Eltanin

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 Sujet du message: Ssuicide.
MessagePublié: 15 Oct 2004, 10:44 
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Maître Van Eltanhir
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Inscription : 18 Mai 2004, 11:58
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Localisation : Rennes
Premier texte écrit par Grhyll. Après avoir lu une BD sur le sujet, il se lance dans ce texte inspiré de l'une des histoires.

De mon côté, ayant été fortement touché par sa prose, je me décide à  en écrire un à  mon tour, en réaction avec son texte. Je confectionne donc un nouveau héros, différent de celui de Grhyll, et me lance dans l'aventure :P .

Voici les deux textes.

De Grhyll, septembre 2004.
Marre de ces parents de chiotte ! Marre de cette vie de chiotte. Marre de tout, putain, j'en peux plus.
Je monte les escaliers, je donne un coup de pied dans ma porte de chambre pour l'ouvrir, puis la claque derrière moi.
Putain de vie débile, ça me fait chier.
Je me dirige vers mon bureau, j'ouvre un tiroir. Je prends la boîte de médicaments. J'avale les pilules et les comprimés les uns après les autres, et alors que je sens que ma tête commence à  tourner, je vais m'assoir sur mon lit, puis je m'allonge dessus.
Et chiotte, même quand je meurs ça fait mal. Tous des salauds.

Ma mère regarde la télé. Elle a une expression de colère sur le visage, la salope, et le poing crispé sur l'accoudoir du divan. Je la hais, et rien que le fait de la voir en colère me rend heureux. Conasse, elle s'en fout de m'avoir rendu malheureux, de toutes façons elle préfère rester devant la télé.
Mon père rentre du boulot. Lui au moins il est sympa. Lui il sera triste.
Le téléphone sonne, ma mère décroche. C'est Émilie. Elle veut me parler, cette garce. Ca lui suffit pas de m'avoir torturé l'esprit comme ça au lycée, elle veut en plus me faire chier alors que je suis chez moi. Je suis bien content de pas pouvoir lui répondre. Pouffiasse.

