Qui suis-je ?
C?est affreux, je ne suis plus malade. C?est horrible, je me vois mais je ne me sens pas. La douleur est entrée en moi, sereine. Elle savait qu?elle m?aurait à l?usure, elle avait raison. Ma schizophrénie puérile a grandi, elle est adulte désormais. Elle ne me sert plus noblement, elle me fait souffrir.
Enfant, je n?avais pas de moi et j?en étais heureux. Je pouvais vous donner sans me préoccuper de mon existence. Ils étaient tous en moi : le grand, le drôle, l?innocent, le naïf, l?enfant et l?adulte. Mais moi je n?étais pas là . Paradoxalement, je n?ai jamais été aussi sûr de mon identité qu?à cette époque là . L?identité s?acquiert à travers les actes. Lorsque j?agis, je sais ce que je deviens. J?avais mon identité. Et je ne me préoccupais pas du « moi » qui se plaignait de temps en temps qu?on ne fasse pas assez attention à lui. Cela me permettait de n?avoir aucune attache dans le présent et de parfaitement savoir ce que j?allais devenir, voir mon identité à tout moment. Pour savoir qui l?on est, il ne faut pas se regarder, pas s?écouter, pas se sentir? Etrange, non ? Ça a quelque chose de divin d?avoir une identité mais pas de « moi ». Juste un « surmoi » et un « ça ». L?état de grâce n?a pas duré?
Je suis devenu égoïste. Il a fallut que j?apparaisse dans vos yeux, que j?y cherche réconfort ou critique, que j?y existe, que ce soit vous qui me donniez vie. La maladie me vainc un peu plus tous les soirs. J?ai mon identité et je veux mon « moi ». Et je vais perdre les deux à cause de ces états d?âme. Si je les confonds, mon c?ur en mourra. Je vois les ficelles qui vous gouvernent et je ressens vos rêves, mais désormais, j?aurai votre chair. Elle me fait douter. Elle me fait mal. Elle m?impose mon « moi ». Mon ego se développe, gangrène cruelle, dans mon âme, lorsqu?elle est la plus faible. Il aliène mon futur, il instaure mon passé, me secoue, me retourne, me force à me voir. Je me hais. Et si ça continue, vous qui me montrez du doigt, je vais vous haïr aussi. Je ne le voudrais pour rien au monde. Alors, que vais-je faire ? Fuir ou combattre ? Je vais certainement m?enfuir?
Il y a tellement de « eux » en moi. Il y a le tendre, le dur, le fort, le faible, le fier, le lâche, le modeste, l?exigeant, le héros, le couard, le droit, le traître, le moralisateur, le capricieux, le fatigué, l?énergique? Ils sont tous là , qui me composent, me décomposent, se battent, jouent, se coupent la parole, la prennent, la laissent, la volent, la perdent? Ils auront tous leur heure de gloire, ils le savent. A un moment ou un autre, ils auront leur coup d?éclat, qui sera forcément un coup d?éclat puisque personne n?est là pour compter leur gloire ou leur ridicule. Il s?échangent les rôles à longueur de journée, et se les redistribue tout le matin, se les jalouse mais ne se les vole jamais, tout cela dans une danse infernale qui n?a ni maître ni but.
Et alors, un nouvel acteur se présente dans la petite troupe. C?est le « moi ». Au début, il fait l?aumône, et le compatissant, le c?ur brisé, lui donne un toit et un repas. Tout le monde râle un peu parce qu?on a moins de couverture et moins de pain, mais après tout, une collectivité marche sur la solidarité. Et puis, le « moi » s?incruste. Il veut rester un peu au chaud. Après, il veut jouer avec les autres. Il commence à les engueuler parce qu?ils jouent mal. Il énerve un peu tout le monde à donner son avis sur tout. Même le grande gueule a l?air timide à côté de lui. Alors, au lieu de lui faire comprendre qu?il les fatigue, ils le jettent dehors ou l?assomme pour qu?il reste tranquille. On l?envoi au fond du grenier et on en parle plus.
Voilà ce qui est arrivé à mon « moi ». J?aurais pu me fatiguer à essayer de l?intégrer aux autres en sachant que ce n?était pas possible parce que le « moi » est trop spécial, mais je n?en ai pas envie. Je préfère l?abattre froidement et le jeter à la rivière pour détruire les preuves. Et je vais continuer ma comédie sans lui?
_________________ "Hélas! nous sommes maintenant arrivés dans le réel, quant à ce qui regarde la tarentule, et, quoique l'on pourrait mettre un point d'exclamation à la fin de chaque phrase, ce n'est peut-être pas une raison pour s'en dispenser !"
Dernière édition par Radamenthe le 15 Avr 2005, 14:47, édité 1 fois.
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