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MessagePublié: 13 Nov 2004, 06:08 
Hors-ligne
Pamplemousse Panchromatique
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" Final Fantasy VII : Septième Fantaisie Finale "
" Version Française "









Introduction



A chaque introduction, le doute me tenaille : " Quelle connerie fais-je bien pouvoir encore leur raconter ? Vais-je devoir leur livrer mes secrets d'écrivain ? Leur révéler que je bois de l'huile de foie de morue et que je fais des offrandes à  Baal pour entretenir l'inspiration ? Leur avouer que les manuscrits originaux sont écrits à  l'encre sympathique sur des planchettes de cuir de yak ? "
Ben, pour une fois, je ne vais rien dire mais faire une introduction quand même. Pour la forme.

Bonne lecture !



Raphaël Lafarge/DragonNoir







Récit inédit de Raphaël Lafarge (pseudonymes : BadRanger, DragonNoir), situé dans le monde du jeu vidéo " Final Fantasy VII "(Squaresoft), d'après le scénario de Kazushige Nojima et de Yoshinori Kitase, inspiré de l'histoire d'Hironobu Sakaguchi et de Tetsuya Nomura.











SEPTIEME FANTAISIE FINALE







Version Française














Image


Lafarge vers 1834.
Sépia attribué à  Thomas Moraine(1802-1859)
Musée de Marseille.
























PROLOGUE. UNE JEUNE FEMME. A LA POURSUITE DE LA FUGITIVE. TRAGIQUE FIN D'UNE DIZAINE DE SOLDATS. UN SORTILEGE DEVASTATEUR.




La jeune femme courait sur le chemin de montagne. Autour d'elle se déployait sa chevelure rouge, un étendard ardent qui battait au rythme de sa course.
- Allez-y !
Dix soldats en uniformes bleus déboulèrent en haut de la pente. Ils aperçurent aussitôt leur proie en contrebas.
Rafales. La femme zigzagua, esquivant les balles. Elle fit une pirouette parfaite, se retourna en plein bond, finit par un saut périlleux arrière. Ebahis par la prouesse, les soldats en oublièrent de poursuivre leurs tirs. Ils remarquèrent trop tard les flammes dansant dans ses mains.
Elle n'hésita pas. S'il fallait en découdre avec sa conscience pour aider Gonzague? pas de problèmes.
La jeune femme hurla, et dans ce cri le flux magique se concentra. Un fleuve de feu jaillit de ses mains. Les soldats furent calcinés, consumés, réduits en statues de cendres noires.
Alors que la dizaine de victimes se dispersaient au gré des vents, celle qui était coupable de ce crime se tourna vers l'horizon.

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MessagePublié: 13 Nov 2004, 06:10 
Hors-ligne
Pamplemousse Panchromatique
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Localisation : Paris, France.
CHAPITRE PREMIER.
LE JEUNE ARISTIDE BRIERE. LA DECOUVERTE DE DEUX GARCONS BLESSES AUX ALENTOURS DE MIDIGARE. CHACUN RETOURNE A SES AFFAIRES. UNE ENIGME DES PLUS ETRANGES.




Aristide Brière se considérait comme un homme ordinaire. A vrai dire, il en était fier. Il avait un jour entendu dire que la normalité était une notion inventée par des dirigeants autoritaires pour faire rentrer dans le rang ceux qui s'élevaient au-dessus des masses bovines. L'homme qui s'était adressé à  lui en ces termes, dans une ruelle par un bel hiver, avait tout d'un gueux sans le moindre scrupule. Aussi Aristide n'avait-il pas daigné prêter l'oreille au discours de ce grossier personnage. Il avait passé son chemin, noble et méprisant.
Car Aristide Brière était quelqu'un de normal, quelqu'un d'ordinaire. Il voulait l'être. Toute sa vie avait tendu à  ce simple but. A l'école primaire, il avait un jour vu un nommé Honoré de Balzac se faire tabasser par les brutes de la cour de récréation pour avoir obtenu une trop bonne note en rédaction. Il avait alors compris. Etre anormal et extraordinaire n'apportait que des ennuis. Aristide avait depuis longtemps oublié la correction reçue par Balzac, mais dans son inconscient s'était épanouie cette idée d'anormalité dangereuse. De plus, il n'était pas convenable de sortir du rang. Cela contredisait toutes les idées d'égalité. Aussi Aristide, à  vingt-et-un ans, était-il un jeune homme convenable et parfaitement banal. Il habitait dans un petit logis d'étudiant à  Calmeville, tout près de Midigare. Chaque fin de semaine, lorsqu'il avait un peu de temps libre après avoir fini ses lectures, Aristide enfilait ses dessous, son pantalon, sa jaquette et son costume campagnard, et allait faire une promenade dans les collines.
C'était ce qu'il s'apprêtait à  faire. Au moment où commençait son histoire, Aristide Brière était là , assis dans un confortable fauteuil de la chambre de bonne qu'il louait, lisant un livre.. Ses faibles moyens ne l'empêchaient pas de se comporter en parfait gentilhomme ; sur un guéridon à  côté de lui était posée une tasse contenant un chocolat bien fumant. Il le but, tourna la dernière page de son livre. Un ouvrage ordinaire, parlant de l'avènement de Chinrat, la puissante multinationale qui avait apporté la paix dans le monde. Il était content de ce genre de lecture, et en conservait une cinquantaine de ce tonneau dans sa petite bibliothèque. Avec les livres d'histoire, on n'était guère surpris. Ils étaient tellement normaux.
Aristide referma le livre, alla déposer sa tasse en porcelaine dans la minuscule cuisine. Il se changea, enfilant ses dessous, son pantalon noir, sa jaquette et son costume campagnard. Puis il mit son manteau, un manteau brun tellement normal, tellement banal. Vous en conviendrez, c'était là  un spectacle désolant, beaucoup trop fréquent. A vingt et un ans, Aristide Brière était un jeune homme de bonne famille, quelqu'un de normal. Pour l'achever et le métamorphoser en parfait bourgeois, il ne lui restait plus qu'à  terminer ses études de Droit. Cependant, pour le moment, il était encore mince et svelte, avec un visage séduisant.
Il sortit de chez lui, puis de l'agréable village de Calmeville. Les collines environnantes portaient quelques taches grises, mais cela ne l'inquiétait guère. Bien que les fissures et les décolorations s'étendent d'années en années, la Corporation Chinrat prétendait que ce n'était là  que les malheureuses conséquences de la Grande Guerre. Aristide Brière croyait la société Fabricato.
Il se promena donc. Le ciel était bleu, les oiseaux chantaient. C'était une belle matinée.
Aristide eut alors droit au premier fait déplaisant de la journée. Quelque chose qui dérangeait sa belle vie si minutieusement agencée. Un bruit de coups de feu.
Il était disposé à  s'éloigner de la direction d'où venait ce son inquiétant, mais il ne le pouvait pas. Cela aurait perturbé davantage encore son ordinaire que d'entendre la rafale. Il attendit alors quelques minutes. Une troupe de soldats de métier Chinrat en uniformes bleus passa à  côté de lui sans le voir. Les canons de leurs fusils d'assauts fumaient.
Aristide poursuivit sa route, allant là  d'où venaient les soldats. Il monta sur la colline d'où, chaque fin de semaine, il observait la glorieuse cité de Midigare. Il eut droit à  une vision qui le stupéfia. Là , devant lui, se tenait un homme. Un SOLDAT, d'après ses vêtements et l'énorme épée qu'il tenait à  la main. Le membre du SOLDAT, arborant une énorme tignasse blonde, était à  genoux, comme prostré.
Et à  côté de lui, il y avait un autre jeune homme. Aux cheveux noirs coiffés en pics. Il restait étendu là , sur le dos, sans bouger. Aristide vit qu'une mare de sang s'étendait autour de lui, et que des trous noirâtres parsemaient son torse. Funérailles ! pensa-t-il. Les soldats de métier lui ont tiré dessus. Mais pour quelle raison ?
Aristide sentait venir les ennuis. Mais il n'était pas homme à  reculer devant le devoir. Son lot était d'aider la Corporation Chinrat du mieux qu'il le pouvait.
- Bon saint bon dieu ! s'exclama-t-il.
Il marcha vers le SOLDAT blond et le soutint.
- Vous allez bien ? Quel est votre nom ?
- Nuage... Nuage Streufe... Ecoutez-moi... Occupez-vous de Zacque...
Sur ce, l'homme blond, Nuage Streufe, s'évanouit.
- Monsieur Streufe ! dit Aristide.
Désolé, il se tourna vers le cadavre du second membre du SOLDAT. Il fouilla ses poches. Heureusement, j'ai toujours une Queue de Phénix sur moi en cas d'urgence.
Aristide utilisa l'objet magique sur Zacque, le ressuscitant.
- Tudieu ! Il ouvre les yeux ! Allons, pauvre homme, remettez-vous... Vous rappelez-vous de votre nom ?
- Zacque... Je suis Zacque...
- C'est ça ! On dirait que vous allez mieux !
Aristide sourit, se félicitant d'avoir suivi son instinct, d'avoir porté secours à  ces serviteurs dévoués de Chinrat. Lorsque le SOLDAT se releva, il vit que sa tignasse aux mèches coniques était encore plus grande qu'il ne l'aurait cru. Monstrueuse.
- Votre collègue s'est évanoui, dit-il à  Zacque.
- Mon... collègue ?
Aristide Brière se retourna, et vit alors que Nuage Streufe avait disparu.
- Nuage, c'est ça ? demandait Zacque. Vous parliez de Nuage ?
- Je parlais bien de monsieur Streufe, mon pauvre Zacque? Mais où est-il passé ?
- Tudieu ! Je ne sais pas... Comment vous appelez-vous ?
- Aristide Brière, votre serviteur.
- Comment vous remercier ? Vous avez utilisé une Queue de Phénix sur mon être inanimé, m'extirpant ainsi du néant. Monsieur Brière, je resterai votre éternel débiteur.
- Appelez-moi Aristide, je vous en prie...

Aristide, connaissant les bonnes manières, ramena Zacque chez lui. Toute cette affaire commençait à  lui peser. Aussitôt qu'il eut refermé la porte de son logis d'étudiant, il laissa l'ire se déverser en lui.
- Maintenant, dit-il avec toute la modération dont il était capable, Zacque, vous (ou tu, après ce que vous avez vécu, je me crois autorisé à  vous tutoyer) as intérêt à  m'expliquer ce qui se passe !
- Du calme, Aristide. Vous (ou tu, si tu me tutoie, moi, je te dis " tu ")?
- Je ne vous " tue " pas, monsieur.
- C'est ce que " tu " faisais à  l'instant, Aristide ! Je te dis " tu " !
- Mais je ne veux pas te " tuer " !
Le jeune homme se contint et fit face à  Zacque.
- Alors, que se passe-t-il ?
- Je crois que tu dois comprendre la vérité, Aristide... La Corporation Chinrat n'est pas la merveilleuse multinationale bonne et généreuse dont on nous rebat les oreilles à  longueur de temps.
- Tu... tu es un rebelle, Zacque ? balbutia Aristide.
Il se reprit. Quelqu'un qui répandait des mensonges concernant la Société Fabricato ne méritait pas de rester dans son logis. Et dire qu'il avait accueilli ce jeune homme, le prenant pour un bon et honnête membre du SOLDAT.
- Tu diffames la Corporation Chinrat, Zacque ! lança-t-il. Sors d'ici !
- Diantre, comment vais-je faire, Aristide ? La nuit tombe, et arpenter les chemins sombres par ces temps ténébreux serait des plus risqué.
Aristide soupira.
- Très bien, j'ai un canapé. Tu y passeras la nuit, Zacque. Mais demain... par la serpette de mon père ! ... tu quitteras les lieux.
L'étudiant commençait à  regretter d'avoir, ce jour-là , endossé sa tenue campagnarde pour aller faire sa promenade de la fin de semaine. Mais il ne pouvait se résoudre à  mettre dehors une personne dans le besoin, fut-elle folle à  lier et traîtresse à  Chinrat. Sa vie prenait un tour beaucoup trop extraordinaire à  son goût ; c'était d'autant plus désagréable qu'il avait tout fait, jusqu'au jour d'aujourd'hui, pour éviter qu'on l'extirpe de force du confortable coussin de sa banalité.

