chambre ou non. C?est mon endroit, mon refuge. Tout le monde peut passer à  la librairie, mais je suis le seul à  pénétrer ici. Même les femmes de ménage n?y entrent pas, et je leur ai assuré que j?allais faire les poussières de temps à  autre.
Ici, je suis réellement libre. À la librairie, il reste certaines entraves à  ma liberté, car le lieu est public et fréquenté. Ici, personne ne me voit rire en lisant un livre, pleurer en regardant un film, m?énerver sur une maquette ou exploser de joie en achevant un jeu vidéo. Ici, je suis libre. J?agis selon mes envies.
« Même si depuis mon entrée au collège, mes envies virent au noir. »
Je monologue souvent, dans ma chambre. Je me parle à  moi-même, et à  voix haute. Ça me soulage. Parfois je hurle, parfois je tape les murs, le sol? ?ou moi-même. Mais souvent, je range ma chambre en parlant. J?ai l?impression de raconter ma vie aux meubles, ce qui ne sert à  rien, mais moi ça me fait du bien.
Je vais mettre de la musique.
« Je ne sais pas pourquoi je n?arrête pas de penser à  elle. C?est comme si elle m?avait ensorcelé. Ah, mais je recommence à  parler de Julie. Il faut que j?arrive à  me la retirer de la tête, une bonne fois pour toutes ! »
Mais je n?y arrive pas. Un an ou presque s?est déroulé depuis que je suis rentré dans ce collège, un an que je l?ai aperçu, un an que je la côtoie sans relâche. Et je n?arrive pas à  m?y faire. Les insultes, les coups, les moqueries sur son point, la jalousie de son intelligence, je connais, je sais comment me blinder face à  ça. Je sais comment ranger tout ça et l?empiler dans un recoin de ma tête pour oublier, ne serait-ce qu?un temps, la méchanceté du monde.
« Je n?étais pas prêt pour cette nouveauté. Je n?étais pas préparé à  me faire assaillir par ces sentiments. Et Lainé et ses trois autres connards qui ne cessent de me harceler. Ils pourraient lui faire du mal, à  elle aussi. Je ne le supporterais pas. Je devrais lui dire, la prévenir, mais je la vois de moins en moins. Peut-être qu?elle sait ? Peut-être qu?elle s?est rendue compte ? Peut-être qu?elle s?éloigne sciemment de moi, dans l?espoir de se faire oublier d?eux ? »
C?est une hypothèse. Elle profitera de ces deux mois de vacances estivaux pour sortir de leurs esprits bornés. Alors que moi je me morfondrais avec mes livres, mes jeux vidéos et d?autres conneries. Ah, je ne risque pas de m?ennuyer, si jamais je termine tout ça, je n?ai qu?à  claquer des doigts pour en avoir des nouveaux ! Mais je n?aurais tout de même personne avec qui les partager. Personne à  qui en parler, à  part mon journal intime et mon libraire.
« Parfois, j?ai envie de tout balancer, comme cette manette. Je sais que ça ne sert à  rien de la shooter, mais c?est comme un besoin irrépressible de violence. En plus, je suis essoufflé. Rien que de monter les escaliers, et je suis en nage. Je ne vaux vraiment rien. »
Rien du tout. Je ne suis bon qu?à  m?allonger sur mon lit et à  me morfondre sur mon sort, comme la faible que je suis.
« M?étonnes pas qu?elle ne veuille même pas me voir. Un gros comme moi. »
Et je me frappe le ventre. Ce ventre que je hais, symbole de tout ce que je méprise le plus. Je vois Lainé dans mon obésité, je vois mes parents, je vois madame Pasquin, je vois les moqueries des autres, tout. Et j?extériorise, en me frappant. La douleur me calme. Elle me permet d?avancer, au même titre que les sourires de Julie.
« Mais? »
?je n?ai pas mal. Je ne suis même pas rouge. Mon étonnement surpasse ma hargne, et j?en profite pour me relever et m?examiner dans la glace. Je n?ai rien, aucune trace de mes coups de poing dans l?estomac. J?ai seulement les yeux gonflés par les larmes, et les mains tremblantes. Ce sont les seuls signes que ma crise s?est réellement passée.
Je suis également soulagé.
J?attends quelques secondes que mes mains se calment, puis je vais écrire mon journal. Ensuite, j?irai mieux. Ça fait quelques mois que je l?ai entamé, et je pense que je vais devoir d?ici peu acheter un nouveau cahier. Il me faut juste un stylo?
« Non, pas celui-là . »
Je jette le Montblanc et je prends un simple crayon de papier, abandonné en classe par un élève étourdi. Ce simple crayon a pour moi plus de valeur que le stylo pour riche que mon père m?a offert par la Poste à  mon dernier anniversaire. Ce crayon oublié, il a été aimé, au moins, lui. J?ouvre mon journal.
Aujourd?hui était le dernier jour cette fastidieuse année de sixième. J?ai tant bien que mal réussit à  éviter Lainé et ses copains, ce qui me permet d?affirmer avec joie que cette journée n?a pas été si néfaste que ça.
Je n?ai pas vu Julie aujourd?hui. Je crois qu?elle m?évite vraiment. Le libraire m?a dit que je devais aller la voir chez elle, mais je ne sais pas où elle habite. Mais il m?a rétorqué que j?étais largement assez intelligent pour ouvrir les pages jaunes. Je vais peut-être le faire, je ne sais pas. Je n?arrête pas de penser à  elle.
Tout comme Lainé et sa bande, mais différemment. Ils ne me font pas peur. Mais si je pouvais? Ah? Si je pouvais?


8 Vengeance.
?je leur ferais ravaler leur langue jusqu?à  ce qu?ils étouffent.

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...moi je passe à  côté...


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MessagePublié: 14 Août 2005, 22:23 
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2. ?-aimé.
1 Découverte.
Assis sur le bord de ma fenêtre, je regarde dans la rue. Je regarde passer les voitures. Je pense qu?il n?existe pas de truc plus ennuyeux que de regarder passer des voitures. Même s?il existe une infinité de classement de couleurs, de marque, de taille, je pense que regarder des voitures qui défilent à  longueur de journée dans la rue en bas de chez soi est d?un ennui mortel. Pourtant, je ne devrais pas m?ennuyer, avec tout ce que je possède.
Mais à  mon réveil, ce matin, il y a quelques heures de ça, j?ai voulu prendre l?air quelques minutes. La ville où j?habite, où nous habitons devrais-je dire, est encore un endroit calme et peu pollué. La grande ville la plus proche est encore assez éloignée pour éviter de nous envoyer les effluves nauséabonds de la civilisation crasseuse.
Je plains ceux qui sont proches de Paris.
Donc, je me suis levé et j?ai ouvert mes volets. Ensuite, j?ai amené la chaise de mon bureau près de la fenêtre, où s?écoulait un air frais et bienfaisant. Et je me suis assis là . J?ai regardé le ciel, quelques oiseaux sur le toit de nos voisins, puis la route. Et depuis je regarde les voitures passer.
Je n?ai pas envie de jouer, ce matin. Les grandes vacances sont longues et ennuyeuses, pour quelqu?un qui ne s?amuse pas. Un vrai calvaire. Le seul point positif est que je ne suis plus ennuyé par Lainé, Blanchot, Tony et Munoz, car je ne sors que rarement. En contrepartie, je ne vois plus beaucoup le libraire non plus.
Ni Julie.
Je ne l?ai pas revue depuis que l?année scolaire s?est terminée. Un peu normal, en fait : Je ne sais pas où elle habite, et elle ne sait pas où je loge. Peu de chances qu?on se rencontre par hasard. Pourtant, elle a mon numéro de téléphone, celui de ma chambre, donc mon personnel. Je n?ai pas osé lui donner le numéro de chez moi, car je n?avais pas envie qu?elle tombe sur ma mère ivre, un soir.
Et puis, puisque mes parents ont crus bon de me faire une ligne privée, autant en user et en abuser. J?aurais tort de m?en priver.
Je remarque alors un jeune homme au visage marqué. C?est fou comme ce pauvre gars est constellé de bleus, comme s?il avait reçu une grêlée de coups de poings dans la figure. Et soudain, je le reconnais.
« Merde, c?est Lainé ! »
La phrase m?avait échappé. J?ai renversé ma chaise, et le bruit a attiré son attention. Je me planque. Pas envie qu?il sache où se trouve ma maison, ni que je l?ai vu dans cet état. Néanmoins, malgré ma panique, je commence à  rire. Et j?aime ça. Je me moque de lui, en cachette, de ces coups qu?il a reçus et qui lui donnent cette mine si patibulaire.
Est-ce que je peux jeter de nouveau un ?il, ou bien est-il encore dans le coin, à  examiner de près toutes les fenêtres ouvertes d?où pouvaient provenir mon exclamation. Est-ce que je risque, ou bien je reste ainsi, à  attendre ? Il me faudrait un miroir, ou quelque chose comme ça, pour voir.
« Est-ce que tu pourrais descendre, quelqu?un voudrait te voir ! »
Ma mère.

2 Cadeau.
Est-ce que c?est Lainé qui m?a vu et qui vient demander une entrevue ? Est-ce que c?est Julie qui a trouvé mon adresse, aussi improbable que ça soit ? Est-ce une bonne nouvelle, une mauvaise ? Ma mère n?a pas l?air d?avoir bu, au son de sa voix. C?est fou comme on peut développer une affinité à  deviner si une personne a bu ou non, rien qu?à  entendre sa voix, lorsqu?on vit avec une alcoolique.
« Dépêche-toi, c?est une surprise alors remue un peu ton ventre ! »
Toujours le petit mot gentil, ma mère. Je lui lance un regard noir, alors que mon c?ur bat la chamade. Elle a la main sur le loquet et elle le maintient fermé. C?est sûrement ce qu?elle appelle la ?surprise?. Quelle surprise de se faire défoncer la tête par un Lainé en colère. Je ne sais vraiment pas ce qu?elle me réserve.
Elle sourit. Elle semble contente d?elle.
Elle ouvre la porte.
« De la part de ton père ! »
Je sens une trace de mépris dans son exclamation, mais je ne m?en soucie pas plus que ça. C?était courant de l?entendre parler ainsi de mon père. Pourtant, elle continue à  arborer son sourire joyeux. Ses yeux sont cernés, elle a encore du vomir une partie de la nuit.
« Qu?est-ce que c?est ?
-Un livreur, tu ne le vois pas ?
-Je parle du carton. »
Je sais que je suis froid, mais elle me prend pour un con. Le livreur nous adresse un sourire gêné, de l?homme qui ne sait plus où se mettre. Devant l'immuabilité de ma mère, je soupire et avance vers le livreur, qui me regarde.
« Y a-t-il quelque chose à  signer ?
-Je ne peux pas faire signer les enfants, désolé. »
S?il pouvait savoir lequel était le plus adulte des deux, il ne tendrait pas le stylo à  ma mère. Elle s?avance, et c?est seulement maintenant que je remarque son ?il droit entouré de peau violacée. Elle a toujours eu des cernes noires sous ses yeux, mais je sais reconnaître un cocard lorsque j?en vois un. Je repense à  Lainé.
« Ne me regarde pas comme ça, je me suis réveillé avec ce matin. Je ne sais même pas comment je me suis fait ça. Tenez, monsieur, merci et bonne journée. »
Je me désintéresse rapidement de l??il au beurre noir de ma mère pour concentrer mon attention sur l?immense carton qu?il vient de déposer dans l?entrée. Une lettre l?accompagne, à  mon nom. C?est l?écriture de mon père, non que je l?aie vue souvent, mais je connais sa signature qu?il distribue sur la paperasse importante.
« En quel honneur ? »
Ma mère ne répond pas. Elle est ailleurs. Une de ses absences dont elle me gratifie lorsqu?elle ne veut pas me répondre. Et tout d?un coup, plop, elle est de retour et me lance un regard sévère, comme si j?étais la cause de tous ses problèmes.
« Ton père a eu la brillante idée de te faire un cadeau, et tu en demandes les raisons ? Si tu veux, je peux encore rappeler le livreur pour qu?il récupère cet ordinateur et résilier l?abonnement Internet. »
Ah ben ça.
« Je demandais juste pourquoi. »
Malgré mon ton désinvolte, je suis sincèrement surpris. Mon père. Mon père à  moi, qui me fait un cadeau ? Sans raison ? Bizarre.
« Tu me laisses la clef de ta chambre pour qu?ils installent tout ça ?
-Non. »
Hors de question que des inconnus entrent chez moi. Je me débrouillerai. Ce n?est pas comme si je n?avais jamais rien fait moi-même.

3 Rencontre.
Une fois dans la rue, tout s?éclaire progressivement : Ma mère a dû s?engueuler avec mon père, et elle lui a une fois de plus sorti ses quatre vérités. Fou de rage, car elle lui a certainement dit qu?il ne s?occupait pas assez de moi, auquel cas elle ferait mieux de se regarder avant de parler, il a dû me faire parvenir ce cadeau pour se donner bonne conscience. Ceci expliquait également le cocard. Ou quelque chose d?approchant.
Ils marchent ainsi, mes parents. Eux et la plupart des adultes ne font rien sans en tirer bénéfice. Mon père doit se sentir soulager, maintenant que j?ai reçu ce truc. Et même si cela a dû lui coûter les yeux de la tête, ça lui donnera un argument de plus lors de la prochaine confrontation avec ma mère saoule.
Néanmoins, je suis tout de même content d?avoir ce nouvel ordinateur, ainsi qu?une connexion haut débit comme il en existe peu. J?ai monté tout l?appareillage dans ma chambre, seul, et j?ai laissé le soin à  ma mère de s?occuper de la mise en service de la ligne. Elle voulait absolument faire quelque chose, sûrement pour compenser cet achat luxueux.
Et moi, en attendant que tout se mette en route, que l?opérateur de téléphone comprenne l?élocution hésitante et fatiguée de ma mère, j?étais allé faire un tour à  pied. Peu de chances de croiser Lainé, j?ose espérer qu?il est sagement rentré chez lui et qu?il cache sa vilaine tête boursouflée. Je me demande si son père est violent, lui aussi ? Ça nous ferait au moins un point en commun.
La librairie est en vue.
« Salut toi, déjà  fini l?école ?
-L?école est finie, mais je poursuis mes études ici ! »
Toujours la même rengaine, aussi immuable que la vérification du proverbe Après la pluie, le beau temps. Il me regarde à  travers ses lunettes rondes de ses yeux pétillants de joie, et jette un coup d??il à  droite du rayonnage Science-fiction/Ésotérisme. Je lui demande, par un regard interloqué, ce qu?il veut dire, mais il se contente de pencher la tête du même coté. Je finis par me décider et jette un ?il de moi-même.
Guillaume Dastein est en train de lire un hors série sur la Sorcellerie.

4 Discussion.
Je m?approchais du libraire à  pas feutrés, avec la désagréable impression de vouloir être discret chez moi. Je n?avais encore jamais vu Dastein ici, mais manifestement le libraire savait que nous nous étions déjà  rencontré.
« Qu?est-ce qu?il fait là  ? »
Et moi, pourquoi je parle à  voix basse ?
« C?est un client comme un autre, t?en as de bonnes !
-Oui, mais? »
Je ne trouve pas à  redire. Il a raison, après tout, la boutique ne m?appartient pas.
Malheureusement.
« ?vous savez qu?il est dans la même école que moi ?
-Maintenant, je le sais. »
Il m?a feinté. Je regarde à  nouveau à  travers les rayonnages : Dastein ne semble même pas s?être aperçu de ma présence. Tant mieux. Je continue à  parler à  voix basse, sans raison précise. Je préfère.
« Je viens d?avoir un cadeau. De mon père.
-Qu?est-ce qu?il t?a offert ? Un compte en banque en suisse ? Une voiture ? Un building de trente étages ? »
Il n?aime pas mon père, et je sais qu?il se moque de lui. Mais ses blagues ne sont pas aussi dures et incisives que celles des autres, car ils ne l?aiment pas sans le connaître : je lui ai raconté comment se conduit mon père, et il sait de quoi il parle.
« Non, bien sûr que non. Un ordinateur avec une connexion Internet !
-Vrai ?
-Vrai ! »
Il est étonné, ça se voit. Comme moi je l?ai été tout à  l?heure. Je pense que, comme moi, il croyait impossible qu?une telle surprise m?arrive sans prévenir, comme ça. Je lui explique mon raisonnement, l?hypothèse de l?embrouille parentale et le cocard de ma mère. J?en profite pour lui raconter également mon petit bonheur matinal lorsque j?ai vu Lainé dans la rue.
« Il était lui aussi amoché ?
-Bien plus que ma mère, oui. On avait l?impression qu?il s?était prit des dizaines de pains dans la figure. »
Une image de moi me frappant l?estomac me traversa l?esprit.
« Ce n?est pourtant pas le genre de Jacques Lainé. D?ordinaire, c?est plutôt lui qui frappe. J?ai son père en tant que client, je le sais parce qu?il paye toujours en chèque. Un homme tout maigre, tout petit et qui a l?air plus inoffensif qu?une coccinelle sur le dos. »
L?image me fit sourire.
« Il ne m?a pas parlé de lui. Remarque, nous n?entretenons pas vraiment de rapports aussi intimes, lui et moi. Pas comme toi !
-Sûr ! »
Nous enchaînons sur Internet et sur l?éventail de possibilité que la Toile m?offre. Le libraire a l?air d?en connaître un bout sur l?informatique, et moi qui suis novice, j?avale tous les renseignements qu?il peut me fournir. Les minutes passent, et je finis par m?apercevoir qu?il est bientôt l?heure de déjeuner.
« Ouaip, il est midi dans un petit quart d?heure. Tu penses que ta mère aura terminé de régler tous les détails ?
-J?espère. Au revoir, m?sieur l?libraire !
-Hey ! Dernière chose, bonhomme ! Il va falloir que tu ailles voir ta copine pour lui demander son adresse Internet, si elle en a une ! »
Mon c?ur bondit dans ma poitrine. Julie. Cette histoire me l?avait presque fait oublier. Je me mets déjà  à  imaginer les discussions enflammées via des emails, peut-être des confidences. Je rêve, j?utopise.
« Allez, on se réveille, rentre chez toi, et tiens-moi au courant !
-Aucun problème ! Vous avez Internet, vous ?
-Non. Trop cher et pas assez pratique. J?ai été obligé d?ouvrir une boîte email pour le travail, mais je ne m?en sers que dans des cybercafés.
-Oh. Dommage.
-Allez file. »
Il m?adresse un clin d??il, et je fais de même. Au moment de sortir de la librairie, une voix dans mon dos me stoppe net. Je la connais sans deviner de qui elle provient.
« Alors tu as le Net, toi aussi ? »
J?avais complètement oublié que Guillaume Dastein avait été là , dans la librairie.

5 Seconde discussion.
« Tu sais qu?il est comme ça depuis le début des vacances ? »
Je ne comprends pas de quoi il parle exactement. Nous marchons maintenant depuis quelques minutes, en direction de chez moi, et il n?a rien dit d?autre que son interpellation à  la sortie de la librairie.
« Lainé. »
Je saisi, grâce à  cet ajout, immédiatement.
« Jacques Lainé ?
-Qui d?autre ?
-Tu le connais ? »
Son silence semble me répondre oui. Quand j?y pense, c?est curieux qu?un mec comme Guillaume Dastein, de deux classes supérieures à  nous, ai remarqué Lainé et moi. Il m?a peut-être simplement vu durant les intercours, tout simplement. Il ne connaît pas mon nom, il ne l?a pas dit. Mais moi je connais le sien.
« Tu veux dire qu?il s?est fait tabasser au début des vacances ?
-Je l?ai croisé le tout premier jour des vacances, et il avait déjà  cette tête défoncée. En pire. Là , ça a déjà  cicatrisé, en deux semaines. »
Guillaume Dastein sort un paquet de cigarettes de sa poche et s?en met une en bouche. Il me tend le paquet et hausse un sourcil. Je secoue énergiquement la tête.
« Comme tu veux. »
Il allume sa clope d?un geste détaché, en faisant apparaître une allumette déjà  enflammée dans sa main. Je le regarde tirer quelques bouffées, puis j?en profite pour grignoter quelques biscuits que j?ai en poche. Je lui en sors un et lui propose.
« Sans façon, je nourris mon cancer pour le moment. »
Il esquisse un sourire et je fais de même. Je n?ose pas lui parler, alors que lui semble tellement à  l?aise avec moi. Avec tout le monde, en fait. Il m?a abordé comme ça, sans chichis, alors que nous ne nous sommes encore jamais adressé un mot, et nous voilà  en train de marcher côte à  côte.
Je me décide, tout de même, à  relancer la conversation sur un ton qui se veut détaché.
« Tu connais Lainé, tu traînes avec lui ? »
Le silence qui suit ma question me semble interminable, mais Dastein finit par répondre.
« Non, mais je le croise de temps en temps, le matin. C?est surtout sa réputation qui est connue, dans les autres classes. Il parait qu?il a déjà  foutue une raclée à  un lycéen, et peu de personnes osent se frotter à  lui, aussi jeune soit-il.
-Il ne te t?embête pas, toi ?
-Non.
-Tu as de la chance. »
Je boulotte mon dernier gâteau et je le regarde du coin de l??il. Il a toujours son masque froid, même si lorsqu?il a sourit tout à  l?heure j?ai pu entrapercevoir un autre visage de Dastein. Un visage plus aimable qu?il ne le laisse paraître, plus intéressé par ce qui l?entoure que son habituel faciès impassible. Je l?admire d?autant plus.
« Donc, tu as le Net ?
-Mon père m?a offert ça ce matin, oui. Mais je n?y connais pas grand-chose. Mais comme c?est les vacances, je vais pouvoir en profiter à  plein temps, surtout que c?est un accès illimité qu?il m?a choisit.
-Tu as de la chance. »
Il m?adresse un clin d??il et presse le pas. Je reste un instant, songeur, à  me repasser ce clin d??il. C?était un clin d??il amical. Un vrai clin d??il amical. Deuxième surprise de la journée. Peut-être plus grande que le cadeau de mon père.
Les vacances commencent bien.

6 Ami ?
De retour chez moi, j?aperçois le petit mot que m?a laissé ma mère sur le pas de ma porte de chambre, fermée à  clef. Son écriture tremblote, elle a fait nombre de ratures et de fautes, mais c?est bien son écriture de quand elle est sobre. Lorsqu?elle a bu, il ne reste qu?un fouillis de traits sans possibilités de déchiffrage.
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Pas de signature, mais les fautes sont reconnaissables entre mille. Bon, je ne pourrais pas surfer sur le Web ce soir, pas encore. Mais il me reste mon ordinateur à  brancher et à  configurer, ça va me prendre du temps.
La petite balade avec Dastein a été très intéressante, et au-delà  du garçon solitaire et indépendant que j?admirais, j?ai découvert un homme passionné par l?information et la communication : il adore lire, il adore se documenter sur énormément de sujets, aussi variés que la politique, les sciences occultes ou les arts, et il a Internet et s?est proposé de m?initier.
Il m?a parlé de beaucoup de choses que je pouvais faire sur la toile, comme les moteur de recherches, les sites sur diverses bandes dessinées ou des mangas que je suis, des logiciels de lecture de musiques ou de vidéo, d?autres de conversation instantané? Il m?a dit des mots que j?ai dû me faire expliquer, comme MSN Messenger, comme blogs, comme Mozilla, comme WinAmp, comme Antivirus, comme Skype, et de nombreux autres.
Je n?ai pas tout saisi, et encore maintenant je me demande si je vais réussir à  m?en sortir. Mais il me reste plus d?un mois et demi pour comprendre les mécanismes de fonctionnement d?Internet, et je ne suis pas du genre à  abandonner. Il m?a demandé d?enregistrer son adresse dans ma boîte email, dès que j?aurais Internet et que j?aurais ouvert la mienne.
Je ferai ça demain.
Je referme la porte derrière moi et commence à  brancher mon nouvel ordinateur sans suivre de mode d?emploi. Je connais le fonctionnement d?un ordinateur. Je connais la plupart des branchements, des prises USB et autres ports LPT1. Mon père n?a pas lésiné sur la dépense, et il m?a donné du haut de gamme, selon ce que j?ai pu lire dans quelques magazines à  la librairie. J?espère que je n?aurais pas de problèmes d?ordre technique.
Dès que tout est branché, je le mets en route. Il prend beaucoup de place sur mon bureau, et nombre de mes affaires se sont retrouvées entassées sur la moquette. Mais ce n?est pas grave, je verrai ça plus tard, quitte à  demander un autre bureau à  ma chère mère, une fois que sa gueule de bois matinale sera cuvée.
Bon. Bonne nouvelle, tout se met en route tout seul, donc il n?y a pas de problèmes de compatibilité entre composants. Il ne me reste qu?à  en faire mon pc. Je change le fond d?écran, j?ajoute quelques icônes sur le bureau, mais je ne vais pas loin. Il est vide. La capacité de stockage dépasse les 100 Gigas, mais je n?ai rien à  mettre dedans. Mais je ne m?en fais pas : Demain j?aurai le Net.
Je crée mon tout premier dossier dans Mes Documents. Je le nomme Textes. Je vais d?ici peu le remplir en recopiant tout mes poèmes et autres idées de textes que j?ai annoté ça et là  sur des feuilles volantes ou mes cahiers de cours. En attendant, j?ai déjà  une idée en tête, pour mon premier document.
Je lance Word et tape sur la feuille vierge?

7 Journal.
Aujourd?hui, je débute mon premier journal sur cet ordinateur flambant neuf. Mon père a dû se disputer avec ma mère, et pour se faire pardonner de l?avoir frappé (elle porte un ?il au beurre noir) et aussi pour se donner bonne conscience, il m?a acheter ça. Je copierai demain les spécificités complètes de l?appareil, pour me rappeler dans des années combien cet ordinateur était antique.
J?ai vu Jacques Lainé à  ma fenêtre ce matin. Il s?est fait ruer de coups dès le déb

La même image me retraverse l?esprit : Moi en train de me frapper l?estomac une fois rentré de l?école. Cette image fugace, associé à  une bouffée de chaleur et une envie de violence, me vient en tête dès que je pense à  Lainé. Je me demande s?il y a un rapport.
ut des vacances, et il a une tête immonde. Tant mieux, je ne suis pas un de ceux qui vont le plaindre. J?ai été surpris, à  la librairie, car j?y ai vu pour la première fois Guillaume Dastein (voir journal écrit) et
Peut-être que je vais le recopier, mon ancien journal ? Je verrai ça après.
[/i]nous sommes rentrés ensemble. Il fume. Je trouve ça dommage, mais en même temps ça lui ressemble étrangement. Nous avons discuté d?Internet et d?une multitude d?autres choses. Il m?a donné son adresse email, pour que je puisse correspondre avec lui. Il m?a dit qu?il m?aiderait pour comprendre Internet.
En attendant, ma connexion devrait arriver demain. J?attends ça avec impatience.[/i]
Je me relis trois fois, et active le correcteur d?orthographe qui ne trouve aucune faute. Je souris. Je ne fais jamais de fautes, ou presque. J?enregistre le document et j?éteins l?appareil qui s?arrête dans un soupir de ventilateurs.
Je souris en pensant aux choses merveilleuses que je vais pouvoir faire.

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MessagePublié: 04 Sep 2005, 15:14 
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3. …léable.
1 Rentrée.
Ce matin, je rentre en cinquième. Je suis prêt depuis une heure maintenant, et j’attends le moment du départ en regardant par la fenêtre la ville qui s’éveille lentement. Que ces vacances sont passées vites. Je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer, cette année. Grâce à  mon père et à  son cadeau. Pour une fois qu’une dispute entre lui et ma mère sert à  quelque chose.
Cet ordinateur est un vrai don des Dieux.
Je remplis mes poumons d’air frais matinal et j’entends derrière moi la sonnerie caractéristique de MSN Messenger. Je souris. C’est certainement Dastein qui veut me dire quelque chose. Je n’ai pas de mérite à  deviner : je n’ai que trois contacts sur MSN : Lui, un de ses amis avec qui nous avions eu une conversation multiple, et mon père. Mon père ne se connecte jamais, et l’ami de Dastein rarement.
Je referme ma fenêtre et me dirige vers mon ordinateur. J’ai complètement changé la configuration de ma chambre, avec l’arrivée de cet appareil envahissant : un autre bureau plus petit a fait son entrée dans mon antre, et c’est maintenant là  mon lieu de travail. Mon précédent ne sert plus quâ€™à  mon ordinateur, car il est plus résistant et plus large.
Je m’installe donc à  mon ancien bureau et bouge la souris pour désactiver l’écran de veille. Le fond d’écran apparaît, splendide représentation d’une galaxie. Il y a encore peu d’icônes sur mon bureau. Quelques raccourcis ici et là , mais rien de précis. Ceux dont je me sers le plus sont Internet Explorer, le Poste de Travail et Word. Les autres sont plus rarement actionnés. Je clique sur la fenêtre MSN Messenger qui clignote.
Le message de Dastein est là , rouge écarlate.
« Alors ce matin c’est la rentrée ?
-Tout a fait.
-Pas trop peur ? Tu penses retrouver Lainé et les autres ?
-Normalement, ils seront tous là . J’espère que certains auront redoublés. Mais quoi qu’il en soit, j’irai. Celui qui ne progresse pas chaque jour recule chaque jour.
-Encore une citation
-?
-Confucius.
-Le jour où tu cesseras de citer, toi… ^^
-Tu reprends dans combien de temps ?
-Je pense, donc je cite !
-Je vais partir dans une vingtaine de minutes, le temps de faire le trajet.
-Et toi ?
-Moi, je reprends demain. J’ai une journée de délai par rapport à  d’autres.
-J’aurais une journée de connaissance en plus que toi, voilà  tout !
-Tu es risible. ^^
-Et toi jaloux. »
Avec le temps, je suis devenu plus proche de Dastein. Nous ne nous voyons pas énormément, mais nous discutons souvent sur MSN. Nous échangeons nos opinions, nous parlons de tout et de rien. Mais lorsque j’ai des problèmes, il vient toujours m’aider. Je pense que je peux le considérer comme…
…un ami.
« Guiullaume ? Est-ce que tu as l’impression que j’ai changé ?
-Accroche encore une fois mon prénom, et ton visage va changer de forme, ouais.
-Sérieusement. »
Il y a un instant d’hésitation entre l’envoi de ma phrase et le commencement d’écriture de sa réponse. Je sens qu’il réfléchit. Ma question sérieuse ne l’est quâ€™à  demi, mais je ne veux pas changer. Je ne veux pas qu’on me change, voilà  qui est plus exact. Je ne veux modifier mon train de vie que lorsque je le décide, moi et pas un autre.
Et j’ai peur que mon père ait décidé pour moi, cette fois-ci.
« Je ne trouve pas que tu as changé… »
C’est la réponse que j’attendais. Mais c’est le genre de tournure qui exige un ‘mais’ à  suivre, dans 95% des cas.
« …mais ?
-mais tu te débrouilles de mieux en mieux pour Internet. Tu fais en un mois et demi d’Internet ce que je n’ai pas fait en un an. C’est impressionnant. »
Je sens gonfler en moi une boule de fierté. Je rougis, même. Et au fond de moi, je suis heureux : Je n’ai pas changé.