Mon réveil sonne. De toutes façons, je suis plus en moyen de me lever. Vingt minutes passent. J'entends la voiture de mon père qui part au travail. Dix nouvelles minutes s'écoulent.
J'entends les pas d'éléphant de ma mère dans l'escalier. Elle cogne à  ma porte en criant que je suis déjà  en retard, que j'ai interêt à  me lever rapidos si je veux avoir accès à  l'ordinateur. Et puis elle se tire. Aujourd'hui, j'aurais du avoir huit heures de cours, l'enfer. J'aurais pas ces putain de deux heures d'histoire, pendant lesquelles ma seule distraction est de parler avec mon voisin de classe, Mickaël. Il sera tout seul, d'ailleurs, aujourd'hui, et demain. C'est dommage pour lui, je suis désolé.
Ma mère est de retour. Elle cogne encore, gueule un peu.
Et puis elle finit par aller chercher un double de la clé, et elle ouvre la porte. Elle commence une phrase, genre que ça va chauffer pour moi, et puis elle s'arrête. Je souris intérieurement en voyant son air hébété devant mon corps blanc. J'aurais du laisser une lettre d'adieu pour bien qu'ils comprennent.
Elle déglutit difficilement, et s'approche de mon lit en tremblant. Elle a les mains en avant et sa lèvre inférieure semble douée de vie. Ses yeux brillent. J'espère qu'elle va pas pleurer, ça me ferait bien chier.
Elle pose deux doigts sur mon coup ; elle était infirmière, dans le temps, elle sait faire. Elle voit bien que je suis mort. Je la vois, la bouche entrouverte, arrêtée net, et tout d'un coup elle porte une main à  sa bouche avec un énorme sanglot et tombe à  genoux devant mon lit, et se met à  pleurer silencieusement, la tête dans les bras, les bras sur ma couette.
Ca me désolé un peu, de la voir comme ça, toute agitée de spasmes de douleur. Je me serais bien mordu la lèvre si j'en avais encore une à  mordre. De la voir, comme ça, toute faible, par terre, pitoyable dans son chagrin, me fait ressentir un petit pincement au coeur.
Elle se penche sur le côté et vomit bruyament sur ma moquette. Ca me donne envie de pleurer de la voir si vulnérable à  cause de moi. Elle reste là , comme ça, les bras par terre, une flaque de bile sous elle, des fils pendant à  sa bouche, ses yeux trempés de larmes, son coeur arraché suintant de tout son corps. Ma chambre me paraît très petite, mon corps très blanc, et ma mère très triste.
Ma mère finit par se laisser tomber sur le côté, par terre, son regard mouillé dans le vague, comme si elle ne voyait plus rien, comme si elle ne vivait plus elle non plus. Je voudrais avoir encore un corps pour la serrer dans mes bras, pour la faire se relever et lui dire que tout va bien, mais elle semble avoir totalement décrochée, elle est vaincue, par terre, en position foetale, et moi je suis là  et pas là , malheureux comme je l'ai jamais été. Et je commence à  regretter.
Les heures passent. Ma mère a arrêté de pleurer, mais elle toujours secouée par de petits spasmes par instants.
Elle finit quand même par se lever. J'ai jamais vu des yeux aussi rouges que les siens. Même dans les films quand ils pleurent c'est pas moitié aussi triste, là  j'ai l'impression que si j'avais encore un coeur, ce ne serait plus qu'un petit cadavre accroché dans ma poitrine de désespoir.
Je vois ma mère marcher comme un somnambule dans la maison, titubant un peu, comme écrasée sous le chagrin. Elle descend les escaliers, avec des gestes saccadés et en mettant un temps pas possible. Quand elle arrive en bas, elle chancèle encore un peu, et va s'effondrer sur le canapé, comme terassée.
Je la revois, la veille, alors qu'elle était en colère, et mon âme se brise en mille morceaux, chacun plus remplis d'amertume et de tristesse que ma vie ne le fut. Je me demande comment j'ai pu faire ça. Ca faisait longtemps que j'hésitais à  franchir le pas, mais hier soir, j'avais tellement l'impression qu'elle me détestait, et que rien ne valait la peine d'être vécu, que je l'ai fait. Et je regrette, oh oui, de voir que ma mère m'aimait au point d'être ainsi effondrée, comme une poupée désarticulée, sur le divan.
J'essaie de regarder ailleurs, mais j'entends toujours ses petits gémissements, et ils me sont insupportables, la culpabilité monte en moi, s'ajoute au malheur, et c'est comme si j'éclatais à  chaque instant.
Je voudrais fermer les yeux, m'arracher à  tout ceci, partir vraiment, mais je ne décide de rien.
La porte s'ouvre, et mon père entre.
Il lance d'abord un cri joyeux, annonçant son arrivée, puis se débarasse de son manteau, et arrive dans la pièce commune. Là , il se stoppe, son sourire se fige, et ses yeux s'agrandissent. Il regardent ma mère, son regard vide et rouge, et une profonde expression d'inquiétude se creuse sur son visage. Il se précipite sur sa femme et prend sa tête dans ses bras, et lui demande ce qui ne va pas. Elle reste immobile, comme si elle n'avait pas entendu ni vu. Il répète sa question, de plus en plus inquiet, et elle tourne lentement ses yeux vers lui, avant d'ouvrir la bouche, de la refermer, puis de prononcer, difficilement, mon nom.
Il se relève et court dans la pièce, court dans l'escalier, et entre dans ma chambre dont la porte est restée ouverte.
Un son inarticulé s'échappe de sa gorge quand il voit mon corps, et je me sens fondre d'avoir pu lui faire ça. Il s'approche doucement de moi, s'assoit sur mon lit, prend mon corps inerte et froid dans ses bras et me sert contre lui, en pleurant, et ses larmes s'écrasent sur ce qui fut mon corps, et je sens chacune de ces larmes comme si c'était une goûte d'acide meurtrissant encore un peu plus mon pitoyable esprit.
Mon père se redresse, et je vois qu'il a l'air d'avoir pris trente ans. Son expression de détresse absolue me bouleverse. J'ai l'impression de n'être plus qu'une minable loque, je mériterai de n'avoir jamais vécu pour avoir infligé tant de chagrin à  mes parents qui, je m'en rends maintenant compte, m'aimaient tant...