Le lendemain, Aristide voulut se persuader que tout cela n'était qu'un rêve. Par le plus grand des malheurs, il aperçut à  ce moment même deux pieds énormes dépassant de la couverture qui cachait son canapé. Des pieds truffés d'ampoules, bleuâtres, avec des plaques de crasse noire. On ne pouvait douter de la réalité de ces deux éléments atroces émergeant de la couverture, s'appuyant sur un coussin fait de linge plié. Rien qu'à  voir ces pieds, on devinait l'odeur provençale qui devait en émaner. De toute façon, Aristide n'avait pas besoin d'imaginer. Parce qu'une paire de chaussettes qui ne lui appartenait pas était jetée sur la baguette de pain qu'il avait acheté vendredi, ladite pâtisserie étant à  moitié dévorée. Et l'étudiant, qui s'apprêtait à  couper dans ce pain pour obtenir deux tartines, sentait un arôme bucolique de cèpes et de camemberts en putréfaction monter jusqu'à  ses narines. Ce qui lui donnait une idée de l'odeur des pieds eux-mêmes.
Avec un soupir, il jeta la baguette gâchée à  la poubelle.
Par-dessus le marché, Zacque ronflait.
Aristide grinça des dents - ce n'était pas la dernière fois qu'il le ferait - et voulut mettre son costume tout neuf d'étudiant. Il remarqua alors que le coussin sur lequel son invité (en français dans le texte) incongru avait posé ses pieds, ses affreux pieds puants, n'était autre que son costume tout neuf d'étudiant. Sentant la moutarde Savora, le meilleur condiment qui soit, rassemblant onze épices et aromates de diverses régions du monde, sentant donc cette merveilleuse moutarde lui monter au nez, Aristide grogna.
Tant pis. Il enfila sa tenue de sport. En vérité, ces vêtements amples lui donnaient meilleure allure que son costume tout neuf d'étudiant, mais il ne les mettait jamais, car il détestait le sport et davantage encore les vêtements amples. Mais il n'avait pas le choix ; il avait donné ses trois autres costumes à  Paulette, la concierge de l'immeuble, pour qu'elle les lave à  la main. Ainsi Aristide dut partir, avec sur le dos ses habits de sport, et en laissant un dément aux pieds puants dans sa chambre de bonne.

La Faculté de Droit de Calmeville était un nom pompeux pour désigner la Fac où les meilleurs élèves de la secondaire, innocents bambins à  peine sortis des affres de la puberté, étaient transformés par d'austères professeurs en fléaux de la société. Dans l'un de ces immenses amphithéâtres qui arrachaient des cris de frayeur à  tout étudiant qui se respectait, le professeur Benoît-Joseph de Latournelle avait commencé son cours.
- N'oubliez jamais que la Cour de Cassation ne constitue pas un troisième degré de juridiction, déclarait-il à  ses deux cent élèves quand Aristide entra.
Aristide avait espéré passer inaperçu ; nous pourrions dire, à  sa décharge, que c'était bien essayé. Comme tout étudiant à  la Fac le sait, les professeurs emploient une ingéniosité diabolique à  faire rouiller les gonds des portes en les arrosant tous les soirs, de sorte que le premier malheureux se risquant à  les ouvrir pendant un cours pouvait entendre ses efforts de discrétion être récompensés par des grincements retentissants.
Latournelle, un bonhomme de quarante ans à  la mine sévère et aux petits lorgnons, tourna sa tête vers la porte comme une vipère. D'ailleurs, tout étudiant serait prêt à  jurer avoir entendu un sifflement et entrevu une langue bifide entre les lèvres du professeur.
- Monsieur Brière ! déclara le professeur. Vous êtes en retard !
Les élèves, décontenancés, ne pipèrent mot. Brière, en retard ? Cela ne s'était encore jamais vu. Aristide Brière était l'élève modèle, la machine à  faire des bons points, le Messie de la Fac. Un être supérieur, impossible à  atteindre, au mode de vie réglé comme une horloge, toujours tiré à  quatre épingles. Son conformisme abscons avait quelque chose de rassurant ; on pouvait demander n'importe quoi à  Brière, on savait toujours ce qu'il allait répondre, et ce au mot près. Les étudiants de première année interrogeaient parfois leurs illustres aînés et même les doyens qui avaient redoublé plusieurs fois au sujet de Brière, afin de savoir si ce gars-là , toujours sanglé dans une dignité pour ainsi dire automatique, n'était pas un cyborg, ou mieux encore, un androïde. Certains étaient allés jusqu'à  jeter un ?il sur le dossier médical de l'intéressé.
Le pauvre Aristide ne savait pas quelle attitude adopter. Arriver en retard ne lui était pour ainsi dire jamais arrivé. Après quelques secondes - qui lui parurent durer des millénaires - de paralysie, il répondit à  l'enseignant :
- Je vous demande humblement de me pardonner, professeur Latournelle. Oui, de tout mon c?ur, je vous prie de m'excuser, je vous supplie...
- C'est bon, Brière ! aboya le professeur. N'en profitez pas pour faire le zouave ! A votre place !
Aristide sembla alors disparaître ; s'il avait été dans un dessin animé, ses jambes se seraient changées en roues et les parties de son corps auraient filé l'une après l'autre. Il se matérialisa, pour ainsi dire, à  sa place.
Il sortit ses affaires en hâte et commença à  noter. Latournelle avait repris son cours.
- Le grand objectif de la Cour de Cassation est de veiller à  la bonne application de la loi. En cas d'incompétence de la juridiction, d'excès de pouvoir, d'inobservation des formes...
Soudain, Aristide sentit une légère pression sur une partie intime de son individu. C'était en fait une main qui s'était appuyée dans l'entrejambe de son pantalon.
Dans cette fâcheuse situation, notre héros chercha l'auteur de cette mainmise inqualifiable sur sa vie privée. Sur l'un des éléments clés de sa vie privée, du moins.
- ... divisée en chambres, que nous allons de ce pas énumérer, poursuivait le professeur Latournelle.
Il n'avait pas de voisin à  sa gauche. A sa droite... Eugénie Rouault étendait innocemment un bras vers lui.
- Eugénie ! chuchota Aristide.
- Quoi ?
- Enlève ta main !
- ... commerciale, une chambre sociale et une chambre criminelle. Quand il s'agit de faire appel...
Le travail qu'effectuait actuellement la main d'Eugénie dans l'ombre de leurs pupitres ne déplaisait pas à  Aristide ; mais il avait une éducation, et il n'allait pas se laisser masturber dans un amphithéâtre.
- Enlève ta main, Eugénie ! répéta l'étudiant le plus discrètement possible.
Elle ne répondit pas, mais commença à  serrer. Aristide décida de mettre un terme à  cet état des choses. Il prit son stylo le plus pointu et l'enfonça lentement dans cette main perverse.
Eugénie céda, retirant vivement ses doigts. Rasséréné, il put reprendre la transcription du cours de Latournelle.