2 Internet.
J’ai effectivement bien évolué sur la toile, depuis que j’ai acquis et découvert le Net, il y a maintenant deux mois. Deux mois déjà  que mon père m’a offert ce fabuleux cadeau, cet outil de communication aussi moderne qu’utile. Cet ordinateur, quel que soit l’objectif initial, est devenu pour moi une véritable merveille.
Je ne cesse d’apprendre avec lui. Que ce soit sur Google où, en commençant une recherche simple sur un manga ou un jeu, je me retrouve à  naviguer pendant des heures sur des sites qui n’ont plus rien à  voir avec la base de recherche, mais qui sont aussi intéressant, sinon plus, que le sujet d’origine.
Je tape de plus en plus vite au clavier, et je n’ai plus beaucoup de problèmes ces derniers temps. Quelques soucis mineurs, un virus ici ou là , mais rien de très grave. Je réussis à  me sortir de la plupart des problèmes seuls, maintenant.
J’ai commencé à  m’intéresser à  certaines communautés, certains forums qu’il y a sur le Net. Entre autres certains forums de jeux vidéo, où énormément de gens postent leurs avis ou leurs astuces sur tel ou tel jeu. C’est très appréciable de trouver une aide, lorsqu’on est bloqué dans un jeu, face à  un ennemi récalcitrant, ou une énigme un peu trop ardue.
J’ai employé un pseudo que j’utilise dans nombre des endroits où je poste. C’est également mon pseudo Msn, mais pas mon adresse. J’ai préféré mettre mon nom.
Mon pseudo est Fear.

3 Amaigrissement.
« Eh bien, de plus en plus beau, toi ! »
Je me sens rougir. Je n’aime pas qu’on me fasse des compliments face à  face, car je rougis rapidement. Et je n’aime pas rougir en public.
Pourtant, il a raison. J’ai maigri. Pas énormément, mais suffisamment pour que ça se remarque, et que je me sente mieux. Je me sens mieux vis-à -vis de moi-même, et vis-à -vis des autres, en fait.
« N’exagérez pas, non plus. Je ne suis pas devenu Brad Pitt rien qu’en perdant un peu !
-Non, mais tu t’en rapproche ! »
Je pense que c’est dû à  l’absence de stress. Tout se passe bien mieux depuis quelques temps, à  la maison et au collège. Ma mère semble avoir abandonné, du moins pour un temps, ses excès de boisson. Mais une rechute est toujours possible.
Et je ne crois pas aux miracles.
« Alors, avec ta Julie, ça continue ?
-Je pense que oui, bien que j’en sois toujours au même point.
-Je t’ai déjà  dit de…
-J’ai son adresse email ! Elle me l’a donné aujourd’hui ! »
Il me jauge. Il veut deviner si je mens ou non. Mais c’est pourtant vrai, je lui en ai parlé pendant le cours de Géographie, cet après-midi. Elle voulait que je lui recopie une partie du cours, et je lui ai dit que j’allais le faire ce soir. C’est ensuite, qu’elle m’a demandé si j’avais le Net, et que je lui ai donné mon adresse.
« Vrai ?
-Trois sortes de gens disent la vérité : Les sots, les enfants et les ivrognes.
-Je ne sais pas si tu bois, ou si tu es sot ?
-J’ai son adresse email. »
Il vit que j’étais sérieux. Il sourit et se pencha pour me taper sur l’épaule.
« Bien ! Reste plus quâ€™à  perdre ces quelques kilos qui te gênent, et tu pourras l’avoir dans ta poche, ta copine ! »
Et il m’adresse son fidèle clin d’œil.

4 Conciliation ?
Ces derniers temps, ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que Sébastien Munoz vient de temps en temps me demander de l’aide. Il était un peu réticent, au début, mais maintenant il vient me voir régulièrement s’il ne comprend pas certains exercices.
C’est un bon début, je pense. Lorsque Munoz est seul à  discuter avec moi, et que ses amis ne sont pas dans le coin, il arrive à  me traiter sur un pied d’égalité. Ce qui fait leur force, c’est leur nombre. Mais même s’il sait qu’il pourrait me rouer de coups séance tenante si l’envie lui en prenait, il ne le faisait pas.
Parce que Lainé n’était pas là , et qu’il n’y avait pas de gloire à  péter la gueule à  un gros si personne n’était là  pour rire avec lui. Alors il parlait plus aimablement. Pas gentiment, non, je ne dirais pas ça. Mais il ne ponctuait pas chaque phrase avec un rire bête ou une gifle. Et il lui était même arrivé de me dire merci, une fois.
Ce matin encore, il est venu me voir.
« Je peux te parler, deux minutes ?
-Bien sûr… »
Nous sommes allés dans le couloir, là  où personne ne pouvait trop nous remarquer, et nous avons discuté des cours de Biologie qu’on venait d’avoir. Je lui ai expliqué divers point, et il est repartit, tout fier d’avoir su comprendre.
Je pense que c n’est pas un si mauvais garçon qu’il veut bien le laisser croire. Mais l’influence de Lainé est forte, et je ne pense pas qu’il soit au courant de ces petites visites secrètes. En attendant, cela m’assure une certaine immunité.
Depuis que je lui assure un léger soutient scolaire, les mauvaises blagues à  mon encontre se sont calmées. Le seul coups de poing que j’ai reçu de Lainé était en octobre, il y a maintenant plus de deux mois. Les vacances de Noël approchent, et les menaces s’estompent.
Une sorte de traité de paix tacite semble avoir été signé.
J’en parlais encore hier soir avec Dastein.
« Munoz ? C’est vrai ? Celui de la bande à  Lainé ?
-Assurément.
-Méfie-toi quand même que ça ne soit pas un coup fourré.
-Je ne pense pas. Je ne pense pas que Lainé soit au courant, même. Ni les autres membres de son escouade.
-Je reste sceptique.
-En tout cas, j’évite les ennuis depuis que je l’aide : Je suis au calme.
-Le calme avant la tempête. »
En sortant du couloir, juste après avoir prodigué mes conseils à  Munoz, ce fut Tony qui vint me rendre une visite.

5 Crises.
Mes crises de violences se sont également calmées. Je n’ai plus tout ces accès de folies qui me prenaient, parfois, alors que j’étais rentré de l’école. Parfois, il m’arrivait d’en subir jusquâ€™à  deux ou trois par semaine, dans mes mauvais jours. Dès qu’une chose me contrariait, et que je prenais sur moi, je devais extérioriser de cette façon.
Ce n’est pas une solution, en soit, mais c’était le seul moyen efficace que j’avais trouvé pour ne pas être submergé par ma propre colère à  un moment où à  un autre. Me frapper le ventre, mon complexe le plus visible, l’emblème de tout mes malheur, devenait pour moi une nécessité. Souvent, j’étais quelques jours à  souffrir rien quand marchant, comme si j’avais fait plusieurs séries d’abdominaux sans échauffements la veille.
Depuis quelques temps, mes crises ont changés de formes. D’un coté parce que lorsque je m’inflige cette punition corporelle, je ne ressens plus aucune douleur. Le soulagement de violence est toujours là , mais je n’ai plus mal. Je ne sais pas pourquoi, ni comment cela est possible, mais c’est pourtant bel et bien le cas : La douleur devient peu à  peu inconnue pour moi. Je dis peu à  peu, parce qu’il m’arrive de me faire mal par maladresse, ou sans que je m’y attende. Peut-être que je peux arriver à  dominer la douleur, par l’esprit ?
D’un autre coté, j’arrive à  décompresser d’une autre façon. En écrivant. J’avais déjà  essayé cette méthode, mais le crayon devenait rapidement inutilisable. J’appuyai trop fort, la mine cassait, ce que j’écrivais était illisible… J’avais abandonné cette pratique. Mais l’arrivée de l’ordinateur m’a permis de reprendre. J’arrive de mieux en mieux à  extérioriser avec un simple fichier Word. De ce fait, mes crises de brutalité pures diminuent.
La dernière crise remonte au mois de décembre, après un cours de sport particulièrement humiliant, où le professeur m’avait obligé à  réussir un exercice pendant plus d’une heure. Il s’agissait de faire une aller et retour, bras tendus, sur des barre parallèles. À la seule force des bras. Moi qui n’arrivais même pas à  tenir plus de quinze secondes en suspension, immobile. Il avait interrompu le cours et avait concentré son attention sur moi durant plus d’une heure, sous l’œil moqueur de mes camarades de classe.
En rentrant dans le vestiaire, j’ai bifurqué et je suis allé dans les toilettes, où j’ai subit une crise d’une dizaines de minutes. Mes bras me faisaient mal, plus encore que mon ventre, à  cause de l’exercice précédent, mais je me suis frappé tout de même. Ce fut ma dernière vraie crise de violence, jusquâ€™à  aujourd’hui, début février.
J’ai appris récemment que le professeur d’éducation physique et sportive n’avait pas pris de vacances prolongées, depuis fin décembre, et qu’il s’était fait attaqué dans le gymnase, peu après ce cours humiliant.
Il est encore à  l’hôpital, selon Guillaume.


6 Journal.
Cher Journal,
Je ne sais pas pourquoi je n’ai jamais commencé par écrire ces mots, certainement pour faire autrement que les autres. Je remarque que je le débute souvent par le mot ‘Aujourd’hui’. Certainement parce que j’y raconte mes journée, les unes après les autres, depuis maintenant plus d’un an. Je n’ai pas compté le nombre de jours retracés dans ces pages, surtout que je n’ai toujours pas pris le temps de recopier mes cahiers griffonnés au crayon.
Je dois avoir plus de 500 jours expliqués, depuis mon entrée en sixième, quasiment. Et en cinq cents jours, que de changements.

Le bonheur naît du malheur, et le malheur est caché au sein du bonheur, disait Lao-Tseu. Et, comme la plupart des proverbes et des citations que je connais par cÅ“ur, il se révèle vrai après l’avoir vécu. Cette année est la première année où tout semble aller pour moi, où tout semble s’arranger un tant soit peu dans ma vie.
Je considère Guillaume Dastein comme un véritable ami, dorénavant. Julie Ulm également. Ce sont tout deux des personnes qui comptent énormément pour moi, et j’espère que la réciproque est également véridique. Avec eux, mais d’une manière différente, je partage des choses, je ris, j’apprends. Je suis bien.
J’ai appris, notamment, à  être sociable.
Internet m’a décomplexé. J’ai enfin réussi à  vaincre cette timidité maladive dont je faisais preuve à  l’égard des autres. Pas totalement, mais mes inhibitions sont tout de même moindres qu’avant. Le stress quotidien qu’était devenu ma vie s’est mué en un curieux bien-être. J’ai l’impression d’être au-delà  de mes anciennes peurs, et je ne sais pas exactement d’où cela vient, mais le résultat est formidable.
Je ne sais pas qui remercier, mais je le bénis.
Seulement, le proverbe de Lao-Tseu cité plus haut est à  double tranchant. Mon bonheur actuel est né de mon malheur passé. Mais maintenant que tout va bien, vais-je tomber sur le malheur, caché au sein du bonheur ?
J’espère que non.

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MessagePublié: 04 Sep 2005, 15:16 
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4. … dans son cœur.
1 Anniversaire.
Dans quelques jours, je ferai une fête pour mon anniversaire.
J’ai l’impression que cette année sera une année charnière pour moi. Tout semble s’arranger, petit à  petit. Mon obésité perd peu à  peu du terrain, bien que je ne fasse pas plus de sport que d’ordinaire. Mais peut-être est-ce parce que je suis moins nerveux ? Je l’ignore, mais ça me convient.
Dans quelques jours, je fêterai mon treizième anniversaire.
Les gens s’intéressent plus à  moi, de ce fait. Et la bande à  Lainé ne m’ennuie plus autant qu’avant. Munoz et Tony continuent à  venir me voir de temps à  autre, et Blanchot s’est joint à  eux. Lainé, lui, reste toujours en retrait, certainement par fierté. Mais je soupçonne que certaines des demandes d’aide viennent de lui. Mes conseils doivent indubitablement profiter à  plus de personnes que je ne le crois.
Dans quelques jours, je fêterai mon anniversaire.
Les relations semblent s’être également adoucie avec Julie, qui revient me voir. Elle n’a certainement pas eu de menaces aussi directes et violentes que moi, mais je pense qu’elle a dû sentir les tensions de l’époque. Nous n’avons jamais été aussi proches qu’actuellement. Nous correspondons toujours via Internet, ce qui a grandement facilité les échanges.
Dans quelques jours, il y aura une fête.
Je vois également nombre de fois Guillaume en dehors de l’école. Dès lors que j’ai un léger problème technique avec mon ordinateur, il passe et répare le souci sans difficultés. J’ai l’impression que je n’aurais jamais fini d’apprendre avec lui. J’ai beau examiner et apprendre le moindre de ses faits et gestes, mais il survient toujours une complication plus délicate et je dois faire appel à  lui.
Dans quelques jours…
Je vois un peu moins mon libraire, parce que je passe de plus en plus de temps sur le net. Mais je passe toujours le voir dès que je le peux. Il se plaint de ne plus être mon meilleur ami, mais je vois bien qu’il est content pour moi. Il ne cesse de me féliciter pour ma socialisation. Mais je ne l’oublie pas, je ne l’oublierai jamais.
…je ferai une fête…
Comme tout est pour le mieux, j’ai décidé de faire une fête, cette année, pour mon anniversaire. Ça sera ma première fête sérieuse depuis des années. Depuis toujours, en fait. Je n’ai jamais fêté d’anniversaire avec des amis, tout simplement parce que je n’en avais pas. Mais cette années, cette année charnière, cela va changer. J’ai invité Guillaume, Julie, mon libraire, et même Tony, Munoz et Blanchot. Faire la paix serait mon plus beau cadeau…
…d’anniversaire.

2 Coup de téléphone.
À peine ma porte refermée, j’entends le téléphone qui sonne dans ma chambre. Je me précipite et monte les deux escaliers avant d’ouvrir en tremblant ma porte. Troisième sonnerie. J’ai réglé mon appareil sur cinq sonneries avant que le répondeur automatique ne se mette en route. J’arrive enfin à  ouvrir la porte.
Quatrième sonnerie.
Je lâche mes clefs et cours arracher le combiné. Personne d’autre ne peut m’appeler dans ma chambre, à  part mes parents, Guillaume Dastein et Julie.
« Allô ? »
Je reconnais immédiatement la voix de Julie.
« Oui ?
-Excuse-moi, je te dérange ? »
Sûrement à  cause de mes halètements. J’espère qu’elle ne s’imagine pas que j’étais en train de m’adonner à  une pratique solitaire.
« Non non, je viens de rentrer, c’est tout. Je suis essoufflé parce que j’ai couru pour monter les marches.
-Ah. »
Je sens de la pitié dans sa voix. Rien que dans ce seul mot, j’entends tous les ‘Je suis désolé de t’avoir fait faire des efforts.’ ou ‘Je sais que ça doit être pénible de te mouvoir avec toute cette graisse…’. Je n’y peux rien, c’est comme ça.
Je ne lui en veux pas.
« Je t’appelle pour savoir si tu veux bien passer chez moi, ce soir ? »
Tout semble s’arrêter. Je n’ai pas pu avoir entendu ce qu’elle vient de dire, c’est impossible. Elle n’a pas pu dire ça. Elle n’est jamais venue chez moi, ni moi chez elle. Je sais où se trouve sa maison, mais rien de plus.
J’ai soudainement chaud.
« Allô ?
-Oui, p… pardon, je… J’étais en train de réfléchir à  ce que j’ai à  faire ce soir.
-J’aimerai vraiment que tu viennes. Mes parents ne sont pas là  et… …nous serons plus tranquilles. Seuls. »
Je transpire, cette fois-ci. J’ai chaud, et pas seulement à  cause de ma course, mais aussi par les sous-entendus que m’assène Julie. Je ne sais plus où je suis, ni quoi faire. Est-ce sérieux ? Est-ce pour se moquer de moi ? Je regarde mon ventre, qui a fondu mais qui est toujours présent.
« D’accord. »
Est-ce moi qui ai répondu ?
« Tu veux bien ? Super ! Alors je t’attends, à  tout à  l’heure !
-Attends !
-Quoi ?
-Pour demain après-midi, c’est toujours d’accord ? »
Il lui faut du temps pour se rappeler. Je vais lui donner un indice.
« Ma fête ?
-Ah oui ! Oui, bien entendu ! Je… Aucun problème. À tout de suite ! »
Elle raccroche. Elle paraissait sincèrement heureuse.

3 Confidences et conseils.
« Guillaume ? Tu es vraiment absent ou est-ce encore un leurre ? »
J’attends la réponse en tapotant frénétiquement le bureau de mes doigts. Ma jambe gauche remue également à  un rythme imaginaire, et je me ronge la peau des doigts nerveusement. Je sens mon cÅ“ur battre la chamade alors que Dastein écrit sa réponse, à  quelques kilomètres de moi.
« Je suis là .
-Julie vient de m’appeler. Elle veut que je vienne chez elle.
-Ah. C’est une bonne chose, non ? ^^ »
Je réfléchis.
« Je ne sais pas.
-Est-ce qu’elle s’est déjà  moqué de toi ? »
Il est clair que non. Je n’ai même pas le souvenir qu’elle m’ait regardé de travers.
« Non…
-Alors qu’est-ce que tu fiches encore ici à  me parlé !
-parler*
-Fonce la voir !
-Je me change et j’y vais.
-^^ »
Il a raison, après tout. Elle a toujours été correcte avec moi, et elle semblait sincère au téléphone. Après tout, pourquoi pas ? Peut-être qu’elle souhaite vraiment autre chose qu’une amitié entre nous ?
Comme moi ?
« Guillaume ?
-Quoi ?
-Tu n’as pas oublié pour demain, hein ?
-Je n’ai pas oublié. ^^ »

4 Conditionnement.
Le soleil est encore haut lorsque je ressors de chez moi. Personne ne m’a vu, ni entrer, ni sortir. Je pense que même les servantes n’ont pas remarqué mon manège. Après tout, je pense être rentré pour le dîner, et si ce n’est pas le cas, qui s’en souciera ? Ma mère ? Laissez-moi rire. Je ne suis même pas sûr qu’elle soit consciente, en ce moment.
Ces derniers mois, elle semble encore plus éloignée que d’ordinaire. Je crois que la boisson est devenu chez elle une obligation, plus qu’un plaisir. Il ne se passe pas une seule soirée sans que la bouteille de Gin ne se vide, parfois entièrement, parfois moins.
Je l’entends remonter, de temps en temps, dans la nuit. Je l’entends tituber, trébucher, pester à  voix haute en ignorant l’heure tardive et moi, son fils, qui dort. Je l’ai même entendu vomir dans le couloir, une fois. Je n’ai pas redormi de la nuit, et à  mon réveil, le tapis avait disparu, et ma mère n’avait daigné sortir de sa chambre que le soir venu, la tête enrubannée dans une serviette et les yeux pochés.
Je chasse ses souvenirs aussi confus qu’inutiles de mon esprit, et je mon concentre sur le présent. Le présent, et l’avenir. Mon cÅ“ur s’embrase lorsque je pense à  ce que nous allons faire, seuls chez elle. Bien sûr, des pensées excitantes me traversent l’esprit. Après tout, je suis un garçon, pas encore un homme, mais tout ça commence à  me titiller. La puberté fait peu à  peu son office, et Julie fait également son effet.
Je me force à  me calmer.
Il n’y a rien de tout ça dans ce dont elle a parlé. Rien. Elle veut juste me voir pour des conseils, comme d’habitude. Pour qu’on parle du cours d’histoire de ce matin, ou de l’exercice de Mathématiques qu’elle n’a pas réussi à  résoudre.
Ou pour autre chose.
Non, pas pour autre chose. Elle n’avait pas ça en tête lorsqu’elle a appelé. Je suis persuadé qu’elle ne pensait pas à  ça.
Elle t’attendra comme sur les photos piochées sur Internet.
N’importe quoi, je…
Même position…
Je… … je ne…
Même tenue.
Je suis devant chez elle.

5 Envolée lyrique.
« Tu as fait vite ! »
Elle est resplendissante. Elle s’est changée depuis les cours : Elle portait là -bas un jean crème avec un haut bleu clair qui laissait entrapercevoir ses formes naissantes. Je me souviens même avoir vu, un instant fugace, une bretelle de son soutient gorge.
Blanc. Il était blanc.
Elle porte maintenant une jupe noire relativement courte, qui laisse ses jambes découverte à  la limite de la décence, et un top rose moulant, sans soutient gorge. Non qu’elle en ait réellement besoin. Elle a également troqué ses baskets pour une paire d’escarpins vernis bleu marine. Je pourrais la regarder indéfiniment.
« Je suis parti dès que tu as raccroché.
-Allez, entrons pendant que mes parents ne sont pas là . Ils ne rentreront que sur les coups de sept heures, je pense.
-Ça nous laisse deux heures. »
Je ne suis presque plus capable de penser. Elle me prends la main et me traîne jusquâ€™à  la porte d’entrée. Mais je remarque juste un détail, et j’arrive tant bien que mal à  exprimer mon trouble, sans bafouiller.
« Les vélos, là , ils sont à  qui ? »
J’ai dû toucher un point sensible, car elle s’immobilise à  l’entrée, dos à  moi. Nous restons quelques secondes ici. Je me demande si j’ai bien fait de poser la question. Elle finit par se retourner et m’offre son plus joli sourire.
« Ce sont les vélos de mes frères. Mais ils sont partis avec mes parents, également.
-Ah. »
Je trouve que les vélos sont un peu grands, et je ne me rappelle pas qu’elle m’ait un jour parlé de ses frères, mais je n’en dis rien. Je ne veux pas gâcher cet instant privilégié avec des questions aussi inutiles.
Je la suis jusquâ€™à  sa chambre. Sa maison est très claire, tout comme elle. Blanche, pure, et terriblement désirable. Je prends réellement conscience de mon attirance pour elle, alors qu’elle grimpe les escaliers devant moi. Je vois ses jambes, sa jupe qui n’ose pas remonter trop haut pour me priver de mon imagination. Je vois tout, sans tout voir.
J’imagine. Je suis aux anges.
Elle se retourne juste avant d’entrer dans sa chambre et me lance un regard à  faire fondre un iceberg. Je la désire vraiment. Si elle pense à  ce que je pense, je n’aurais même pas à  attendre mes treize ans pour découvrir les joies du sexe. Même si ça n’ira certainement pas plus loin que des caresses et autres baisés enflammés.
Je lis sur son visage qu’elle me réserve une surprise.
Elle ouvre la porte.
Et la main de Tony se referme sur mon bras.

6 Désenchantement.
En un rien de temps, tout bascule. Je me retrouve à  terre, aux pieds de Jacques Lainé, qui se pavane sur le lit. Tout se bouscule. J’entends les rires de Tony, de Munoz, de Blanchot – son rire de bovin attardé – et évidemment de Lainé. Un cinquième rire également. Je l’entends, mais je ne veux pas l’entendre. Mais c’est inéluctable.
Julie, riant aux éclats, s’assieds auprès de Lainé, qui l’entoure de son bras.
Cette vision me fait plus mal encore que le coup de pied que m’assène Tony alors que j’essaye de me relever.
« Reste à  terre, le gros. »
J’entends la clef qui tourne dans la serrure. Un traquenard. Les vélos. Seuls à  la maison. Une surprise pour toi. Tous ces mots prennent un sens radicalement différent.
« Alors, ça faisait longtemps, hein ? Je t’ai manqué ? »
Je baisse les yeux, comme le faible que je suis. Comme le faible que j’ai toujours été. Ses mots me blessent, mais pas autant que le rire continuel de Julie. Chacun de ses hoquets pénètre en moi comme un tisonnier chauffé à  blanc.
Je souffre.
« Tu as perdu ta langue ?
-Je pense pas qu’il s’attendait à  un tel accueil, Jacques.
-Pour son anniversaire, en plus, on a fait ça bien ! »
Je vois les chaussures de Lainé qui s’approchent de moi. Il m’attrape par les cheveux, comme la dernière fois sur le trottoir, et me relève la tête. Je vois son visage à  quelques centimètres du mien, et j’ai de nouveau l’envie de lui cracher dessus. Je dois me rebeller, mais je ne trouve pas la force en moi.
Laisse-moi faire ?
« Non…
-À qui tu parles, le gros ? C’est à  moi ? C’est à  moi que t’as dit non ? Mais je ne t’ai pas posé de question ! Je ne t’ai pas demandé ton avis ! »
Laisse-moi faire, tu verras.
Non. Je ne comprends rien, toutes ces voix. Une parvient de ma tête, mais je ne suis pas sûr que… Lainé… C’était la voix de qui ? De qui ?
« Je crois qu’il a perdu la parole, Jacques. »
La voix de qui ?
« Julie ? Ça ne te dérange pas qu’il y ait un peu de sang sur ton lino ? »
La voix…
« Je… euh… Vous allez le tabasser ?
-Juste un peu. »
…de qui ?
La mienne.
Et les coups pleuvent.
Je me force à  penser à  autre chose. Ils sont quatre sur moi. Julie ne rit plus.
Et les coups pleuvent.
Il faut que je me sorte de l’esprit qu’ils sont en train de me frapper. Non. Ils ne me frappent pas. Chaque coup est un coup que je leur donne.
Et les coups pleuvent.
Oui, un coup que je leur donne.
Oui, c’est ça…

7 Ultime crise.
Je rentre chez moi, l’esprit embrumé.
Je n’ai presque aucun souvenir de ce qui s’est déroulé après mon entrée dans la chambre. Je me rappelle des voix, dans ma tête et en dehors, des insultes.
Des coups.
Mais à  partir de là , j’ai l’impression d’avoir été déconnecté. Je n’ai que des images éphémères qui me viennent, comme autant d’instantanés défilant rapidement. Je vois Lainé et son visage plein de folie. Je vois Munoz à  terre. Je vois Julie qui hurle. Je vois Tony qui tente d’ouvrir la porte. Puis le noir. À nouveau Lainé, mais sans son masque de folie.
Remplacé par un autre : De la terreur.
Puis, je me retrouve là , sur le trottoir, à  marcher en direction de chez moi.
Mes vêtements sont fripés, déchirés, et tachés de sang. Pas énormément de sang, juste quelques gouttes qui semblent avoir giclé ça et là . Pas grand-chose.
Et surtout, ce n’est pas le mien.
Physiquement, je suis intact. Je n’ai rien de cassé, tout juste quelques douleurs au ventre, à  la tête et sur les jambes. Mais pas même un bleu, ni une égratignure. Je n’ai pas saigné ni du nez ni de la bouche. J’ai toutes mes dents, aucun Å“il au beurre noir et c’est tout juste si mes cheveux sont ébouriffés.
Mentalement, je suis anéanti. Ma pensée est entièrement fragmentée. Des petits morceaux de souvenirs, de rêves, volètent autours du seul noyau de raison encore actif, celui qui me répète sans cesse : « Tu es en vie, tu t’en sors bien, tu n’as rien ». Je n’ai rien. Mais mon entendement vacille.
Et mon cœur est en miettes.
Je retrouve la sécurité de ma chambre. Je me déshabille et me mets au lit. Nu, sur les couvertures, je me passe une main songeuse sur le ventre. Mon ordinateur est éteint. Je devrais le rallumer et envoyer les mails pour annuler ma fête. Je n’ai plus envie de fêter quoi que ce soit. Je n’ai envie que d’une chose.
Violence.
Je respire par à -coup. Je sens mon cÅ“ur qui bat intensément en moi. Comme lorsque je suivais Julie dans les escalier. Mais ce n’est pas exactement le même type de sensation. Je vais dérouiller. Mes poings se serrent, alors que je continue à  me caresser le ventre, qui a perdu de sa rondeur, mais qui est encore trop.
Trop.
Premier coup de poing.
Une fois sous les couvertures, blotti à  la chaleur de mon propre corps et de mon ventre meurtri par plus d’une heure de heurts, je pleure.

8 Journal.
Aujourd’hui, c’est mon anniversaire. Je n’ai pas eu le courage de faire mon journal hier soir, et j’expliquerai les raisons une autre fois. Je n’en ai pas le courage, encore, maintenant. La blessure est trop récente.
Je redoutais de voir Lainé et sa bande, pour des raisons que je développerai. Mais finalement, je n’ai pas eu à  les voir, car ils étaient tous les quatre absents. Des rumeurs courent sur le fait qu’ils se seraient fait rosser hier soir, alors qu’ils rentraient. Ça a dû se passer juste après ce qu’ils m’ont fait.
C’est bien. Il y a une justice.
Dastein a été très énigmatique quand je lui ai raconté mon histoire. Nous en avons parlé durant la pause du déjeuner, et il se contentait de me sourire, comme s’il savait quelque chose et qu’il me le cachait. À la fin de la conversation, il m’a tapé sur l’épaule, et il est parti en disant que je commençais à  comprendre.
Mais je ne comprends pas !
Julie était là , aujourd’hui. Elle m’évitait ouvertement. J’en suis heureux, car je n’ai pas du tout envie de lui adresser un mot. Ni même un regard. Je n’irai pas vers elle, et je crains qu’elle ne vienne pas non plus vers moi. Je l’ai croisé ce midi, et j’ai vu une chose qui m’a fait repenser à  Lainé, dans son regard.
Il y avait de la terreur.
De la terreur, pure.

