Ce soir, dans les grands-débats d'Elta-culture : faut-il tuer le père (Tolkien) pour avancer en fantasy ?
En fait, je crois que cette duplication à l'infini du modèle tolkienien s'explique par deux aspects.
Le premier est bêtement sociologique. Le style, le talent, et l'époque de Tolkien font qu'il est l'un des auteurs d'heroic-fantasy les plus lus (à raison). Et donc, forcément, les plus reproduits. Que l'on se rappelle des difficultés qu'a eu le roman français à se dépatouiller du réalisme post-balzacien... il aura fallu Duras et tous ses petits copains du Nouveau Roman pour faire péter le modèle. Or, le Nouveau Roman n'a pas eu la pérennité du réalisme qui, lui se perpétue à travers cette merdouille qu'est l'autofiction contemporaine (moi, ma vie, mon cul, mon oeuvre). Donc, pour faire simple, Tolkien était un génie (ben oui), un génie connu qui plus est, son modèle est donc très lourd à rejeter. Si on ajoute à ça que beaucoup d'auteurs de fantasy sont dans une tranche d'âge inférieur aux auteurs d'autres styles, j'aurais tendance à les croire plus influençables face à un modèle aussi imposant. Mais bon, là c'est juste moi.
La seconde raison est d'ordre plus culturelle : même avec toute la force de sa création, un auteur ne pourra pas solder quarante siècles de culture et de mythologie. Tolkien, en plus d'être un bon écrivain, est un astucieux compilateur de folklore. Il a amené au "grand public" des modèles qui existent de toute éternité : les elfes sont la race d'or des grecs, les sylphes nordiques... Les nains sont une transposition directe des Nibelungens, des esprits de la terre, etc... (donc, l'opposition elfes/nain est bêtement élémentale, il s'agit d'un conflit air/terre). La relique possédant des pouvoirs maléfique est elle aussi une transposition directe des légendes germaniques, quant à la puissance démoniaque dans le pays des ténèbre, elle est universelle. Tolkien, à partir de ces éléments a crée un ensemble tellement cohérent que, dans notre inconscient collectif de lecteur, on a beaucoup de mal à se dire qu'il est possible soit de réorganiser toute cette matière autrement, ou de s'en détacher totalement. Il est très difficile de créer quelque chose d'entièrement nouveau en fantasy, on retombera TOUJOURS dans les grands mythes qui ont fait notre culture (ou les cultures d'autres continents avec la diffusion de l'information d'aujourd'hui.)
Après, il est vrai que certains créateurs d'univers fantastiques ont tenté d'éviter l'écueil : je pense à Hobbes, qui, elle s'est rabattue sur le côté "humain" en puisant son inspiration dans le côté "intrigue à la cours médiévale" qui n'est pas sans rappeler Cavanna, parfois. Dans les jeux vidéos, on a eu l'émergence de modèles très surprenants, tel le monde de Baten Kaitos, qui, cependant, tombe à nouveau dans certains clichés (le monde post-apocalyptique, la divinité maléfique...) Bref, de par sa structure même, la fantasy fait appel à un réservoir très précis d'inspiration. Les innovations depuis Tolkien sont, à mon sens, le fruit de créateur ayant assez de volonté, de subtilité et tout bêtement d'idées pour puiser à cette source commune en y apportant dans le même temps quelque chose d'unique.
_________________ There is no room for '2' in the world of 1's and 0's, no place for 'mayhap' in a house of trues and falses, and no 'green with envy' in a black and white world.
|