le ciel est bleu. Le prêtre débite lentement et tranquillement mon oraison funèbre. Il y a beaucoup de gens. Je vois Mickaël, au premier rang, celui qui était mon voisin de classe. Des larmes ont coulés sur ses joues rebondies, et il regarde le sol avec une expression malheureuse en écoutant mes qualités, citées par le membre de l'église.
Juste à  côté de lui, il y a Émilie. Elle pleure, en ce moment même, le visage enfoui dans son mouchoir, son corps magnifique secoué de sanglots. J'ai eut le temps de comprendre, entre ma mort et mon enterrement, qu'elle m'aimait en fait autant que je l'aimais, et c'est une ironie incroyablement amère qui est mienne, quand je la vois se lamenter sur ma mort. Le soir de mon suicide, elle appelait pour s'excuser. Quelques autres de mes camarades de classe s'étalent à  côté, Antony, Méline, Noë. Eux aussi ont les yeux rouges.
Je ne m'étais jamais rendu compte que je comptais à  ce point dans leur vie. Je suis désolé, de les avoir laissé là , eux qui voulaient encore aller en ville avec moi, eux qui voulaient encore rire avec moi, entre les cours. Je sens que je suis impardonnable.
Et puis, à  l'autre bout, il y a ma famille. Mes parents, mon frère, ma soeur. Tous les deux sont plus âgés que moi, ils ne vivent plus à  la maison. Ma soeur est la plus inconsolable, je crois. Elle pleure depuis le début de la cérémonie, en silence, Elle est morte de fatigue, car elle n'a pas dormi depuis trois jours ou presque. Derrière elle, son petit ami lui caresse les cheveux, mais elle ne s'en rend pas compte. Mon frère se tourne vers elle et la prend dans ses bras.
Je ne les ai jamais pris dans mes bras, et je donnerai tout ce que j'ai, c'est à  dire rien, maintenant que je me suis suicidé, pour rejoindre leur étreinte et pouvoir leur dire combien je les aime.
Ma mère regarde avec un semblant de sérénité la scène, mais je l'ai bien vu, ces derniers jours, passant des heures dans un fauteuil, à  se répéter que c'est de sa faute, à  s'en vouloir, à  se torturer seule, mentalement, à  se détester. À cause de moi elle se hait, elle a perdu toute confiance en elle, a démissioné de son boulot actuel, qu'elle avait eu tant de mal à  avoir.
Mon père n'est pas là . Il est à  côté de moi. Il s'est suicidé après avoir vu mon corps. J'étais tout ce qui comptait pour lui, ou presque, j'étais son préféré, plus que sa femme, plus que mon frère et plus que ma soeur, il m'aimait. Et il est mort. À cause de moi. Tout est de ma faute ici. Toutes ces larmes, tous ces pleurs, pour un stupide coup de tête, qui m'aura tout coûté. Je ne ferais pas tout ce que je comptais faire dans ma vie. Je ne goûterai jamais aux plaisirs de l'âge adulte.
Tout m'est à  jamais refusé. Mais je ne peux m'en prendre qu'à  moi-même. Si je le pouvais, je me tuerais, d'avoir été si égoïste. Je ne suis plus qu'une enveloppe racornie et vide, désolée, dénuée de tout.
Je suis mort.