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La vie est faite d'obstacles à  surmonter pour progresser...
...moi je passe à  côté...


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MessagePublié: 04 Sep 2005, 15:17 
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Extincteur des ténèbres
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5. …adie.
1 Anémie
Je m’éveille avec un sentiment de malaise en moi. Un malaise oppressant, je veux dire avec ça qu’il est pire que d’ordinaire. Le genre de malaise qui fait penser qu’on resterait bien dans son lit, sous ses draps, durant toute la journée, plutôt que d’aller en cours. Le genre de malaise qui fait flancher les déterminations les plus inflexibles, qui fait abandonner les plus courageux, qui fait exécuter un demi-tour aux plus obstinés.
D’habitude, j’ai simplement une sorte de lassitude extrême qui couve en moi, et non pas un si grand trouble annonciateur de malheur. Je me lève la plupart des matins avec cette sensation d’épuisement total, d’anémie paresseuse qui s’accroche à  moi pour la journée. Parfois, elle disparaît dans la matinée, parfois non. Souvent non, même. Mais la gêne d’aujourd’hui me semble différente.
Pas pire, mais différente.
Complètement différente.
Celle de tous les jours se traduit pas un ressac sans fin de souvenirs de cette journée maudite. Celle de mon dernier anniversaire. Je ne peux même pas dire ‘fête’, ni même penser le mot, tant la douleur qui m’assaille alors est forte et entêtante. Pourtant, je n’ai de cesse d’y songer. Je revois des images, j’entends des mots, des voix, des sons.
Des rires.
Son rire à  elle, la pire arme qui soit.
Voilà  mon calvaire quotidien depuis plus de sept mois. Et même maintenant qu’on entame vaillamment le mois d’Octobre, la souffrance de la trahison brûle toujours en moi. Braise encore rouge et fétide, qui exhale la peine et la tristesse à  chaque moment.
Mais aujourd’hui, un autre mal semble avoir supplanté celui-ci dans la hiérarchie provisoire de mes afflictions. Je n’arrive pas à  l’identifier à  cent pour cent, mais je pense qu’il s’agit là  d’un bête rhume, voir d’une grippe pour imaginer le pire. Cette maladie apportera son lot de tracas, sa ritournelle de reniflements, de glaires à  expectorer et autres difficultés diverses, mais si elle me permet d’oublier cette journée, ne serait-ce qu’une heure.
Une minute.
Quelques secondes…

2 Souffrance.
J’avais raison, hier, lorsque je pensais avoir attrapé froid. Les prémices d’une attaque frontale de microbes sont passées, maintenant. Je suis bel et bien malade. Malade comme un chien, même. J’ai l’impression que mes yeux veulent s’évader de ma boîte crânienne, ou au contraire rentrer au plus profond de mon cerveau.
Autant hier je me sentais simplement mal, autant ce matin, j’ai mal. Une migraine me scinde la tête en une dizaine de douleurs pulsantes qui m'agressent à  chaque battement de cÅ“ur. De violentes crises de nausées me submergent régulièrement, ce qui m’a empêché de dormir une bonne partie de la nuit. Je ne vais pas aller en cours, aujourd’hui.
Trop fatigué.
Trop mal.
« Je pleurais quand je vins au monde, et chaque jour me montre pourquoi. » Un proverbe espagnol dont j’ai oublié l’auteur. Aujourd’hui est un jour particulièrement propice à  sa vérification, en tout cas. Je ne pleure pas, mais j’aurais bien des raisons de le faire.
Je ne peux même pas me lever pour m’installer à  mon ordinateur qui trône, éteint et silencieux, sur mon bureau. C’est là  la pire torture : avoir près de soi un objet qu’on désire et ne pas pouvoir l’atteindre. Enfin, je pourrais me lever, mais je sais pertinemment que des vertiges s’empresseraient de gagner mes sens et que je vacillerais sur mes jambes à  chaque pas. Et je terminerais probablement à  terre, la tête dans mon propre vomi.
Ce qui n’est vraiment pas un but excitant.
Je reste donc alité, songeant à  des choses et d’autres, songeant aux maux qui me tourmentent, songeant à  Julie qui riait à  gorge déployée alors qu’on me rouait de coups, songeant à  mes forums qui se remplissent de messages sans que je puisse en voir la teneur. Même si la grande majorité de ces messages sera vide de sens, j’aime suivre tout ce qui se passe dans un forum, du premier au dernier topic.
Je voudrais tant être assez résistant pour rester capable de poster. Au contraire, cette maladie en deviendrait d’autant plus utile si elle me permettait de rogner sur le retard qui augmente tous les jours. Car je n’ai, même lorsque je vais bien, jamais le temps de faire tout ce que j’ai envie de faire sur Internet. Alors j’entame, j’entame, j’entame, mais je prends du retard partout ailleurs.
Ce seront bientôt les vacances de la Toussaint, d’ici quelques semaines. Je pourrai m’y mettre à  fond, et revenir à  jour sur tout.
Ah, si je pouvais combattre ma maladie comme on combat un ennemi.

3 Fièvre
Ma mère toque à  ma porte. Je venais tout juste de sombrer dans une semi somnolence agitée, et les trois coups de bague qu’elle donne à  ma porte me font sursauter. Je lui demande ce qu’elle veut.
« Tu ne vas pas à  l’école ?
-Non, je suis malade. »
Pas de réponse. J’ai rarement été malade au cours de ma scolarité, et elle doit certainement chercher le terme dans sa mémoire avinée.
« Malade ? »
Oui, malade à  en crever, et c’est seulement maintenant que tu te réveilles. Il est tout de même plus de midi, et c’est seulement maintenant que tu as dû t’apercevoir que mon manteau gît toujours accroché dans l’entrée, que mes chaussures sont sur le paillasson, et que la vaisselle du soir n’a pas été faite.
Je prends sur moi pour ne pas tout déballer.
« Oui, malade. J’ai dû prendre froid.
-Ah. »
Ah. Voilà  tout ce qu’elle peut dire : Ah. J’aurais pu lui dire qu’un chien m’avait mordu et arraché les deux jambes, qu’elle aurait répondu : Ah. Je déteste lorsqu’elle fait Ah. Elle a une façon de le dire qui sonne comme Ça ne me concerne pas. Ce qui est vrai, dans un sens : Elle s’en fout.
« Donc je ne vais pas en cours ce matin. »
Je me demande si elle va vouloir entrer pour savoir comment je vais exactement.
« D’accord. Soigne-toi bien alors. »
Elle repart. Sympa. Même pas une once d’inquiétude pour son propre fils. Mais ça ne m’étonne pas. Elle a toujours été comme ça. Et puis, même si elle avait voulu entrer, elle n’aurait pas pu : Ma porte est fermée en permanence, la clef dans dons un tiroir de mon bureau, et je suis incapable de remuer.
Le simple fait d’aller jusquâ€™à  ce bureau relèverait déjà  du calvaire, alors je ne veux même pas penser un seul instant à  faire les quelques pas qui me séparent de la porte. Et puis, qu’aurait-elle fait ? Elle m’aurait apporté des médicaments ? Elle m’aurait soutenu pour aller aux toilettes ? Elle aurait prit ma température ? Je peux faire ça seul.
D’ailleurs, c’est ce que je fais depuis mon réveil, ce matin. J’ai juste demandé à  une domestique d’aller me chercher de quoi me soulager un peu à  la pharmacie. Je ne suis pas sûr que ma mère sache où se trouve la pharmacie du coin, alors de là  à  aller elle-même les chercher, autant rêver !
Je me tâte le front.
Ma fièvre est encore là , et elle me fait transpirer de plus en plus. J’ai horreur de rester dans un lit chaud et humide, mais je n’ai pas le choix. Je ne peux pas me lever, sauf en cas d’urgence. Et encore.
Oh, comme j’aimerais pouvoir chasser ces maux par la force…
Ça va être une longue journée.

4 Délire./
Je ne supporte plus de rester couché. J’ai pourtant dormi quelques heures, par-ci par-là , mais je fais des cauchemars à  chaque fois. Ma fièvre a encore empiré, et j’ai le plus grand mal à  garder les yeux ouverts. Tout ne semble que douleur. Tout m’est insupportable.
Je vais…
Je dois…
…
Je me réveille à  nouveau. Tout était vert, cette fois-ci. Ma mère avait attrapé la fenêtre et elle la découpait pour le dîner du soir. Je me souviens. C’était flou, mais j’étais content qu’elle s’occupe de moi. Elle était ensuite partie, et je me suis réveillé.
Peut-être.
Je ne sais même plus si je dors ou non, actuellement. C’est une sensation horrible, comme si on se retrouvait perdu. On ne sait pas exactement où on est, ce qu’on fait ou qu’on doit faire, et le monde tourne. En permanence. Rien n’est fixe.
Tout était vert.
Je vais quand même essayer de me lever. Je dois manger quelque chose. Absolument. Je dois rester conscient, même si mes jambes sont en coton. Je n’ai qu’un caleçon, mais j’ai encore chaud. Il est trempé. Mon lit, mes draps sont trempés. Je suis trempé. J’aurais besoin d’un douche, mais j’ai peur de…
…oh…
Non. Ça va, rien qu’un vertige. J’ai vu les murs onduler et le sol remuer bizarrement, mais c’est passé. Je me sens mal, le plus mal possible. Mes yeux pleurent, mais les larmes sont poisseuses comme de l’humeur. C’est horrible. Je sens mes organes bouillonner, glouglouter en moi comme autant d’appréciations de mécontentement. Je ne peux rien y faire. Je peux juste…
…urp…
Je souffle. Je respire à  grandes goulées. Je ne dois pas vomir. J’exècre vomir, surtout que je n’ai aucun réceptacle à  portée de main. Pourtant, quand j’y pense, j’irais certainement mieux après. Mais je m’y refuse. Non. Allez…
…debout.
Au départ, ce n’est pas si horrible que je l’avais redouté. Mais dès les premiers pas, je commence à  entrevoir mon erreur : Je n’y arriverai pas. Mais je persiste. Ce n’est pas en abandonnant avant d’avoir commencé que j’ai réussi à  avancer. Je suis debout, maintenant, je dois marcher.
Je fais un pas.
Je sens tout mes os qui protestent, qui craquent, qui couinent en s’agençant maladroitement. Le second pas est encore plus maladroit que le premier. J’ai encore mon lit pour me soutenir, et je m’accroche à  la couverture mouillée de ma sueur. Troisième pas. Encore un, et je devrais poursuivre sans roulettes, comme à  bicyclette.
Quatrième et cinquième pas d’affilée, et je tombe.

5 Attaques.
J’ouvre un Å“il hésitant.
Je me rappelle pas de tout ce qui s’est passé. Je me souviens de m’être mis debout, d’avoir fait quelques pas, mais ensuite je ne sais plus. J’ai dû perdre l’équilibre. Peut-être ai-je même perdu connaissance ? Il fait nuit. C’est le soir, je ne sais pas combien de temps je suis resté ainsi, couché sur le sol.
Mais c’est le soir.
Je me relève et regarde l’heure de mon réveil. Il indique une heure trente-sept. Soit plus de neuf heures après ma tentative de balade. Je suis donc resté plus de neuf heures inconscient, soit endormi, soit assommé. Je n’ai pas mal où que ce soit, donc je n’ai pas dû me cogner si fort que ç…
Je n’ai pas mal.
Je n’ai plus mal.
Je me rends seulement compte de ça : Je n’ai plus mal. Plus de migraines, plus de douleurs à  l’estomac, plus de nausées, plus de vertiges. Même mon nez semble s’être débouché. Je regarde à  terre comme si j’allais y découvrir les résidus de ma maladie à  l’agonie, mais bien évidemment, il n’y a rien.
J’ai l’impression de revivre.
Je fais quelques enjambées incertaines dans ma chambre, mais aucun problème. Je suis bel et bien guéri, aussi incroyable que cela puisse paraître. J’en oublie immédiatement les raisons de ma guérison miraculeuse et regarde mon ordinateur avec envie. Je l’ai eu sous les yeux toute la journée, et maintenant, je suis capable d’en faire.
Je consens à  remettre un peu d’ordre sur mon lit avant toute chose, et à  aérer la pièce. Le désordre est un de mes pires ennemis. Soudain, un mouvement attire mon attention, alors que j’étais en train de retirer draps froissés et encore un peu humides. Quelque chose a bougé, derrière mon lit.
Mon cœur bat la chamade alors que je me baisse pour regarder en dessous. Est-ce une souris ? Un insecte ?
« Ah ! »
Je viens de revoir cette… cette… cette créature. Non, ce n’est pas une souris, c’est bien trop gros. Mais je n’ai pas l’intention, quoi que ce soit, de la laisser vivre dans mon antre. Je prends un balai posé près de mon armoire et j’entreprends de déloger la chose en remuant la poussière aléatoirement sous le lit. Avec un remue-ménage comme ça, je ne…
Le balai m’échappe et disparaît sous le lit.
Je reste muet d’appréhension et d’horreur en entendant les craquements du bois, puis des mâchonnements effrayant. La chose mange le balai, il n’y a pas de doute.
Nouveau mouvement, à  ma droite, mais là  je n’ai pas à  regarder sous le lit pour découvrir l’ampleur de la bête qui se dresse devant moi. Elle a la taille d’une vache, mais sa forme est indistincte, visqueuse, et elle semble en perpétuel façonnement. Des membres jaillissent n’importe comment, ainsi que des yeux, des bouches et une myriade de dents. Je n’arrive même pas à  hurler.
Quelque chose touche mon pied, quelque chose de froid. Je baisse mes yeux et remarque que la créature de dessous mon lit vient de me foncer dessus. Je hurle, cette fois-ci, alors que le monstre en face de moi fait de même et se jette sur moi. Je trébuche en voulant l’éviter et me cogne sur le coin de mon lit. En même temps, j’ai écrasé la chose qui s’était attaqué à  mon pied, et qui courait partout en piaillant.
Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?
L’énorme créature fait un demi-tour approximatif et renverse une étagère sur le sol. Je vois mes petites figurines de jeux vidéo et autres animes japonais se faire engloutir par les deux monstres goulus, avant que leur attention se focalise de nouveau sur moi. Ils sont devant ma seule porte de sortie. Je regarde à  leur gauche et vois la fenêtre qui donne sur la rue.
Pas le choix.

6 Poursuite.
Les deux bestioles sont trop bêtes pour avoir anticipé ma fuite, mais elles sont malgré tout assez intelligentes pour ne pas lâcher prise si facilement. Je redoute le moment où elles me rattraperont. Le temps qu’elles comprennent, j’avais déjà  réussi à  sauter par ma fenêtre et à  descendre en m’aidant de la balustrade de mon balcon. Je bénis le jour où mes parents ont choisi une maison à  un seul étage.
Arrivé en bas, je me rends compte que je suis simplement en caleçon, pieds nus et que je n’ai pas de quoi rentrer chez moi : Mes clefs sont sur mon bureau, là -haut, à  moins que ces choses ne les aient dévorés également. Puis vient le doute. Est-ce que je n’étais pas en train de rêver, d’imaginer ces bestioles Lovecraftiennes dans un pur délire issu de mon esprit enfiévré ? Ça serait plus logique que cette réalité.
Un bruit au dessus de moi m’indique que je n’étais pas en pleine hallucination, mais que les deux choses continuaient à  me pourchasser. Je ne connais pas leurs motivations, le pourquoi de cette poursuite, mais je ne vais pas les attendre pour leur demander. Alors que je vois la plus grosse tomber à  l’endroit même où je m’étais tenu quelques secondes plus tôt, j’exécute une roulade et je me mets à  courir sur le trottoir, au hasard.
Il n’y a personne dans les rues, et le froid de ces derniers jours se fait sentir. Je vois mon souffle se changer en vapeur blanche devant mes yeux, et le froid mord mon corps à  moitié nu. Derrière moi, j’entends un glissement gluant qui me révulse le cÅ“ur. Je n’ose pas me retourner, et continue à  courir.
Je tourne sans réfléchir, sans faire attention à  l’endroit où me mènent mes jambes. Je sais juste que la ou les créatures sont toujours derrière moi, et je sens parfois un appendice gelé et visqueux me frôler le mollet.
Virage à  gauche.
Les fenêtres défilent sans fin à  coté de moi, les voitures immobiles et sans vie me narguent dans la tranquille sécurité de leur place de parking. Je m’essouffle.
À droite maintenant.
Je suis malgré tout content d’avoir perdu du poids, car jamais je n’aurais pu courir si longtemps, et maintenir à  distance la chose.
Encore à  droite.
Je tombe sur l’impasse Marquet. À force de courir à  l’aveuglette, je n’avais pas remarqué que je m’étais moi-même envoyé dans un piège.

7 Apparition.
Libère-moi.
Je vois la plus grosse des deux créatures passer le coin. Je suis acculé. Pas moyen de m’échapper. Si encore ça avait été dans l’impasse Flaubert, deux rues plus loin, j’aurais pu m’en sortir en sautant un portail et en m’échappant par un jardin, mais là , ce sont trois murs qui m’entourent. Trois murs et un monstre.
Laisse-moi faire.
J’entends de nouveau cette voix étrange. Une voix à  la fois étrangère et familière. Dans ma tête. Dans ma putain de tête. Est-ce que je deviens fou ? Tout se passe comme chez Julie, lorsque je l’ai entendu et que j’ai fini par…
…céder. Recommence !
La monstruosité rampe vers moi en émettant de lourds bruits spongieux. La plus petite est là  aussi, et sautille à  ses cotés. Elles semblent vouloir me dévorer, comme le balais, comme mes figurines. Mais où suis-je ? Ça ne peut pas être vrai, tout ça ! Je dois être encore KO sur le plancher de ma chambre, baignant dans ma sueur.
Tu sais parfaitement que c’est faux.
Je sens que le propriétaire de cette voix veut sortir. Il s’est occupé de Lainé quand je l’ai laissé faire, et il veut s’occuper de ça, maintenant. J’avais remarqué que les deux fois où Lainé s’était fait taper dessus, c’étaient deux fois où j’avais été en contact avec lui. Je ne sais pas ce que je suis, ni ce que j’ai, mais ce n’est pas normal.
« Tu n’es pas normal, ça non. »
Cette voix. Celle-ci ne vient pas de ma tête, et je la reconnais. Je sais qui en est le propriétaire. Les deux choses s’arrêtent, et je devine une sorte de perplexité. Elles ne devaient pas s’attendre à  avoir un invité surprise.
Je regarde Dastein sauter à  coté de moi. Il semble accoutré bizarrement, mais je n’y fais guère attention. Les deux créatures hésitent, et la plus petite a cessé de sauter. Elles semblent jauger le nouvel arrivant.
« Ça va ?
-Euh… Oui… »
Je bredouille ces quelques mots avec peine. Je suis tellement abasourdi de le voir débarquer, ici, maintenant, et de le voir si calme en face de ces deux erreurs de la nature, que j’en oublie d’articuler. Il me tend la main et je me redresse.
« Je pensais que tu t’en sortirais, mais je me suis trompé, manifestement.
-C… Comment ça ? M’en sortir ?
-Après tout, tu en es le créateur, alors tu devrais pouvoir les éliminer sans peine, tu ne crois pas ? »
Je reste sans voix. Je suis le créateur de quoi ? De ces monstres ? Moi ? Non ! Non, je n’ai pas enfanté ces démons, je n’ai rien fait de tel ! Je… j’ai juste…
« Combattre la maladie ?
-Comment ?
-Tu as combattu ta maladie, n’est-ce pas ? Comment imaginais-tu tes maux ? »
La réponse qui me vient, l’image que je vois, représente la scène qui se déroule actuellement. J’ai imaginé combattre des êtres difformes, censés évoquer ma fièvre et ma nausée. La petite et la grosse.
Et maintenant elles sont là .
« Tu commences à  comprendre. C’est bien. »
Je me tourne vers lui, mais ce n’est pas lui. C’est un autre lui, une sorte de représentation parfaite. Il rayonne de perfection. Il semble plus grand, plus carré, plus imposant. Plus irréel aussi. Mais ça ne l’empêche pas de s’élancer sur la créature, qui se rétracte de surprise.
« Il faut juste éviter de ne pas contrôler ce qu’on fait. »
Guillaume Dastein lance son poing avec une rapidité fulgurante et une partie de la créature se dégonfle. Je mets ma main devant ma bouche et mon nez pour tenter d’arrêter l’odeur fétide qui sort de la plaie de la chose. Un liquide violacé s’écoule sur le sol, remplit de petites bêtes à  l’agonie. Dastein recule et écrase nombre de cette masse grouillante.
« Le tout, c’est d’y croire. Avoir de l’imagination, et croire à  ce qu’il y a dans ta tête. Une fois que tu y crois, tout est possible. »
Il s’élance à  nouveau et, sous mes yeux horrifiés, se jette dans la créature, qui se referme sur lui dans un beuglement de satisfaction. La chose émet plusieurs bruits liquides, puis grogne. L’autre bête a disparu. Elle a dû fuir. Je fais un pas.
« Guillaume ? »
La chose grogne à  nouveau. Elle semble ennuyée, bien que je ne me considère pas comme un professionnel des émotions de créatures inconnues.
« Guillaume ? »
Un bras jaillit alors de l’abdomen de la bête et m’éclabousse de sang violet. Puis un autre bras sort du même trou et écarte la plaie. La bestiole mugit tandis que Dastein la déchire en deux et remet un pied à  terre. Il est indemne et parfaitement propre. Il réalise un mouvement compliqué de ses mains, puis il les rapproche.
La créature s’est totalement évaporée.
« Que… Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce que c’était que ces choses ? Je n’ai rien créé, crois-moi, je ne… »
Il me pose un doigt sur ma bouche, et je le vois redevenir lui. Sans changer complètement, il retrouve sa forme normale, moins baraquée, moins grande, moins parfaite.
Et il sourit.
« Chut. Je t’apprendrai. »
En un instant, son regard devient dur et son apparence reprend de l’ampleur. Son sourire disparaît pour un visage sévère et nettement plus âgé. Plus mature. Son poing écrase contre le mur derrière moi la petite bête qui s’était échappée.
Je m’évanouis en entendant les cartilages se broyer sous sa force.

8 Délivrance.
J’ouvre lentement les yeux. Le soleil passe par les ouvertures des volets de bois, ceux d’origine que j’ai refusé de faire changer lorsque ma mère a été prise d’une subite envie de volets électriques. Je tourne ma tête sur le coté, pour regarder mon réveil.
Huit heures et quart.
« Quel rêve. »
C’était bien un rêve. Un délire occasionné par la fièvre et la fatigue. Pas de monstres, pas de course-poursuite nu dans la ville de nuit, pas de Super Dastein qui vient me sauver. Juste moi, un malade alité avec une imagination fertile et beaucoup de tête à  l’envers. Mais Dieu que ce rêve avait eu l’air vrai.
Pourtant je suis là , dans mon lit, avec mes draps de nouveau chauds et mouillés par ma transpiration. Je devais être sérieusement mal pour faire un tel rêve, tout de même. Quand je repense à  ces deux créatures, j’en frissonne encore. Je pourrais écrire des scénarios de films d’horreur, si ça continue.
Je ris. Ça me fait du bien. Le pire de ma maladie est derrière moi, et je me sens mieux. Bien mieux, même. Je me sens même le courage de me lever, même si je n’irai certainement pas me ruer dehors encore aujourd’hui. Je vais simplement ouvrir la fenêtre et… Tiens ? Elle est déjà  ouverte ? Je ne me rappelle pas l’avoir ouverte, hier. Enfin, si, pour échapper à  mes bestioles, dans mon rêve. Serais-je somnambule ?
J’arrête de rire lorsque je mets mon pied à  terre et qu’un morceau de verre vient se ficher dans mon talon. Ma vitrine est à  terre, explosée. Je me rassois, sous le choc, et retire l’éclat de mon pied. Du sang dégoutte sur le sol, mais je reste les yeux fixés sur les dégâts. Un morceau de feuille replié a été glissé sous ma lampe de chevet. Je le déplie.
Une seule phrase est griffonnée.
L’écriture de Dastein.
« Non, ce n’était pas un rêve. »

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MessagePublié: 04 Sep 2005, 15:18 
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6. … à  l’âme.
1 Imagination.
Quelques mois se sont déroulés depuis ma maladie et la découverte d’un tout nouveau monde. En fait, non, il s’agit de mieux que ça : Une nouvelle façon d’aborder celui qui existe, le monde réel. Une vision inédite de la vie habituelle, une version simplifiée, comme dans un jeu vidéo dont on possède les codes. Invincibilité, munitions infinies, toutes les options accessibles : Tout cela est presque à  ma portée.
« Maintenant, essaye de le faire toi-même. »
Presque, parce qu’il me reste énormément à  apprendre. De Dastein, d’Internet…
…et surtout de moi-même.
Je me concentre.
« Oui, voilà , comme ça. Ensuite, tu visualises ta force.
-Ma force ?
-Celle de Fear. Celle que tu as inventée. Celle de ton esprit. »
Fear.
Mon personnage virtuel, conçu de toutes pièces. Imaginé de bout en bout par un enfant solitaire et désoeuvré, pour compenser sa timidité maladive sur le monde virtuel.
Fear.
Un personnage haut en couleurs, heureux et passionné par les connaissances, qu’elles soient à  acquérir ou à  distribuer aux autres.
Fear.
Une sorte de héros un peu grosbill qui se bat toujours avec les bons dans les délires des forums, qui sympathise avec tout le monde et n’a que peu d’ennemis.
Fear.
Un moi de synthèse qui était condamné à  le rester, mais qui grâce à  Dastein et à  ses conseils, prend peu à  peu une consistance…
…réelle.
Fear.
« Allez, un petit effort !
-Je… Je n’y arrive pas, Guillaume. »
Il soupire et s’assied. Pour lui, cela paraît si simple. Il arrive sans aucune peine à  projeter son lui imaginaire qu’il a appelé Roof. Une seconde de concentration, et le voilà  avec son corps parfait, représentation irréprochable de l’humain sans défauts.
« Ce n’est pas en abandonnant que tu y arriveras, tu le sais ?
-On dirait le libraire, quand tu dis ça.
-Tu trouves ça trop dur ?
-Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles, disait Sénèque.
-Le brave homme. Il en est mort. »
Nous rions. Cela détend un peu l’atmosphère. Puis nous reprenons l’exercice, et je tente à  nouveau de faire jaillir de moi Fear. Guillaume m’a dit de l’appeler intérieurement, comme on appelle un ami, et, lorsqu’il arrive, de l’accepter, de lui ouvrir la porte.
J’essaye. En vain, mais j’essaye.

2 Explications.
« Je sais que tu en as le potentiel. Je l’ai su dès que je t’ai vu dans la librairie, avec ton engouement pour Internet. Je l’ai senti. C’était un frisson terrible. J’ai tout de suite vu que tu pouvais faire des choses de ce type, comme moi. Ça fait de nombreuses années que j’ai découvert cette forme de matérialisation de pensées. Quel âge tu as, quatorze non ? »
C’était le lendemain de ma guérison miraculeuse, alors que j’avais arrêté Guillaume dans la cours du lycée pour lui demander ce qui avait été vrai ou non, pendant la nuit. Nous avions séché la première heure de cours en faisant le mur, et nous avions parlé.
« Bientôt. À la mi-mars.
-Et moi j’en ai plus de seize. Mais quand j’y pense, j’avais ton âge lorsque j’ai commencé à  faire… »
Il avait hésité.
« …ça. Je n’ai pas trouvé de nom adéquat pour nommer ce que j’ai fait cette nuit. Mais comme de toute façon, je n’en parle avec personne, le problème ne se pose pas. »
Je l’avais regardé avec des yeux ronds, et je n’arrêtais pas de me repasser des images de la veille, de son sauvetage, de sa force, de sa perfection.
« La matérialisation de pensées, mais ce n’est pas tout à  fait ça. C’était également de la croyance, de l’imagination, et une force de volonté hors du commun. Lorsque tu t’es fait tabasser par Jacques Lainé et ses copains, à  quoi pensais-tu ? »
J’ai mis un moment avant de trouver la réponse. Mais lorsque je l’ai formulée, elle m’a paru si évidente, si logique, que j’en suis resté sans voix.
« Je pensais à  lui. Je pensais…
-…Tu pensais que c’était des coups qu’il se recevait, lui, n’est-ce pas ? »
J’ai hoché la tête, incapable de parler mais ayant soudainement tout saisi.
« Et à  chaque fois, ils reçoivent leur raclée sans que tu sois présent, ou que tu ne t’en rendes compte. Pourquoi ? Parce que tu étais inconscient, à  l’époque, de toute cette force qui sommeillait en toi. Maintenant, il te faut la développer ! »
Je n’ai pas pu ajouter un mot, ensuite. Il m’a expliqué les tenants et les aboutissants d’une telle puissance, mais tout ce que je voyais, c’était un sentiment de supériorité qui me gagnait. Un sentiment inconnu. Il m’a ensuite mis en garde sur une chose. Une chose…
« …importante. Très importante, même. Tu peux choisir ou non d’écouter mes conseils, de les suivre ou de t’éduquer seul comme je l’ai fait. Je ne me considère pas comme un maître en la matière, mais je peux certainement t’éviter les erreurs que j’ai commises.
-Quelles erreurs ? »
Il s’est tu et il m’a regardé froidement. Un regard comme il n’en avait jamais eu, du moins sur moi. Je me suis même surpris à  avoir peur de sa réaction, à  me demander si je n’aurais pas dû me taire au lieu de poser cette question. Puis son visage s’est radouci.
« Je t’en parlerai, mais plus tard. Pour le moment, quoi que tu fasses ensuite, je te prie de suivre au moins cette recommandation : N’écoute pas la Voix. »
J’ai enregistré, analysé, sans comprendre. De quelle voix parlait-il ? Même maintenant, je ne vois toujours pas de quoi il a voulu me parler. J’ai beau chercher, pas moyen de mettre le doigt dessus. Ça avait pourtant l’air important. Pour lui, toujours.
Ah ? J’entends mon téléphone qui sonne. C’est certainement Dastein.
Je vais en profiter pour lui demander des précisions.

