Texte écrit pour le journal de centrale...
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Sans doute illusion confortable d'un homme qu'on entraîne à modéliser, je songe dans ces moments creux qui parsèment de plus en plus souvent mon chemin, et je songe que pour produire ces lignes ou d'autres il me faut deux choses : La matière et l'envie.
La matière stagne, intemporelle et multiple, libérée par toute ?uvre ou expérience, à moi de la capter et d'en faire ce que mes caprices m'en ordonnent. Impossible à juger, je peux la révérer ou la mépriser du jour au lendemain, victime d'un de ses changements d'entrain qui me caractérisent, au seuil de la rédaction. Une fois captive, je l'observe et caresse dans mes rêves l'idée de lui forger un écrin à la mesure de sa beauté, qu'elle soit lumineuse ou d'un noir luisant et malsain.
Et pourtant, que faire sans l'envie qui vous fait avancer. L'énergie, voilà la clef qui m'échappe trop souvent. Ou plutôt m'échappait. Mais celle qui m'anime certains soirs n'est pas celle que je pourrai souhaiter, en honnête homme sinon fier centralien. Elle n'a pas cette force brute et apaisante du génie, cette clarté ornée de perspectives heureuses et de nobles idées. Celle qui m'anime depuis si longtemps est fille de l'attente, mélange acide de frustration et de colère, de désespoir et d'abandon. Il faut l'éviter car elle ne peut que corrompre la matière du texte, et laisser filtrer les impérieuses raisons de l'auteur, qu'il considère inavouables quand bien même il les exposerait lui-même aux regards des autres.
Mais l'inaction ne fait que nourrir cette amertume, aussi est-il logique de s'y adapter en détournant à son profit les pulsions les plus abruptes, les plus imprévisibles, les moins amicales, en somme. D'un motif d'irritation peut venir une onde textuelle d'une colère parfois ironique. D'un moment de faiblesse, une ode au néant et à l'incompréhension. De tous ces instants qui flétrissent une journée, de fleurs noires peuvent éclorent.
Mais leur nature même rend ces pulsions irrégulières et d'une fiabilité que l'on pourrait qualifier de douteuse. L'envie peut disparaître, noyée sous les lignes devenues inutiles puis haïes, et donc vouées à la disparition. Privilégiant toujours le support virtuel à de telles compositions, achever leur agonie d'un appui jubilatoire me serait bien facile.
Vient alors l'idée du tempo. Si l'esprit n'a pas la force d'avancer, mot après mot, éclat de matière après éclat, il est toutefois possible de le lui donner. La musique, entre en piste, foisonnante, multiple et bien plus influente que ce qu'un sursaut d'orgueil pourrait nous souffler à l'oreille. Elle vient donner à l'encéphale ce rythme que l'optimisme disparu me refuse. Morceau après morceau, l'énergie revient, comme engendrée par l'envie des autres.
Comment ne pas comprendre que l'on soumet ainsi sa propre force, la volonté qui devait nous animer à celle de tous ces compositeurs ? Plus ou moins bons, plus ou moins investis dans leur art, ceux-ci deviennent le temps d'une séance les prothèses qui manquent au noircisseur de pages, aux idées trop noires pour pouvoir s'exprimer. Mais vous qui avez adopté ces mêmes pratiques, ne ressentez-vous pas parfois l'emprisonnement volontaire que celui-ci représente ?
Si la matière est, l'éclat que l'on lui donne sera désormais teinté de ce qui passait ce moment là par nos oreilles. Un peu d'épique ? Quelques passages bien choisis, parmi les ?uvres solennelles y pourvoiront. De même, le soleil, le calme, la volupté, l'angoisse, la tristesse et la colère peuvent se décliner par la simple maîtrise des play-lists. Suis-je encore maître à bord ? Oui, car c'est moi qui peut choisir en connaissance de cause, moi qui peut déterminer dans quel état je souhaite plonger mon être, ne faisant qu'amplifier mes envies secrètes du moment.
Alors que dire des facilités qui nous caressent de temps à autre ? Peut-on laisser son libre arbitre au bon soin du mystérieux algorithme du shuffle ? Celui-ci choisira selon son obscure raison, qui ne connaît pour raison que celle des nombres qui animent ma machine. Quelle sera donc l'indépendance d'esprit quand l'envie, gouvernée par le hasard des artistes et non artistes, ne sera plus que vécue, et non crée ?
Mais aujourd'hui est venu le temps du Centre informatique. Dans cette enceinte bénie, au charme inimitable de bunker antiatomique je me retrouve prisonnier, à la merci des machines installée par quelque dément, satisfait de pouvoir assouvir ses vices et ses complexes en infligeant aux élèves des configurations aberrantes. Et moi, privé de musique, rivé à un écran étranger, forcé de me contenter de pine le sept fois maudit (puisse son créateur finir dans un OS graphique, privé de souris) je n'ai plus le tempo qui me guidait, redonnait, accord après accord l'impulsion manquante pour continuer. Aurais-je connu là le sevrage ? La libération douloureuse, et emplie de promesses rédemptrices ? Peut-être bien, car j'ai pu écrire, même si mes buts premiers étaient tous autres. Je retrouverai bien vite mes habitudes, ma machine enfin revenue.
Et la voici devant, moi, permettant à ce dépendant du tempo de se faire ses injections sonores, capables de le porter sur les rivages étranges de la rédaction. J'ai un faible pour l'electro, capable, sans fioriture, ni excès insupportable de générer ce rythme que mon esprit ne produit plus. Se laisser porter, et ciseler la matière, voilà tout ce qui importe, le reste n'est que relecture, et doutes, nécessaires mais désagréables. Ils me coupent du tempo. Je sais que je n'ai presque plus besoin de créer, il me suffit de songer à cette possibilité. Mais le réveil doit survenir un jour.
Ainsi s'achève la chronique lamentable de celui qui, faute de sujet de polémique, mêla informatique, textes et musique.
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