De Môa, octobre 2004.
Je m?éveille, comme poussé par une force surnaturelle hors de mon sommeil de plomb. 6h43. Ma mère ne va pas tarder à  venir me réveiller. Encore à  moitié endormi, je fixe la lueur rouge des chiffres sur l?écran digital de l?appareil. Comme omnubilé par eux. Je pense : quelle ironie, devoir reposer de bien maigres espoirs sur cette bête machine, ceux de se lever et d?arriver, de façon très conventionnelle à  l?heure au lycée. Je ris intérieurement. J?ai toujours été très conventionnel. Grégoire me le dit tout le temps. Ma mère en est fière, elle se dit qu?elle m?a bien élevé, que je suis comme elle, détestant les gens en retard. Il faut être ponctuel. Je serai donc, encore une fois de plus, ponctuel au lycée.

J?entends les pas de ma mère dans l?escalier. Elle vient pour moi. Je suis seul dans le bâtiment, au-dessus du garage. Dans cette chambre d?adolescent isolée et tant bien que mal insonorisée. La porte grince et une lumière extérieure tue celle du réveil. La tête de ma mère apparaît et elle me souffle de me réveiller. Je grommelle. Il faut toujours que je donne une impression de me rebeller contre l?autorité parentale pour prouver que j?existe, sinon ce n?est pas drôle. Bon, là , c?est vrai que de me rebeller contre le fait de me lever pour la suivre une fois de plus à  mon lycée est en définitive assez puéril. Mais j?aime me faire désirer. Elle recommence donc à  m?appeler, un peu plus fort, puis s?en va. Je rêve. Elle n?insiste pas plus ?!

J?ouvre les yeux, qui se font aussitôt agresser par la lumière de l?escalier. Je me lève difficilement, et fixe ma porte ouverte. A côté, sur le mur, sont affichées mes photos. Qu?est-ce que je suis moche sur ces clichés ! Quoique non, pas celui-ci, là  ça va, je m?apprécie un peu. Je suis maigre, élancé, pâle, trop pâle, je n?ai pas énormément d?acné, mais les rares boutons qui se battent en duel sur mon front me font tout de même horreur. A côté de moi, sur la quasi-totalité des photos, il sourit. C?est Greg, c?est mon meilleur ami. Il doit être la seule raison pour laquelle je supporte encore le lycée. C?est vrai qu?il peut paraître souvent distant, mais ça me suffit. Je l?aime comme ça. Secret, moqueur, acide parfois. Je fais souvent l?objet de ses sarcasmes, mais je m?en fiche, il me fait exister. C?est le seul que je considère comme un ami. Dans ma classe il n?y a que les filles qui me parlent vraiment, sans doute parce que je suis le seul mec qui les écoute. Les autres me trouvent bizarre, renfermé. La vérité c?est que j?ai mon monde. Je vis dedans en permanence. Y?a que Greg qui sait y rentrer. J?ai pas encore trouvé une autre personne capable de me comprendre. Mon monde tourne donc autour de lui. Il est le pilier sur lequel je peux me reposer, ni plus ni moins. Un pilier inviolable, inébranlable. Il sait se faire respecter lui ! Je l?admire.

J?ai été une fois dans sa classe, c?était avant que nous choisissions nos filières respectives, lui en scientifique, moi en littéraire. Une fois seulement. A croire que les responsables des sections ont fait un effort incommensurable pour tenter de me faire remonter l?estime que j?ai à  propos de leur établissement, en m?octroyant une seule fois le droit de partager complètement mon année avec mon ami. Ben c?est raté, je me traîne toujours autant pour y aller. En y repensant, il est vrai que c?était moins douloureux de retrouver Greg tous les jours à  côté de moi derrière notre table, à  notre place. Une table totalement bariolée, déformée par les graffitis des années passées, grossièrement poncée dans l?espoir de les faire disparaître. Mais les gravures étaient restées. Nous l'avions ornée de nos deux écritures, elles resteraient indélébiles, imprégnées à  jamais sur cette table d?école. Moi dessinant, lui écrivant.