3 Rappel.
« C’est moi… »
Il y a un an.
Il y a un an qu’elle m’a eu. En beauté. Un an, à  quelques jours près, qu’elle m’a jeté dans la gueule du loup. Des loups, même.
Il y a un an.
Il y a un an, elle riait. Je l’entends encore, parfois, dans mes rêves, dans mes cauchemars, dans mes hallucinations auditives.
Il y a un an.
Il y a un an, je me croyais heureux, je me croyais sur la bonne voie, je me croyais entouré d’amis alors qu’il y avait un loup dans la bergerie.
Tiens, encore cette histoire de loup.
Il y a un an.
Et aujourd’hui, elle revient me narguer.
« C’est moi. »
Je reconnais immédiatement sa voix, pour l’avoir entendu maintes et maintes fois dans la classe, pour l’avoir aimée. Car j’ai aimé cette voix. Et autant j’ai aimé ses paroles, autant j’ai haïs son rire. Son rire de jubilation et d’humiliation.
« Qu’est-ce que tu veux ? »
Je suis froid, mais on n’efface pas ce rire par un ‘C’est moi.’.
« Je sais que ce qui est arrivé il y a un an était en partie de ma faute, mais…
-Non, c’était entièrement de ta faute. »
J’appuie bien le entièrement. Je le pense. Sincèrement.
« Oui. Oui, c’était entièrement de ma faute. Si tu savais comme je suis désolée… »
Je m’en contrefous, si tu veux tout savoir.
« Tu m’en veux encore ?
-À ton avis ? »
J’ai une furieuse envie de rire. Une grande envie de rire et de me moquer d’elle alors qu’elle rampe pour me demander quelque chose. Mon pardon ? L’absolution de ses péchés ? Elle regrette ? Qu’elle aille au diable.
Je peux t’y aider.
« Oui, bien sur que tu m’en veux. C’est légitime. Je ne sais pas comment me faire pardonner. Je ne sais vraiment pas comment regagner ta confiance. »
Crève ?
« Je sais que dans quelques jours, c’est ton anniversaire. Et j’aimerais… »
Elle bute sur les mots. Non, ce n’est tout de même pas ce que je pense ? Si ? Elle n’oserait pas me proposer un nouveau rendez-vous ? Dites-moi que je rêve ?
« …j’aimerais… »
Elle va le faire, la garce.
La sale petite pute…
« …j’aimerais qu’on se voit. Qu’on se parle. Qu’on se réconcilie. »
Elle l’a fait. Elle a osé.
« Encore un piège, c’est ça ? Tu vas m’inviter de nouveau chez toi, et toute la bande m’y attendra pour un second round ? Et en avant la musique, un pain par ici, un coup de latte par là  ? Excuse-moi, Julie, mais très peu pour moi. Je ne suis pas un adepte du sado-masochisme, pour tout te dire. Et les femmes aussi salopes que toi, ça me répugne. »
Je lui ai cloué le bec. Je crois qu’elle pleure.
Tant mieux.
« Si ça ne te dérange pas, j’ai des choses à  faire, maintenant.
-Au cas où tu changes d’avis, je serai toute l’après-midi dans le parc en face du lycée le jour de ton anniv… »
J’ai raccroché.
Au moins, grâce à  elle, j’ai enfin compris de quoi parlait Dastein. Je sais ce qu’il voulait dire par la Voix. La petite Voix qui me susurre des atrocités de temps à  autre. Dans des moments de panique, ou autre.
On parle de moi ?

4 Pouvoirs.
J’ai finalement décidé d’y aller.
Le coup de fil était avant-hier, et j’ai mûrement réfléchi. Je vais y aller. Je ne suis plus le même qu’il y a un an. Je suis une autre personne.
J’ai des pouvoirs.
Je ne suis pas encore du niveau de Guillaume, mais je me suis amélioré depuis le début de notre entraînement. J’arrive à  faire apparaître Fear de temps à  autre. J’ai même réussi à  me promener ainsi changé dans la ville.
Lorsque je suis en Fear, je ne ressemble pas au gamin obèse de quatorze ans que je suis en réalité. Non, je ressemble plus à  un jeune homme d’une vingtaine d’années, mince, musclé et à  la peau mat. Le parfait sex-symbol, en quelque sorte. Je me rappelle d’une femme qui m’avait regardé avec insistance durant mon passage devant la terrasse d’un café. À mon retour, j’avais explosé de rire en songeant qu’elle ne m’avait pas réellement vu.
Alors je leur montrerai, à  Lainé et ses copains, ce qu’il en coûte de s’attaquer à  moi. Ils verront que j’ai quelqu’un qui me protège. Un homme plus âgé qu’eux et certainement bien plus balèze. Et ils comprendront leur douleur.
On les éclatera.
« Non. On ne les éclatera pas. On se contentera de les regarder s’escrimer contre une personne qui n’existe pas. Ça sera amplement suffisant. »
J’applique la méthode de Guillaume en ce qui concerne la Voix : Ne pas l’approuver, la contrer à  voix haute si nécessaire, réfuter tous ses arguments. Elle ne contre-attaque pas. Elle est relativement calme aujourd’hui, mais plus j’arrive à  maîtriser Fear, plus elle apparaît et elle vient me tenter.
Je ne cèderai pas.
Demain, j’irai au parce en face de chez Julie. J’irai en fin d’après-midi, histoire de la faire attendre. Vers dix-neuf heures. Il n’y aura plus personne, plus de gêneurs. Peut-être ne sera-t-elle plus là , elle non plus.
Tant pis.

5 Rencontres.
Il est presque dix-neuf heures trente lorsque je pénètre dans le parc. Les nuits tombent encore tôt, au mois de mars, et la pénombre environnante me met à  l’aise. J’ai longuement hésité sur mon arrivée auprès d’elle : Devais-je venir tout simplement, ou bien changé en Fear ? J’ai fini par choisir la solution la plus simple.
« Tu ne dois en aucun cas en parler partout, autour de toi. C’est une capacité que peu de personnes possèdent, et on ne nous comprendrait pas. Je dis ça dans ton intérêt, et dans le mien. S’il s’avère que la confiance que j’ai placée en toi était un gâchis, je nierai toute implication dans ta vie, et tu seras la seule cible de ceux que ça intéresse. »
Guillaume m’a de nombreuses fois répété ce sermon, ne variant qu’un mot de ci de là , mais au fond toujours identique. Garder le secret. Ne pas faire étalage de sa force, de son potentiel. Ne pas se faire remarquer. Je comprends son point de vue, malgré qu’agir en plein jour soit tentant.
Je pourrais faire une multitude de chose, avec ces facultés : Vaincre mes complexes, combattre les injustices, aider les autres… Et d’un autre coté : Cambrioler des maisons, des banques, jouer les voyeurs chez les filles, et énormément d’autres choses trépidantes.
Tentant, hein ?
Oui, c’est tentant. Mais je n’ai pas besoin de ça.
Ooooh si, tout le monde a besoin de ça.
Pas moi.
Tu es comme tout le monde, pourtant ? Tu as deux bras, deux jambes, une bi…
Tais-toi. J’ai autre chose en tête que de la perversité mal placée.
Il ne répond plus. Je le maîtrise de plus en plus facilement, car je m’emporte de moins en moins. Mes crises de violence ont définitivement cessé. Du moins, je l’espère. Je n’en ai pas refait depuis…
…depuis un an.
Je vois Julie, assise sur un banc.
Elle n’a jamais été aussi belle.
Elle ne m’a pas encore vu, et je prends tout mon temps pour arriver. La nuit s’installe lentement autour de nous, et j’ai l’impression d’être dans un film où toutes les images défilent au ralenti. Un flou artistique opacifie mon champ de vision, et je ne vois qu’elle. Je croyais l’avoir rayée de ma vie, et elle revient.
J’espérais pouvoir l’injurier, mais je souris.
Je pensais la haïr, mais je l’aime.
« Hello… »
Une entrée pathétique s’il en est, mais je n’ai pas trouvé autre chose. Je me sens comme au tout début de notre relation amicale, lorsque je ne savais que bredouiller et bafouiller devant elle. C’est ignoble.
« Bonsoir. Je suppose que c’est une juste punition de m’avoir fait attendre. »
Je veux trouver une excuse valable pour me faire pardonner mon retard, je veux ramper à  ses pieds pour lui dire que tout est terminé, que tout est pardonné. Mais non, ce n’est pas la bonne solution. Ce n’est pas pour ça que je suis là . Je suis là  pour la faire payer. Elle a poireauté pendant une demi-journée, et ce n’est pas fini.
« En effet.
-Je n’ai que ce que je mérite. »
Je ne réponds pas. Je lui laisse ainsi le temps de la réflexion, bien que je suppose qu’en un an, si ses regrets sont sincères, elle a eu le temps d’y songer.
« Tu ne veux pas t’asseoir ?
-Non. Ça ira.
-Tu as bonne mine. »
La conversation n’avance pas. Elle n’ose pas me parler, et moi je ne dois pas engager la conversation non plus. Pourtant, j’en meurs d’envie, mais ce n’est pas la bonne solution. Si je cède, elle recommencera.
« Tu as encore maigri, non ?
-Quel est le but de cette entrevue, Julie ? »
Son prénom dans ma bouche sonne le glas des amabilités. Elle ne peut plus tourner autours du pot, maintenant. Elle est forcée de rentrer dans le vif du sujet.
« Pourquoi tu m’as fait venir ici, dans ce parc, le jour de mon anniversaire ? Un an après m’avoir trahi, un an jour pour jour après m’avoir poignardé dans le dos en me livrant à  mes tortionnaires, tu comptes rééditer l’exploit ?
-Je ne…
-Où sont-ils cachés ? Dans les buissons à  droite ? Derrière la statue, par là  bas ? Ils ne sont pas là  ? Ils t’ont fait faux bond à  leur tour, comme c’est navrant. »
Je m’emporte, c’est plus fort que moi. Je ne devrais pas m’emporter, mais je ne peux plus m’arrêter. J’explose. Un an de douleur qui s’évacue.
« Ils ne sont pas là â€¦
Ah ! Ils ne sont pas venus ! Ils ne sont peut-être même pas au courant que la copine de leur chef est là , à  discuter avec moi ? C’est ça ? C’est ça ? Il ne le sait pas, Jacques Lainé ? Le grand Jacques Lainé ? Il n’est pas au courant que sa Julie est bourrée de remords ? »
Elle cache son visage dans ses mains. Je devine des sanglots, alors que ma voix continue à  hurler des insanités, sans arrêt, sans pause, sans pitié.
« Elle regrette, la pauvre. Elle regrette d’avoir fait cet acte ignoble, hein ? Elle n’a pas aimé du tout, lorsque je me suis fait tabasser sous ses yeux. Pourtant tu riais, Julie ! Tu riais, n’est-ce pas ?
-N…
-OSE ME DIRE QUE TU NE TE MARRAIS PAS COMME UNE GRELUCHE, alors que ton mec était sur MOI et qu’il me TABASSAIT comme un FORCENÉ ! OSE ME DIRE QUE TU NE RIAIS PAS, JULIE !! »
Je hurle dans le parc désert. Je hurle, elle pleure, et moi aussi. Je me passe une main sur la figure et découvre les larmes. Des larmes de chagrin contenues depuis un an. J’ai chaud, j’ai terriblement chaud, alors que la température est encore froide pour la saison. Je reprends lentement mon souffle, alors que Julie sanglote silencieusement.
« …je… …suis désolée… »
C’est tout ce que j’arrive à  saisir entre ses pleurs. Je me frotte le visage une nouvelle fois, puis je m’assois à  ses cotés. Nous restons ainsi quelques minutes, elle à  pleurer et moi à  penser. Puis je l’entoure de mes bras et elle se plaque contre moi.
Et elle pleure encore plus fort.
Des passant marchent dans mon dos, mais je ne leur prête pas plus d’attention que ça. Je serre Julie contre moi, et elle s’accroche à  mon blouson comme si j’étais le dernier homme sur Terre. Je lui pardonne. Je lui pardonne tout. Tout ceci est terminé.
C’est lorsque j’entends les pas se rapprocher que mon estomac se resserre.
C’est lorsque j’entends une voix connue que mon cœur bat plus fort.
C’est lorsque je me retourne qu’un cri s’étouffe en moi.
« Cette fois-ci, le gros, tu vas crever. »
Jacques Lainé est face à  moi.
Et il est furieux.
Tout se passe très vite, alors. Il y a plusieurs regards qui s’entremêlent : Celui de Lainé et le mien, puis celui de Julie qui se lève vers mon visage, qui va ensuite vers celui de son petit ami, le regard de Lainé qui délaisse le duel une seconde le temps de foudroyer Julie, puis mon regard qui rencontre ceux de Blanchot, Munoz et Tony derrière Lainé, et enfin, retour au duel d’yeux entre Lainé et moi.
Tout semble figé, et pourtant tout se passe à  une vitesse ahurissante. J’entends Munoz jurer d’étonnement en nous reconnaissant enlacés, Blanchot qui démarre son rire de benêt au moment même où Julie resserre sa main sur la mienne, de peur. Puis Lainé, qui m’attrape par le col et me fait passer par-dessus le banc sans un effort. Sans un cri.
Juste en me tuant des yeux.
Je suis arraché à  l’emprise de Julie et vois le décor se retourner avant de percuter violemment le sol. Des étoiles noires apparaissent dans mon champ de vision, alors que Lainé, haletant, semble statuer intérieurement sur mon sort. Lorsqu’il parle, c’est d’une voix calme :
« Alors ça, si j’avais cru que ma copine me trompait avec un mec comme toi…
-Ce n’est pas ce que tu cr…
-TA GUEULE, pétasse !! Je ne crois pas t’avoir autorisé à  l’ouvrir ! Alors tu la boucles et tu ne bouges pas. Je m’occuperai de toi après le gros tas. »
Il se tourne de nouveau vers moi et m’envoie un coup de pied dans l’abdomen. Je me concentre sur le rire de Blanchot, qui se stoppe alors que je roule sur moi-même une fois l’impact passé. J’ouvre un Å“il et je vois Benoît Blanchot, à  genoux, se tenant le ventre des deux mains et gémissant.
Je souris.
« Qu’est-ce que t’as ?
-Putain, Jacques, ça recommence. Comme l’autre fois. Moi je me casse. »
Munoz.
« Mon ventre…
-Qu’est-ce qu’il a, ton ventre ? T’as trop bouffé ?
-Merde, Jacques, cassons-nous ! J’ai pas envie de me retrouver couvert de bleus de la tête aux pieds, sans même savoir qui nous a fait ça ! »
Tony.
Un silence. Puis Lainé reprend la parole.
« C’est lui qui nous fait ça. Attrapez-le. »

6 Viol.
Ils m’ont eu sans mal et ils me maintiennent à  genoux sur le sol. Blanchot et Tony pèsent de tout leur poids sur moi, et je ne peux guère bouger. Mais ce n’est pas grave. Je contrôle la situation. Je n’ai quâ€™à  attendre qu’ils me frappent, et je leur renverrai les coups.
Dix fois plus fort.
Je ne me changerai en Fear quâ€™à  la toute fin, juste pour voir leurs têtes et les entendre gémir de peur. Pour les voir ramper à  mes pieds, pour les humilier et leur rendre la monnaie de leur pièce. Et ainsi, j’aurai ma vengeance.
Lainé s’avance vers moi avec son habituel sourire de vainqueur. Il s’accroupit en face de moi et me file une claque. Au dessus de moi, Tony grogne.
« Alors c’est bien vrai. Je ne sais pas comment tu fais ça, mais c’est bien joué. Très bien joué, très fin. Bravo. »
Je n’aime pas le ton qu’il prend. Il est sûr de lui.
Je commence à  douter.
« Nous ne pouvons donc pas te faire de mal, n’est-ce pas ? Réponds ! »
Je garde le silence. Où veut-il en venir ?
« Je vais m’occuper de ta nouvelle chérie, alors, tout simplement ! »
Merde.
Merde de merde.
J’aperçois Julie, maintenue par Munoz qui ne rit quâ€™à  moitié. Il semble avoir également peur de la réaction de Lainé. Je l’entends lui dire qu’il va trop loin.
« Non, c’est ce petite tas de graisse qui est allé trop loin en me piquant ma copine, Munoz ! Tu m’entends ? C’est lui le fautif, c’est à  cause de lui que tout ça arrive ! »
Il me crache dessus, et je le sens couler sur ma joue. Je ne réagis pas, bien que l’image d’une Julie se débattant dans les bras de Munoz ne puisse pas être soustraite à  ma vue. Je serre les dents et les poings. Il va être temps, Fear.
« Et qu’est-ce que tu vas faire, si je la frappe elle ? Hein ? »
Allons-y Fear.
« Si je l’étrangle, comme là  ? »
Maintenant ! Maintenant !!
« Ou si je lui déchire ses vêtements, à  cette garce qui n’est même pas fidèle ?
-Jacques, ça va peut-être aller, non ? »
Maintenant, Fear ! On y va !
« Je fais ce que je veux, Munoz, pigé ? Si je veux la prendre sur la terre, là , devant vous tous, je le fais, parce que je l’ai décidé. Quelque chose à  redire ? »
Mais sors, Fear ! Déchaîne-toi ! Allez ! Ne me lâche pas maintenant !
« Quelque chose à  redire ? »
Allez, possède-moi et change-moi !! Fear !
« Non Jacques… »
Fear ! Ne m’abandonne pas…
Je vois Lainé qui gifle Julie à  la volée, sans se retenir. Bientôt, le sang coule, mais Lainé ne s’arrête toujours pas. Je sens que Blanchot et Tony desserrent leur prise. Ça n’était pas prévu. Il s’emporte beaucoup trop. Ça va trop loin. Je dois réagir, mais je suis paralysé par la peur et le doute. Je sombre. Fear m’a abandonné.
« Et maintenant, le grand final…
-J… Jacq…
-Ta gueule, toi ! Si tu l’ouvres, ça ne sera pas pour parler, crois-moi ! »
Il défait sa braguette.
Je donnerais n’importe quoi pour avoir le pouvoir de réagir.
N’importe quoi ?
N’importe quoi.
Tu as gagné le gros lot.
Tout semble tourner autour de moi. Ça ne dure qu’une seconde ou deux, mais également des milliers d’années. Le temps n’existe plus. Lainé, Julie et les autres n’existent plus. Je n’existe plus.
Je renais.
Et je me sens…
« …bien. »

5 Retournement.
Jacques Lainé se retrouva happé par une force monumentale. Les sensations qu’il ressentit furent telles qu’il se retrouva projeté contre le tronc d’un arbre. Il retomba sur les genoux, souffle coupé et les yeux pleins de larmes. Une douleur sourde lui vrillait l’estomac et il fut obligé de se détourner rapidement pour ne pas vomir sur ses cuisses.
Tony et Blanchot ne purent empêcher la libération de leur vessie, et une immense tache d’humidité s’étala à  leur entrejambe. Ils ne pouvaient plus courir. Ils ne pouvaient plus bouger. Ils n’osaient pas. Ils avaient peur.
Peur de Lui.
« Alors alors, dit l’homme qui avait été un gamin rondouillard, par où allons-nous commencer ? Par ce monsieur ? »
Il lança Son index rageur vers Munoz qui chuta au même instant en se tordant de douleur. Les yeux exorbités, le corps secoué de convulsions, il finit par s’évanouir la tête dans sa salive. Ça n’avait duré que quelques secondes. Au premier plan, Julie Le regardait avec une terreur grandissante, en maintenant son chemisier déchiré par Lainé.
« Et d’un ! » jubila l’inconnu.
Son index redescendit, et on s’attendait presque à  voir de la fumée s’échapper de l’extrémité. Il souriait. Il s’avança vers Julie, qui levait les yeux sur Son visage qui demeurait indéfinissable. Si on avait demandé à  quelqu’un de décrire cet homme, il aurait été dans l’incapacité de donner des informations précises.
Il semblait entouré d’un halo d’obscurité, qui passait devant Son corps d’adulte par voiles ou par vapeurs. Sa tête n’était qu’une masse ovoïde de ténèbres évanescentes, où l’on devinait avec peine deux yeux et une bouche souriante. Grimaçante.
« Ensuite, Julie, très chère Julie de mon cÅ“ur, qui vais-je choisir pour la punition ? Le con de service ou la masse sans cervelle ? »
Des larmes coulèrent sur les joues de la jeune fille, qui tremblait de toute part face à  cette incarnation de la noirceur. Elle ne pu rien émettre d’autre qu’un sanglot étouffé. L’inconnu hocha ce qu’Il avait à  la place de Sa tête, comme s’Il avait entendu la réponse.
« Oui, je garderai Lainé pour la fin. Après tout, il sera la cerise sur mon gâteau de souffrance : Le point culminant ! »
Soudain, il se retourne. Il a senti quelque chose, quelqu’un approcher. Il regarde le vide à  quelques mètres de lui et gronde tel un chien.
« Toi… »

4 Dastein et Destin.
« Oui, c’est moi. Tu ne pensais pas me revoir ici, n’est-ce pas ? »
Guillaume Dastein se dressait face à  Lui. Les mains dans les poches, un léger sourire en coin, il avança nonchalamment sur l’herbe du parc. Une bourrasque de vent fit onduler ses cheveux alors qu’il enjambait le corps inconscient de Munoz.
« Je lui avais pourtant bien dit de ne pas céder. De ne pas écouter ta Voix. Mais tu as su choisir le bon moment, l’instant où sa concentration vacillait, et tu t’es imposé.
-Comme à  chaque fois, comme à  chaque fois. »
Un silence chargé d’électricité s’installa. Les deux adversaires se regardaient dans les yeux, sans se détourner à  aucun moment. Les quatre autres adolescents regardaient toujours fixement leur ancienne victime devenue bourreau.
« Tu comptes m’arrêter ?
-S’il le faut.
-Tu ne pourras pas. »
Dastein leva un sourcil interrogateur.
« Pas cette fois-ci. Pas avec ce gamin. Il est si… si puissant ! C’est l’hôte dont j’ai toujours rêvé. Ses capacités dépassent de loin celles de tous mes autres corps. »
Guillaume Dastein ne fit aucun mouvement superflu ni annonciateur de son attaque, et se rua sur l’inconnu avec une vitesse irréelle. Son corps changea durant l’attaque et il se retrouva avec l’apparence et la force de Roof. Un sigle ésotérique apparu sur le dos de sa main quelques secondes avant l’impact, qui toucha l’homme en plein ventre.
« Raté. »
Blanchot s’enflamma en hurlant, sans explications, sous le regard terrifié de Lainé, Tony, Julie et Dastein. Celui-ci s’écarta de l’inconnu et lança la tranche de sa main vers Blanchot, qui se tordait de douleur. Les flammes s’éteignirent comme on souffle une bougie.
« Pas mal. Mais tu ne pourras pas tous les sauver en même temps… »
Il écarta les bras et quatre serpents mordorés jaillirent de ses flancs. Il sifflèrent un instant dans les airs, leur base toujours attachée à  Lui, puis fixèrent leurs proies. Dastein jura intérieurement. Ce démon a raison : je ne pourrais pas tous les sauver. Mais avec un peu de chance, et l’aide de Fear…
Guillaume ne bougea pas lorsqu’Il lança les quatre serpents sur les adolescents. Il ne bougea pas non plus lorsque Julie hurla. Il bougea encore moins quand les têtes de serpents s’arrêtèrent à  quelques centimètres de leur nourriture.
« Mais qu’est-ce…
-Comme tu l’as Toi-même dit : Ce garçon est puissant. Ses capacités sont gigantesques, et il a une volonté hors norme.
-Non… Ce cancrelat oserait me défier ? »
La figure de Dastein s’illumina d’un sourire.
« Ce cancrelat, dit-il, pourrait même gagner, s’il le faut. Tu as beau vouloir utiliser son corps à  la place de son Fear, il n’en reste pas moins le maître, qu’il le veuille ou non. »

3 Changements.
Des pensées s’insinuaient en Lui comme des coups de couteaux, et elles se répandaient dans Son esprit à  une vitesse prodigieuse. Des souvenirs qu’il n’avait pas vécus, des images, des sons, des mélodies, de voix, des sentiments, tout ça Lui tournait la tête. Il vacilla sur ses jambes, sentant son pouvoir refluer.
Une douleur puissante lui perfora le thorax, à  l’endroit même où Dastein le frappa par surprise. Il heurta le sol sur le dos, à  bout de souffle.
« Tu… Tu ne peux pas… Arhh…
-Il veut revenir. Il veut son corps.
-Impossible… je ne veux pas… »
Dastein regarda l’être se débattre sur le sol comme une tortue sur le dos, avec un sentiment de mépris non dissimulé. Il fut saisi d’une idée. Une idée perverse. Celle de faire apparaître son arme fétiche et d’en finir une bonne fois pour toutes. Mais il refusa cette idée. Il reviendrait, une fois encore, et Il recommencerait.
Avec cet adolescent, Guillaume avait une chance.
« Ne lutte pas, c’est inutile.
-Tu sais parfaitement ce que tu fais, n’est-ce pas ? Tu sais parfaitement où tu vas le mener, ce gamin ? À sa propre perte.
-Et à  la tienne, pour la même occasion.
-Tu t’en fous donc, de ce mioche ? »
Dastein tomba dans le piège.
« Complètement, mentit-il.
-C’est… c’est vrai Guillaume ? »
L’Autre était parti. La voix geignarde et apeurée de son ami fit sursauter Dastein, plus encore que celle glaciale et ténébreuse de son ancien interlocuteur. Il baissa les yeux sur l’adolescent encore obèse qui gisait sur le dos, les larmes aux yeux, et l’esprit complètement embrumé. Celui-ci soutint son regard.

2 Vengeance.
« Viens, dit-il en lui tendant la main.
-Tu te fous complètement de moi, n’est-ce pas ? »
Dastein tiqua. L’Autre avait vraiment bien négocié sa disparition. Il a certainement réussi à  lui insuffler la rancÅ“ur qu’il éprouvait à  mon égard. Et maintenant, je sens qu’il n’a plus confiance en moi. Plus assez.
« Guillaume ?
-De quoi te rappelles-tu ?
-Pas grand-chose. J’ai appelé Fear, et… »
Il hésita. Il ne sait pas exactement ce qu’il s’est passé, songea Dastein.
« …et il est venu, mais je ne me rappelle plus de ce qu’il s’est passé ensuite. Seulement de ce que tu as dit à  la fin. Tu t’es servi de moi ?
-Non, absolument pas !
-Je ne te crois pas. Tu mens. »
Il a gagné, Il a réussi à  le faire douter et maintenant, il ne me croit plus, pensa Dastein. Il jeta un regard froid au tableau autour de lui, avec deux hommes inconscients, une fille en pleine crise d’hystérie, un jeune homme en état de choc, et un adolescent surpuissant au bord d’une colère qui pouvait être dévastatrice.
Il haussa les mains en signe de reddition.
« Crois ce que tu veux, mais je ne t’ai jamais menti, et ça tu le sais. »
Il ne répondit pas, et Dastein songea qu’il y avait peut-être encore un espoir de retrouver son ancien camarade.
« Je ne sais plus, Guillaume. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé… C’était… C’était différent, cette fois-ci. Je ne me souviens pas de tout.
-Je t’avais mis en garde contre la Voix, dit Dastein précautionneusement.
-Je ne l’ai pas écouté ! hurla son ami. Je n’ai pas écouté la Voix ! Je n’ai pas fait d’erreur ! »
Guillaume remarqua les changements inconscients qu’il opérait sur son corps : De temps à  autres, des voiles noirs passaient devant lui, comme un brouillard. Et Dastein voyait parfois des morceaux de Lui apparaître entre deux fumerolles obscures.
« J’ai seulement… Je me suis emporté, voilà  tout.
-Mais tu sais très bien que tu ne dois pas t’emporter une fois changé en Fear… dit Dastein doucement. Tu pourrais faire du mal aux…
-Oh, arrête un peu avec tes sermons ! Je sais très bien que je n’ai fait de mal à  personne !
-Et que dis-tu face à  ces deux hommes à  terre ? »
Pour la première fois, il sembla remarquer le corps brûlé de Blanchot et celui de Munoz, à  quelques pas. Sa confiance en lui s’ébranla. Il releva les yeux sur Dastein avec un regard moins arrogant, moins supérieur.
« Ce n’est pas moi qui ai fait ça, dit-il d’une vois mal assurée.
-Alors qui est-ce ? »
Guillaume entendit distinctement Sa voix lui souffler la réponse.
C’est lui. C’est Guillaume Dastein qui a fait ça pendant que tu étais inconscient.
« Tu l’as fait, toi, répondit-il en se réarmant de courage. C’est toi le coupable, et non moi ! Tu essayes de me rejeter la faute, mais tout est de la tienne !
-Tu es de nouveau tombé dans le panneau, soupira Dastein.
-Je sais parfaitement ce que je dis ! Je sais parfaitement ce que je fais ! »
Dastein aida Julie à  se relever et la poussa à  partir de son coté. Il était inutile qu’elle assiste à  ce qui allait arriver. Guillaume savait parfaitement ce qu’il allait faire, une fois qu’il se retrouverait seul avec Jacques Lainé. Et il poussait tout le monde à  partir afin d’arriver le plus rapidement possible à  ce moment de béatitude.
« Je vais te laisser, alors, puisque tu n’as manifestement plus besoin de mes conseils, ni de moi. Mais sache une chose : Je ne te laisserai pas en paix, toi et ton ombre. »
Il ne répondit pas, et Dastein abandonna momentanément la partie. Pas complètement, non, il n’aurait de cesse de le traquer, même dans les pires endroits, les pires époques du monde ou d’autres. Sa quête n’aura de fin qu’avec sa destruction.
Resté seul, il contempla un moment le corps paralysé de Jacques Lainé, son meilleur ennemi, qui regardait le vide en bavant. Il resta de nombreuses minutes à  regarder le filet de salive tacher son jean, puis il s’avança à  pas mesurés vers Lainé. Un sourire mauvais vint lui étirer les lèvres, tandis qu’il se transformait peu à  peu en Lui.
La nuit résonna de nombreuses heures durant des coups sourds et des cris de Lainé. Le corps qu’Il empruntait était encore faible, mais il allait gagner de la puissance avec le temps. Il ne lui fallait que ça : Du temps.
Le…

1 …compte à  rebours…
…avait déjà  commencé.