Le soir tombait. La marée des étudiants se déversa de la Fac.
Aristide avait rangé ses affaires, comme à  son habitude, et avait repris le chemin de son foyer. Il mit un certain temps à  s'apercevoir que quelqu'un marchait derrière lui.
Gêné, il accéléra l'allure. Le pas de son poursuivant devint précipité. Pas de doute, on le suivait.
Il se retourna ; c'était Eugénie.
Blanc comme l'un de ses mouchoirs, Aristide hâta le pas. Eugénie aussi. Il arriva à  son immeuble, la jeune fille sur ses talons. Il espérait que Paulette serait là , dans l'entrée, et arrêterait l'étudiante. Par malheur, la concierge restait invisible. Il monta alors l'escalier gris, qu'il appréciait généralement comme un symbole de monotonie, et arriva à  sa chambre de bonne.
Lorsqu'il ouvrit la porte, il se retourna, et Eugénie fut sur lui. Elle le fit rentrer de force dans sa chambre de bonne.
- Alors, mon petit Aristide, ça va ?
- Tu... tu n'es plus avec Honoré ?
Honoré d'Hérouville était le fiancé d'Eugénie. A ce qu'on disait, son père était riche à  millions ; c'était le maire Dauminaut d'Hérouville, qui régnait sur Midigare. Bien sûr, il n'était maître de la ville flottante que sur le papier ; c'était la Corporation Chinrat qui dirigeait tout. Mais le Président Chinrat payait Dauminaut grassement.
- Cet idiot, fit Eugénie. Je me faisais sauter pour son fric. Mais cette semaine, Dauminaut l'a déshérité.
- Et alors ?
La réponse était pourtant simple, et Aristide n'était pas assez bête pour se la cacher. Eugénie Rouault était à  la recherche d'un nouveau filon, et elle n'avait trouvé que le meilleur élève de la Fac, qui avait devant lui un avenir prometteur.
- Et alors, tu m'excites, répondit juste Eugénie.
- Euh... attends... Je ne sais pas, ça ne se passe pas comme ça, d'habitude. Je dois t'inviter au restaurant, et on...
- Oh... Je ne savais pas que tu étais si réservé, Aristide. Ce genre de protocole, c'est ça ?
- C'est ça, Eugénie.
- Le protocole...
Elle enleva sa chemise ; elle avait des seins bombés et bronzés, de véritables obus.
- On peut s'en passer, susurra-t-elle.
Vu sous cet angle... Aristide devait reconnaître que la situation ne présentait pas que des inconvénients. Oui, pourquoi ne pas se passer du protocole ?
La porte claqua.
Eugénie se retourna, et vit Zacque, torse nu, qui venait de les enfermer.
- Je comprends mieux ta pudibonderie, cracha la jeune fille à  Aristide. Tu pouvais le dire tout de suite, que tu étais homo !
- Mais non !
Zacque ne fit pas tant de manières ; il donna un coup de poing qui étendit Eugénie pour le compte.
- Ta gueule !
- On ne frappe pas les dames, Zacque ! s'exclama Aristide.
- Aristide, tu me stupéfie. Tu crois vraiment que les " dames " se mettent les seins à  l'air à  peine arrivées chez les gens ?
L'étudiant secoua la tête.
- C'est Eugénie ! Elle est comme ça...
- C'est une espionne de Chinrat ! rugit l'ancien SOLDAT.
- Zacque, tu es complètement parano !
- Ah ouais, je suis parano ? Mais toi, tu n'as pas vu les monstres créés dans la Machine Fabricato de Nibbailaime, où est cachée Génauva !
Aristide, qui n'avait pas la moindre idée de l'incident dont parlait Zacque, alla chercher de l'eau dans la cuisine de son misérable logis. Quand il revint pour soigner Eugénie, il vit que Zacque l'avait déjà  attachée sur une chaise, ficelée comme un filet de viande et bâillonnée.
Zacque donna une claque à  l'étudiante.
- Tu vas parler, salope !
- Comment veux-tu qu'elle parle, avec ce bâillon ! dit Aristide.
Il posa un linge mouillé sur le front d'Eugénie. Trop tard, il s'aperçut qu'il s'agissait des chaussettes de Zacque. La réaction de la captive fut immédiate ; une ruade formidable, comme si on lui avait versé le contenu de toute une bouteille de vinaigre dans le nez.
- Là , elle va nous dire ce qu'elle sait ! jubila Zacque.
Il arracha le bâillon ; Eugénie toussa comme si elle avait été asphyxiée(ce qui était le cas).
- Vous avez pété un boulon, ou quoi ?
- Excuse Zacque... fit Aristide. Eugénie, nous sommes vraiment désolés...
- Non, nous ne le sommes pas, coupa Zacque.
Le jeune homme se pencha en avant, soufflant son haleine dans la figure d'Eugénie.
- Je vais t'expliquer, ma petite. Je suis recherché par Chinrat ; je connais beaucoup trop de choses, ça ne leur fait pas plaisir qu'un trouffion comme moi détienne tant de secrets. Alors...
- Mais que comptes-tu obtenir comme ça, mon gars ? répliqua Eugénie. Je ne peux pas te fournir des passeports, ce qui serait de toute façon inutile puisque les frontières sont abolies depuis la Grande Guerre.
- De faux papiers... dit Zacque. Où puis-je m'en procurer ?
- Demande à  quelqu'un des Taudis ! Et relâche-moi tout de suite !
- Je crois qu'elle a raison, hasarda Aristide. Je vais...
Le bras de Zacque fusa et cala sa main sous le menton d'Aristide. Il exerça une légère pression sur sa gorge.
- Tu restes là  ! Aristide, Eugénie, je ne veux pas grand-chose : juste survivre, le plus élémentaire des droits. Pour la Corporation Chinrat, je suis un terroriste.
- Gne non... gémit Aristide. Zacque...
- Ta gueule ! Tout ce que je veux, c'est m'en tirer. Que cela soit clair : je suis, ou j'étais, un SOLDAT de première classe, surentraîné. Je peux vous tuer tous les deux avec le petit doigt. Je sais casser des nuques à  la vitesse de l'éclair.
Aristide commençait à  s'énerver. Il avait hébergé cet individu qui ne faisait que le menacer, jeter ses chaussettes sur de bonnes baguettes de pain, poser ses pieds nus sur son costume tout neuf d'étudiant... Mais le pire, là -dedans, c'est qu'il avait la sensation que Zacque pourrait parfaitement mettre ses menaces à  exécution. C'était une bête aux abois, et elle était prête à  mordre, à  griffer, à  déchiqueter toute chair, toute vie. L'étudiant commençait à  sentir la révolte battre la mesure dans sa cage thoracique. Mais quelque chose de simple et d'absolu, sans doute l'instinct de survie, lui soufflait qu'il ferait mieux de ne pas jouer au con.
- Que dois-je faire ? demanda-t-il.
- Amène ta télévision ! ordonna Zacque. Tu en as sûrement une, Aristide, n'est-ce-pas ? Tous les bons citoyens de Chinrat ingurgitent leur portion quotidienne de débilités, pour achever l'opération de lobotomie... C'est malheureux, mais la télévision fait partie des meilleures armes d'un gouvernement, et ils n'ont même pas besoin de la contrôler pour faire en sorte qu'elle abrutisse le monde.
Soumis, Aristide alla chercher son petit poste portatif dans un recoin de la minuscule cuisine. Au passage, il s'érafla l'épaule contre le mur jauni, faisant s'effriter quelques plaques de plâtre. La télévision était lourde, mais sous le regard assassin de Zacque, il l'aurait porté jusqu'à  Midihîle, si on le lui avait demandé.
Il posa le poste à  terre, près de son " hôte " et de la chaise où était attachée Eugénie Rouault.
- Dépêche ! fit Zacque. Mets la huitième chaîne !
Aristide brancha la télévision et trifouilla un peu les boutons pour changer de chaîne. Canal 8, Télé Chinrat.
" Si vous voyez cet homme, enfuyez-vous le plus vite possible. "
Aristide ne pouvait qu'approuver : le portrait-robot qui s'affichait à  l'écran était celui de Zacque.
" Recherché et dangereux. Zacque était membre du SOLDAT avant de devenir un traître à  la cause de Chinrat. C'est à  présent un terroriste. Un commando de soldats de métier pensait l'avoir tué, mais lorsque nos services spécialisés sont intervenus pour dégager le corps, ils ne le trouvèrent point. Il n'y avait pas d'empreintes de Canines de Calmeville aux alentours." "
- Ces informations sont des mensonges, dit Zacque. Je ne suis pas un terroriste ; je tiens à  ce que vous le sachiez. J'ai découvert plusieurs des sordides combines de Chinrat, et à  présent, ils en ont après moi.
" Nos hommes ont entamé les recherches dans les Taudis de Midigare." "
Le visage concerné de la présentatrice apparut sur l'écran.
" Et maintenant, un flash spécial d'information : une bombe a explosé sur la Plaque. Les fidèles employés de Chinrat ont reçu ce cube vidéo." "
Les images changèrent. A présent, des parasites troublaient la vision ; ils étaient sans doute inhérents à  la copie d'origine, filmée avec une caméra bon marché. Dans une pièce minable, où était accroché sur le mur un poster où l'on voyait le losange rouge de Chinrat barré par une croix noire, un homme dépenaillé parlait face à  l'objectif. Derrière lui, une vingtaine de guerriers.
" Je suis Gonzague de Lazirac. Dans le temps, j'étais un homme noble. Aujourd'hui, je suis une proie. Mais je veux que vous sachiez... Vous, les bons citoyens, vous qui vous terrez dans vos maisons chauffées à  la Fabricato, vous qui acceptez sans un mot la dictature sanglante de Chinrat parce qu'elle n'affecte pas votre vie à  vous, qu'elle la rend même plus agréable, il faut que vous sachiez ! Que vous compreniez tous... Moi, Lazirac, j'ai mis cette bombe dans une poubelle à  Midigare. A cause de moi, des gens sont morts ! Et j'en suis fier ! "
- Ce gars est complètement taré, dit Eugénie.
" Oui, j'en suis fier ! " poursuivait l'homme à  l'écran. " Vous avez massacré ma famille et celles de mes voisins. Vous baignez dans le sang de mes aïeux et dans celui de mes enfants, vous vous en gorgez ! Je n'indiquerai pas l'endroit d'où je viens, vous risqueriez d'en massacrer les survivants. Sachez seulement que c'est Chinrat qui a créé le monstre que je suis maintenant ! "
Gonzague de Lazirac mit sa main sur sa poitrine.
" Pas d'Energie Fabricato pour m'exhorter au combat. Pas de prothèses bioniques. Pas de drogues censées me soutenir. Rien que moi ! Ma souffrance ! Ma volonté de me battre ! Moi... et mes hommes... nous hurlons notre colère à  la face du monde. Nous jurons de renverser la Corporation Chinrat ! Président Chinrat, " Vice " -Président Ruffian Junior Chinrat, Martin Haidaiguerre, Chef du Maintien de l'Ordre Public, Professeur Eaujaune, Tseingue, Commandant des Turks, Alphonse Dupilon, Dirigeant du SOLDAT, Scarlette, attachée de presse, Rêve, architecte de Midigare et Palmeure, responsable du budget... Vous nous avez tout pris ! Tout, sauf notre rage de vaincre, de nous battre ! Oui, sachez, sachez tous que désormais les riches vivront dans la terreur ! Les oppressés se vengent du mal qui les ronge ! "
- Ce Lazirac m'a tout l'air de vouloir faire une révolution à  lui tout seul, commenta Aristide.
- C'est bien, approuva Zacque. Il a compris que c'était des monstres qui se cachaient derrière les bonnes intentions de la Corporation Chinrat.
- Mais vous étiez un SOLDAT, non ? demanda Eugénie, toujours ficelée. Zacque, qu'est-ce qui vous a décidé à  devenir comme ça ?
Drapé dans son mutisme, Zacque alla éteindre la télévision.
- J'ai vu les crocs sous le masque, dit-il. Il est temps pour moi de vous narrer ce qui s'est passé à  Nibbailaime? Ca fera toujours deux personnes de plus au courant. De toute façon, vous avez été en contact avec moi ; si Chinrat vous trouve, ils vous exécuteront. Autant que vous ne mouriez pas idiots.
- Alors, raconte-nous, fit Aristide.
- Pas maintenant. Nous devons nous enfuir.
Aristide déglutit. Il craignait d'avoir très bien compris. Mais j'ai des études en cours ! voulut-il protester. Je désire devenir un brillant avocat ! Cependant, outre le doute qui commençait à  s'insinuer en lui concernant les bonnes intentions (en français dans le texte) de la Société Fabricato Chinrat, il essayait de réprimer un certain sentiment de sympathie pour Zacque, ce malheureux dément qui croyait que le monde entier était contre lui. Mais avec toutes les bêtes sauvages qui parcouraient ces contrées, sortir la nuit était-il vraiment sûr ?
Zacque ouvrit la porte. On aurait dit qu'elle donnait sur un puits. La cage d'escalier, dans la nuit noire, semblait aussi ténébreuse que la gueule de l'enfer. Puis le SOLDAT détacha Eugénie de sa chaise.
- Si tu es une espionne de Chinrat, je te ferai sauter la carotide avec mes dents ! promit-il.
Sans dire un mot, l'étudiante acquiesça. Elle remit sa chemise, et ils partirent, forcés par un membre du SOLDAT psychotique à  quitter Calmeville. Zacque insista pour qu'ils courent dans l'escalier, et ils ne cessèrent pas de foncer une fois sortis sous la voûte étoilée. Le jeune homme ne les autorisa à  ralentir le pas qu'une fois sortis de Calmeville.
- Les Canines de Calmeville rôdent à  cette heure, fit-il. Mais nos amis les loups ne devraient pas approcher un groupe d'humains en bonne santé.
- Et s'ils le font ? cracha Eugénie.
- Eh bien... Outre le fait que je sois grand et fort, ils devraient avoir du mal à  mordre quand je leur aurai arraché les mâchoires.
Aristide, déprimé par cette dernière affirmation, repartit. Ils lui emboîtèrent le pas. Aucun d'entre eux ne savait exactement où ils allaient. Et cela importait peu ; Zacque entendit des rafales d'armes à  feu venant de Calmeville. Les troupes de Chinrat les avaient manqués de peu.

