Eltanin

Commençons par passer en revue, l'innombrable série des animaux. Considérons l'infinie diversité de leurs formes, les modifications incessantes qu'elles subissent pour s'approprier au milieu, à  la manière de vivre de chacun; contemplons en même temps l'art inimitable et également parfait dans tous les individus qui préside à  leur structure et à  leur mécanisme, enfin la dépense incroyable de force, d'adresse, de prudence et d'activité que chaque animal, sa vie durant est condamné à  faire sans repos.( ... ) Songeons qu'en général la vie de la plupart des insectes n'est qu'un perpétuel travail, pour préparer les aliments et la demeure des larves qui naîtront plus tard de leurs oeufs, et qu'ensuite ces larves, après avoir dévoré ces aliments et s'être transformées en chrysalides, entrent dans la vie, pour recommencer sur nouveaux frais la même besogne. Disons-nous que de même la vie des oiseaux se passe en grande partie à  opérer leurs longues et pénibles migrations, puis à  bâtir leur nid, à  apporter la nourriture à  leurs poussins, destinés eux-mêmes, l'année suivante, à  jouer le même rôle; qu'ainsi tout travaille toujours pour un avenir qui fait ensuite défaut, et pourrons-nous nous empêcher de chercher des yeux la récompense de tout cet art et de toute cette peine, le but dont l'image présente aux yeux des animaux les pousse à  cette agitation incessante; pouvons-nous en un mot nous empêcher de demander: Quel est le résultat de tout cela? Quelle est la fin réalisée par l'existence animale qui demande toutes ces dispositions à  perte de vue? On ne peut rien nous montrer que la satisfaction de la faim et de l'instinct sexuel, et peut-être encore un court moment de bien-être, comme il est donné à  tout animal d'en obtenir en partage, au milieu de ses misères et de ses efforts infinis. Si l'on met en regard d'une part l'ingéniosité inexprimable de la mise en oeuvre, la richesse indicible des moyens et, de l'autre, la pauvreté du résultat poursuivi et obtenu, on ne peut se refuser à  admettre que la vie est une affaire dont le revenu est loin de couvrir les frais. ( ... ) Considérons par exemple la taupe, cette ouvrière infatigable. Creuser avec difficulté au moyen de ses pattes énormes en forme de palettes, telle est l'occupation de toute sa vie; une nuit constante l'environne; elle n'a ses yeux embryonnaires que pour fuir la lumière. Elle est le seul véritable animal nocturnum, bien plus que les chats, les hiboux, les chauves-souris qui y voient la nuit. Que lui vaut cette existence si riche en peines, si pauvre en joies ? La nourriture et l'accouplement, c'est-à -dire rien de plus que les moyens de poursuivre la même triste carrière et de la recommencer, dans un nouvel individu. De tels exemples sont la preuve frappante qu'entre les fatigues et les tourments de la vie et le produit ou le gain qu'on en retire il n'y a aucune proportion.

Le bonheur peut être comparé à  la vacuité de la matière. Il n'existe que par le désir de l'accomplir.

Maintenant, ce brave monsieur juge des animaux avec des valeurs humaines. Lorsqu'on ne connait rien d'autre, on s'en contente automatiquement. Sinon, aucun équilibre possible.

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Les "tourments" de la taupe ? Les "joies" de la taupe ?
Encore une victoire de l'anthropomorphisme, comme le souligne judicieusement Arkh. Les animaux ne pensent PAS comme nous. Regardez les chats d'appartement : pourriez-vous supporter de passer toute votre vie enfermé dans le même endroit, à  dormir, à  manger, à  se frotter aux gens et à  préndre des pauses énigmatiques ? Pour moi, c'est une assez bonne définition de l'Enfer. Les chats en sont-ils plus malheureux ?

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Théoriquement, le "bonheur" de chaque espèce est le même, une fois mis à  son échelle. Mais c'est principalement une question de condition : si l'homme naissait chat, il s'en contenterait. Maintenant, rien n'exclut qu'une partie de cela soit dans les gènes ; mais, par observation, je peux affirmer que ce serait à  très faible quantité. Tout comme le fait qu'un animal "vie" moins, "pense" moins, "éprouve" moins.

Maintenant, si on s'intéresse à  la "quantité" de vie, un homme vaut mieux que cent mouches. C'est le problème de "l'éparpillement" et de "l'unité", que je ne cesse d'ailleurs d'appliquer à  ma vision "forumienne" (s'pas ?). Dans notre cas, c'est difficile à  imager. Disons que si la vie, conscience, âme était un liquide, il serait plus "rentable" d'en remplir un homme que cent mouches.

Pour en revenir à  "l'intensité de vie", j'aimerai soulever un problème : ou se situent les limites ? Modélisons cette "intensité" comme une vibration sonore. La limite inférieure (l'idéal nazi inavoué ... hinhin), c'est la pierre. La limite supérieure (l'anarchie absolue, en somme) est en revanche aussi improbable que la vibration "totale" (une forme d'infini). Ce qui m'amène à  ceci : si on considère l'évolution de l'espèce, les "êtres supérieurs" vivrons, penserons, éprouverons plus que nous. La question est cependant : est-ce l'idéal que de tendre encore et toujours vers cet absolu ? Sera t-on toujours capabe de relativiser, ou, franchi un certain stade, tout semblera identique ? Dans ce cas, les deux "absolus" se rejoignent sans se toucher.

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