_________________
La vie est faite d'obstacles à  surmonter pour progresser...
...moi je passe à  côté...


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MessagePublié: 04 Sep 2005, 20:05 
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Pamplemousse Panchromatique
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Localisation : Paris, France.
Comme d'habitude, mon bilan sera mitigé.



Ca ressemble davantage à  quelque chose que les chapitres précédents. Paradoxalement, ça détonne. Plus que jamais, on ressent une certaine absence d'unité de création et d'intention, à  mesure que le texte navigue entre les codes mangas et vidéoludiques de l'univers Traumen où tout est possible et un récit brut, réaliste. Le problème de cette dichotomie est en partie réglé par la séparation entre la "réalité" et l'au-delà , mais plutôt que de travailler la fracture, l'auteur intègre des éléments très quotidiens dans les mondes chimériques au-delà  du trépas et laisse passer des images très, très flashys et décalées dans le "monde réel". La mayonnaise prend un brin ; il n'en reste pas moins qu'elle n'est pas au point.

Ensuite, sur les qualités inhérentes aux derniers chapitres, je ne saurais qu'être enthousiaste. Tu prends ton temps pour exposer et développer le personnage. Certes, il n'a aucun rapport avec son modèle réel (si c'est bien celui auquel je pense), que ce soit au niveau du passé, de l'attitude, des idéaux ou des intentions, mais il sert bien ton propos. La catharsis de la dernière partie est bien gérée.
Tout cela reste classique et on ne peut pas nier le soin apporté à  la mise en scène (à  quelques exceptions près, je pense notamment à  la bourrasque de vent qui fait onduler les cheveux de Dastein, ce n'est certes pas la plus subtile des manières de lui apporter du charisme).

Dernière chose, si le personnage de Julie est juste (je regrette juste qu'il soit un peu simple), Lainé décidant du viol public de sa petite amie, par contre, c'est n'importe quoi, franchement n'importe quoi : on croirait un téléfilm américain (pour le côté "Tu parles à  ce paumé, salope, je comprends donc, tu me trompes sûrement avec lui !" grossier) croisé avec une vision foireuse de la vie des cités les plus décadentes ("Et vous voyez, ma copine... euh, je veux dire mon petit animal familier... je sais la corriger !").
Réfléchis bien à  la justesse des actions de tous tes personnages. La "psychologie" de Lainé ne ressemble à  rien : cette dernière action indique de graves problèmes mentaux ou un amoralisme total dont ni l'un ni l'autre n'ont été amenés par le moindre indice plus haut.

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MessagePublié: 23 Sep 2005, 14:30 
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Localisation : Dans le coté obscur de la force.
Suite à  un léger problèmes de communication entre moi et le correcteur de Traumenschar, à  savoir NightBeast, un certain retard a été prit dans la publication hebdomadaire de ma fic. Toutes mes excuses, déjà , et voici donc les deux chapitres de retard. Rendez-vous demain (j'espère) pour le nouveau chapitre!
Bonne lecture!

5. …saint.
6 Rentrée.
Le retour en cours après les vacances d’été se faisait dans l’indifférence générale. Comme chaque année, les petits enfants des maternelles pleuraient, ceux du primaire ne voulaient pas quitter leurs parents, les collégiens retrouvaient leurs professeurs avec plus ou moins de joie et les lycéens retrouvaient surtout leurs habitudes. Partout, dans toute la France, voir dans tout le monde, la rentrée des classes se déroulait de la même façon.
Il n’y a guère qu’un endroit où, pour les élèves d’une classe de troisième, cette rentrée était différente des autres.
Chaque classe a son meneur, chaque classe a sa tête de turc, chaque classe a son intello, chaque classe a son bellâtre, chaque classe a son gros, chaque classe a son rebelle. Tout ceci parce que chaque élève a un rôle, et reste à  sa place. Une réputation qu’il traîne depuis le primaire. Autant dire toujours. Et dans cette classe là , l’ordre logique des choses avait changé.
Jacques Lainé n’avait pas terminé l’année précédente. La raison ? Une mauvaise chute, soi-disant. Le seul hic que les autres élèves trouvaient à  cette explication concernait l’état tout aussi dégradé des autres membres de son groupe. Des rumeurs circulaient, toutes aussi farfelues les unes que les autres : Ils auraient tenté de cambrioler une banque et se seraient fait coffrer par la police, ils avaient voulu s’enfuir de la ville mais leurs parents les avaient retrouvés, ils se seraient fait enlever par des extra-terrestres, et bien d’autres encore.
Une seule retenait Son attention. Celle qui racontait qu’ils s’étaient retrouvés dans le parc non loin d’ici et qu’ils avaient invoqués un démon qu’ils n’avaient pas pu maîtriser. Il se tourna sur sa chaise et regarda les places vides à  l’arrière de la classe. Tout le monde les avaient laissé inoccupées, ces bureaux. Personne ne voulait avoir à  faire à  Lainé ou à  sa bande lorsqu’il reviendraient.
Il hésita un instant.
Ses yeux passèrent de table en table jusquâ€™à  celle qu’avait Julie l’année précédente. Évidemment, la classe était différente, mais les habitudes des élèves ne changent guères après quelques mois de vacances, et ils avaient rapidement repris un plan de classe sensiblement proche du précédent. Les amis s’étaient remis côte à  côte, les cancres au fond et les bons élèves à  l’avant.
Le silence se fit lorsqu’Il tira la chaise de Lainé et qu’Il S’assit à  sa place. Pas de murmures désapprobateurs, seulement des regards mi-outragés, mi-apeurés. Il posa un coude désinvolte sur la table et sourit avec arrogance. Tout le monde détourna la tête de la future victime, du pauvre petit gros qui avait perdu la raison.
Il avait repris du poids après le fâcheux épisode du parc. Et même s’Il ne Se souvenait pas de tout ce qui s’y était déroulé, Il avait en Lui un sentiment de malaise qui ne Le quittait plus. Il avait intégralement changé Sa vision du monde, inconsciemment. Pour lui, tout continuait sur sa lancée, comme avant. Pour les autres, tout avait changé.
Radicalement.

5 Retournement.
Les conversations qui avaient reprises cessèrent à  nouveau lorsque la porte s’ouvrit et laissa entrer Sébastien Munoz et Benoît Blanchot. Eux n’ont pas changé de rang social, ils ont simplement changé de supérieur hiérarchique. Pour leur mode de vie, ça n’a pas changé grand-chose : ils continuent à  obéir aveuglément aux ordres de leur dirigeant.
En l’occurrence, Il est devenu leur chef.
Munoz et Blanchot s’assirent à  leurs places respectives, à  Sa droite et à  Sa gauche. Ils firent le tour de la classe du regard, en défiant quelqu’un de s’opposer à  ce nouvel ordre des choses. Il s’adossa à  la chaise peu confortable et tapa sur l’épaule de Munoz.
« Oui ? dit ce dernier en se retournant précipitamment.
-Où est Lainé ?
-De… Dehors. Avec Julie. »
Il resta de marbre à  fixer Munoz, qui finit par baisser les yeux. Il empoigna le bras de Blanchot et se pencha vers lui. Vers son oreille.
« Va me les chercher. »
Blanchot ne se retourna pas. Il avait en horreur de regarder Ses yeux. Il se leva, raide comme un piquet, et couru pour sortir de la salle. Tous les élèves ne parlaient plus quâ€™à  voix basse maintenant. Et tous les élèves parlaient de Lui.
« Comment fait-il pour rester à  cette place ? »
« Regarde, Blanchot est parti chercher Lainé, va y avoir du grabuge… »
« Il est devenu fou ou quoi ? »
« Il a toujours été leur souffre-douleur. Peut-être qu’Il veut régler ses comptes ? »
« Il va se faire tuer… »
Il ferma les yeux pour contrer toutes les pensées qui s’agitaient autour de lui. Toutes le concernaient et il avait le plus grand mal à  les empêcher d’assaillir son cerveau. Il n’avait qu’une envie, c’était de les réduire à  néant. Il pouvait le faire, Il lui suffisait de se relâcher.
Juste un moment.
Un petit peu.
Et là â€¦
« Le voilà . » bredouilla Blanchot sans quitter le sol des yeux. Il s’écarta et Jacques Lainé se posta devant la table où il avait pris l’habitude d’être. La place qui aurait dû lui être réservé encore cette année, mais qui revenait finalement à  son successeur. Alors, devant les regards effarés de l’ensemble des élèves de la classe de troisième, Lainé se fit claquer.
« Est-ce Je ne t’ai rien dit à  propos d’elle ? Ne t’ai-Je jamais interdit de la voir en dehors de Ma présence ? Et J’apprends que tu désobéis ? »
Lainé eu un regard mauvais vers Munoz, qui ne cessait d’admirer le paysage à  la fenêtre. Une autre gifle retentit dans le silence gêné de la classe.
« Rien à  Me dire ?
-Excuse-moi. »
Lainé perdit également toute consistance et détourna le regard, en répétant ses excuses.
« Excuse-moi. »

4 Menaces.
À l’intercours de dix heures et quart, il indiqua d’un signe de tête qu’il désirait rester seul. Lainé, Blanchot et Munoz sortirent en accompagnant les élèves restés en classe, et refermèrent la porte derrière eux. Il ferma les yeux…
…et écouta la Voix.
Alors, n’est-ce pas tout ce dont tu as toujours rêvé ?
« Oui. »
Tu as récupéré une réputation bien plus valable que ‘le gros’, tu n’inspires peut-être pas encore la crainte, mais ça ne saurait tarder, et tu as même réussit à  dompter tes pouvoirs.
« Je l’admets. C’est… …intéressant. »
Et utile, également ! Tu pourrais faire ramper ces larves si l’envie t’en prenait. Tu pourrais les écraser comme des vulgaires mouches à  merde et étaler leurs organes rien qu’en claquant des doigts. Rien qu’en pensant claquer des doigts, même !
« C’est vrai. »
Je sens que quelque chose te chiffonne.
« Non. »
Ne tente pas de me mentir. Tu sais parfaitement ce qui arrive lorsque tu me mens.
Il sentit une douleur sourde lui écraser les tempes, juste quelques secondes, puis repartir aussi rapidement. Essoufflé, il serra les dents en marmonnant sa réponse.
« Je sais, oui. »
Bien bien. Alors ?
« Alors J’ai quelques problèmes… des problèmes de… »
…conscience ? C’est ça dont tu parles ? Mais c’est à  moi de les résoudre, ces problèmes de conscience, non ? Après tout, moi, Fear, je suis ta conscience !
« Oui… »
Et quels sont-ils, ces problèmes ? Ton libraire, qui te trouve différent depuis ces dernières semaines ? Rien de grave, nous irons le voir. Dastein ? Il tente toujours de te convaincre de jouer un rôle de gentil ? Ou bien Julie… ?
« Non ! Pas Julie. Elle n’est pas un problème.
-Tu as raison sur ce point. C’est Toi le problème. »
Il releva la tête sur Guillaume Dastein.
Puis Il la détourna. Dastein n’était plus aussi intéressant qu’avant, pour Lui. Il n’avait plus rien à  Lui apprendre, dorénavant. Il avait trouvé un autre professeur. Pour tout dire, Il n’avait même plus besoin de lui.
Il évita le coup qui traversa la salle de classe et qui fit trembler les tables de cours. Il fit un demi-tour gracieux tout en se changeant en Fear. Ou ce qu’il croyait être Fear. Revenu face à  Dastein, il arbora une mine faussement inquiète.
« Je vois que tu n’es pas venu Me féliciter pour Ma promotion ? J’aurais cru que tu apprécierais Ma nomination à  la tête de la bande, pourtant. »
Dastein lança une nouvelle onde de choc qui balaya les chaises. Elles arrivèrent sur Lui, et Il les évita d’un simple mouvement du poignet.
« Je suis déçu, on croirait un combat de grosbill, tu ne penses pas ? Comme sur ce forum où Je poste actuellement… Ah, Je ne me rappelle plus du nom. Qu’importe ! Je pense M’en défaire une fois que J’y aurai semé la discorde.
-Ce n’est pas Fear. C’est Lui qui te donne sa force. Le propriétaire de la Voix. »
Il parut surprit de cette sortie inattendue. Mais Il se contenta d’un rire mal assuré, avant de poursuivre son laïus comme si de rien était.
« Tu comptes Me mettre à  mal, maintenant ?
-Je compte Te faire reprendre la raison. Au fond de Toi, Tu le sais. Tu sais qu’il ne s’agit pas de Fear, de Ta création, mais de Lui. Tu le sais, n’est-ce pas ?
-Non, la Voix est Fear. C’est pour ça que Je n’arrivais pas à  le faire apparaître. Je t’écoutais, et tu M’avais dit que la Voix était une ennemie. Alors que c’est faux. Et rien que pour m’avoir caché la vérité, Dastein… »
Il leva sa main, paume vers le ciel.
« …tu me répugnes.
-Merde ! »
Une décharge d’énergie creva le néant pour s’abattre à  l’endroit même où Dastein s’était tenu avant qu’il se s’éjecte vers le tableau, où il resta collé à  l’horizontale. Il n’avait pas été touché, mais il l’avait évité de peu. Il décida d’opérer une retraite stratégique.
« Stratégique, hein ? Tu fuis, tout simplement, comme le déchet urbain que tu es.
-Je reviendrai, An… »
Dastein se retint. Il ne voulait pas prononcer Son nom en Sa présence, car il espérait toujours plus ou moins qu’Il l’avait oublié. Il fallait qu’Il l’ait oublié.
« Je reviendrai, et je te ferai libérer le petit. Que Tu le veuilles ou non. Et ce n’est pas quelques magies insignifiantes qui me feront reculer.
-Ou qui te feront fuir, comme tu le fais maintenant, c’est ça ? »
Dastein ne répondit pas, mais disparut.
« Pouilleux… » cracha-t-Il en reprenant une forme normale. Un papier voletait devant Lui, et Il l’attrapa sans même y faire attention. Il déchiffra sans mal l’écriture de Dastein.
« Ne te crois point si important que les autres te paraissent insignifiants. »
Il déchira le papier et l’envoya dans la poubelle de la classe. Il se consuma avant même de l’atteindre. Puis Il regarda le saccage de la classe et soupira. Il n’avait pas le droit de laisser tout ça ainsi, et risquer qu’on le soupçonne d’appartenir à  la troisième rumeur.
Il soupira.

3 Supérieur.
Revenez en classe.
Blanchot et Munoz se regardèrent. Le jeune cinquième entre les mains de Blanchot profita de leur moment d’hésitation pour le mordre et ainsi échapper à  la fin de sa correction. Munoz pesta en le regardant rejoindre les autres élèves.
« Loupé. Pourquoi tu l’as lâché ?
-T’as pas entendu une voix ?
-Ouais. Je sais. »
Munoz s’alluma une cigarette.
« Merde, c’est à  cause de Lui que Tony nous a quitté. S’Il n’avait pas repris les rênes de la bande, nous serions toujours avec lui.
-Chut, paniqua Blanchot. Dis pas des trucs comme ça ! Il pourrait nous entendre !
-Mon cul, ouais ! J’en ai marre, plus que marre de subir les caprices de Ce petit gros ! Qu’il aille se faire foutre avec ses… »
IMMÉDIATEMENT !
« Gnnnh… »
Munoz ouvrit les yeux sur un Blanchot qui tremblait au dessus de lui. Quand était-il tombé ? Quand avait-il saigné du nez ? Il ne s’en souvenait pas. Jacques Lainé apparut dans son champ de vision.
« Munoz, Blanchot, allons-y. Tu ne devrais pas dire des trucs comme ça. »
Munoz acquiesça en se relevant, et il essuya son sang sur sa manche de chemise.

Il s’assit sur un des bureaux renversés et fit le point. La situation Lui convenait, mais il restait des éléments perturbateurs, comme ceux qu’Il avait cité à  Fear. Et ces éléments mettaient en péril Son bonheur, Sa réussite. Et Il ne pouvait pas l’admettre. Il Lui fallait dominer la situation, et non la subir.
Et pour ça, il Lui fallait encore plus de puissance, de pouvoir.
De suprématie.
Tout à  Ses pensées, il ne s’aperçut pas que quelqu’un l’épiait. Une forme, une silhouette, plus qu’un homme, était tapis dans un coin, nullement dissimulé mais pas ostensiblement affiché. L’ombre ne bougeait pas, et on pouvait deviner, avec de la concentration, un visage souriant. Grimaçant. Avec des yeux avides fixés sur Lui.
La porte de la classe s’ouvrit, et l’entité s’évapora.
« Aidez-moi à  remettre ça d’aplomb. » dit-Il sans préambule. Les autres obéirent sans discuter, sans savoir ni le comment ni le pourquoi de tout ce désordre. Ils se contentèrent de soulever les tables, de les ranger, d’aligner les chaises et de passer un coup de balais. Seul Blanchot risqua une question, la curiosité l’emportant sur la prudence.
« Qu’est-ce qui s’est passé ici ?
-Ne pose pas de question dont tu ne veux pas savoir la réponse, Blanchot, répondit-Il sans lever les yeux de son livre. Et nettoie plutôt le tableau, il y a des traces de pas. »
Benoît examina le tableau, haussa les épaules, et passa un coup de tampon. Il n’y avait pas de traces de pas, mais on ne discutait pas Ses ordres.

2 Absences.
En rentrant chez Lui, à  la fin de la journée, Il eut tout le loisir de penser. Ce que lui avait dit Dastein lui trottait malgré lui dans la tête, sans qu’Il puisse oublier ses phrases.
Ne te crois point si important que les autres te paraissent insignifiants.
« Qu’avait-il voulu dire par là  ? dit-Il à  voix haute alors qu’Il marchait en direction de chez Lui. Qu’essayait-il de Me faire comprendre ? Tu as une idée, Fear ? »
Mais Fear, où celui qui se faisait passer pour, resta muet cette fois-ci. Il poursuivit Sa marche à  pied, plongé dans de sombres raisonnements et autres questions qui se posaient à  Lui. Malgré Lui, Dastein L’intriguait.
Il L’avait aidé, dès le départ, à  connaître Son pouvoir, à  le comprendre et à  l’utiliser. Ils avaient passé de nombreux moments ensembles à  s’entraîner, et L’entraîner, Lui, alors que Dastein n’avait aucun besoin de parfaire sa technique. Et puis, après cet épisode du parc, Dastein avait radicalement changé.
Il était devenu froid et distant, et rechignait à  le voir. Dès qu’ils se parlaient, les discussions terminaient toujours en disputes, plus ou moins violentes, et la démonstration de ce matin, en salle de classe, en était la preuve.
« Je ne peux plus discuter avec lui. »
Il Se rendit compte qu’Il n’avait pas eu d’absence, ce matin, durant leur affrontement. Pourtant, se dit-Il, il est de plus en plus rare que Je fasse appel à  Fear et que Je reste conscient de tout, ces derniers temps.
Il ne se formalisait pas outre mesure de ces absences. Il les prenait comme des obligations inhérentes à  ces nouvelles capacités, des contreparties non négociables, en quelque sorte. Il savait que, s’Il invoquait Fear, Il avait de nombreuses chances d’avoir une absence plus ou moins longue. Et quâ€™à  son réveil, la situation aurait évolué.
Souvent violemment, mais toujours de son coté.
Il passa devant la Librairie sans même un regard pour le libraire, qui le vit traverser la route en soupirant. Il se rongea un ongle, pensif, se remémorant plus ou moins consciemment les moments passés à  discuter avec le gamin. Il a bien changé, pensa-t-il. J’espère qu’Il ne va pas S’attirer d’ennuis. En même temps qu’il formulait sa pensée, il eut l’impression de voir un homme prendre le même chemin que Lui. Juste l’impression.
De Son coté, Il arriva chez Lui et referma la porte. Toujours à  Ses réflexions, Il alla dans la cuisine Se préparer un encas et aligna les denrées sur un plateau. Sa mère arriva derrière lui et s’adossa à  la chambranle de la porte. Elle avait la mine creusée, les yeux cernés, et ses mains tremblaient. Elle déglutit avec peine.
« Tu montes dans Ta chambre ? » dit-elle en écorchant la plupart des mots. Il acquiesça d’un signe de tête silencieux, et poursuivit la création de son plateau-repas. Elle se recoiffa une mèche de ses cheveux filasses.
« Le docteur Martens doit passer me voir, d’ici quelques minutes. »
Il Se contenta d’hausser un sourcil.
« Il doit… …m’examiner. Avec des collègues à  lui.
-Encore ton problème de boisson ? »
Sa mère se figea. De la transpiration perla à  son front et ses temps, et elle ne pu qu’exécuter un petit rire nerveux.
« Il doit juste me…
-Oui, il va te dire : Mettez-vous nue, madame, je vais vous examiner ! Et puis il va te tripoter, et tu vas te laisser faire parce que tu sais parfaitement que sans son petit papier à  la con, tu ne pourras pas avoir tes médicaments du bonheur, c’est ça ? »
Elle s’empourpra. De colère, de honte, et d’une multitude de sentiments contraires.
« Tu ne peux pas dire ça !
-Si Je le peux, et Je viens de le faire. Mais vas-y, fait ce que tu veux ! Laisse-toi palper de part en part, après tout, ton mari n’est pas là  ! »
Il s’avança vers elle, son plateau rempli de victuailles, et la fixa dans les yeux. Elle resta scotchée à  son regard, pénétrant, étranger… …inhumain. Elle réprima une envie de hurler, de s’enfuir devant le monstre qu’était devenu son fils. Mais elle était paralysée.
« Essaye juste, dit-Il avec un sourire narquois, de ne pas faire de crise de démence devant eux, ils pourraient t’interner. »
Elle avala pesamment sa salive, espérant presque pouvoir s’y noyer pour en finir avec ce regard effrayant, puis il lâcha sa prise.
« Pousse-toi. »
Elle recula et Le laissa passer. Il grimpa les escaliers, son plateau-repas à  la main, et elle entendit la porte de sa chambre se refermer. Elle poussa un long soupir et s’essuya les yeux qui pleuraient malgré elle. Puis elle alla dans le salon et retira sa robe de chambre avant de s’étendre sur le canapé, nue.
Le docteur Martens avait la clef de la maison, de toute façon.

1 Internet.
Il déposa Son goûter tardif sur Son lit et S’assit devant Son bureau, où trônait majestueusement un tout nouvel ordinateur. Un seul coup de fil avait suffit pour que Son père Lui en rachète un plus performant. Il l’alluma et attendit que tout se mette en marche en gobant les biscuits un à  un, à  une vitesse affolante.
En bas, il entendit la porte d’entrée s’ouvrir.
Le bureau s’afficha rapidement, avec quelques icônes. Un fond d’écran de l’anime Lain apparu, et Il cliqua distraitement sur l’image réduite d’une tête d’âne pour ouvrir eMule. La fenêtre du logiciel s’agrandit et Il fit quelques réglages dessus, tout en engloutissant avec ardeur Son deuxième sandwich.
Il lança également WinAmp et les musiques de Final Fantasy VII qu’Il n’avait téléchargé que très récemment. Il plaça Sa programmation sur le mode aléatoire et alluma Sa Chaîne Hi-fi reliée à  Sa carte son. La musique de la mort d’Aerith sortit avec puissance des enceintes. Il frissonna de joie à  l’écoute de cette version réorchestrée.
Rapidement, Il ouvrit l’Internet Explorer et MSN Messenger. Il avait toujours aussi peu de contacts, mais comptait de toute façon changer d’adresse. Celle-ci ne Lui convenait plus. Il resta un instant à  regarder l’adresse MSN de Dastein, nommée Roof, qu’Il avait bloqué des semaines auparavant.
Il surfa sur le Web quelques minutes, sans but, puis Il décida d’aller regarder une communauté qui l’intéressait de plus en plus. Il cliqua sur l’adresse et trouva avec facilité le forum. Il s’appelait Traumen. Il observa quelques instant les posts des membres, allant ici et là , flânant sur un forum où il ne s’était pas inscrit.
« Pas encore, dit-Il à  voix haute. Mais J’y viendrai. »
Il réduisit la fenêtre de Traumen et S’allongea sur Son lit.
Et ferma les yeux.
En bas, les soi-disant docteurs avaient commencés leurs rituels hebdomadaires. Le docteur Martens couchait depuis longtemps avec Sa mère, mais ces derniers temps il avait décidé de passer au stade supérieur. Ils étaient quatre, aujourd’hui, Il le sentait.
Il serra les poings et en leva un au-dessus de lui.
Un sourire passa fugitivement sur Son visage.
« À la bonne vieille méthode ! »
Et Il Se frappa le ventre.

Au rez-de-chaussée, les médecins maintinrent la femme prise de convulsions sur le dos, alors que l’un d’eux téléphonait à  une ambulance pour l’emmener rapidement aux Urgences. Un quart d’heure plus tard, le docteur Martens refermait la porte et montait dans l’ambulance, sous Son Å“il amusé.
« Bon débarras. » dit-Il avant de se remettre sur le Net.

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La vie est faite d'obstacles à  surmonter pour progresser...
...moi je passe à  côté...


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MessagePublié: 23 Sep 2005, 14:31 
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4. …veillant.
11 Voix.
Il est temps.
« Temps pour quoi ? »
Il est temps de mettre fin à  ta conscience, ou à  ce qu’il en reste. Il est temps d’en finir avec tes problèmes.
« Ma conscience ? »
Oui, Ta conscience. Ce qui T’empêche d’accéder aux pleins pouvoirs. Ce qui T’empêche d’atteindre la suprématie totale. Tu es fort, mais pas assez encore.
« Est-ce que J’en ai vraiment besoin ? J’ai déjà  tellement eu grâce à  Toi, Fear. »
Tu ne veux pas plus ?
« Plus ? »
Énormément plus. Si Tu ne viens pas à  bout de ce qui Te reste de conscience, Tu n’arriveras jamais à  égaler Dastein.
« … »
C’est bien ce que Tu veux, non ? Dépasser le maître et lui prouver que ce que Tu es devenu est bien meilleur que ce qu’il est ?
« …oui. »
Parfait. Alors allons rue Brouillard rendre une petite visite à  ta conscience.
« Le libraire ? »
Tout a fait. Nous commencerons par simple.

10 Réveil.
Le petit matin fit entrer le soleil par la fenêtre dont les volets n’avaient pas été fermés la veille. Un rayon de soleil L’atteignit en plein visage, et Il finit par se réveiller, à  contrecÅ“ur. L’esprit encore embué, Il S’assit sur Son lit et Se frotta distraitement un Å“il. Il bailla.
« Pourquoi n’ai-Je pas fermé mes volets, hier soir ? » Se demanda-t-il en se rongeant un ongle. Il ne Se rappelait pas la raison qui L’avait poussé à  changer Ses habitudes.
Il croqua un ongle et S’arrêta brusquement. Un goût. Un goût inhabituel dans la bouche. Un goût poisseux, à  la limite du nauséeux. Il retira Son doigt de Sa bouche lentement, comme s’il allait L’attaquer, et remarqua des traces brunâtres sous l’ongle.
Du sang.
Sans trop y croire, Il goûta à  nouveau. Mais c’était bel et bien du sang. Il avait espéré s’être fourvoyé, avoir confondu sang séché et chocolat, mais il n’en était rien. Il avait du sang coagulé plein les mains. Des croûtes de sang, des traces sur les paumes, des éclaboussures sur les avant-bras, et sur ses vêtements. Ses draps en étaient également maculés. Il S’était couché alors qu’il baignait encore dans le sang.
Et ce n’était pas le Sien.
« Mais qu’est-ce que J’ai bien pu faire hier soir ? » dit-Il d’une voix étrangement calme, tout juste étonné. Fear ne répondit pas. Il fouilla sa mémoire à  la recherche d’éléments qui Lui permettraient de comprendre. Des images disparates apparurent.
Du feu.
Le libraire, à  genoux, en larmes.
Dastein qui apparaît.
Roof qui disparaît.
Encore du feu.
Le libraire.
Des coups de poings.
Du sang.
Du sang, et du feu.