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MessagePublié: 19 Nov 2004, 02:22 
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Pamplemousse Panchromatique
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CHAPITRE SECOND.
MALHEURS DIVERS. ENTREVUE AVEC UN VOYAGEUR DES MARAIS. LE PAUVRE ARISTIDE FAIT UNE CRISE DE NERFS. LE RECIT DE ZACQUE.




- Il nous faut rejoindre les marais, dit Zacque.
Il scruta les faciès d'Aristide et d'Eugénie. Installés dans un renfoncement grisâtre entre deux collines, ils l'écoutaient avec calme. Zacque traça avec son doigt un schéma dans la terre desséchée.
- Nous sommes là , expliqua-t-il. Je connais les méthodes de Chinrat ; ils fouilleront probablement ce périmètre, autour de Calmeville.
- Mais nous sommes à  la limite ! gémit Eugénie.
- Bien sûr que nous sommes à  la limite de la zone des recherches, qu'est-ce-que tu crois, ma petite ?
- Zacque, il faut que j'aille chez moi pour chercher mes affaires !
- C'est ça, répondit Zacque, sarcastique. Ecoute-moi bien, pétasse...
- On ne parle pas comme ça aux femmes ! fit Aristide.
- Très bien... Ecoute-moi bien, jeune fille... Je suis dans la merde jusqu'au cou, et vous avec. Chinrat a sans doute déjà  trouvé des témoins qui affirment que monsieur Brière m'a ramené chez lui? Et que mademoiselle Rouault est également allée dans cet immeuble. Vous êtes tous les trois sur la liste noire de Chinrat.
Aristide secoua la tête.
- On ne me fera pas croire que la Société Fabricato qui a amené la paix dans le monde veut nous abattre !
- Et pourtant ! fit une voix inconnue.
Ils se tournèrent vers l'origine du son. C'était un soldat de métier, en uniforme bleu, qui braquait sa mitraillette sur eux du haut d'une butte herbeuse.
- Ha, ha, ha, ha, ha ! fit l'homme. Zacque... tu me reconnais ?
- Tu portes un casque, imbécile ! répliqua l'ex-SOLDAT.
- Ce n'est pas grave... Je portais aussi un casque la première fois.
Le soldat les gardait en joue ; il bondit devant eux, releva le canon de son fusil mitrailleur.
- Je fais partie des types qui t'ont vidé plusieurs chargeurs de balles en pleine gueule !
- Vous avez raté le cerveau, apparemment, fit Aristide. Ma Queue de Phénix...
- Ah, c'est toi, dit le soldat bleu. C'est toi qui a ressuscité Zacque !
L'homme qui les menaçait redressa un peu plus son arme, la lâcha de la main droite et décrocha un Faihachaisse petit et rutilant de sa ceinture. Puis il le porta à  sa bouche.
- Ici l'unité 007509. J'ai une belle prise... Oui... Ce sont bien nos trois cibles? On a décroché le gros lot !
Aristide pâlit en entendant " nos trois cibles ". Alors, la Corporation Chinrat avait décidé de le sacrifier... juste parce qu'il avait parlé à  Zacque ? Et cette pauvre Eugénie, traquée elle aussi comme un simple gibier... Quel terrible secret détenait donc l'ancien SOLDAT ?
- Venez vite... disait le soldat de métier 007509.
A cet instant, Zack bondit, fit un saut de côté pour éviter une rafale de balles et envoya son genou dans le menton de son adversaire. Alors que le soldat grognait et s'apprêter à  tirer une seconde salve, il lui posa une main de chaque côté de la tête, pressa et tourna. Craquement. La nuque brisée, le soldat de métier 007509, dans son bel uniforme bleu, tomba face contre terre.
- Vous l'avez tué... murmura Aristide.
- Il m'avait tué, rappela Zacque. Nous sommes à  égalité, 007509 et moi.
Le jeune homme rejeta ses cheveux noirs en arrière et, sans perdre une seconde, ramassa le Faihachaisse du soldat. Resté allumé, l'appareil portable grésillait :
" Que se passe-t-il, 007509 ? 007509 ! A vous ! "
- Je les ai eus ! cria Zacque au Faihachaisse.
Aristide et Eugénie furent sidérés. Leur compagnon imitait à  la perfection la voix du soldat de métier.
- Les trois cibles se sont enfuies dans des directions différentes, poursuivit Zacque d'un ton joyeux. Mais je suis bon tireur... Ha, ha, ha, ha, ha !
" Tu les as tous eus ? Alors, nous n'avons plus besoin de t'envoyer des renforts ? "
- Affirmatif ! Je les ai butés, ces fumiers ! Je vous rapporterai leurs têtes cet après-midi !
" On a eu raison de te confier l'exploration de ce périmètre, 007509. Attends-toi à  une promotion rapide. Terminé. "
Le Faihachaisse émit un bip ; Zacque l'éteignit.
- Comment as-tu pu... ? demanda Eugénie. Zacque, ta voix... !
- Ca fait partie de ce que l'on enseigne aux SOLDATs. Une nommée Ruthe des Turques m'a dit un jour que contrairement à  sa section, les Turques, les membres du SOLDAT sont à  vrai dire les " nettoyeurs ". De gros bourrins (en français dans le texte) qui s'amènent dans une région et qui la transforment en désert. Nettoyage par le vide.
- Et c'est vrai ? s'enquit Aristide.
- Pour l'essentiel. Mais les SOLDATs de Première Classe, comme moi ou Sephiroth, reçoivent un entraînement mastoc (en français dans le texte) pour devenir de véritables machines de guerre (en français dans le texte). Et entre autres talents, nous pouvons imiter des voix.
Eugénie éclata de rire, un rire frais de jeune fille. Zacque rit également ; dans sa bouche de brute résonnait le même son que dans celle d'Eugénie.
- Arrête ça, Zacque, dit Aristide. Tudieu, quelle horreur !
- Tudieu, quelle horreur ! répéta Zacque avec la voix d'Aristide.
Il reprit son sérieux et fixa ses deux compagnons.
- Ecoutez-moi. Nous devons partir (en français dans le texte). Le plus vite et le plus loin possible.
- Mais où ça, Zacque ?
- Peu importe (en français dans le texte). Nous verrons plus tard (en français dans le texte). Je pensais rejoindre (en français dans le texte) le fort du Condaurre, il y a là -bas des résistants (en français dans le texte) à  Chinrat. Cependant (en français dans le texte), l'endroit (en français dans le texte) n'est pas de tout repos (en français dans le texte). Nous devons déjà  (en français dans le texte) arriver aux marais (en français dans le texte) ; nous verrons plus tard que faire (en français dans le texte).

Le voyage se passa sans histoire. Durant trois jours, ils marchèrent dans les vastes plaines. Les jambes d'Aristide étaient endolories, et ses semelles réduites à  une peau de chagrin. Eugénie ne se plaignait jamais mais il était certain qu'elle souffrait autant que lui. La nuit, ils dormaient mal à  la belle étoile ; heureusement, Aristide avait sa tenue de sport, il n'osait imaginer ce qu'il aurait ressenti en se couchant sur l'herbe avec son costume d'étudiant tout neuf.
Le troisième jour, ils rencontrèrent un bien curieux personnage. Ils le virent venir de loin dans les grandes plaines. C'était un cul-de-jatte qui utilisait ses bras musclés pour se mouvoir.
- Quel est cet énergumène ? dit Aristide.
- Energumène toi-même !
L'homme sans jambes arriva à  un mètre d'eux et s'arrêta.
- Je suis Gustave Filandrin.
- Nous cherchons la route des marais, dit Zacque.
- J'en viens, répondit l'infirme. Vous voyez ? J'ai plus de jambes. Il y a des Zaulaummes de Midigare dans ces marécages. Des serpents d'environ dix mètres de long. C'est l'un d'eux qui m'a gobé les jambes, et j'ai eu de la chance que le reste n'y passe pas aussi.
- Comment traverser cette zone ? demanda Eugénie.
Filandrin soupira.
- J'aurais dû écouter ceux qui me disaient qu'il fallait un Chocaubeau. A présent, je ne pourrai jamais en monter un pour franchir la région des marécages.
- Un Chocaubeau ? fit Zacque.
- Il n'y en a plus à  la ferme des Chocaubeaux. Un petit conseil, m'sieurs dames... Evitez les marais.
Le cul-de-jatte s'éloigna en maugréant quelque chose à  propos des Zaulhommes de Midigare. Aristide, Eugénie et Zacque se concertèrent.
- Si j'ai bien compris, dit Eugénie, il faut un Chocaubeau pour passer les marais !
- Tudieu, Eugénie, il n'y en a plus à  la ferme ! Nous aurions dû rester à  Calmeville !
Zacque secoua la tête.
- Ecoutez, les deux clowns. On n'a qu'une chose à  faire : attraper un Chocaubeau sauvage.

Aristide Brière voyait sa vie prendre un tour pour le moins imprévu. Deux jours plus tôt, il était étudiant en droit à  Calmeville et jouissait en gros d'une espérance de vie de soixante-dix ans. Recherché par la Chinrat, se dit-il tristement, ce n'est plus qu'une question de jours avant que je ne passe de vie à  trépas. Le pire, c'était que ses deux compagnons n'avaient pas l'air de s'en rendre compte. Ils se comportaient comme des dresseurs fous à  lier qui seraient tombés nez à  nez avec un Zaimzelette. Le pire, c'est qu'au lieu de fuir la créature ailée, ils restaient sur place pour la complimenter sur son pelage vert et sa magie " Vent Blanc ". Tout cela était contrariant, avant tout parce qu'Aristide avait eu l'intention de mener une vie certes normale, mais surtout longue, tandis que Zacque et Eugénie semblaient s'ingénier à  l'emmener droit vers son mausolée.

- Pas question ! geignit Aristide. Je ne monte pas là -dessus !
- C'est un Chocaubeau, dit Zacque.
- Je sais ce qu'est un Chocaubeau.
- Allez, monte, Aristide.
L'étudiant secoua la tête.
- Zacque, c'est hors de question.
- Mais les Chocaubeaux sont inoffensifs ! s'exclama Eugénie.
- Ce ne sont pas les Chocaubeaux qui me font peur, dit Aristide d'un ton sinistre. C'est le fait que vous ayez décidé de les utiliser pour traverser ces marais pleins de serpents géants.
- Le Zaulhomme de Midigare est une bête peu rapide, affirma Zacque. Nos Chocaubeaux distanceront sans peine cette erreur de la nature.
Aristide eut un sourire sarcastique.
- Je n'en ai pas le moindre doute. Mais?
- Pas de " mais ", Aristide.
- Si, il y a un " mais ". Si nos montures se mettent à  ruer et à  courir à  travers bois, marécages et buissons pour laisser les Zaulhommes de Midigare le plus loin possible derrière elle? Resterons-nous sur leur dos ? Ou serons-nous, comment dire, envoyés dans la vase ? Avec les Zaulhommes arrivant de toutes parts ?
Zacque prit un air si menaçant que le Chocaubeau d'Eugénie pépia de frayeur.
- En voilà  assez ! dit l'ancien SOLDAT. Tu as quatre choix, Aristide. Tu peux traverser les marais à  dos de Chocaubeau.
- Non !
- Tu peux aussi les traverser à  pied? Mais tu risques fort de finir le voyage ballotté dans l'estomac d'un reptile passant par là .
- Non ! Non !
- Tu peux rester ici et attendre les garnisons de la Corporation Chinrat...
- Non ! Non ! Non !
- Ou tu peux essayer de rentrer à  Calmeville? avec les braves gens de Chinrat qui fouillent ce village.
- Non ! Non ! Non ! Non !
Eugénie s'esclaffa et rappela :
- Décides-toi, Aristide. Vite.
- Non ! J'en ai assez ! Je n'ai rien demandé ! Tout ce que je voulais, c'était mener ma petite vie ordinaire? Je n'ai jamais voulu cela...
- Ecoute bien, mon petit Brière, grinça Zacque. Tu vas monter sur ce Chocaubeau ou je te fiche une raclée si sévère que tu ne pourras plus utiliser tes dents que pour faire un collier !
- Par la serpette de mon père...
Aristide reprit conscience de la musculature imposante du jeune homme et se tut.

