Eltanin

[ Illustration de Turner Mohan - Orc méditant ]



- N'avez-vous aucune pitié pour eux ?

- Pour qui ?

- Pour les gens, Gandalf, pour les gens ! Si je vous suis bien, vous venez de condamner la civilisation du Mordor à mort, au nom du bien de tous. Mais toute civilisation est composée de gens, et ces gens devront être exterminés, complètement, sans leur laisser la moindre chance. C'est bien là votre plan ?

- La pitié est mauvaise conseillère, Saroumane. Il est de nombreuses routes vers l'avenir, mais qu'importe celle que prendra le Mordor, dans moins de trois siècles il accédera à des forces de la Nature que nulle puissance ne saurait dompter. Voulez-vous les voir réduire la Terre du Milieu en cendres, en un clin d'oeil ? Et pour ne parler que de l'inévitable... Regardez la fumée montant de leurs fonderies et de leurs raffineries. Parcourez les plaques de sel que sont devenues les terres à l'ouest de Núrnen et essayez de trouver une plante, une seule plante vivante à moins de mille hectares. Mais assurez-vous de ne pas le faire par un jour de grand vent, quand la poussière salée s'élève comme une vague sur la plaine du Mordor, étouffant tout sur son chemin... Et souvenez-vous qu'ils ont fait ces horreurs à peine sortis du berceau ! De quoi seront-ils capables dans l'avenir ?

- Gandalf, un enfant est toujours une calamité pour la maisonnée. D'abord les couches sales, ensuite les jouets cassés, puis l'horloge ancestrale démontée... sans parler de ce qui arrive quand il devient plus âgé. D'un autre côté, une maison sans enfants est un modèle d'ordre et de propreté, mais curieusement ses propriétaires n'en sont pas très heureux, et grimacent de plus en plus à mesure que les années passent.

- Saroumane, j'ai toujours été émerveillé par vos capacités à retourner les paroles de votre interlocuteur, et à désavouer des vérités évidentes par de sournoises banalités. Mais par les Halles de Mandos, cela ne sera pas ! La Terre du Milieu est tissée d'une multitude de peuples en harmonie avec la nature et l'héritage de leurs ancêtres. Ces peuples et leur mode de vie sont menacés, et mon devoir est de les protéger à tout prix. Un loup qui massacre mes moutons a ses raisons, mais je n'ai aucune intention de m'attarder dessus !

- Je suis aussi inquiet que vous du destin qui attend les Rohirrims et les Gondoriens, mais je vois à plus long terme. Serait-il possible que vous, membre du Conseil Blanc, ignoriez que la totalité du savoir magique, de par sa nature même, ne peut excéder ce qui fut jadis reçu d'Aulë et Oromë ? Vous pouvez le perdre rapidement ou lentement, mais nul n'a le pouvoir d'inverser le cours des choses. Chaque génération de sorciers est plus faible que la précédente. Tôt ou tard, les hommes devront faire face à la Nature seuls. Ils auront alors besoin de la Science et de la Technologie... en supposant que vous ne les ayez pas éradiquées d'ici là.

- Ils n'ont pas besoin de votre science, car elle détruit l'harmonie du monde et assèche les âmes des hommes !

- Singulières sont les louanges de l'Âme et de l'Harmonie sur les lèvres d'un homme qui va lancer une guerre. Quant à la science, elle n'est pas dangereuse pour eux, mais pour vous... ou plutôt pour votre amour-propre distordu. Que sommes-nous, nous sorciers, si ce n'est les profiteurs des créations de nos prédécesseurs, tandis que les scientifiques créent des connaissances nouvelles ? Nous faisons face au Passé et eux à l'Avenir. Vous avez jadis choisi la magie, et ainsi ne traverserez jamais les frontières posées par les Valars, tandis que dans la science, la croissance de la connaissance – et par conséquent du pouvoir – est infinie. Vous êtes dévoré par la pire des jalousies, celle d'un ouvrier envers un artiste... Hé bien, je suppose que voilà une raison suffisante pour en venir au meurtre, vous ne serez ni le premier ni le dernier.

Gandalf, calme, haussa les épaules :

- Vous n'y croyez pas vous-même.

- Non, je suppose que non, fit Saroumane en secouant la tête tristement. Vous savez, les personnes motivées par la cupidité, la soif de pouvoir ou la fierté blessée sont presque tolérables, au moins sentent-elles leur conscience ressurgir parfois. Mais rien n'est plus redoutable qu'un enthousiaste aux yeux pétillants qui s'est mis en tête de sauver l'humanité : un homme de cette trempe peut noyer le monde dans le sang sans une hésitation. L'adage favori de cette engeance : « Il y a des choses plus importantes que la paix et plus terribles que la guerre »... Vous le connaissez sûrement ?

- J'accepte cette responsabilité, Saroumane... L'Histoire me donnera raison.

- Je n'en ai pas le moindre doute ; après tout, l'Histoire sera écrite par les vainqueurs que vous rassemblerez sous votre bannière. Il y a des recettes éprouvées pour ça : Mordor dans le rôle de l'Empire Maléfique qui souhaitait réduire la Terre du Milieu en esclavage, et ses habitants dans celui des monstres inhumains qui chevauchent des loups difformes et mangent de la chair humaine...





[ Peinture de Mark Zu - Les sables de Gorgoroth ]



Le Dernier Porteur de L'Anneau est un roman russe de Kirill Yeskov. Biologiste et paléontologue, Yeskov est parti d'une idée simple : et si Le Seigneur des Anneaux était une œuvre de propagande ?

Le livre constitue un fabuleux exercice de style. Sans être à la hauteur de Tolkien, que ce soit dans la prose ou dans l'imagerie poétique, et sans chercher à l'être, Yeskov va livrer un autre éclairage sur des évènements connus. Et au final, la Guerre de l'Anneau proprement dite sera expédiée dans les trente premières pages, qui permettent également d'exposer des variations dans la conception de la cosmogonie. La suite ? La bataille désespérée d'Orcs ordinaires pour survivre à des enjeux qui les dépassent et empêcher le triomphe complet de ces créatures parfaites aux yeux glacées surgies des plus profondes forêts. Des êtres qui ne voient les civilisations d'Arda que comme du bétail à rassembler et juguler, des fauteurs de trouble qu'il convient de recadrer. Des Elfes...



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Intéressant concept.
Je le lirais bien si je ne procrastinais pas sur tous ce que j'ai déjà a lire (et écrire même !)

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Dommage également qu'il n'y ai pas une traduction française.

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