9 La veille.
Il s’était préparé succinctement, mais résolument. Des vêtements qu’Il ne portait pas d’ordinaire, une paire de gants, et surtout une heure tardive pour opérer. Il n’avait eu aucune envie de croiser qui que ce soit dans les rues entre chez Lui et la librairie, rue Brouillard. Silencieux comme une ombre, Il avait sauté par la fenêtre en utilisant les capacités de Fear.
Le trajet entre ici et la rue Brouillard avait été rapidement effectué, et Il n’avait croisé personne. Pas même une voiture. Le ciel était dégagé et la température était relativement élevée pour un mois de Janvier. Il était passé par le chemin le plus court, et avait finalement atteint son but sans trop de mal.
La librairie se dressait devant lui comme un obstacle à  abattre. Il avait jeté sur elle un regard lourd de reproches et de souvenirs. Une partie de lui s’était attendrie devant cet ancien refuge, cet ancien lieu de sécurité qu’Il avait considéré comme un deuxième chez-Lui durant des années. Puis Fear avait mit son grain de sel.
Qu’est-ce que Tu attends ? avait-Il dit.
« Je ne sais pas, Je… »
Tu hésites ? Tu verras comme Tu iras mieux une fois que Tu auras cramé cet endroit remplis de souvenirs, vas-y…
« Oui. Je dois le faire.
-Faire quoi ? »
Le libraire était apparu, et Il s’était brusquement retourné vers lui. Il ne S’était vraiment pas préparé à  cette apparition impromptue. Le libraire lui avait offert un sourire à  peine fatigué, puis avait ajouté.
« Salut toi, déjà  fini l’école ? »

8 Hésitant.
Il termina de se laver les mains.
« Oui, c’est ça. Je Me souviens bien du trajet, la rue Brouillard, l’arrivée devant la librairie. Et lui qui était là , à  m’attendre, aussi gentil quâ€™à  son habitude. Salut toi, déjà  fini l’école ? Voilà  ce qu’il m’a dit. Fidèle à  lui-même. Je n’ai pas pu m’empêcher de répondre ce qui était convenu. »
Mais maintenant, c’est terminé.
Il se rendit jusquâ€™à  Son ordinateur dont Il désactiva l’écran de veille. Il était temps de faire du ménage, se dit-Il.
« Comme hier soir, poursuivit-Il à  voix haute. Du ménage. Il avait beau pleurer, se mettre à  genoux, me supplier, j’allais faire cramer sa boutique, qu’il le veuille ou non. Et ce n’est pas… » Un nouvel élément se mit en place dans Son esprit.
Dastein.
« C’est là  qu’il est intervenu. »

7 Imprévu.
« Pourquoi tu veux faire ça ? Pourquoi Tu veux réduire ma librairie en cendres ? C’est tout ce que j’ai ! Tout… »
Il avait envoyé balader le libraire d’une impulsion mentale bien placée, et avait ensuite fait de nouveau face à  Guillaume Dastein, qui s’était changé en Roof dès son arrivée dans la rue Brouillard. Il Le fixait d’un regard sévère et empli de haine. Un regard qu’il ne Lui avait jamais lancé auparavant.
Ils n’étaient définitivement plus du même coté.
Et pourtant.
« Qu’est-ce que tu fous là  ? lui avait-Il demandé.
-C’est plutôt à  moi de Te poser la question, avait rétorqué Dastein. Qu’est-ce qu’Il T’a dit pour que Tu viennes ici ? Je suppose qu’il s’agit de mettre un terme au peu de conscience qu’il Te reste, j’ai bon ? »
Il n’avait pas répondu, se contentant de serrer les poings. Et lorsqu’Il avait reprit la parole, Il avait gardé la même voix, contrairement à  ce que Dastein avait prévu. Il ne S’était pas manifesté, songea Dastein, Il a laissé le choix à  Son hôte. Aurait-Il tant confiance en Lui pour Se permettre un libre-arbitre aussi risqué ?
« Tu as tout à  fait raison, avait-Il répliqué d’une voix calme. C’est exactement pour ça que Je suis ici : Pour en finir une bonne fois pour toute avec ce qui M’empêche d’avancer, c’est-à -dire ce qui me raccroche encore à  mon ancien Moi. »
Il avait fait jaillir une langue de feu de Ses doigts.
« À savoir la librairie, et toi. »
Dastein avait évité l’attaque et s’était jeté sur Lui sans attendre. L’espace d’un instant, il avait cru pouvoir L’atteindre et en finir, mais Il avait été aussi rapide que lui et S’était mis de côté pour esquiver l’attaque directe. Au dernier moment, Dastein avait exercé une poussée du poignet sur le sol et s’était de nouveau rendu hors de Sa portée. Les actions n’avaient pas duré plus de cinq secondes.
Dastein avait fait une pirouette gracieuse dans les airs et était retombé silencieusement sur le toit d’une maison.
« Alors, on n’est plus capable de M’atteindre ? Se moqua-t-Il.
-Tu as progressé, c’est évident. Mais pas dans la bonne voie.
-Je suis du coté obscur de la Force, cita-t-Il d’une voix grave. Mais Je te remercie tout de même d’être venu, tu Me facilites la tâche. Je n’aurais pas à  te chercher partout.
-Tu m’en vois ravi. »
Dastein s’était alors jeté du haut du toit et avait disparu en pleine chute. De son coté, Il avait simplement attendu quelques secondes, puis Il avait envoyé sa main à  sa droite, en plein dans le visage de Roof qui avait senti l’onde de choc dans tout son corps. Roof s’était ensuite effondré, reprenant son aspect humain.
Souriant, Il Se pencha sur lui.
« Alors voilà , c’est ainsi que ça devait se terminer. Tu vas disparaître et Me laisser enfin tranquille. Je pourrai ensuite brûler cette librairie et Me libérer de tout ce qui m’oppresse. Je serais libre, grâce à  toi, tu m’entends ? Libre !
-Non, c’est le contraire. Tu ne seras jamais libre. C’est Lui qui Te possède, et non l’inverse, mais Tu ne veux pas le voir. En me détruisant, Tu détruis la seule partie de Toi qui tentait de Te raisonner.
-Qu’est-ce que tu racontes ? Fear n’est pas…
-Il ne s’agit pas de Fear ! avait hurlé Dastein dans Sa tête. Ce n’est pas Son nom ! Fear n’a jamais existé, il a été réduit en miette par Son personnage, Celui qui Te possède !
-Oui, Je sais, tu vas me dire : Tu n’es qu’une marionnette, c’est ça ?
-C’est pourtant la vérité. Et je sais que Tu y crois ne serait-ce qu’un peu, car je suis encore là . »
Il Se releva, perplexe. Les mots de Dastein avaient trouvé un écho en Lui, mais Il ne savait pas exactement pourquoi. Ni comment. Une partie de Lui savait que Dastein avait raison, mais la Voix, celle qu’Il croyait être Fear, rognait peu à  peu ce qui restait de discernement en Lui. Et Elle parla.
Ne l’écoute pas. Raye-le de la carte, qu’on en finisse. Ensuite, Tu te sentiras bien mieux. Un poids en moins sur la conscience, comme on dit.
« Je suis là  parce que Tu le veux, n’oublie pas ça. Si Tu veux Le combattre, je pourrais T’aider. Mais il ne faut pas que Tu cèdes à  Son bon vouloir.
-Je ne comprends pas ce que tu insinues, Dastein. Tout ce que Je sais, c’est que Je vais en finir avec toi.
-Si tu en finis avec moi, Tu en finiras avec Toi aussi. Et Il aura gagné.
-Oui, avait-Il acquiescé. Fear aura gagné. Fear et Moi, nous aurons gagné.
-Non. Ank aura gagné, et Lui seul. »
Le changement s’était opéré en une fraction de seconde. Ses poings S’étaient serrés, puis Il Les avait lancé sur le cou de Dastein et avait commencé à  l’étrangler. Il avait senti les pulsations de son cÅ“ur qui battait la chamade, le sang qui coulait dans la jugulaire, sous Ses doigts, et dont le flux était devenu de plus en plus lent.
« Tu n’aurais jamais dû dire Mon nom, conscience de merde. »
Dastein avait sourit, puis ses yeux s’étaient peu à  peu voilés et révulsés, tandis que son visage avait prit une couleur bleuâtre. Mais Il avait continué à  serrer.
« Tu n’existes pas. Tu n’as jamais existé. Seul Lui croyait en Toi. »
Le libraire, à  quelques pas de là , avait suivi toute la scène d’un Å“il apeuré. Il avait vu son ami de toujours, le seul enfant de la région, tenir une discussion avec personne, hurlant aux murs, se moquant du vide et parlant avec un individu qu’il ne voyait pas. Et un nom lui était venu en tête, comme sortit de nulle part : Guillaume Dastein.
Cet autre gamin qui était venu une fois dans sa librairie, mais dont il n’arrivait pas à  se rappeler précisément. Et pour cause : le libraire sentait qu’il ne l’avait jamais réellement vu. Dastein avait été là , dans sa librairie, qu’au moment où Il y était entré, et pas avant. La mémoire du libraire s’était alors disloquée.
Ce Guillaume Dastein, il l’avait imaginé, tout comme Lui.

6 Néant.
« Comment ai-je pu être aussi dupe. » se dit-Il en souriant. Il repensa à  tout ces moments à  discuter avec Dastein, à  s’entraîner avec lui, à  rire avec lui. Tout ça pour se rendre compte qu’il n’existait qu’en Lui.
Guillaume Dastein n’était rien.
Guillaume Dastein était Lui.
Guillaume Dastein était retourné d’où il venait.

« De nulle part. »
Il lança son MSN Messenger et cliqua avec le bouton droit sur le contact Roof. Il fit glisser la flèche jusquâ€™à  â€˜Supprimer ce contact’ et appuya dessus.
« De nulle part… »

5 La fin d’un mythe.
Il avait reprit son allure humaine, et Il s’était relevé. Ses mains avaient tremblé alors qu’Il avait contemplé le sol à  ses pieds. Un sol vide, vide de tout cadavre. Dastein avait disparu, Il avait vaincu Sa conscience. Et ça, Il venait de le comprendre, après tout ces mois passés avec Lui : Il avait imaginé Dastein, de part en part, comme un personnage virtuel. Mais Il avait tout accompli seul.
Et il était redevenu Seul. Libéré, mais Seul.
Tout seul.
Non, je suis là , Moi.
« C’est vrai, avait-Il ajouté. Je ne serai plus jamais seul, puisque Tu seras toujours avec Moi, n’est-ce pas, Fear ? »
Il avait ensuite hésité, en repensant aux dernières paroles de Sa conscience.
« …ou devrais-Je plutôt T’appeler Ank, maintenant ? »
Comme Tu veux.
« Ank. Oui, Ank, ça Te convient mieux que Fear. »
Très bien. Il Te reste une dernière chose à  accomplir, avant de rentrer.
Il s’était tourné vers le libraire, qui était resté à  genoux depuis le début, incapable de saisir l’ensemble des événements et de leur complexité. Puis Il avait levé la main vers la librairie de la rue Brouillard, et il avait claqué ses doigts. Un simple claquement de doigts, et la boutique s’était embrasée dans un souffle brûlant.
« Et voilà . Je suis libre, maintenant. »
Il avait fait demi-tour, content de Lui, et c’est à  cet instant que le libraire Lui avait sauté dessus, ivre de rage et de tristesse, avant de le marteler de coups de poings vengeurs. Il S’était retrouvé à  terre, surpris et pliant sous le poids conséquent de l’homme, puis Il avait entendu la Voix de Fear Lui parler. La Voix d’Ank.
Laisse-moi faire.
Et Il L’avait laissé faire.

4 Meurtre.
« C’est là  que J’ai décroché. Réellement décroché. Une de Mes absences. Fear a dû prendre le contrôle, et faire des Siennes. »
Il regarda Ses mains maintenant propres. Elles ne tremblaient pas. Un flash, une réminiscence de la nuit, lui revint : Le libraire, allongé sur le dos, et Lui à  califourchon dessus entrain de le frapper de toutes ses forces.
Il sut alors qu’Il l’avait tué.
Il ouvrit Internet Explorer et lança l’adresse de Traumen. La dernière version du forum s’afficha dans un éclat bleuté, qui adoucit Ses traits. Sans même y songer, Il cliqua sur la fonction d’enregistrement. Ses quinze ans approchaient, Sa conscience et Ses éventuels remords disparaissaient, et il était maintenant temps de passer à  la suite.
Grâce à  Moi, Tu domineras. Mais il Te reste du chemin à  parcourir. Et avant toute chose, il Te faut une armée, des hommes pour te soutenir.
« Et Lainé, Blanchot et… »
Ils n’ont pas assez d’imagination. Toi si. Et Je suis sûr qu’ici, Tu pourras trouver des semblables. De la chair à  canon.
« De la chair à  canon. » répéta-t-Il.
Et Il commença à  remplir les données de la création de compte.
Il S’apprêtait à  devenir Trauménien.

3 Espion.
Ce qu’Il ignorait, c’est qu’une ombre L’avait vu. Et cette ombre, pendant que le corps du libraire secoué de spasmes se calcinait dans les flammes, avait mis la main à  sa poche et en avait sorti un petit appareil argenté, qu’il avait allumé. Une voix nasillarde en était sortie, crachotant une question sans gentillesse.
« Où en est-Il ?
-Il vient de tuer le libraire. Croyez-vous qu’il soit temps d’intervenir ? »
Son interlocuteur avait hésité.
« Non. Pas encore. Pas toi. Le Patron enverra quelqu’un de plus qualifié. Ta mission s’arrête là  pour le moment, agent Rhoécos. Rentre.
-Très bien, agent Hélios. »
Et l’agent Rhoécos s’était enfoncé dans les ombres, à  nouveau.

2 Enregistrement.
« Voilà , tout est rempli. Tout sauf le pseudo. Selon Toi, que dois-Je mettre ? »
Il bascula en arrière et regarda le plafond, songeur. Au tout début, Il avait songé mettre Fear en tant que pseudo, mais ça n’était plus d’actualité. Mettre Son propre prénom ? Hors de question. Il voulait un pseudo que tous reconnaîtraient, un pseudo qu’Il pourrait utiliser partout, pas trop agressif mais pas amical non plus. Il eut une idée.
« Je pourrais mettre Ank, non ? »
Non, répondit l’autre. Nous créerons un second compte, lorsque Tu seras déjà  installé là -bas. Nous leur jouerons une version simplifiée du bon et du méchant flic.
« Plus tard, alors ? »
Plus tard.
« Mais ça ne Me donne pas de pseudo valable. »
J’ai une idée. Pourquoi ne pas célébrer Ta conscience décédée dans ce pseudo ? Leur rendre un dernier hommage, en quelque sorte.
Il se redressa et se pencha sur son clavier.
« Le libraire et Dastein ? À quoi Tu penses ? »
Commençons par le libraire, rue Brouillard. Comment dit-on Brouillard, en anglais ?
« Fog. Ou mist. Ou encore haze. »
Gardon Mist de coté, d’accord ?
« Mist était plutôt pour brume, mais… Tu as déjà  Ta petite idée, non ? dit-Il en souriant.
Exact. Ensuite, pour Dastein, prenons simplement le nom de son personnage inventé, puisque de toute façon ils étaient tout deux aussi virtuels l’un que l’autre.
« Roof ? Mist-Roof ? Ça ne fait pas très… »
Attends, il y avait une troisième partie de Ta conscience que Tu as éliminé. Ton personnage. Fear.
Il tourna les noms dans Son esprit, puis Il les inscrit en lieu et place de son pseudo. Ça ne Lui convenait pas exactement, mais Il sentit l’inspiration Lui venir. Il modifia quelques lettres, quelques sonorités, puis se recula.
Mist…
Il eut un sourire joyeux, comme Il n’en avait pas eu depuis longtemps.
…Roof…
Il appuya sur Entrée pour valider son inscription. Sa nouvelle identité était créée.
…Fear…

1 Création.
…Mistrophera.

_________________
La vie est faite d'obstacles à  surmonter pour progresser...
...moi je passe à  côté...


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 Sujet du message:
MessagePublié: 24 Sep 2005, 16:13 
Hors-ligne
Pamplemousse Panchromatique
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Inscription : 28 Avr 2004, 01:00
Message(s) : 6475
Localisation : Paris, France.
S'il doit y avoir une chose à  retenir de ce chapitre, c'est bien la révélation de l'identité de Dastein, placée à  un moment stratégique et sans explications inutiles. C'est d'une admirable concision qui tranche avec la lourdeur de certains des chapitres précédents.
Sinon, le style n'est pas mauvais, parfois un rien trop solennel, mais c'est un parti pris, rien de dramatique.
Ah oui, et si la révélation finale de cette partie de l'histoire n'est en aucun cas une surprise, j'apprécie à  sa juste valeur le jeu sur les syllabes.

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 Sujet du message:
MessagePublié: 27 Sep 2005, 20:04 
Hors-ligne
Extincteur des ténèbres
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Inscription : 14 Juil 2004, 15:32
Message(s) : 651
Localisation : Dans le coté obscur de la force.
3. …édiction.
9 Rébellion.
La voix de Munoz s’éleva, dans le silence gêné ambiant.
« Nous en avons marre de Tes plans, de Tes ordres et de Tes actions complètement inutiles. Nous ne sommes plus comme avant, plus comme lorsque Lainé était notre Chef. Avec Toi, nous stagnons. Nous ne sommes plus aussi respectés que les années précédentes ! Nous avons tout perdu de notre crédibilité, et en très peu de temps ! C’est pourquoi nous avons décidé de nous séparer de Toi. »
Lainé et Blanchot jetèrent un regard hésitant à  Munoz, qui restait debout et tremblait de rage et de peur contenue. Puis il expira bruyamment.
« Ça marchera jamais, dit Lainé en s’allumant une cigarette. Tu fais le malin, là , parce qu’il y a personne en face de toi, mais dès qu’Il sera là â€¦
-Ouais, il a raison, ajouta Blanchot.
-Les gars, les gars ! C’est pas comme ça qu’on risque de s’en sortir, si on part battus ! Il faut avoir le courage de nos opinions ! »
Un silence éloquent lui répondit.
« Il nous réduira en miettes si on lui dit ne serait-ce que le tiers de ça, dit Lainé en soufflant sa fumée par le nez.
-Ouais, il a raison, commenta placidement Blanchot.
-Alors on a quâ€™à  continuer comme ça, voilà  tout ! » s’emporta Munoz. Il commença à  marcher de long en large. « On baisse les yeux quand Il approche, on obéit comme des bons toutous, et on crèvera un jour ou l’autre à  cause de Lui !
-Ouais, il a…
-On sait qu’il a raison, Blanchot ! cria Lainé. De toute façon, avec toi, tout le monde a raison ! Tu fais chier ! »
Blanchot fit ce qu’il savait faire de mieux : Il regarda ses pieds. Lainé s’alluma une autre cigarette, et fronça les sourcils. Munoz, lui, soupira longuement.
« Alors ? Qu’est-ce qu’on décide ? proposa-t-il finalement.
-Qu’est-ce qu’on décide pour quoi, Munoz ? »
La tension monta d’un cran, et Lainé en lâcha sa clope qui roula à  ses pieds : Il venait d’entrer dans le local d’entretien où s’étaient réfugiés les trois complices pour un bref instant de repos. Ils évitèrent Son regard, mal à  l’aise.
« Vous n’essayeriez pas de Me faire faux bond, par hasard ? »
L’air sembla s’épaissir, et Munoz chercha sa respiration. Il s’avança, et chacun d’eux eut un mouvement de recul instinctif, celui de la victime devant un prédateur invincible. Il les dévisagea tous un à  un, lisant dans leurs esprits désordonnés et y découvrant des sentiments de rébellion inavoués.
Il leva les yeux au ciel. « Vous pensiez que Je ne devinerais pas ? C’est mal Me connaître. Je vous croyais plus… …intelligents. »
Il fronça les sourcils, soudainement perplexe.
« Où est Stéphane ? » demanda-t-il. Stéphane était le dernier à  être entré dans la nouvelle bande, et il remplaçait sans mal Blanchot dans le rôle du plus incompétent de service. Mais il était fidèle, et Il lui avait trouvé un certain potentiel pour l’imaginaire. Ce qui Lui plaisait. Il répéta Sa question :
« Où est-il ?
-Il n’a pas voulu se joindre à  nous pour cette… » Munoz hésita. « …réunion ?
-Il a préféré rester à  la cafétéria, à  gober ses bonbons. » cracha Lainé d’un air dédaigneux. Il n’aimait pas la nouvelle recrue et le montrait assez bien.
Les trois révolutionnaires matés sursautèrent lorsqu’Il fit demi-tour et posa une main sur la poignée de la porte pour repartir. Il n’avait pas peur d’une éventuelle révolte, Il n’avait pas besoin d’eux. Mais eux avaient peur de Lui, et ça facilitait grandement les choses. Il se contenta d’une menace verbale.
« La prochaine fois qu’il vous prend des idées de changement de cet ordre, Je vous prierais de les oublier illico presto, nous sommes bien d’accord ? »
Acquiescement des trois concernés. C’est alors que la porte s’ouvrit en grand : Il l’évita de peu en s’en écartant rapidement et alla claquer contre le mur à  côté de Lui. La Voix d’Ank, en Lui, résonna :
Voilà  les problèmes qui arrivent, Mistrophera. Je savais qu’il en aurait après Nous.
Il ne prit pas la peine de Lui répondre et Se jeta hors de la pièce, prêt à  utiliser Ses pouvoirs. Mais le couloir était vide. Étrangement vide. Il y régnait un calme trop consistant pour être naturel, ce qui n’arrangea pas Son inquiétude. Il fit quelques pas, la moindre parcelle de son corps tendu à  l’extrême.
Plic !
Il Se retourna, et ne vit que Ses trois acolytes qui n’osaient pas sortir du cagibi. Ils jetaient tour à  tour des regards apeurés au dehors.
Ploc !
Encore ce bruit. Pourtant, il n’y avait personne, même si la porte ne s’était pas projetée toute seule contre Lui. Un mouvement attira son regard
Plic !
Une goutte tomba à  ses pieds. Puis une autre. Et lorsqu’Il leva les yeux au plafond, il vit Stéphane avec un des néons qui lui traversait le ventre. Il le regardait avec des yeux vitreux, sans âme, sans vie.
Presque les mêmes yeux que Lui.

8 Interrogatoire.
Jacques Lainé s’assit et croisa les jambes et les bras, une position de défense tout à  fait inconsciente. Il avait pourtant l’habitude des policiers, ce jeune caïd, mais il n’avait encore jamais été dans une salle d’interrogatoire. Lainé maudissait mentalement celui qui avait prévenu la police avant qu’Il n’ait pu S’occuper de cacher le corps. Jacques Lainé n’en était pas sûr, mais il se doutait qu’Il aurait trouvé une solution rapidement.
La police avait récupéré le cadavre ainsi que tous les jeunes gens se trouvant non loin du lieu du crime, pour les interroger, sans suspecter personne. Mais Lainé se doutait que leur implication dans le meurtre de Stéphane ne faisait que débuter : Ils étaient les mieux placés pour faire des suspects idéals.
« Monsieur Jacques Lainé, c’est bien ça ? demanda l’homme qui venait d’entrer et de poser son manteau au mur.
-Ouais. Je peux fumer ?
-Hors de question, répondit aimablement l’homme avec un sourire. Mais je voudrais que les choses soient claires : Vous n’êtes accusé de rien du tout, c’est simplement un recueil de témoignages, pas un interrogatoire.
-Pour moi, ça y ressemble, répondit Lainé en fixant le mur à  la droite de l’homme.
-Des connaissances dans le milieu des interrogatoires ? » ironisa l’autre en s’asseyant. Il avait une cinquantaine d’années et semblait en avoir vu de toutes les couleurs. Il laissa un silence s’installer, puis se présenta enfin.
« Bon, je suis commissaire, on m’a fait venir de Lorraine pour ce petit pépin qui a causé la mort de ton camarade, j’ai quelques heures de route dans les dents, et toi quelques heures d’attente ici, alors nous pourrions en finir une bonne fois pour toutes, non ? »
Sa voix s’était quelque peu endurcie, et elle manifestait une impatience non feinte. Lainé regarda sa montre et calcula qu’il était déjà  ici depuis plus de cinq heures. Il soupira.
« Mouais, allons-y alors, lâcha-t-il.
-Bien, reprit le commissaire. Que peux-tu me dire sur ce qui s’est passé, ou ce que tu as vu, quelques minutes avant que vous découvriez le corps, toi et tes amis ? »
Et Jacques Lainé lui expliqua ce qu’Il leur avait dit.

« Vous l’avez donc vu accroché là  haut, et vous n’avez entendu ni cris, ni bruit de lutte, ni rien qui pourrait nous aider ?
-Non, monsieur le commissaire. » répondit Munoz. Il n’avait pas menti, pour le moment, bien qu’il savait pertinemment qu’il allait devoir le faire, selon Ses directives. Il se replaça sur sa chaise, mal à  l’aise, et regarda le commissaire.
« Pourtant, il a fallu une force prodigieuse pour le faire grimper là -haut, et l’empaler sur le néon, non ? Ou alors, il fallait être plusieurs.
-Certainement, acquiesça Munoz.
-Ou bien être un surhomme, comme dans un film ou une Bande Dessinée.
-Ou dans l’imagination, oui ! » dit Munoz, puis il se reprit. Cette tirade n’était pas dans Son ‘script’, mais elle lui avait paru tellement naturelle qu’il l’avait dite avant même l’avoir pensée. Il se rogna la lèvre inférieure.
« Oui, dans l’imagination aussi. » Le commissaire griffonna quelques mots sur un carnet et le referma avant de le poser sur la table. Il se leva et fit quelques pas.
« Donc, vous discutiez tranquillement, et lorsque vous êtes sortis il était déjà  là , suspendu et mort ?
-Tout à  fait.
-Vous discutiez de quoi ? »
Munoz se concentra.
« De notre prochaine réunion, et qu’il faudrait avoir un autre local, parce que celui-ci n’était pas vraiment le fin du fin. »
Il espérait que les autres, Lainé et Blanchot, se souviendraient bien par cÅ“ur de tout, et que tout ceci n’irait pas plus loin que cet interrogatoire. Le commissaire s’assit à  coté de lui, sur la table, et se pencha vers Munoz, calmement, lentement.
« Tu ne penses tout de même pas que je vais te croire ? »

« Mais c’est pourtant la vérité, monsieur le commissaire ! geignit Blanchot.
-C’est faux ! C’est un mensonge ! Le plus gros mensonge que tu aies proféré dans ta vie ! Et ce mensonge risque de te coûter cher, à  toi et tes potes, alors que si tu me dis la vérité maintenant, je pourrai être clément !
-Il n’y a rien à  dire d’autre ! »
Blanchot se mit la tête dans les mains et renifla bruyamment. Sa peur de la mise en scène du commissaire était sincère, et elle apportait un élan de sincérité, de véracité, à  son récit. Le commissaire ne savait plus quoi penser. Il avait l’impression que quelque chose clochait, mais il n’arrivait pas à  mettre la main dessus. Il renvoya Blanchot et resta quelques instants dans la pièce vide.
Les éléments correspondaient les uns aux autres : Les quatre élèves s’étaient retrouvés dans le local d’entretien du collège, et ils avaient discutés. Et à  la fin de leur réunion, ils ont découvert le corps. Ils connaissaient la victime, qui faisait partie de leur groupe, mais sans plus le connaître que ça. Ils ont tous dit qu’il devait être à  la cafétéria.
Leurs récits sonnaient juste, mais le commissaire se demandait comment tout ceci pouvait être possible : Comment quatre adolescents avaient pu être si près d’un meurtre sans rien voir, sans rien entendre ni sans y être impliqués. Il se mit à  espérer que le dernier membre pourrait lui donner plus de renseignements.

« Désolé commissaire. » dit-Il finalement.
Le commissaire s’avoua vaincu. Il n’avait pas réussi à  dénicher le moindre faux pas dans le déroulement de ces quelques heures avant, pendant et après l’heure du crime. Mais il était tenace, et il persévéra.
« Depuis combien de temps le connaissiez-Vous ? »
Le commissaire ne savait pas pourquoi exactement, mais il avait vouvoyé l’adolescent sans s’en rendre compte, et dès le départ. De plus, le comportement de Celui-ci le mettait mal à  l’aise, sans qu’il sache pourquoi non plus. Il n’avait qu’une envie : mettre fin à  cet entrevue, et rentrer chez lui pour dormir.
De Son coté, Il avait déniché dans les pensées et les souvenirs du commissaire diverses bricoles qui Lui étaient intéressantes, notamment à  propos d’un des membres de Traumen. Il farfouillait ardemment dans l’esprit du commissaire, tout en répondant à  ses questions d’un air innocent et nonchalant.
« Depuis très peu de temps, en fait. Quelques semaines, tout au plus. Comme Je vous L’ai déjà  dit tout à  l’heure, il est entré dans notre groupe mais nous ne le voyions que très peu.
-Je vois. Rien d’autre à  me dire ? Un petit détail ? »
Le commissaire avait de plus en plus mal à  la tête.
« Aucun détail, commissaire Thourn. »
Serge Thourn se leva, Le remercia et sortit de la pièce. Ce n’est qu’en route, dans sa voiture, qu’il se rendit compte qu’il ne se souvenait pas avoir révélé son nom au petit dernier. Mais il oublia bien vite cet incident, après un cachet d’aspirine et quelques heures de sommeil dans un hôtel du coin. Le lendemain, il abandonna l’affaire au profit des autorités locales, car il n’avait pas trouvé d’éléments assez ‘étranges’ pour s’y intéresser plus encore.

7 Annonce.
Il rentra chez Lui plus tard que d’ordinaire, mais comme personne n’était là  pour le remarquer, ce chamboulement d’emploi du temps passa inaperçu. Sa mère était en cure pour dépression depuis sa crise d’épilepsie quelques mois auparavant, et Son père était de ce fait obligé de séjourner plus souvent chez lui. Il y passait un minimum de temps, et restait souvent enfermé dans son bureau, seul ou accompagné.
Mais Il S’en contrefichait, et Il Se rendit dans Sa chambre, sans pour autant oublier de Se préparer un goûter/dîner assez stupéfiant. Une fois Sa porte verrouillée, Il S’installa confortablement devant Son ordinateur et alluma l’écran. Son bureau dépouillé d’icônes apparut à  Ses yeux, noir comme le jais. Se bataillaient quatre raccourcis : La Corbeille, le Poste de Travail, et deux pages Internet : Eltanin et Traumen.
Il entreprit de commencer Son repas par un sandwich.
Un son répercuté par Ses enceintes placées à  six endroits différents de la pièce L’informa qu’Il avait un email. Il l’ouvrit. L’expéditeur était inconnu. Les quelques phrases écrites sur le billet virtuel étaient sans équivoques :

Nous sommes intéressés par votre don, et nous voudrions que vous entriez dans notre société afin d’accroître notre puissance. Notre force de frappe est de plus en plus robuste, et avec vous à  nos cotés, nous serions assurés d’avoir allié précieux. Vous obtiendrez, après quelques tests qui ne poseront selon moi aucune difficulté, un poste important dans notre armée, et nos objectifs vous seront révélés si besoin est.
Vous avez certainement remarqué que nous sommes prêts à  aller très loin pour vous avoir et, tout en considérant la disparition de votre ami comme n’étant pas une menace, nous ne désirons pas d’autres victimes innocentes.
Un refus serait une réponse très dérangeante.
Dans l’attente de votre réponse, veuillez agréer, monsieur, nos sentiments les plus distingués à  votre égard.
Le Patron.

Il Se mit à  rire d’une voix forte. Un rire à  gorge déployée, qui s’entendit dans toute la maison. Un rire d’étonnement, mais aussi de jubilation. Il était désiré par une organisation. Et on avait tué pour Lui. Et Il trouvait ça à  la fois fou et terriblement excitant.
« C’était donc lui, l’assassin de Stéphane. Lui ou ses hommes. »
Sans plus attendre, Il forma une conversation à  trois avec deux de ses contacts les plus récents. Deux contacts de Traumen, qu’Il avait rapidement formés et entraînés à  devenir des personnes qui existaient plus que les autres. Sa bande virtuelle, comme Il les appelait de temps en temps.
Il recopia Son email et l’envoya aux deux.
IL et Lord FireFly lui demandèrent alors ce qu’ils pouvaient faire pour Lui.