La mine de mithril était paisible. Quelques crabes violets déambulaient sur le sol, on voyait des serpents glisser dans les fissures? mais la tendance générale restait au calme.
C'est là , dans un boyau de mine désaffecté, que Zacque, Aristide et Eugénie s'assirent sur des rocs de mithril. Ils étaient exténués. La traversée des marécages n'avait pas été de tout repos. Certes, leurs Chocaubeaux n'avaient eu aucune difficulté à  distancer les Zaulhommes de Midigare. Mais leurs cavaliers avaient eu un mal fou à  rester sur le dos des volatiles. Zacque avait insisté pour qu'ils abandonnent leurs Chocaubeaux à  l'entrée de la mine. Il avait dit que si les volatiles pouvaient faire le chemin dans un sens, ils le pouvaient dans l'autre.
- Assez... dit Aristide. Pfou...
- Nous n'avons plus que quelques jours de marche pour atteindre le Fort du Condaurre, dit Zacque. Lorsque nous y serons, j'aviserai.
- Comment, tu aviseras ?
- Il y a là -bas des tas de résistants à  la Chinrat. Ensemble, nous mettrons sur pied un plan pour révéler la vérité au monde. Car la Chinrat n'est pas immaculée...
Eugénie secoua la tête.
- Rassembler assez de preuves, c'est mission impossible !
- L'opinion publique est débile, répliqua l'ancien SOLDAT. Nous n'aurons qu'à  fabriquer plusieurs preuves. Il y a d'abord les expériences biologiques, celles du professeur Gastard, du professeur Spinauza et du professeur Eaujaune : Féroces, Génauva, tout le tintouin... Ensuite, le SOLDAT et les Turques ne sont pas, comment dire ? ... exempts de reproches. Et pour finir, il y a l'Energie Fabricato... A Junon, par exemple, on peut constater les ravages de la Machine Fabricato sous-marine sur l'environnement. Ca sera une partie de plaisir d'énoncer les griefs de la Corporation Chinrat.
Zacque resta un moment songeur. Puis il ajouta :
- Peut-être aurions-nous dû rejoindre les Taudis de Midigare. Vous vous souvenez de ce terroriste que nous avons vu à  la télévision, Gonzague de Lazirac ? Si nous avions pu nous rallier à  son mouvement de résistance?
- Il fait sauter des bombes, Zacque ! protesta Aristide.
- Aristide, je n'hésiterai pas une seconde à  poser des bombes.
Eugénie le regarda avec des yeux ronds. Elle déglutit et parla.
- Il faut absolument que tu nous expliques pour quelle raison tu hais tant Chinrat, Zacque.
- C'est vrai, il est plus que temps pour moi d'entreprendre mon récit...

- J'étais un bon et loyal membre du SOLDAT, commença Zacque. Jusqu'au jour où, accompagné de Nuage Streufe, d'un autre soldat de métier et du SOLDAT Saiphiraute, dont tu as sûrement dû entendre parler, j'ai découvert le sombre secret que dissimulait la Machine Fabricato de Nibbailaime. Je n'ai pas eu l'heur de contrarier la volonté du destin voulant que Saiphiraute sombre dans la démence, mais j'ai pu sauver Nuage de l'incendie qui a ravagé le village de Nibbailaime. Nous nous sommes alors précipités ensemble dans les Monts Nibbailes, et dans les profondeurs de la Machine Fabricato, nous avons découvert Saiphiraute devant un gigantesque tube de verre contenant Génauva !
- Génauva ?
Captivé par le récit de Zacque, Aristide avança :
- Ce n'était pas... le nom de la mère de Saiphiraute ?
- La mère biologique de Saiphiraute se nommait Lucrèce. Et son père est le professeur Eaujaune.
- Eaujaune ? Le grand spécialiste au service de Chinrat ?
- Précisément, Aristide. Tu vois d'ici le tableau? Génauva est en fait le nom d'un organisme découvert dans une strate géologique datant de plusieurs millénaires. Certains prétendent qu'elle était une Centrale, une des Anciennes. On a injecté des tas de cellules de Génauva à  Saiphiraute. Je ne parle même pas de l'aspersion à  l'Energie Fabricato. C'est ainsi qu'il est devenu un surhomme au service de la Corporation Chinrat.
Zacque baissa la tête.
- Quand le mystère de ses origines lui fut révélé, en ce jour fatal, dans les profondeurs du Manoir Chinrat, Saiphiraute perdit la raison ; sa folie se manifesta? d'abord ! ? sous la forme d'un maelström de feu orangé? qui déferla sur Nibbailaime avec la violence d'une tempête, nous préservant, moi, Nuage et Zangan, mais anéantissant les habitations, contenant et contenu ! Tous les Nibbailiens moururent. Quant à  moi et Nuage, nous nous sommes précipités dans les Monts Nibbailes, et dans les profondeurs de la Machine Fabricato, nous vîmes Saiphiraute s'apprêtant à  libérer Génauva de sa prison de verre.
Zacque leva les yeux au ciel. Aristide Brière tentait de reprendre ses esprits. Tout un pan de ses convictions venait de s'effondrer. Il voyait briller dans les yeux du SOLDAT une étincelle de vérité qui ne trompait pas, mais ces révélations étaient proprement stupéfiantes. Nibbailaime? Eaujaune? Génauva? Lucrèce? Et par-dessus tout, Saiphiraute, devenu fou, incendiant tout un village !
- Après maintes péripéties, fit Zacque, Saiphiraute le dément fut précipité par Nuage dans l'Energie Fabricato et y trouva la mort(je suppose et j'espère). Quant à  nous, les deux rebelles, nous fûmes capturés par les troupes de la Corporation Chinrat. Des mois après, nous parvînmes à  nous évader, et nous arrivâmes à  Midigare, avec l'espoir d'y devenir des mercenaires. La suite, Aristide, tu la connais?
- Tudieu ! s'exclama l'étudiant. Tu m'offusques, Zacque, peux-tu le comprendre ? Ton récit sonne comme l'une de ces fables que l'on sert aux enfants? Et quand bien même? Accepter ton histoire, ce serait renier mes croyances les plus profondes. La Chinrat, créer des monstres ?
- Je ne t'obligerai pas à  croire à  ce que je viens de dire? en fait, je ne m'attendais pas à  ce que tu admettes la vérité.

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MessagePublié: 19 Nov 2004, 02:27 
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Pamplemousse Panchromatique
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CHAPITRE TIERS. ARISTIDE BRIERE, EUGENIE ROUAULT ET ZACQUE DE GONGUEGAGAT TENTENT DE SORTIR DU DEDALE DE GROTTES. MANIFESTATION D'UNE OPPOSITION. MULTIPLES PERIPETIES. FORT DU CONDAURRE. BEAUCOUP PLUS TARD, ARRIVEE DANS LA REGION DE CORAIL.




- Allez, c'est parti ! s'exclama Eugénie.
A peine avait-elle fait un pas vers la sortie de la mine qu'un tremblement se faisait entendre.
- Maintenant que j'y pense... dit Zacque. Il y a quelques mois, des monstres sont apparus dans cette zone.
- Et c'est maintenant que tu nous le dis ? rugit Aristide.
Eugénie se tourna vers eux, songeuse.
- Zacque, les " monstres ", ce sont les serpents et les crabes ?
- Euh, non... Des trucs du genre humanoïdes brandissant des masses.
- J'aimerais bien voir ce qui peut engendrer ce type de créatures...
Il y eut une secousse et quelque chose apparut. Un titan de mithril, une bête humanoïde à  la surface constituée de plaques argentées, comme une armure de pierre et de métal. Il y avait une sphère brillante sur son torse, loin au-dessus d'eux.
Le colosse faisait huit mètres de haut.
- Tu ne pouvais pas te taire, Eugénie ? hurla Zacque.
Il leva son fusil mitrailleur et lâcha une rafale qui toucha le monstre en plein dans le torse. Les balles ricochèrent sur sa carapace rocheuse.
Il n'est pas vivant, pensa Aristide. Ce n'est que de la pierre.
Un autre coin de son cerveau lui disait que l'embêtant dans l'affaire, c'est que cette masse de roche bougeait.
Le titan de mithril leva un bras de quatre mètres, informe, sans patte, griffes ni main à  l'extrémité. Cependant, rien qu'à  voir ce membre, on devinait qu'il n'avait pas besoin d'appendices pour tuer. Il devait peser des tonnes.
Zacque évita de peu le bras, qui alla défoncer une paroi de la grotte juste derrière lui, avec fracas et gravats. Toujours en silence, l'humanoïde colossal se pencha sur Eugénie, qui donnait des coups de pied désespérés à  ses jambes argentées.
Aristide grimaça. Le temps semblait s'arrêter. Tout au fond de lui, une petite voix timide avança une suggestion. Un vrai gentilhomme protégerait Eugénie. Il s'efforça de refouler ces idées avec les arguments habituels : Ce truc est gros, fort, moi, bien que grand et fort selon des critères humains, je suis petit et faible face à  lui.
Zacque lança un sortilège qui détourna l'attention du titan.
Et voilà , dit la petite voix à  Aristide. Ce crétin d'ancien SOLDAT est plus héroïque que toi.
Mais... Mais... Il a eu un entraînement spécial
, protesta-t-il.
Oui, mais est-ce que son entraînement l'a préparé à  survivre à  l'incrustation dans un mur de pierre ?
Moi, qu'est-ce-que je peux faire ? Je ne suis qu'un étudiant !

Zacque fit une roulade ; un bras énorme l'effleura. Eugénie tenta de fuir. Aristide, lui, restait dans son coin, en proie à  un dilemme.
Qu'est-ce que fait un étudiant ? chuchota la voix, qui était de plus en plus autoritaire.
Euh? il étudie ?
Bonne réponse ! Toi, Aristide, tu n'est pas un Monsieur Muscle comme Zacque, mais tu es une tête pleine, un cerveau ! Utilise ta cervelle !
Elle ne sert à  rien, en combat, ma cervelle ! Sinon à  repeindre les murs !