6 Réponse.
L’agent se présenta au bureau de son supérieur et lui chuchota quelques mots à  l’oreille. Le responsable blêmit et renvoya l’agent d’un signe de tête, qui s’en alla sans demander son reste. Il le regarda partir, l’enviant de n’avoir pas autant de grade que lui, puis reprit son téléphone où il parla d’une voix tremblotante.
« Je dois te laisser, j’ai un coup de fil urgent à  passer. »
Il raccrocha et composa le 0. La sonnerie retentit une seule et unique fois, et le Patron répondit sans plus attendre.
« Qu’y a-t-il, agent Dionysos ? »
L’agent supérieur Dionysos ferma les yeux : Il avait en horreur de parler au Patron, car le simple fait d’entendre sa voix le rendait malade à  vomir. Il sentit même, après ces quelques mots, les prémices d’une migraine.
« Je viens d’avoir le rapport des deux hommes envoyés au contact de Mistrophera, comme vous l’aviez ordonné, suite à  son absence de réponse à  votre email.
-Qu’en est-il, alors ? »
C’est là  que ça se corse, pensa l’agent Dionysos.
« Et bien, il a manifestement donné sa réponse : Les deux agents sont morts. »
Le silence qui s’en suivit fut plus effroyable encore que la pire des colères. L’agent Dionysos sentit d’ici les ondes de fureur jaillir du combiné, et il s’en écarta. Ses tempes battaient déjà  de douleur.
« Envoyez-lui un autre mail. Nous viendrons le chercher, où qu’il se trouve, dans une semaine. Quelles que soient les personnes qui seront avec lui à  ce moment là , elles en souffriront. Il nous le faut.
-T… Très bien, Patron. »
La tonalité lui répondit, et l’agent Dionysos se sentit immédiatement beaucoup mieux. Il nota sur un morceau de papier la teneur du message à  envoyer, et ouvrit son tiroir pour gober deux cachets d’aspirine.
Mieux vaut prévenir que guérir.

5 Déménagement.
Le camion de déménagement repartit et le chauffeur adressa un signe de main à  l’adolescent qui les avait reçu. Celui-ci ne prit même pas la peine de répondre. Le chauffeur baissa la main et accéléra. Il avait trouvé étrange, à  son arrivée, qu’un si jeune garçon, qui ne devait avoir qu’une quinzaine d’années, se retrouve à  habiter seul dans une maison de campagne aussi isolée. Mais son métier n’impliquait pas de poser des questions, et il oublia rapidement la maison, le déménagement de tout ce matériel hi-fi et informatique, les frigos et autres congélateurs ainsi que le sourire malsain du commanditaire.
Une fois le camion éloigné, Il rentra chez lui et entreprit de tout ranger. Pour ce faire, il s’installa dans un fauteuil du salon et ferma les yeux. Puis il se concentra et les cartons commencèrent à  remuer de leur propre chef. Une fois le mouvement lancé, Il n’eut plus quâ€™à  attendre en réfléchissant.
Le deuxième mail du Patron avait été bien clair, et Il avait dû prendre des mesures qu’Il n’avait pas prévu. Mais le déménagement dans la maison de campagne de Son père avait également ses avantages, en plus d’éviter à  Son paternel une mort atroce et ainsi Le coincer pour deux ans dans une famille d’accueil : Il avait pour un temps la liberté.
Il tourna la tête à  Sa gauche et regarda les champs qui s’étendaient à  perte de vue. Ici, Il serait tranquille. Ici, Son père ne risquait rien. Le Patron s’attaquerait à  Lui dans ces lieux, pas dans Sa première demeure. Il avait faire venir l’intégralité de sa chambre et l’installation se faisait toute seule, pour le moment. La ligne téléphonique avait été créée en un rien de temps, et Il pourrait accéder au Net dans la soirée, si tout se passait bien.
Et tout se passera bien.
L’échéance tombait dans trois jours, et à  ce moment là , Il serait prêt. Il s’était renseigné sur l’organisation de ce Patron, et n’avait pas trouvé grand-chose. Les questions posées à  ses sbires étaient restées sans réponses, et Il soupçonnait que sa société était bien plus grande qu’il ne le laissait déjà  entrapercevoir. Et Ank Lui en avait parlé.
Je suppose qu’il s’agit d’une agence dont l’étendu des pouvoirs est infinie, ou presque. Un allié de choix et un ennemi dangereux, même pour Nous. Mais si Nous Nous débrouillons bien, il ne devrait pas Nous poser trop de problèmes et au final, il Nous deviendrait même utile pour poursuivre Notre plan, vois-Tu ?
« Je Te fais entièrement confiance. » répondit-Il.
Comme toujours.

4 Force.
La nuit était tombée depuis peu lorsque les hélicoptères débarquèrent. Une petite armée composée d’une vingtaine de ces engins, en plus des commandos terrestres et autres véhicules bondés d’hommes, surgirent en masse des alentours et se regroupèrent en cercle autour de la petite maison de campagne.
L’agent Rhoécos faisait parti du lot, et était même l’un des membres les plus forts de ces centaines d’hommes ‘normaux’. Le Patron lui avait bien recommandé de n’utiliser ses pouvoirs qu’en dernière ressource, et il ne comptait pas lui désobéir. Les sergents des troupes s’alignèrent face à  lui.
« Nous sommes parés à  l’attaque, agent Rhoécos.
-Envoyez deux unités. Si ça ne suffit pas, envoyez la totalité de vos hommes en même temps. Et n’oubliez pas, il nous le faut en vie.
-Agent Rhoécos ! s’avança un des militaires.
-Quoi ?
-Cet homme est seul, n’est-ce pas ? »
L’agent Rhoécos maudit ces hommes inexpérimentés qui ignoraient complètement contre quoi ils se battaient directement, et faisaient plus confiance à  la force pure qu’aux capacités spéciales que certains hommes possédaient. Mais ces hommes étaient néanmoins utiles dans certaines occasions. Comme maintenant.
« Exactement, mais il est dangereux, et deux unités pour commencer, je crains déjà  que ça ne soit du gâchis. S’il n’y avait que moi, j’enverrais nos douze bataillons en même temps. Sur ce, sergent, exécution !
-À vos ordres ! » répondirent en chÅ“ur les hommes avant de s’éloigner au pas de course. L’agent Rhoécos les regarda partir, puis porta les jumelles à  ses yeux. Il trouva les deux escouades d’une trentaine d’hommes qui avançaient prudemment vers la maison, et trouva l’image aussi incongrue qu’inquiétante.
Si le Patron lui avait donné tant de force de frappe, c’est qu’il y avait une raison, et l’agent Rhoécos craignait que cette mission ne se passe pas aussi bien que ce qu’il espérait. Il regarda les militaires enfoncer la porte et en compta six qui entraient.
Les cons. Tous en même temps, et encore, pour avoir une chance.
Des coups de feu, des hurlements, et la cinquantaine de militaires restant en retrait entrèrent à  leur tour. Encore des cris. De la douleur. L’agent Rhoécos était à  des centaines de mètres de la maison, mais il entendait tout. Il déglutit.
« Cet homme… »
Il s’arrêta de lui-même en voyant des morceaux de membres voler par la porte d’entrée, puis deux hommes en sortir. Ils n’étaient nullement essoufflés et semblaient normaux, mais l’agent Rhoécos sentait dans son for intérieur qu’ils n’avaient rien d’humain. L’un d’eux s’avança et hurla d’une voix anormalement forte :
« La prochaine livraison, je veux des femmes ! Vous m’entendez ? Des femmes !!
-Calme-toi, IL, dit Lord FireFly. Je ne crois pas qu’ils soient là  pour assouvir nos fantasmes : Ni les miens, ni les tiens.
-M’en fous ! Les hommes, c’est MAL ! »
L’agent Rhoécos baissa ses jumelles et lança le reste de ses hommes.

3 Doute.
Assit sur son siège, tel un président de multinationale, le Patron examinait les comptes rendus de toutes les filiales qu’il possédait de part le monde. De part les mondes, même. Mais ce qui le préoccupait vraiment, c’était ce qui se déroulait à  la maison de campagne de Mistrophera. Il avait longuement hésité à  attaquer également la demeure familiale afin de liquider son père, mais au dernier moment, il avait annulé ce second ordre, sans savoir exactement pourquoi.
Et depuis, il attendait les rapports de mission, un coup de téléphone ou autre. Il restait en liaison quasi-constante avec l’agent Rhoécos, le maître sur le terrain, mais depuis peu il n’arrivait pas à  entrer en communication avec lui. Et le Patron avait un mauvais pressentiment, le même qu’il avait eu quelques années auparavant avec feu l’agent Hadès.
Le but de son organisation était d’amasser le plus de surhumains que possible : Des humains possédant des capacités spécifiques plus ou moins utiles, des mutants, des monstres même, et bien d’autres créatures qui pouvaient servir à  ses desseins. Et seulement deux avaient réussi à  vraiment lui résister : L’agent Hadès, et maintenant Mistrophera.
L’agent Hadès avait eu énormément de mal à  accepter l’idée de travailler pour quelqu’un, et dès qu’il en avait eu l’occasion, il s’en était sorti, à  la faveur d’une mission particulièrement mouvementée. Et il lui avait échappé. Le Patron avait toujours tenté, depuis, de le récupérer, mais il n’avait jamais réellement réussi à  le posséder autant quâ€™à  cette époque. Dorénavant, il travaillait en collaboration avec, si le Patron avait besoin de lui.
Mais avec ce Mistrophera, c’était autre chose…
« Et pour cause : Avec Moi, vous avez perdu, pour la première fois. »
Le Patron se retourna et Le vit, adossé à  l’immense baie vitrée, et il devina Son sourire satisfait. Il avait été berné depuis le départ, et il s’était fait avoir comme un bleu, pour la première fois de son existence. Le Patron se leva.
« Évitez les gestes brusques, j’ai la gâchette sensible. »
Le Patron baissa les yeux sur l’index tendu qu’Il pointait sur lui. Puis, connaissant le personnage, il s’assit sans un mot. Il Le regarda S’avancer vers lui, fait le tour de son bureau et S’asseoir sur le fauteuil réservé au peu d’invités qui pénétraient dans le bureau du Patron. Il croisa les mains et prit un air soucieux.
« Heureusement que J’étais déjà  là  lorsque vous vouliez lancer l’attaque contre Mon père, sinon J’aurais été obligé de vous destituer d’une manière plus violente.
-Que voulez-vous exactement de moi ? »
Le Patron avait employé sa voix la plus dure et la plus puissante, dans l’espoir de le faire vaciller ne serait-ce qu’un instant et prendre ainsi le dessus, mais son invité ne manifesta aucune gène à  l’écoute de sa voix, contrairement au quidam moyen qui aurait sentit sa cervelle voler en éclat à  la première syllabe.
« Si vous l’acceptez, il y aura peu de changement : Je deviendrai simplement votre supérieur et prendrai la tête de votre organisation. Si vous refusez Mon offre, je prendrai simplement votre place.
-Et moi ? demanda le Patron.
-À votre avis ? »
Et le Patron courba l’échine et se leva de son siège.

2 Un début de domination.
Lord FireFly leva la main et banda ses muscles. La petite semaine d’entraînement intensif avec Lui avait porté ses fruits, ce soir. IL et lui avaient décuplé leurs pouvoirs en un rien de temps, et Lord FireFly regrettait que Radamenthe n’ait pas pu être de la partie. Il se serait certainement amusé autant qu’eux.
IL rentra dans le couloir de la maison.
« Je suis dégoûté. Pas une seule femme dans tout ce bordel d’attaquants. Dégoûté.
-Qu’est-ce que tu aurais fait, de toute façon, vu que Ses ordres étaient bien clairs : pas un seul survivant.
-Je l’aurais déshabillé, au moins ? répondit-IL en gloussant béatement.
-Tu es désespérant, tu sais ?
-Je sais, je sais. »
Soudainement, sans prévenir, Sa voix résonna dans leur têtes : Tout s’est bien déroulé, messieurs ? Aucune anicroche ?
« Aucune, répondit Lord FireFly, la main toujours levée. Tout s’est extrêmement bien passé. Nous les avons éliminés très facilement, même. »
Parfait. De mon coté, tout est réglé également. Et nous avons maintenant renforcé notre puissance de quelques centaines de milliers d’hommes. Il ne reste quâ€™à  trier ceux qui sont les plus intéressants, dans le lot.
« Oui, il faudra certainement en éliminer plus d’un, je pense. » dit Lord FireFly en baissant les yeux.
Nous les testerons tous un à  un. Ceux qui ne conviennent pas seront renvoyés.
« Renvoyés, oui. »
La communication se coupa, et Lord FireFly sentit qu’on lui tirait la manche. IL lui indiqua la sortie d’un coup de tête.
« Mieux vaut éviter de faire plus de dégâts dans Sa maison, alors autant en finir dehors, n’est-ce pas ?
-Tu as raison. »
Lord FireFly baissa la main et traîna le dernier survivant dehors. Il le souleva d’une main et posa l’autre dans le creux de son cou. Un sourire de dément s’étira sur ses lèvres, tandis que l’agent Rhoécos reprenait conscience et le regardait, hébété.
« Désolé, mais tu es renvoyé. »

1 Futur.
Assit sur Son nouveau siège, tel un président de multinationale, Il examinait les comptes rendus de plusieurs années d’éléments prometteurs, de militaires décorés et autres agents hauts placés de part le monde. De part les mondes, même. Mais ce qui Le préoccupait réellement, c’était ce qui se déroulait sur Traumen. Il avait longuement hésité, une fois les rênes de cette nouvelle puissance obtenues, à  laisser tomber les membres intéressants de Traumen et Se concentrer sur cette armée de surhommes qu’Il possédait maintenant.
Mais Lui et Ank avaient déjà  leur plan, et ce qu’il Leur manquait était un élément déclencheur pour lancer une attaque dans les règles. Une fois qu’Il possèderait la plupart des Trauméniens dans son camp, de gré ou de force, Il pourrait enfin satisfaire sa vengeance envers le Monde.
Il ouvrit un classeur et en sortit des feuillets qui contenaient des informations sur la plupart des mondes existants, autour de la Terre. Il rectifia à  haute voix Sa pensée :
« Ma vengeance sur les mondes. »
Au plus profond de Lui, Ank ricana.

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La vie est faite d'obstacles à  surmonter pour progresser...
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MessagePublié: 04 Oct 2005, 10:44 
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Localisation : Dans le coté obscur de la force.
2. …heur.
14 Coup de téléphone.
« Séphy-Roshou est décédée. » dit la voix à  l’autre bout du fil. De retour dans Sa maison de campagne, Il reconnut immédiatement la voix d’un de ses nouveaux petits protégés. Il Se leva et, téléphone à  l’oreille, écouta patiemment l’homme raconter ce qu’il savait sur le décès d’une des emblèmes de Traumen.
« Est-ce le moment que nous attendions ?
-Je pense, oui, répondit-Il. Je pense que c’est exactement ce qu’il Me fallait pour mettre en route ma petite mascarade. Continue sur cette voie, et reste avec eux. Je t’enverrai du renfort en fonction de leur décision. »
Une fois le téléphone raccroché, Il descendit de Sa chambre et sortit de la maison pour une petite promenade nocturne. Il était dans un état d’excitation intense, car le moment qu’Il attendait depuis des mois arrivait enfin. Séphy-Roshou était morte, pour une raison encore inconnue, mais qu’Il ne tarderait pas à  découvrir.
Son pouvoir grésillait dans Son corps, et quiconque l’aurait vu déambuler dans ces chemins de campagne aurait cru apercevoir un fantôme, tant Il irradiait de lumière. Heureusement pour Lui et Sa discrétion, personne ne s’aventurait en pleine nuit à  la campagne, car tout le monde se levait tôt.
Le lendemain, certains des agriculteurs découvrirent avec stupéfaction des parcelles de leurs champs qui avaient brûlées, comme si on avait tracé un chemin avec une boule de feu de taille humaine.

13 Fury.
Fury avait les yeux grands ouverts dans son lit.
La voix du lutin ne l’avait pas lâché depuis la fin de la conversation du restaurant avec Mr.Magnum et les autres, et il ne s’était pas retenu de lui seriner sans fin les mêmes âneries :
Elle est morte ! Tu t’en rappelles, hein ? Morte. Tu n’oublieras pas, ne t’en fais pas, je serai là  tous les jours, toutes les heures pour te le dire, te le rappeler : morte. Froide. Un cadavre. Tu te souviens comme elle était froide quand tu l’as frôlé ? Son cÅ“ur aussi était ainsi, froid, mort, ce cÅ“ur qui t’a aimé, qui a battu pour toi.
Fury ne luttait plus contre la voix. Elle l’envahissait, ne résonnant plus simplement à  ses oreilles, mais dans sa tête, dans son être, dans son âme toute entière. Le lutin
Morte.
qu’il imaginait dansait sur sa cervelle comme on piétine un tas de fourmis. Et il piétinait effectivement toute pensée rationnelle avec ses
Froide.
pensées horribles et pénétrantes. Le pire, songeait Fury, c’est que ce petit démon avait raison, et c’était là  le plus difficile à  avaler : il avait raison de A à  Z. Séphy-Roshou, la femme qu’il aimait depuis longtemps était morte et enterrée.
La voix changea alors soudainement de forme, et son ton, plus dur et ferme, devint subitement très éloigné du lutin excentrique incarné tout d’abord. Elle faisait maintenant plus songer à  une sorte d’ombre noire, une ombre dominatrice et puissante, à  la voix enjôleuse mais néfaste, pouvant provoquer la folie à  long terme.
Et Fury commença à  écouter cette nouvelle voix.
« Magnum a peut-être la bonne solution. Les Trauméniens ont accepté, et ils vont t’aider à  la retrouver. Pars avec la première expédition, avec Mr.Magnum pour ne pas qu’il fasse de bêtises avec ta belle une fois retrouvée. Reste avec lui et toute la troupe. Et avec de la chance et de la volonté, tu la retrouveras. »
Le lit grinça, et Fury laissa échapper un petit cri de surprise. Il avait somnolé, et imaginé qu’une voix, une voix noire mais apaisante, lui avait parlé de se joindre à  Mr.Magnum lorsqu’ils organiseraient le premier départ. Mais avait-il rêvé ? Avait-il vraiment entendu cette voix ? Il se tourna sur le côté, et tenta de se rendormir.
La nuit porte conseil, songea-t-il.

Il termina son verre de soda et le reposa sur Son bureau, près du clavier. Un courant d’air fit voleter les rideaux, et Il frissonna. L’hiver s’installait lentement, mais sûrement. Mais pour Lui, la chaleur et l’excitation qui Le transportaient depuis quelques temps L’empêchaient littéralement de ressentir la chute récente de la température.
Il vivait sur un petit nuage.
Un petit nuage noir.

12 Les Dames Blanches.
Il raccrocha et posa Son portable près de Son clavier. Devant Ses yeux, Traumen périclitait et vivait même ses derniers jours, et c’était plus ou moins Son Å“uvre. Il voyait les adeptes d’Ank qui floodaient en Son nom et qui avaient contribué malgré eux à  la chute de ce forum. Mais pour Lui, ce décès n’était pas une fin, mais un départ.
La réunion qui avait eu lieu en novembre, pour un autre décès, marquait plutôt un début. Son début, même. Un gigantesque plan se mettait en place dans Son esprit, et les querelles internes qui apparaissaient entre les membres ne pouvaient que Le servir. Mais plus tard. Bien plus tard. Pour le moment, Il Se concentrait sur l’appel qu’Il venait de recevoir.
Le premier groupe allait voir les Dames Blanches.
Il Lui fallait un homme à  Lui dans chacun des groupes qui partiraient en expédition. Ce groupe-là  était déjà  infecté et les autres le seront, Il y veillera. Son espion, Son traître, savait déjà  comment les retenir plus longtemps dans le royaume des morts. Il lui devait énormément de choses, à  ce traître, et Il devait bien avouer que sans lui, Il n’aurait pas pu faire grand-chose.
Et cet état de fait L’énervait.
Il n’aimait pas être dépendant d’un autre, ce n’était pas dans Sa nature. C’est pourquoi Il avait parlé à  Fury. C’est pourquoi Il allait également faire la même chose avec Mathilde, ou Myat’Ala, alias la grande reine des Dames Blanches. Et si jamais il prenait l’envie à  ce traître de retourner une nouvelle fois sa veste, Il le devancerait.
Il attrapa la souris et rafraîchit la page internet.
Il attendait qu’Angie sonne le glas.

Et dans ses appartements, Myat’Ala rêva d’une voix sombre et suave. Une voix qui prenait tantôt les accents de son pays natal disparu il y a plus de cinq cents ans, parfois les intonations de ses proches, présents ou passés. Une voix indéfinissable.
La Voix.
Quatre hommes et une femme vont arriver. Ils vont prétendre chercher une personne qui n’existe pas, une femme. Débarrasse-t-en dès que possible. Ils sont dangereux. Envoie les hommes ‘en bas’, dans votre fosse, aussi impuissants que possible. N’hésite pas à  employer les grands moyens. Garde la femme et fais-en une puissante Dame Blanche, mais qu’elle ne parte plus jamais de chez toi. Je ne le répèterai pas.

Deux jours plus tard, une voix dans Sa tête le fit Se réveiller en sursaut. C’était la voix de son espion, qui L’appelait. Il Se frotta les yeux, S’assit sur Son lit et lui répondit.
Qu’y a-t-il ?
Nous sommes bien arrivés, dit le traître. Comme tu l’avais dit, ils se sont tous transformés sans problèmes. Nous sommes en route pour le village.
Parfait. Une fois sur place, trouve un moyen de les retenir.
J’ai déjà  le meilleur moyen : nous sommes partis sans qu’un moyen de retour ait été décidé. Ha ! Hilde était en train de plancher dessus, mais elle n’avait encore rien mis au point. Nous sommes officiellement perdus.
Tant mieux.
Par contre, il y a un problème avec Fury.

Il ferma les yeux, un sourire sur les lèvres. Il ne pensait pas qu’il le remarquerait si vite. Il l’avait mal jugé.
Un problème ? répéta-t-Il. Quel problème ?
Je crois que quelqu’un tente de l’amadouer, de le posséder. Il semble parfois comme… …perdu dans ses pensées. À l’écoute d’une voix. Comme la Tienne.
Si jamais tu découvres quelque chose, fais-le Moi savoir, c’est compris ? Je ne désire pas qu’un inconnu se mêle de Mes affaires.
Bien
.
Il rompit le lien entre Lui et son espion et Se cala plus confortablement dans Son fauteuil. Puis il ajouta à  voix haute, à  l’attention de son envoyé :
« Je ne veux personne dans mes affaires, pas même toi. »

11 Lord FireFly.
Lord FireFly déposa le dernier corps calciné dans la salle frigorifique et referma la porte. Son compagnon s’alluma une cigarette et en souffla une longue bouffée dans le couloir pour sortir du bâtiment. Lord FireFly aurait préféré avoir eu IL pour faire de boulot, mais on ne discutait pas Ses ordres. IL était pour le moment chez DragonNoir, et lui était là , avec Pasteqman, aussi aimable qu’une porte de prison, en train de trimballer les corps des Trauméniens qu’ils avaient extraits de la carcasse de la Renault cinq de Mr.Magnum.
« Bon, ça, c’est fait ! » dit-il.
Pasteqman ne répondit pas et termina sa clope en refermant la porte à  clef. L’entrepôt appartenait avant au Patron, mais il avait été réquisitionné pour garder les corps des morts au frais. En attendant. Lord FireFly se demandait simplement quoi.
« Tu as une idée de Ses intentions ?
-Aucune, répondit Pasteqman.
-J’aime bien quand tu parles longtemps, comme ça. »
Lord FireFly entra dans la camionnette et enclencha sa ceinture. C’est à  ce moment précis qu’Il leur parla.
On vient de m’informer que Squall était également parti les rejoindre. Je n’aime pas ça, mais nous allons en profiter. Changement de plan : Pasteqman, tu vas aller chercher le corps de Squall. Il devrait se trouver dans une morgue quelconque, depuis le temps qu’il est parti. Il regrettera sa précipitation.
« Oui. » répondit-il simplement en s’allumant une nouvelle cigarette. Lord FireFly le regarda, puis dit à  voix haute :
« Et moi ? Je fais quoi ? »
Toi, tu vas aller rendre une petite visite à  Myat’Ala. Elle semble ne pas M’écouter convenablement. Charge-toi de lui faire peur, et évite de trop te faire remarquer auprès du groupe de Trauméniens.
« Ça marche ! » dit-il joyeusement, trop heureux de quitter Pasteqman. « Salut la Pastèque, à  la prochaine ! » Puis, sans crier gare, il s’évapora dans un claquement de réalités.

Lord FireFly se matérialisa dans la chambre de Myat’Ala et la regarda se torturer les méninges. Elle se remettait en question, et Il avait raison : Ça n’était pas bon. Il sentit la bévue qu’elle allait faire, à  savoir libérer les prisonniers et leur permettre d’en réchapper. Alors il intervint et parla d’une voix empruntée :
« Tu t’es encore laissée bernée, Myat’Ala… »
Lord FireFly la vit lâcher le loquet et rester immobile, face à  la porte. Il avait prit Sa voix exprès, pour la faire réagir, et cela avait marché. Il recommença :
« Tu t’es encore laissée avoir par un de ces hommes avec leurs belles paroles, leurs longues phrases enrobées de bons sentiments… »
Lord FireFly sentit qu’elle était troublée. Il força un peu sur son esprit et lut ses pensées. Elle se demandait si elle était bel et bien éveillée. Il s’approcha à  sa gauche.
« Oui, tu es réveillée, ajouta-t-il. Et pendant que tu es en train de réfléchir, de penser, là , dans ta chambre, les prisonniers s’évadent, tuent et détruisent ce que tu as bâti. »
Il ignorait si c’était vrai ou non, mais il pouvait entendre des bruits de luttes avec son ouïe surdéveloppée. Il ajouta à  ses paroles une onde de douleur qui la fit serrer les dents. Lord FireFly sourit : Il aimait la puissance, il aimait soumettre les autres. Il aimait les voir souffrir, et plus encore sous sa forme Trauménienne.
« Une de tes filles vient de mourir des mains de ton assassin… »
Et là , il se délectait du châtiment qu’il lui infligeait. Il restait, invisible à  ses yeux, derrière elle, et fut finalement surpris lorsqu’elle lui fit face sans le voir, les yeux chargés de peur mais également de combativité. Elle se colla à  la porte.
« Je sais que vous êtes encore là . »
Lord FireFly attendit juste un instant, pour la faire douter, puis lui répondit : « Tu penses qu’ils t’ont ouvert les yeux sur des fautes, Myat’Ala ? Tu penses sincèrement t’être fourvoyé durant ces années, ces siècles ? Tout ce pourquoi tu t’es battue durant cinq cents ans, tout ce que tu as construit, tu n’y crois plus ? »
Il lui envoya une migraine carabinée, pour la déstabiliser encore plus.
« Je sais que tu as mal, Myat’Ala. Au plus profond de ton être, de ton âme bafouée et violée comme ton corps, tu as mal. Et quelle est la cause de ce mal, de cette douleur lancinante qui te vrille l’esprit ? » Il marqua une pause, comme pour lui laisser le temps de répondre, puis poursuivit : « Les hommes. »
Il lui faisait mal, il le voyait : son visage, rougit par la douleur, était constellé de gouttelettes de sueur et ses doigts laissaient des traînées blanches là  où elle appuyait. Elle gémit. Il sourit.
« Ton meurtrier t’a fait souffrir il y a des années, et tu avais réussi à  te venger, continua-t-il. Et maintenant, qui vient de te remettre en question ? Cinq hommes venus sciemment de la Terre, cinq hommes venus exprès chercher la mort sur une autoroute dans une voiture, cinq mâles qui n’espéraient qu’une chose en te rencontrant : te soumettre. »
Lord FireFly avait obligeamment insisté sur le dernier mot, et il vit Myat’Ala tomber à  genoux, soufflante, haletante, dégoulinante de transpiration. Cette fois-ci, il attendit patiemment une réponse, tout en resserrant sans cesse son emprise sur elle. Elle releva lentement la tête, tremblante, et répondit d’une voix étranglée :
« Je ne… pense pas qu’ils aient totalement tort… »
Lord FireFly fut, pour la seconde fois, surpris. Il ne pensait pas trouver une Myat’Ala si forte, et il relâcha imperceptiblement sa prise. Elle en profita et rouvrit les yeux, fixant le vide devant elle d’un regard implacable : « Je me suis concentrée sur… sur ma vengeance personnelle durant toutes ces années !! Et j’ai tué… Oui, j’ai tué des centaines, des milliers d’innocentes sous ce prétexte !! »
Lord FireFly se dégagea complètement d’elle, stoppant les douleurs qui lui vrillaient le crâne. Il lui fallait changer de méthode. Il recula.
« Il est temps de cesser de remuer le passé et de changer de comportement !! » hurla-t-elle au vide. Un vide qui n’en était plus un : Lord FireFly, ménageant ses effets, apparut quelques pas devant elle. L’aspect de la chambre changea du tout au tout, passant du terne au brillant, et il dû presque mettre sa main devant ses yeux pour ne pas être ébloui. Myat’Ala le regardait comme on regarde un monstre de foire.
Il fit le tour de la pièce des yeux, redécouvrant l’endroit sous un autre jour. La chambre était maintenant bien plus jolie que lorsqu’il était invisible.
« Ah, c’est tout de même plus beau lorsqu’on est matérialisé, s’exclama-t-il.
-Qui êtes-vous ? demanda Myat’Ala, méfiante.
-Vous n’avez pas besoin de le savoir, dit-il d’un air mystérieux. Puis son visage s’éclaira de joie : J’ai toujours rêvé de dire ça, moi !
-Alors dites-moi au moins ce que vous faites dans ma chambre ! Et comment vous y êtes arrivé ! Et aussi…
-Holà , holà , ma belle. On se calme. »
Lord FireFly fit quelques pas et s’assit sur le lit de la femme, qui le regardait avec rage. Il prenait la scène avec désinvolture, mais restait sur ses gardes.
« Là  est tout le problème, tu sais, reprit-il. Tu te poses trop de questions. Et ce n’était pas vraiment prévu au programme de mon cher patron. Enfin, je dis patron, ce n’est après tout qu’un titre honorifique, rien de plus. Je ne Lui dois rien. Il a simplement eu besoin de moi, et j’ai accepté. Mais nous nous éloignons du sujet, hein ? »
Mathilde ne répondit rien, attendant la suite.
« Bien, dit Lord FireFly en se relevant et en arpentant la pièce, faisant froufrouter ses vêtements violets à  chaque pas. Tu sais ce qu’il avait prévu, mon patron ? Que tu exécutes purement et simplement ces nouveaux venus. C’est pour ça qu’il t’a envoyé ces rêves complètements débiles toutes ces nuits.
-Pourquoi aurais-je dû les…
-Ferme-la !! Ferme-la, ferme-la, FERME-LA !!! »
Lord FireFly sentit son corps prendre le dessus sur sa raison et, en un quart de seconde, se retrouvait avec une envie de tuer cette femme dépassant toute autre désir. Il sentit la puissance couler en lui, vers son bras, où un claquement de ses doigts aurait suffit à  faire envoyer valser la moitié de la pièce.
« Tu sais comment je m’appelle ici, dans ce type de Monde ? Littéralement, mon surnom peut se traduire en ‘feu volant’, mais toi, tu peux m’appeler Lord FireFly. C’est bien parce que c’est toi. »
Il esquissa un sourire, et lui fit un clin d’œil. Elle ne bougea pas, inconsciente dâ€™à  quel point elle était passée prêt du trépas. Il rangea ses mains dans un des nombreux replis de son vêtement imaginé, autant pour les oublier que pour éviter de faire une autre bêtise.
« Je dis simplement ça parce que je suis capable de bien des choses, ici. Notamment de réduire à  néant ta petite armée de femmelettes et toi avec.
-Ça ne risque pas d’arriver. Il te faudra me passer sur le corps avant.
-Bien entendu. » répliqua Lord FireFly. Et il se rua sur elle. Myat’Ala évita le premier coup en tournant sur elle-même, puis elle fit de nouveau face à  lui. Il était debout, adossé au mur, comme s’il n’avait pas bougé. Il se curait un ongle avec un air sentencieux.
« Je voudrais simplement que tu comprennes qu’il te faut suivre Ses ordres, et les éliminer. C’est tout ! Je n’ai tout de même pas besoin de te faire un dessin ? »
Myat’Ala sortit ses griffes et sa figure se muta en un masque monstrueux. Sa voix, bien plus lourde qu’avant, le menaça :
« Il est hors de question que j’obéisse à  quelqu’un sans en comprendre les motifs. Et ce groupe d’individus m’a l’air plus respectable que le vôtre.
-Ça me chagrine, rétorqua Lord FireFly. Je dois vraiment en venir aux mains pour que tu comprennes ? Lorsque tu seras à  mes pieds, rampant pour que j’arrête tes souffrances, tu repenseras à  ce que tu viens de dire. »
Il plissa les yeux et envoya une nouvelle onde de douleur dans le crâne de Myat’Ala, qui hurla. Son corps reprit sa forme initiale et elle tomba dos au mur. Lord FireFly regarda la porte, s’attendant à  voir débarquer les autres dames blanches. Il pourrait les éradiquer en un simple geste, mais ce n’était pas dans Ses intentions. Il se jeta sur Myat’Ala dans l’intention de la faire taire.
« Cesse de hurler ainsi, espèce de sale garce ! » ordonna Lord FireFly en s’approchant d’elle, les mains en avant. Mais elle continuait d’appeler au secours sans discontinuer. Il sentit les autres rappliquer et grogna, se rendant compte qu’il n’arriverait plus à  en tirer quoi que ce soit. Il leva une main et marmonna un charabia incompréhensible, juste au moment où la porte s’ouvrit avec fracas, libérant des dizaines de femmes qui protégèrent toutes Myat’Ala.
Elles encerclèrent rapidement leur reine, lui offrant une protection de leur corps, alors que d’autres prenaient position devant Lord FireFly. Leurs griffes étaient de nouveau longues et effilées, et leurs visages avaient repris cet aspect bestial et affamé découvert lors de l’attaque de l’hôtel.
« Bon, je vois qu’il est grand temps de partir. » dit Lord FireFly, toujours un bras levé tel un grotesque salut militaire. Il avait fini de réciter sa formule, et une mince aura sombre l’entourait maintenant, s’amplifiant de plus en plus. Un sourire narquois barrait son visage, happé peu à  peu par les ténèbres qui l'enveloppaient. Sa main s’agita.
« Bye bye… »
Mr.Magnum pénétra le premier sur les lieux et Lord FireFly vit son faciès étonné le reconnaître indistinctement. Il pesta tout en s’enfonçant dans la brèche ouverte entre les Mondes, puis se retrouva de nouveau sur le parking devant lequel il était parti. Il souffla longuement, tout en reprenant ses esprits. Les voyages entre les Mondes lui donnaient toujours ce sentiment de flottement pendant quelques minutes.
Puis il sentit une présence derrière lui. Il se retourna et Lui fit face.
« Comment ça s’est passé, FireFly ? » dit-Il.

10 Albert Fish.
Il leva un regard noir vers Son écran d’ordinateur : Ses hommes de main, Lord FireFly, IL, Radamenthe et Pasteqman en tête, n’avançaient pas plus que les Trauméniens. La seconde expédition allait partir, Youfie voulait aller dans le monde des Dames Blanches, et Séphy-Roshou restait introuvable.
En face de Lui, Pasteqman, immobile, porta la main à  sa poche de chemise.
« Je t’arrête tout de suite, on ne fume pas ici. »
Sans un mot, il remit sa main dans sa poche. IL était à  ses cotés et se triturait les doigts nerveusement. Sans prévenir, Il Se tourna vers lui.
« Qu’est-ce quez tu peux Me dire sur le monde des Serial killers qu’ils vont visiter sous peu, IL ? Et Je te prierais d’exclure ce qui n’est pas intéressant. »
IL toussota, avança d’un pas et se redressa dans une simulation de salut respectueux. Il n’aimait pas être l’objet de Son attention, et restait d’ordinaire le plus en retrait possible pour éviter les éventuelles représailles et autres punitions de Sa part.
« Hem, alors euh, voilà  ce que j’ai comme infos : Séphy-Roshou est bel et bien passée par ce Monde-ci avant de repartir, mais accompagnée.
-Accompagnée ? répéta-t-Il avec incrédulité. Accompagnée de qui ?
-Une certaine Erzébeth Bathory. Une tueuse en série qui prenait des bains de sang de femmes qu’elle avait préalablement…
-Je Me fous de savoir qui elle était, mais Je veux savoir pourquoi ? Pourquoi elle ? »
IL sentit le peu de confiance qu’il avait s’évaporer.
« Je… Je ne sais pas, bégaya-t-IL.
-Des traces de son passage ?
-Oui, des rapports. Les tueurs en série sont très organisés, là -bas. Ils tiennent des fiches d’entrée, de sortie, et ont des archives impressionnantes.
-Qui gère tout ça ?
-Leur chef, ou leur roi, enfin… Leur patron, c’est Jack l’éventreur, bien évidemment. Mais celui qui gère le tout, c’est Albert Fish. Il est relégué au secrétariat des admissions, mais c’est lui qui s’occupe de tout, en arrière plan. »
IL attendit une réaction, et vit qu’Il réfléchissait.
« Tu vas y retourner, dit-Il finalement. Et tu vas modifier les rapports. Non, mieux, je fais engager Fish pour qu’il le fasse. Il n’aura quâ€™à  dissimuler les autres, et les Trauméniens verront les faux. Radamenthe n’aura même pas à  les duper très longtemps. Parfait. »
Il se renfonça dans sa chaise et se tourna vers son ordinateur. Pasteqman et IL attendirent quelques minutes, puis Pasteqman marcha d’un pas dégagé vers la porte, suivit de IL. Une fois dehors, il put d’allumer une cigarette.
« Tu penses qu’Il me hait ? »
Pasteqman haussa les épaules.
« C’est pas très bon, hein, le regard qu’Il m’a lancé tout à  l’heure. »
Pasteqman eut un sourire narquois et secoua la tête. IL poussa un long soupir.

9 Serge Thourn.
« Tiens tiens, comme c’est intéressant. » dit-Il en cliquant sur un article qui parlait des derniers morts du tueur en série : quatre adolescents.
Quatre Trauméniens, rectifia Ank en Lui. Dont un acquis à  ta cause. Tu as déjà  envoyé Pasteqman sur place pour récupérer les corps ?
« Oui, répondit-Il d’une voix distante absorbé par Ses pensées. Oui, mais Laekh Traumen est déjà  sur place et il ne peut rien faire sans se faire démasquer. » Il fit une pause, parcourant des yeux quelques lignes de l’article. « Ce qui est intéressant, c’est que notre bon ami le commissaire Thourn s’occupe de cette affaire de Trauméniens assassinés. »
Il clôtura la fenêtre de l’Internet Explorer et alla s’allonger sur Son lit. Les yeux fermés, Il se lança à  l’assaut des pensées de Thourn. Celles qui concernaient une affaire passée, qu’Il avait remarqué lors de leur courte entrevue quelques mois auparavant. Mais au final, ces quelques souvenirs pourraient Lui être d’une aide précieuse pour ralentir les Trauméniens.
Il attendit alors le moment propice pour s’immiscer dans l’esprit de Serge Thourn, à  l’instant où celui-ci, fatigué de cette affaire qui n’avançait pas, plongeait dans un sommeil qui aurait dû être réparateur.
Et Il lui envoya les images de son passé.
Des images d’Autrefois.

8 Youfie.
Il ouvrit la porte de Sa chambre d’un geste de la main. Ce n’était pas comme la chambre qu’Il avait habité en ville, pendant des années, mais la règle était demeurée inchangée : personne n’y entrait et la porte restait verrouillée qu’Il soit ou non dedans. Le verrou cliqueta alors, sans que quiconque ne l’ait actionné, et la porte s’ouvrit silencieusement.
Lord FireFly se tenait là , impressionné et apeuré par le message télépathique qu’Il lui avait adressé. Un message d’une simplicité enfantine, mais chargé de menaces sourdes et violentes en second plan. Une éventuelle deuxième écoute lui aurait permit de préciser son sentiment de malaise, mais Il ne parlait qu’une fois.
Dans dix minutes devant la porte de Ma chambre.
Simple, clair, et on ne peut plus sans appel. Lord FireFly était en train de rêvasser chez DragonNoir, l’esprit occupé par les formes alléchantes de Youfie qu’il avait vu lors de leur entretien privé quelques minutes auparavant, lorsque l’appel l’avait sortit de sa rêverie. Et il s’était exécuté sans demander son reste, prétextant une envie pressante.
Il faut que je me rappelle de revenir dans les toilettes de DragonNoir, et pas repasser par la porte, se dit Lord FireFly, toujours sur le pas de la porte. Quelqu’un de plus malin que les autres pourrait remarquer une étrangeté de la sorte.
« Entre. » dit-Il sans même lui jeter un regard.
Lord FireFly regarda l’encadrement de la porte. Il s’imagina presque des dents y pousser qui le dévoreraient lorsqu’il passerait le cadre de bois. À sa connaissance, personne n’avait jamais pénétré dans Sa chambre. Personne n’en était ressortit pour le raconter, au moins.
Il hésita encore.
« Tu es devenu sourd, Lord FireFly ? »
L’entendre prononcer son nom, son pseudonyme, fut le déclencheur. Il leva sa jambe, la sentit plus lourde quâ€™à  l’ordinaire, puis la reposa sur la moquette de la chambre. Le mouvement était donné, et l’autre pied suivit avec difficulté, mais suivit. Il arrivait presque à  marcher normalement lorsqu’Il lui demanda de s’arrêter.
« Sais-tu, commença-t-Il, pourquoi Je t’ai fait venir ? »
Lord FireFly, redevenu élève face au professeur, enfant face aux parents, fidèle face à  son Dieu, fit non de la tête.
« Non, hein. C’est normal, après tout, tu n’es pas forcément habitué à  ces missions, à  leur importance, aux règles qu’il faut suivre et aux erreurs à  ne pas faire…
-Je suis désolé si j’ai…
-Silence ! »
La Voix le réduisit au néant. Il baissa de nouveau les yeux sur ses pieds. Le mot, le simple mot, sonnait encore en écho dans son crâne. Il se retenait pour ne pas trembler. Le mot qui lui venait à  l’esprit était péteux. Oui, je suis un péteux, un petit péteux.
« Dans les erreurs à  ne pas faire, il y en a une qui se nomme Soupçon. Elle peut s’expliquer ainsi, dans les grandes lignes : Ne jamais… »
Lord FireFly sentit un éclair lui déchirer l’estomac.
« …, ô grand jamais… »
La brûlure s’agrandit et lui lacérait le corps du bas ventre au torse. Il gémit.
« …, faire quoi que ce soit… »
Chacun des mots élargissait la plaie béante de la souffrance, et donnait l’impression à  Lord FireFly que ses organes se muaient en bouillie putréfiée.
« …qui puisse permettre à  l’ennemi… »
Des larmes lui coulèrent sur les joues, et il les regarda s’écraser sur la moquette, immobilisé par une douleur tellement puissante qu’il en aurait préféré mourir. Et il n’osait pas utiliser ses pouvoirs pour la contrer, de peur que les représailles soient pires. Il avait une punition, et il l’acceptait.
« …d’avoir des soupçon sur tes actions ! »
Le dernier mot se répercuta dans la moindre parcelle de sa chair et il tomba à  genoux, avant de basculer tête la première sur la moquette. Un filet de salive et de vomissure mélangé lui dégoulina de la bouche et s’étala sur la moquette, qui absorbait lentement mais sûrement le liquide épais et nauséabond.
Du haut de Son siège, Il soupira et daigna enfin Se tourner vers le corps inconscient de Lord FireFly. Il leva une main et exécuta une chorégraphie gracieuse de son index. Le corps de son subordonné se souleva, porté par une force invisible, et quitta la pièce. La porte se referma, à  clefs, et on entendit le bruit sourd d’une chute sur le palier.
« J’espère qu’il aura saisi l’importance d’éviter au maximum de se faire remarquer par sa future victime. Sa prochaine mission sera d’aller lui-même chercher le corps de Youfie, après son accident. Il n’aura quâ€™à  être avec elle au moment de l’impact, puisqu’il aime tellement cette jeune fille. »
Il jeta un regard dégoûté sur la tache.
« Il va falloir que Je change de moquette. »

7 Mythologie Nordique.
La tête de Loki émergea des draps avec une grimace de terreur. À ses cotés, une humaine couina en dormant et se colla à  lui. Il ne la remarqua même pas. Les yeux grands ouverts, il fixait le plafond, s’attendant à  tout. Il n’avait jamais fait de cauchemars, il n’avait même jamais rêvé. Il venait de le faire pour la première fois, et il n’aimait pas ça.
Cette Voix difforme.
Il repoussa sans ménagement la femme qui ne se réveilla même pas, trop épuisée pour ouvrir un Å“il. Il se glissa hors du lit et gagna la porte-fenêtre dans le plus simple appareil. Une fois sur le balcon, sa nervosité décrut. Il respira longuement au grand air et, une fois quelque peu calmé, rentra dans ses appartements.
Il s’assit sur le bord de son lit, parmi les draps froissés et encore chauds de leurs ébats, et posa une main sur une cuisse qui dépassait. Le gémissement qui survint lui parut rauque. Prit d’un doute, il retira les draps avec violence et découvrit Radamenthe, qui frissonna.
« Voyons, tu pourrais être un peu plus doux ! »
Loki se releva et dévisagea l’inconnu. Radamenthe, en caleçon, se mit en tailleur sur le lit et lui sourit. Loki n’aima pas ce sourire.
« Mon boss a besoin de tes services… » lui dit-il en préambule.

6 IL
Il toussota mentalement.
« Nous avons retrouvé la trace de Séphy-Roshou, FireFly. Tu comprends ce que ça veut dire exactement ?
-Qu’Il sera enfin content de toi ? » répondit Lord FireFly dans un sourire. L’image du visage de IL vacilla.
« Je te parle sérieusement ! On a retrouvé la trace de Séphy-Roshou ! Dans le monde nordique, chez les dieux scandinaves !
-Et je te le répète aussi sérieusement : C’est bien.
-Sauf que je suis avec une troupe Trauménienne. »
Lord FireFly reconsidéra la situation, puis hocha silencieusement la tête. « Je te Le passe, dans ce cas là . Bonne chance !
-Merci. » dit piteusement IL. Il n’avait pas réussit à  se débarrasser des éventuels témoins de ses agissements, et maintenant ils se doutaient de quelque chose. Alors, plutôt que d’aggraver les choses, IL s’en était remit à  Lui.
« Qu’y a-t-il ? répondit-Il d’une voix impatiente. Tu Me déranges en pleine conférence avec les actionnaires du Patron, si tu veux tout savoir.
-J’ai retrouvé la trace de Séphy-Roshou. »
IL devina qu’Il S’éloignait de ses invités et S’isolait dans Son bureau. Au bout de quelques secondes de silence, IL osa relancer la conversation :
« Vous êtes toujours là  ?
-Tu n’en rates pas une, IL. Pas une. »
IL s’abstint de tout commentaire, bien que sa nature de dissipé cherchait à  reprendre le dessus. IL se mordit la lèvre inférieure.
« Si encore tu M’avais annoncé ça avant que les Trauméniens n’y soient, J’aurais enfin pu t’adresser des félicitations en bonne et due forme, mais là â€¦
-Mais je peux essayer de…
-Je lis dans tes pensées. Tu as déjà  essayé de, IL. Et tu as déjà  raté, d’ailleurs. Maintenant, ils ont des soupçons, et c’est extrêmement gênant. Je vais être obligé de me déplacer et d’avancer la séquestration.
-Je suis désolé, dit IL.
-Pas autant que Moi. »
La communication mentale s’estompa puis se rompit entièrement. IL se retrouva seul, de nouveau, et essaya de deviner à  quelle sauce il allait être mangé.

5 Préparation.
Le lendemain, Il avait relativisé l’information qu’IL Lui avait transmit. Séphy-Roshou était bel et bien passée par le monde des Dieux Nordiques, et grâce à  cette piste Il avait déjà  pu remonter le trajet qu’elle avait emprunté. Il Lui fallait la retrouver avant les Trauméniens, afin de la maintenir inaccessible, comme une carotte devant un âne.
IL avait fait une bourde, voire de nombreuses bourdes, mais au final IL n’avait fait qu’avancer l’échéance. Les enlèvements se feraient plus tôt que prévu, et ça n’était pas plus dérangeant que ça. Seulement il Lui fallait Se montrer, c’était irrévocable.
Il ouvrit la fenêtre sur une matinée ensoleillée. L’horizon était dégagé, aucun immeuble ou autre bâtiment ne venait obscurcir Sa vue sur les champs et les prairies alentours. Il adorait la campagne. Au début, Il S’en rappelait encore, c’était plus par nécessité qu’Il avait immigré ici, mais Il S’était acclimaté sans peine à  Son nouvel habitat.
Il inspira une immense bouffée d’air frais et vivifiant. Son envie première était de crier, de crier au monde son bonheur. Tout fonctionnait comme Il le désirait, et il y avait bien longtemps qu’Il ne S’était pas sentit aussi bien. De plus, personne ne L’entendrait ici. Seulement les vaches du pré voisin, et encore. Il n’était même pas sûr d’obtenir un meuglement approbateur de leur part.
Il Se retourna et Se dirigea vers Sa chambre où trônait Son ordinateur allumé, dont l’écran scintillait d’innombrables étoiles en mouvement. Il S’assit devant Son bureau et bougea la souris. La veille du moniteur se désactiva, et le fond d’écran noir apparut. Seules deux icônes se présentaient : l’une nommée Traumen, dont le symbole était barré, et l’autre était le « e » d’Internet Explorer.
Le curseur voleta de l’une à  l’autre, puis resta en suspension au dessus de l’icône en deuil Traumen. Et Il Se mit à  siffloter.
« Il va être temps que j’entre en scène. »

4 Voyage
Il referma soigneusement la porte de sa demeure et fit quelques pas en arrière, la contemplant. Il Se demanda s’Il reviendrait ici une fois le rapt effectué. Puis il se tourna vers la voiture qui ronronnait. Il s’agissait de faire vite, et bien. La route risquait d’être longue, et il voulait à  tout prix arriver juste au bon moment.
« À point nommé, je vais arriver. Tel un surhomme tranchant l’adversité pour sauver la plèbe fort ennuyée. » Il sourit, puis se yeux changèrent, rien qu’un instant. Quelques secondes où il articula d’une voix noire : « Ou tel un balayeur éradiquant ces vulgaires mouches à  merde de la surface du globe. »
Le temps sembla s’arrêter, il vit les arbres et la voiture devant lui se dédoubler, puis se détripler. Puis le vertige cessa, et il se remit en route. Il se cala confortablement à  l’arrière et dit à  son chauffeur :
« Allons-y. Direction Paris. »

3 Discussion.
Alors qu’Il entrait sur l’autoroute, Il sentit IL qui tentait de le joindre, à  nouveau. Il ferma Ses yeux et lui répondit.
« Qu’y a-t-il ?
-Rien ne se passe comme prévu… Je ne comprends pas où tout s’est retourné contre moi, mais je ne peux plus rien faire… Je ne sais pas ce que…
-Laisse tomber les explications foireuses, IL. Je me charge du reste. Fais-les tous rentrer, dès que possible.
-Hein ? Quoi ? Rentrer, tous ? Vous voulez dire… …maintenant ? Mais il reste encore la carte Loki, et…
-On ne discute pas Mes ordres, ordonna-t-Il sèchement. Lorsque Je dis de rentrer, c’est que Je sais déjà  comment procéder pour rattraper tes multiples erreurs.
-…oui, je comprends. Excusez-moi de Vous avoir déçu, je… Je vais les faire revenir.
-Hâte-toi, je suis en route pour le quartier général des Trauméniens.
-Comment ? Vous êtes en route ? Vous arrivez chez DragonNoir ? Ah, eh bien je… Oui. Oui… Nous serons rentrés, d’accord. Erzébeth se fera maîtriser, je pense, par Thor, Heimdall ou Njörd, si besoin est. »
Il parlait d’une voix mal assurée.
« Donc Séphy-Roshou a laissé tomber sa tueuse en série ici ?
-Oui.
-Ça m’arrange. Nous demanderons à  Loki de la faire taire. Quant à  toi, fais les décoller avant qu’elle ne dise quoi que ce soit d’important. Tu en as déjà  fait assez.
-Oui oui. Je ne pense pas que… »
Il choisit cet endroit, cet instant de la conversation, pour lui envoyer une onde de douleur dans le crâne. IL ne s’y était pas attendu le moins du monde.
« Gnnh… Non, pas ça… Rrrhhh… Arrêtez je… Gnnnh… Khhh… »
Sans le moindre sourire, Il força légèrement la dose.
« Je ne… Gnnnnhhh…
-Tu n’échapperas tout de même pas au châtiment, IL.
-…oui, je saurai apprécier ma punition, je la mérite… » répondit-il, soumis. IL sentit la communication se couper, et le lien télépathique s’envola. La douleur également, et il put rouvrir les yeux. Personne ne l’avait vu. IL essuya d’un revers de manche les larmes qui avaient coulé sur ses joues, puis renifla. La douleur de l’humiliation était plus forte encore que la souffrance physique.
Dans la voiture, Il rouvrit les yeux, satisfait.

2 Pasteqman.
« Chauffeur ! Pourrions-nous nous arrêter un instant ? »
La voiture enclencha le clignotant et se rangea sur la voie de droite, puis sortit sur une aire de repos. Les autoroutes avaient ceci de pratique : On y trouvait de nombreux endroits où se reposer, se délasser, ou téléphoner.
Il sortit du véhicule et s’étira. La chaleur n’était heureusement pas encore excessive, mais il sentait déjà  ses vêtements coller à  lui. Sa peau pâle était moite, et il s’essuya le front avant de sortir son portable, tout en s’éloignant de la voiture. Le chauffeur, adossé à  la portière, le suivait des yeux.
Il s’installa devant une table de pique-nique, chassa une mouche qui voletait innocemment autour de lui, regarda les alentours puis ferma les yeux. Lorsqu’il les rouvrit, ses pupilles avaient disparu sous d’immenses iris de jais. Un sourire mauvais vint enlaidir son visage. Une autre mouche, ou la même, revint tourner autour de lui.
Le téléphone avait ceci de pratique face à  la communication mentale, lorsque son interlocuteur était proche d’autres ‘récepteurs’ possibles : il permettait de ne pas se tromper d’esprit avec lequel s’entretenir. Et là  où se trouvait Lord FireFly et Radamenthe, les esprits réceptifs ne manquaient pas.
Il composa donc un numéro de tête sur son téléphone et le mit à  son oreille. Au bout de trois sonneries, on décrocha.
« C’est Moi, tonna la Voix. J’ai donné l’ordre à  IL de rentrer. Préparez-vous à  passer à  la phase deux, Je vous rejoins d’ici quelques heures également.
-La Phase deux ? répéta Radamenthe. Nous embarquerons tous les corps présents alors ? À nous trois ?
-Vous serez cinq pour emmener les corps.
-Qui d’autre ?
-Je vais contacter Pasteqman. »
Il raccrocha et envoya un simple message mental à  Pasteqman pour lui dire de se tenir prêt. Pasteqman était toujours prêt, et toujours seul, loin des autres. C’est pour ça qu’Il affectionnait tout particulièrement travailler avec lui : Ils se ressemblaient, autant que sur le défunt forum Traumen où Pasteqman avait utilisé le même style de prose que Lui.
« Aucun problème, je serais sur place à  temps. » répondit-il.
En dernier lieu, Il contacta le Patron pour obtenir des véhicules pour transporter les corps, et des hommes pour assurer un minimum de sécurité. Les militaires du Patron feraient peur, suffisamment pour que les Trauméniens évitent toute action ridicule. Et si jamais ils résistaient tout de même, alors…
L’excitation lui donna à  nouveau la voix d’Ank.
« …alors ils Me sentiront passer. »

1 Arrivée chez DragonNoir.
Le chauffeur bifurqua avenue de Wagram et fit se garer la voiture non loin de la résidence de DragonNoir. Il sortit et vérifia l’adresse. Il était bien arrivé, sans encombre. Personne n’était dans la rue, personne qui pouvait Le reconnaître, aucun Trauménien. À première vue. Seul un homme habillé entièrement en jeans, marchait sur le trottoir. Cet homme Le dévisageait. Pasteqman.
Il détourna le regard et leva les yeux sur l’immeuble. Son humeur s’était quelque peu assombrie depuis son arrêt improvisé sur l’autoroute. Il ne Se rappelait plus vraiment de ce qu’il y avait fait. Son chauffeur lui avait dit qu’il avait passé un coup de téléphone, mais Il ne se rappelait plus à  qui, ni pourquoi.
Ce n’était pas la première fois que ce genre d’amnésie passagère Lui arrivait, et cela avait le don de L’énerver passablement. Les meilleurs médecins s’étaient penchés sur son cas, mais sans succès. Il en était venu à  l’accepter, mais chacune de Ses absences était pour Lui synonyme de torture : qu’avait-Il fait ? Qu’avait-Il dit ? Qu’avait-Il pensé ?
L’homme vêtu de jeans ralentit à  son approche.
Mais Il se voilait la face. Au plus profond de Lui, Il savait pertinemment qu’Ank tirait les commandes lors de ses absences momentanées. Certaines pouvaient durer seulement quelques secondes, d’autres des heures. Et à  chaque fois, Il ne Se sentait pas partir. Il Se retrouvait dans divers endroits, diverses situations, parfois compromettantes, et souffrait de vertiges et de nausées. Puis tout ceci passait, et la vie reprenait son cours normal.
Et Ank avait fait des siennes.
Pourtant, Il était sûr d’avoir le dessus sur Lui, et non l’inverse. Il contrôlait l’être qui Se faisait appeler Ank, et, même s’il n’était qu’une autre partie de Lui-même avec des réactions propres, Il Lui faisait néanmoins confiance. Sauf lorsque Ank prenait le contrôle et qu’Il ne savait plus exactement ce qu’Il avait fait.
Il regarda sa montre, et Son cÅ“ur accéléra. Pour la première fois, alors qu’Il Se dirigeait vers l’appartement de DragonNoir afin de les aider, Il Se sentit partir. Réellement partir. Il sentit des doigts froids Lui serrer le cÅ“ur et l’âme, et presser comme un simple fruit. Et Il S’entendit parler à  cet inconnu en jeans, juste avant que tout bascule.
« Tu es prêt ? dit la Voix. Allons-y. »
Ils grimpèrent les deux étages sans se presser. Il Se changea le temps de monter les escaliers qui L’auraient essoufflé. Une fois en face de la porte, il envoya son poing trois fois. Trois grands coups qui couvrirent le brouhaha derrière les battants de bois. Un jeune homme ouvrit la porte et Lui demanda ce qu’Il désirait.
« Je voudrais voir DragonNoir. » répondit-Il dans un sourire. Arkh Le dévisagea une seconde ou deux, interloqué. Quelque chose clochait chez cet individu, mais il n’arrivait pas à  savoir quoi exactement. Il referma la porte et se dirigea vers le bureau du père de DragonNoir où il s’était réfugié en compagnie de Q-Po et Lord Satana.
Arkh passa simplement la tête et ne prononça que le strict nécessaire. Il ne fit pas part de ses inquiétudes vis-à -vis de cet inconnu, songeant qu’il s’agissait certainement d’un nouveau Trauménien en retard.
« Quelqu’un pour toi, à  la porte. »
DragonNoir s’excusa auprès de Q-Po et Lord Satana, puis retrouva le bruit et le mouvement en émergeant du bureau. Il traversa la foule et rejoignit tumultueusement la porte, tout en songeant également que les derniers arrivants devaient être d’autres Trauméniens enrôlés par téléphone pour venir s’amuser.
Il ouvrit la porte sur un petit adolescent replet à  la face rubiconde et transpirante, accompagné d’un autre jeune homme habillé entièrement en jeans. L’adolescent exhiba un sourire carnassier.
DragonNoir le reconnut immédiatement.
« T… Toi ?
-C’est exact, DragonNoir. Dis bonjour à  Mistrophera ! »

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La vie est faite d'obstacles à  surmonter pour progresser...
...moi je passe à  côté...


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