La petite voix, son autre moi, parut agacée.
Eh bien, débrouille-toi, Aristide. Je ne vais pas non plus tout te dire.
Le colosse étincelant leva une jambe, la baissa. Zacque ne fut pas assez rapide. Dans un jet de sang, ses deux jambes furent broyées.
Livré à  lui-même, Aristide songeait à  un moyen de lui venir en aide. Sa réflexion... Son savoir... Cet être ressemblait à  un...
Mais oui ! C'est un golem !
Tu as mis du temps à  le deviner...
dit la voix, sarcastique.
Seulement? les golems sont invincibles. Ils se reconstituent indéfiniment.
Pas leur noyau vital, Aristide.

Aristide Brière remarqua le joyau étincelant planté haut sur le poitrail du golem de mithril. Le noyau vital, mais les surplombant de six mètres, hors d'atteinte. Il chercha une arme.
Zacque, qui gémissait, les jambes broyées, tandis que le titan marchait à  grands pas vers Eugénie, avait lâché son fusil mitrailleur. Aristide courut, prit l'arme.
Eugénie le vit. Elle fonça entre les jambes du golem, revenant vers lui.
Avec lenteur, le colosse de huit mètres pivota...
... Aristide cala la mitraillette Shinra contre son épaule...
... leur monumental adversaire mit un bras lourd en arrière, s'apprêtant à  le lancer sur Eugénie...
... Aristide visa, tira !
Les balles manquèrent complètement le golem de mithril. L'une d'elle ricocha sur une paroi ; la bête, sensible aux mouvements, baissa son bras. Elle était distraite par la balle qui avait rebondit. Aristide visa à  nouveau le noyau vital, haletant.
Il tira.
Cette fois encore, il rata son but. Ce fut un miracle si l'une des balles atteignit la sphère brillante. Flamme ; déflagration.
- Eugénie ! hurla Aristide.
Le colosse, réduit à  l'état de statue instable, tomba...
Courant le plus vite possible, la jeune fille rejoignit son sauveur. Ils virent leur adversaire de mithril qui percutait le sol, tremblait dans le mouvement, il y eut une explosion, des éclairs et dans un déluge de flammes magiques et de fumée le golem éclata en gravier scintillant ; les éclats de pierre rebondirent sur eux comme une salve de chevrotine ou une violente grêle. Ouvrant les yeux, Aristide vit qu'il ne restait que de la poussière brillante tapissant le sol. Il avait vaincu leur terrible adversaire.
- Tu as été si brave, Aristide... fit Eugénie.
- Eh, ne m'oubliez pas ! gueula Zacque.
Ils vinrent l'examiner. La partie inférieure de son corps, en dessous de l'aine, était réduite en purée rose et rouge où nageaient quelques muscles et des fragments blanchâtres ; le tissu de son pantalon se confondait avec cette bouillie palpitante.
- Plus... de jambes... gémit Zacque.
Aristide et Eugénie échangèrent un regard. Ils n'avaient aucun moyen de le régénérer. Pas de potions, pas de Matérias. Il est fini, disaient les yeux de la jeune fille. Laissons-le là .
- Pas question de l'abandonner, dit Aristide. On va le porter.
Zacque le regarda. Son nez se mit à  saigner.
- Merci, Brière. Mais faites vite... voyez...
La poussière argentée, sur le sol, se rassemblait en petits tas.
- Le mage qui a créé ce golem de mithril était très puissant, expliqua le blessé. Il a programmé un sous-sort. Bientôt, la mine sera infestée de petits golems.
Aristide prit les bras de Zacque, Eugénie ses jambes broyées et ils le soulevèrent. Ce fut une tâche ardue. Toute cette musculature pesait son juste poids. Ils parvinrent à  le décoller du sol, à  le hisser jusqu'à  la sortie. Ils disparurent dans la lumière du soleil, alors que de petites statues réfléchissant les rayons comme si elles avaient été faites de diamant se formaient dans les grottes.

La progression à  l'extérieur fut pénible. Zacque restait muet, retenant gémissements et cris de souffrance, mais ses deux compagnons sentaient qu'il souffrait. Ils devaient régulièrement faire halte dans la plaine d'herbe verte, avec la crainte d'être cernés par des fauves. Mais il ne semblait pas y avoir beaucoup d'animaux dans les parages.
Portant Zacque, forcés de marcher courbés, bras et jambes engourdis, Aristide et Eugénie accueillirent comme le symbole de la délivrance le bâtiment qui se profilait à  l'horizon. A contre-jour, on ne distinguait qu'une construction massive plantée au sommet d'une colline grise... et la silhouette d'un oiseau juché sur ce support.
Ils posèrent Zacque pour mieux s'extasier sur leur destination. Le Fort du Condaurre s'apprêtait à  les accueillir.


- Je ne peux vous aider.
Le vieil homme avait perdu toute son amabilité dès qu'ils l'avaient mis au courant de la situation. Dans les entrailles de la colline dans laquelle la Machine Fabricato plantait ses racines de métal était creusé tout un fort, une base de résistants. C'était là  qu'ils avaient entamé une discussion avec le dirigeant des résistants... ladite discussion semblait prendre un tour abrupt alors que Zacque venait tout juste d'exposer son problème.
- Nous sommes recherchés par Chinrat ! plaida Eugénie. Nos intérêts coïncident !
- Hum, j'ai bien peur que non.
L'homme leur tourna le dos.
- Vous devez comprendre notre point de vue... Nous sommes engagés dans une guerre d'usure. Les informations que vous possédez, monsieur Zacque, devraient normalement avoir un impact déterminant. Le problème est que la Corporation Chinrat se fout de l'opinion publique. Et les gens, même si des journaux ont le courage de publier vos révélations, refuseront de s'opposer à  la multinationale qui leur fournit leurs emplois, leur monnaie, leur électricité.
- Alors, je me suis fait écraser les jambes pour rien ? rugit Zacque.
- Nous ne sommes pas des monstres. Nous allons vous guérir. Mais ensuite, vous devrez repartir, à  moins que vous ne souhaitiez combattre à  nos côtés.
Zacque serra les dents.
- Pas question, déclara-t-il. J'en ai soupé de ces querelles. Tout ce que je veux, c'est survivre. Et Chinrat me poursuivra partout où j'irai. Si leur empire s'effondre, je serai en sûreté.
- Ce n'est pas pour demain, rétorqua le dirigeant de la résistance. Votre position n'est guère enviable, monsieur Zacque. Vous détenez un lourd secret, si terrible que la Corporation Chinrat est prête à  tout pour le récupérer. Par le plus grand des malheurs, cela ne vous sert à  rien, sinon à  être pourchassé. Vous ne pourrez pas vaincre Chinrat à  vous tout seul.
Ils se levèrent. Aristide n'avait jamais vu une telle expression de haine sur le visage de Zacque. Il semblait prêt à  arracher la figure du vieil homme avec les doigts. L'ancien SOLDAT marcha jusqu'à  la sortie. Aristide et Eugénie le suivirent.
Avant de partir, Zacque se retourna et braqua un index accusateur sur l'homme.
- Ecoutez-moi bien. Tandis que vous resterez terrés comme des hamsters ici à  attendre l'ennemi, rien ne changera. Et pour moi, c'est pire. Chinrat m'a retrouvé près de Calmeville, ils me cherchaient depuis ma fuite de Nibbailaimme. Je ne serai jamais en sécurité, où que j'irai. Le monde entier est enserré dans les chaînes économiques de Chinrat. Mais j'aurai la peau de ces salauds ! Je vous le garantis !
Cramoisi, les tendons de son cou saillant comme des tuyaux Fabricato, Zacque sauta dans le trou qui s'ouvrait devant lui.
Dehors, dans l'ombre de la colline, de la Machine Fabricato et du Condaurre, Aristide tenta d'ordonner ses idées. Sa vie avait été détruite, tout comme celles d'Eugénie et de Zacque. Il leur fallait un nouveau but.
- As-tu pensé à  notre objectif ? demanda-t-il à  leur compagnon.
- J'en sais foutre rien ! Avant d'être tué par cette escouade, je pensais devenir mercenaire avec Nuage Streufe... Maintenant, j'ai compris que ça servirait à  rien. Ils me retrouveront et me descendront. Cependant, je veux me venger ! Je peux pas les laisser s'en tirer !
Sans se préoccuper d'Eugénie, dont la vigueur semblait avoir été aspirée par leur périple, Aristide Brière analysa ses propres réactions. Qu'est-ce-qui lui importait ? Ses idéaux, ses croyances, tout son système de valeurs... Les derniers événements avaient balayé les bases de sa conscience. Il comprit qu'il n'avait jamais remis en question aucun des piliers autour desquelles il avait construit sa personnalité. Il n'avait douté de rien, une démarche inverse de celle de René Descartes... Il s'était contenté de gober tous les cobras que Chinrat lui fourrait dans la bouche. Combien faisaient de même ? La majorité des gens étaient-ils ainsi abusés par ces mensonges insidieux, ces tromperies de la sournoise multinationale ?
Quelque chose le révoltait dans tout ça. Il avait accepté ces billevesées. La Corporation Chinrat l'avait eu. Et s'il y avait bien quelque chose qu'Aristide Brière ne supportait pas, c'était de se faire avoir ! Il pensa à  la manière dont il avait terrassé le golem. D'accord, il était le chouchou des profs à  la Fac de Droit, l'étudiant propre sur lui, le futur bourgeois, intégré à  la société... Et alors ? Il avait détruit cette créature de mithril, non ? Il serait bien capable de se rendre maître d'un autre monstre tout aussi scintillant... La Corporation Chinrat ! Aristide allait leur démontrer qu'on ne le trompait pas sans risque. Zacque suffisait à  inquiéter Chinrat ? A eux trois, ils allaient tétaniser les dirigeants corrompus de cette société meurtrière.
- Alors, on reste là  ? s'enquit Eugénie.
- Non ! répliqua Aristide. Je sais où nous allons. J'ai réfléchi. Notre but... De toute façon, Chinrat aura notre peau, où qu'on soit sur le globe terrestre, vrai ? Autant succomber dans un dernier acte de bravoure ! Allons à  Midigare anéantir la multinationale !

La première page du Quotidien Fabricato était sans appel. En lettres noires s'étalait un gros titre frappant :
ASSASSINAT BRUTAL DU PRESIDENT CHINRAT. RUFFIAN CHINRAT JUNIOR, SON FILS, ACCEPTE DE PRENDRE SA SUCCESSION. IL PARTIRA DEMAIN POUR UNE TOURNEE MONDIALE D'INSPECTION.
- Et... zut !
Zacque déchira le journal et en piétina les lambeaux.
- Après tout le mal qu'on a eu pour aller à  Midigare !
Il regarda ses deux " associés ", assis chacun sur un lit de la maison des Taudis.
- Mais magnez-vous le train, idiots ! On doit repartir !
- On vient à  peine d'arriver... gémit Eugénie.
- Ruffian Chinrat quitte Midigare ! Notre voyage de retour n'aura servi à  rien ! On aurait aussi bien fait de se faire bouffer par les Zaulhommes en retraversant les marais !
Aristide grinça des dents. Tout cela l'énervait ; cette partie de cache-cache avec les pontes de Chinrat menaçait de s'éterniser.

Il avait eu raison.
A présent, ils parcouraient les voies ferrées des montagnes de Corail. Aristide avait changé. Il avait appris à  se débrouiller sans Fabricato, sans eau chaude, sans emploi du temps. Il dormait sous la tente depuis un mois et une courte barbe lui était poussée. Il aurait voulu la laver, la brosser, à  défaut de la raser. Mais il ne pouvait guère. Ils étaient des fugitifs. A chaque hôtel, ils devaient profiter de la salle de bain au maximum avant de s'esquiver, en général juste avant que la milice de Chinrat ne surgisse au pas de course.
Aristide regrettait sa vie si normale, si tranquille, à  Calmeville. Mais ils n'avaient pas le choix. Ils devaient continuer. Leur seule chance de survie était de démanteler la Corporation Chinrat, ou tout au moins de la déstabiliser assez pour qu'ils oublient un certain SOLDAT rebelle, une certaine nymphomane de Calmeville et un certain étudiant promis à  un bel avenir.
Il se dégagea des tentacules de ses pensées qui menaçaient de l'entraîner vers une toile complexe de ramifications enchevêtrées sur le fil de la réflexion. Il s'arrêta, saisit le levier couvert de rouille dont les quelques taches encore argentées scintillaient au zénith, prit pied sur les rails et attendit.
Eugénie, ayant franchi la limite, s'arrêta de courir. Dix mètres plus loin, Zacque fit signe à  Aristide.
Il tira le levier.
L'oiseau qui poursuivait Eugénie Rouault pépia en voyant le pont mécanique se soulever devant lui. En un rien de temps, un gouffre donnant sur le lac au pied des montagnes le séparait de sa proie.
De l'autre côté, Eugénie fit un signe obscène au volatile et se hâta de rejoindre ses compagnons.
- Le levier ne risque pas de se relâcher ? demanda-t-elle.
- Aucun risque, affirma Aristide. J'ai tiré à  fond.
Il désigna les hauteurs des Monts Corail.
- Tu vois ce petit cabanon ? Là  où il y a à  peine la place pour qu'un homme tienne ? C'est le système annexe, Eugénie. Pour abaisser à  nouveau le pont mécanique, il faudrait que quelqu'un fasse le tour par cette section des rails qui s'achève en impasse.
Aristide haussa les épaules.
- Et d'ici là , on sera loin. Mais tu aurais dû être plus attentive durant les cours de mécanique, Eugénie.
Ils se tournèrent vers Zacque. Le SOLDAT se rasait tous les matins, gardant son menton parfaitement lisse. Mais Aristide préférait garder sa barbe plutôt que de se racler le visage avec le coutelas de bataille qu'utilisait leur ami.
- On a perdu du temps, fit celui-ci. Nous ne poursuivrons pas la route par là .
Le jeune homme désigna les Monts Corail du nord-ouest.
- Par ici, nous devrions couper à  travers des zones rocheuses très inhospitalières...
- Il n'y a pas moyen de l'éviter, Zacque ?
- Pas si on tient à  rattraper Ruffian Chinrat. Il a pris de l'avance sur nous, avec ce satané cargo. Mais on a un avantage... Il va droit vers le fameux hameau construit là  où la fusée Chinrat numéro 26 a raté son lancement. Et comme je l'ai dit, ces zones rocheuses très inhospitalières...
- Oui ? firent Aristide et Eugénie, tout ouïe.
- ... si on coupe à  travers, on passe par le dédale organique des Monts Nibbaile, ce qui me rappellera de mauvais souvenirs mais nous permettra d'arriver avant Ruffian au Village Fusée.
Aristide Brière ferma les yeux et passa la main dans sa barbe.

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MessagePublié: 09 Déc 2004, 04:16 
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Pamplemousse Panchromatique
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CHAPITRE QUART. VISITE D'UNE MACHINE. RENCONTRE AVEC UN... SANGUIN. PROBLEMES TUMULTUEUX ET REBONDISSEMENTS INSENSES. UN HOMME PART POUR UNE TRAQUE.




C'était une belle Machine Fabricato, ils devaient l'avouer. Un engin rutilant fixé à  cheval entre les courbes malsaines des Monts Nibbaile (qui évoquaient à  Aristide des cônes de crème chantilly) et les rocs brisés, secs, de Corail. Ses canalisations mystérieuses et détirées se déployaient aux alentours, prêtes à  extirper le suc même de la terre. Et le losange rouge marqué d'un triangle blanc, le logo de Chinrat, était appliqué sur la base cylindrique de la Machine pour proclamer au monde entier à  qui elle appartenait.
- Il n'y a aucun village par ici, observa Eugénie. A quoi sert cette Machine ? Pourquoi acheminer de l'Energie Fabricato à  partir de cet endroit désert si... si... on peut s'en procurer partout ? Ca ne rime à  rien !
- Les Machines Fabricato se construisent dans les zones habitables, on apprend ça en première année de Secondaire, renchérit Aristide.
Il entendit Zacque grommeler quelques supputations ridicules à  propos d'ingénieurs rebelles et de construction de Machines Fabricato illicites. Grotesque. Si la moitié de ce que Zacque avait dit sur la Chinrat était vrai - et Aristide était prêt à  le jurer, il avait perdu toute déférence envers le conglomérat - , ils traquaient tout technicien qui aurait la mauvaise idée de prendre la clef des champs. Secrets industriels. Si le bon peuple savait construire des Machines Fabricato, l'empire de la Chinrat s'effondrerait.
- On n'a qu'à  aller voir, conclut l'ancien SOLDAT. Ca ne coûte rien et ça ne nous prendra qu'un petit moment. De toute façon, le chemin a été plus facile que je ne l'aurai cru, ça nous laisse une belle marge d'avance sur Ruffian Chinrat Junior, et cette Machine est plantée sur notre route.

L'intérieur de la Machine était aussi propre que l'extérieur. La plupart des édifices sous l'égide de Chinrat étaient entretenus avec régularité ; ils en avaient les moyens.
- Une Machine Fabricato secrète? dit Aristide. Tudieu, je ne peux m'empêcher de penser à  tes petits problèmes avec Génauva.
- Nibbailaime est un village expérimental créé par la Chinrat, répondit Zacque. Et tous les éléments nécessaires nous ont été fournis lors du rappel de mission.
- C'est certain, commenta Eugénie d'un ton sarcastique. Chinrat ne plaisante pas avec ses serviteurs. Ils n'ont pas dû omettre une seule facette de leurs plans. Ils révèlent à  leurs hommes tout, absolument tout ce qu'ils ont besoin de savoir.
Zacque secoua la tête en descendant une échelle.
- Je voulais juste dire que les Machines Fabricato particulières voient érigés tout près de faux villages Chinrat pour leur servir de couverture.
Ils se retrouvèrent sur une passerelle. En dessous d'eux, un puits de lumière bleutée. L'Energie Fabricato arrachée aux profondeurs de la planète.
Devant eux, la machine centrale de la Machine. Les commandes de maintenance contrôlant le distributeur d'énergie.
- Au fait, toi, tu étais dans le SOLDAT, dit Eugénie. Sais-tu ce qu'est l'Energie Fabricato ?
- Pas la moindre...
Tintement. Ils réagirent au quart de tour. Leurs voyages entrecoupés d'affrontement avec diverses bêtes sauvages avaient aiguisé leurs réflexes. Aristide eut la satisfaction de voir son arme, un rouage coupant arraché à  un robot qui les avait défiés aux alentours de Costa Del Sol, apparaître dans ses mains sans même qu'il ne le veuille.
Un homme torse nu était debout, au-dessus d'eux, sur un tuyau large comme un tronc d'arbre. Il ne portait qu'un pantalon déchiré ; même ses pieds étaient nus. A la lumière de l'Energie Fabricato, on voyait ses pectoraux saillants, ses bras forts.
Ils reconnurent ce visage, ces traits rusés, ces yeux ardents. Ils l'avaient vu à  la télévision, dans le gîte d'Aristide, des mois, des années, des millénaires auparavant.
- On m'appelle l'Eventreur des Plaines, dit l'homme d'une voix fière. J'ai arraché les bras de plusieurs régiments Chinrat avec mes seules mains.
- Mais nous te connaissons sous un autre nom, dit Aristide. Celui de...
- Lazirac ! Je suis Gonzague de Lazirac ! Ma patrie est l'un des cent pays détruits et oubliés. Chinrat a tué tout le monde, et ne l'a même pas fait exprès. C'était la Grande Guerre. Vous m'avez peut-être vu à  la télévision de Midigare? J'ai l'espoir que tous se souviendront de ma prestation. " Pas d'Energie Fabricato pour m'exhorter au combat. Pas de prothèses bioniques. Pas de drogues censées me soutenir. Rien que moi ! Ma souffrance ! Ma volonté de me battre ! " Et c'est vrai. J'ai été le meilleur élève de Zangan, maître en arts martiaux. Il m'a enseigné que le combat devait servir un idéal... Je ne l'ai pas oublié.
Lazirac sauta de la poutre. Il atterrit sur la passerelle après un double saut périlleux arrière ; il n'avait même pas cligné des yeux.
- Nos corps sont des armes, frères de souffrance. Et nous devons en user.
- Pourquoi n'êtes-vous pas à  Midigare, Lazirac ? s'enquit Zacque. Pourquoi ? Chacun vous a vu à  la télévision...
- Ah ! J'ai tourné ça ici même ! Cette Machine Fabricato est devenue le repaire de ma tribu. On ne mène pas une guerre à  la ville flottante. Beaucoup trop risqué. Mes émissaires sont à  Midigare. La tête est autre part. Allez-vous vous joindre à  moi ? Je le lis sur vos visages. Vous êtes des fugitifs.
Aristide déglutit et posa la question qui rebondissait à  l'intérieur de son crâne telle une balle de caoutchouc, jouet avec lequel, cela était entendu, il ne s'était jamais amusé, préférant étudier.
- Lazirac... Pourquoi êtes-vous entré en guerre contre Chinrat ?
- Je l'ai dit ; lors de la Grande Guerre, ils ont détruit ma patrie. Ce n'est pas l'unique raison : j'ai aussi découvert la réponse que tous souhaiteraient connaître... la nature de l'Energie Fabricato. Mais venons-en au fait. Vous avez découvert mon refuge. Vous devez passer de vie à  trépas. Pions de Chinrat? Il vous faut accepter votre mort prochaine ou vous rallier aux résistants, le clan de Lazirac ou le groupuscule terroriste AVALANCHE
- Nous ne nous joindrons pas à  votre cause, décréta Zacque tout de go.
Gonzague de Lazirac serra les dents.
- Et pourquoi donc, vaillant SOLDAT ?
- Nous poursuivons d'autres chimères, Lazirac. Nous nous dressons contre Chinrat...
- Ah, fit Lazirac. Je savais bien que vous n'étiez pas de serviles agents de l'ordre établi. J'ai vu dans vos yeux la lueur de la fantaisie.
- Mais, reprit Zacque, nous ne pouvons vous suivre. Notre méthode est autre. Il s'agit de supprimer l'héritier de la lignée Chinrat, Ruffian Chinrat Junior.
L'homme se précipita sur eux. Aristide et Eugénie reculèrent ; Zacque ne vacilla pas quand Lazirac l'étreignit avec une telle force qu'il sentit ses côtes craquer. Leurs visages étaient si proches qu'ils auraient pu s'embrasser.
Zacque se croyait musclé, mais il comprit son erreur en sentant les pectoraux du terroriste se presser contre les siens. Un poitrail de pierre ; un coup de poignard dans ce torse rigide et dense comme celui d'un robot n'aurait fait que briser la lame.
- Mon frère ! Mon ami ! s'exclamait l'homme. Tu veux tuer Ruffian ? C'est mon v?u le plus cher !
Zacque pensa qu'il était avisé de rester muet.
Lazirac le lâcha et s'empara d'Eugénie, qu'il enlaça tout aussi implacablement.
- Toi aussi ? Ah, vous ne pourriez pas me rendre meilleur service ! Mes frères, mes amis ! Tuer Ruffian !
Aristide vit que c'était son tour. Il fit un saut en arrière, mais Lazirac, très démonstratif, bondit et l'enserra dans une étreinte de troll. Puis, avec un rire tonitruant, il fit une pirouette et retomba sur une canalisation.
- Vous êtes mes alliés, annonça l'homme. Je ne croyais pas rencontrer d'êtres si éclairés. Voilà  des mois, depuis l'assassinat de l'ancien Président Chinrat, que j'essaie de convaincre mes hommes que Ruffian doit être supprimé.
Zacque, Eugénie et Aristide tentaient de reprendre leur souffle. Le terroriste poursuivit :
- Quelque empêchement m'interdit, par le plus grand des malheurs, de remplir cette mission moi-même. Savez-vous ce que cela tue en moi ? Je brûle d'aller arracher les yeux de ce salopiot avec les doigt nus de mes mains nues. Faites cela pour moi, puisque je ne puis m'en charger.
- Il sera bientôt au village Fusée, l'avertit Zacque.
- Tout près d'ici. L'opportunité. Occupez-vous du cas de ce jeune crétin. Je vous assigne une aide pour accomplir cette mission. Ire.
D'autres pieds coururent dans le labyrinthe de tuyauteries de la Machine Fabricato. Aristide vit une fine silhouette au-dessus d'eux. Elle atterrit avec moins de brutalité que Lazirac ; la passerelle d'acier ne laissa pas échapper une seule vibration.
- Ire Ardente, fit Lazirac.
L'arrivante avait une tenue qu'Aristide aurait qualifié de " suggestive " s'il avait trouvé les mots pour la décrire. Jambes nues, bras nus, torse presque nu, de même que le dos. La combinaison moulante, d'un rouge flamboyant, exposait une grande partie du corps de sa propriétaire. Les cheveux étaient de couleur encore plus frappante ; leur racine était blonde, mais ils devenaient vite écarlates pour le rester.
Aristide avait déjà  eu un aperçu des manières directes du terroriste. Il aurait cru qu'il était impossible d'être plus familier en public. C'était avant de voir Lazirac et Ire fondre l'un sur l'autre et s'embrasser avec passion, leurs mains parcourant leurs deux corps. Leur hôte finit par arracher sa bouche de celle de la femme tout en lançant :
- Elle est à  moi.
- Euh... compris, fit Zacque.
- Ramenez-moi Ire en un seule morceau ; elle a un passé de guérillero prometteur, et si une seule de ces mèches rouges manque à  l'appel, vous finirez dans l'Energie Fabricato, au fond du gouffre sous cette passerelle.

Ire Ardente marchait moins qu'elle ne glissait sur la roche. Ses jambes semblaient fonctionner toutes seules, trouver d'instinct le bon appui. Ses yeux d'ambre fixaient l'horizon, à  la recherche d'une réponse.
Aristide, Zacque et Eugénie arrivèrent à  son niveau.
- Marche moins vite, dit Zacque.
- Nous sommes presque arrivés.
Ils atteignirent le pied de la dernière montagne. Le massif était à  présent loin derrière eux. Et il n'y avait plus qu'une grande plaine d'herbe verte déroulée devant eux.
- Le village de la Fusée n'est plus loin, dit Aristide en se souvenant de ses leçons de géographie.
- Oui, à  peine trois cents kilomètres, répliqua Ire, sarcastique.
Elle se tourna vers Eugénie.
- Va nous chercher du bois. Nous allons camper ici.
- Hors de question, répliqua la jeune fille. Pourquoi obéir aux ordres d'une salope qui ne nous a adressé que trois mots depuis que nous avons quitté son tendre et doux ?
- Parce que nous devons faire du feu. La nuit tombe bientôt, et les bêtes sauvages se feront plus hardies.
Eugénie n'accepta pas cette réflexion pétrie de bon sens. Les yeux marrons de Ire scrutèrent son visage jusqu'à  ce qu'elle le détourne.

Ils étaient réunis autour du feu de camp ; autour d'eux, les ténèbres parsemés d'étoiles étendaient leurs bras filiformes dans l'épaisse couche nuageuse qui emplissait les cieux.
- Quelle est l'histoire de Lazirac ?
Aristide vit Ire baisser la tête. Tous jugèrent préférable de garder le silence.
La jeune femme murmura :
- C'est l'histoire d'un ange déchu... Un homme qui est passé du statut de roi à  celui de vagabond. Le peuple de Gonzague traitait la famille royale comme une lignée de demi-dieux.
Ils se penchèrent en avant.
- Pas des rois de droit divin... De vrais souverains, les De Lazirac. Gonzague de Lazirac était le dernier rejeton de cette illustre famille. Il était promis à  devenir le nouveau dieu de son peuple...
Elle resta immobile. Le brasier donnait à  ses cheveux une impressionnante apparence incandescente, reflets oranges et blancs qui dansaient dans le rouge vif de la tignasse qui retombait sur ses épaules, sur son dos.
- La Corporation Chinrat a balayé tout ça, dit Ire.
- Elle... les a... fit Eugénie, horrifiée.
- Non. A cette époque, il leur restait une certaine éthique. Chinrat était un fabricant d'arme enrichi par l'ultime Guerre Occulte. Ils venaient juste de commencer la fabrication des Machines Fabricato. Nicolas Eaujaune, un étudiant que le professeur Spinoza avait pris sous son aile, avait découvert que l'Energie Fabricato? Oh, bien sûr...
Zacque martela la terre du poing.
- Mais qu'est-ce-que c'est, cette Energie Fabricato ?
- Patience, reprit Ire, j'y viens. Il y a eu un imbroglio à  la fois commercial, militaire et culturelle entre la cité de Midigare, qui venait juste d'être construite par Chinrat pour servir de capitale de l'ordre nouveau, et la puissante métropole d'Outaïe. Le conflit impliquait également Midi-île. Enfin, la patrie de Gonzague, Nichaihat, a été pressentie par Shinra comme le fer de lance de la bataille qui s'annonçait. Alors que le siège de Midigare fut abandonné par les troupes outaïennes, à  la suite du ralliement de Junon à  la cause Chinratienne (ce revirement n'était sans doute pas étranger à  l'arrivée sur les lieux du jeune soldat Saiphiraute), et que les troupes de Chinrat arrivaient à  Outaïe pour une longue guerre, le Président Chinrat entra en contact avec le père de Gonzague. Ils marchandèrent.
- Et Lazirac ? fit Aristide. Et l'Energie Fabricato ?
- Gonzague épiait la construction de la Machine Fabricato. Il découvrit un secret si horrible que même à  moi, il ne me l'a pas confié. C'est alors que Nichaihat, le pays des dieux De Lazirac, fut rasé. Gonzague de Lazirac... en fuite.

- Que veux-tu, Isidore ?
Son bras droit parut embarrassé. Les hommes de la trempe de Lazirac ne se sentaient à  l'aise qu'avec des acolytes à  la carrure de réfrigérateurs ou des félons déguisés en corsaire. Celui-là  appartenait à  la seconde catégorie.
Isidore était un être extraordinaire, une accumulation de clichés si dense qu'on avait peine à  croire que tant de lieux communs tenaient en un seul homme. Il avait des mitaines, un tatouage sur l'épaule, tout le corps balafré, des vêtements larges le laissant libre de ses mouvements. Sa tête, arborant pour toute pilosité une natte brune clouée sur un crâne comme une boule de billard, portait une cicatrice à  la joue droite, une autre à  la joue gauche, avait une lèvre fendue et un bandeau noir sur un ?il. On aurait dit un vaillant pirate qui se serait égaré dans une boutique de prêt-à -porter.
- Vous avez laissé Ire partir avec eux ?
- Bien entendu, répondit Lazirac, les yeux penchés vers la lumière liquide qui emplissait les tréfonds de la Machine Fabricato.
- Mais...
D'une seule main, Lazirac plaqua son subordonné contre un mur.
- Tu as dit " mais ", Isidore.
- Patron...
- Je n'admets pas la contestation quand elle porte sur Ire.
Isidore déglutit.
- Seuls moi et Ire avons à  nous préoccuper de sa vie. Ire Ardente, ma flamme sélénite, choisit sa voie, et moi, je la conseille. Ne t'immisce pas dans notre relation.
Le bras droit eut un rictus qui pouvait passer pour méprisant. Lazirac renvoya son dos contre le mur et le lâcha.
- J'ai besoin de me détendre, Isidore. Tu as des nouvelles du gibier ?
Sentant une route sûre parmi les sentes toujours bordées d'épineux des conversations avec son chef, Isidore s'engagea sans hésiter dans la faille.
- Nos rabatteurs l'ont eu, patron ! dit-il. La horde vient par ici !
- C'est trèèèèès bien, répliqua Lazirac.
Il donna un coup de poing dans un tuyau large comme un bras. Une personne normale se serait brisé toutes les articulations, et la prochaine phrase cohérente qu'elle aurait laissé échapper aurait été " Aïe aïe aïe, j'ai la main défoncée, aaaaargh qu'attendez-vous pour m'aider ? ".
Le cylindre d'acier fut tordu par l'impact. Le terroriste retira sa main fermée... intacte. Isidore aurait voulu dire à  son patron qu'il allait finir par démolir leur refuge. Il ne put s'y résoudre. Lazirac était marteau, mais il aimait le voir s'amuser.
Il fallait bien qu'il garde la main.
- Le gibier est-il bien habillé ? s'enquit Lazirac.
- Les uniformes bleus habituels?
- Bon, il devrait y avoir un pantalon à  ma taille. Celui-là  part en lambeaux, il est temps d'en changer.
- Patron, il y a quelques lieutenants avec des fusils mitrailleurs plus puissants.
- Mmmmh ?
Le dirigeant du groupuscule terroriste sortit de la Machine Fabricato. Au grand jour, son corps compact était plus terrible que jamais. Gonzague de Lazirac n'était pas un homme de grande taille. Mais Isidore aurait préféré affronter cinq géants plutôt qu'un seul Lazirac.
Il lança un dernier mot à  son chef, qui disparaissait parmi les rocs.
- Je me suis dit que vous aimeriez apprendre la nouvelle.
- En effet, Isidore. Ils ne sont pas très coriaces? Les lieutenants Chinrat devraient m'opposer une plus forte résistance. Quel dommage que nous ne soyons pas anthropophages. Avec tous ceux que j'envoie rejoindre leurs ancêtres les plus lointains, notre garde-manger serait toujours plein.
Le soleil semblait plus énorme que jamais et dardait ses rayons blancs sur les montagnes et les collines. C'était une journée magnifique pour traquer le gibier.
Lazirac eut un sourire.
Il aimait la chasse.

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