La voiture passe le portail du lycée. Ma mère est prof de français dans le collège d?à  côté. Elle en profite donc pour me déposer. Le lycée est comme d?habitude, les adolescents se dirigent plus ou moins machinalement vers les classes. Ca n?a pas sonné, je suis ponctuel, c?est bien. Je me dirige vers la classe de Grégoire. Je vais le voir, il va sourire, la journée pourra commencer. J?entre. Pas de Grégoire. Ma joie s?efface, écrasée par ma déception soudaine. Mes yeux font le tour de la pièce, instinctivement. Mickaël, Antony, eux sont là . Je me dirige vers eux, mais fait finalement demi-tour. Prostré en avant, mon sac sur mon épaule, je commence à  broyer du noir. La journée commence mal. La sonnerie retentie, je me dirige vers ma classe. D?habitude, je n?aime pas cette sonnerie, elle m?oblige à  me séparer de lui jusqu?à  la récréation, elle m?oblige à  devoir m?enfermer dans mon monde, seul et je n?aime pas cette solitude. C?est paradoxal, je sais. Je suis une oxymore à  moi tout seul.

Les deux heures de cours me semblent interminables. Plongeant mon attention à  travers la fenêtre, l?extérieur me semble gris. Pas seulement à  cause du temps de ce matin de septembre, non, tout me semble fade et sans teinte. J?ai un horrible pressentiment d?inquiétude qui devient vite un goût amer dans ma bouche. J?ai envie de vomir. Mes camarades de classe deviennent vite flous, je lève la main et demande à  sortir. Le prof me l?autorise. Il joue le jeu de la fausse sympathie, je ne le tracasse en aucune façon.

Les toilettes sont sales. Ca sent l?urine dans les moindres recoins. C?est dégueulasse, la plupart des pissotières sont remplies d?un liquide ambré ou surnagent quelques poils noirs. Je ne sais pas pourquoi mais tous ces détails sordides me sautent aux yeux, mon esprit en est envahi. J?ouvre le robinet et me passe de l?eau sur la figure. C?est illusoire, mais ça me fait du bien.

En sortant, j?heurte une silhouette. C?est le proviseur. Il m?appelle par mon nom, il me cherchait, il est grave. Un sentiment énorme de culpabilité m?envahi, qu?ai-je fait ? Je le suis dans son bureau, il ferme la porte, me fait asseoir, s?assied, croise les mains sur son bureau, et, sans me regarder, m?annonce la nouvelle. Ce matin, Grégoire ne viendra pas en cours. Demain non plus. Les mots de l?adulte, ses actions, me parviennent par brides saccadées. Tout se saccade. Je ne l?écoute plus, je ne vois que Grégoire. Greg est mort. Impossible. Inconcevable. Pas lui. Non. Il est là , il me sourit, comme d?habitude, non, vous ne le voyez pas monsieur ? Regardez mieux. Il est là , attablé derrière son pupitre, il vérifie ses exercices de mathématiques. C?est important les mathématiques, surtout dans sa filière. Il veut devenir ingénieur informatique, il me l?a dit, il est toujours plein d?espoir en parlant de ça. Je ris, je pleure, j?ai envie de m?étouffer avec ma salive. Elle coule de ma bouche, se mêlant aux larmes, mais je n?y fais pas attention. J?aperçois la silhouette du proviseur qui se lève comme pour me soutenir. Je lui échappe, tombe, pour aussitôt me relever. Je cours hors de la pièce. Je fuis. Je fuis cette existence. J?ouvre avec fracas la porte de la classe de Grégoire, sans prendre garde à  la trentaine de regards qui se posent immédiatement sur moi. Sa chaise est vide. La réalité me saute au visage. M?étreint, fort, de plus en plus fort, je suffoque. Puis me laisse choire au milieu du couloir. Je me recroqueville et j?attends, un attroupement se forme bientôt.

C?est de ma faute. C?est sûrement de ma faute. L?enterrement est sobre, mais l?atmosphère y est extrêmement pesante. J?ai vu le corps de mon ami allongé dans son cercueil, à  côté de son père, qui s?est également donné la mort après l?avoir découvert. Greg semble serein, son visage est fermé, mais paisible. C?est de ma faute. J?ai dû faire quelque chose qui ne fallait pas. Pourtant il ironise encore même mort. Il est là , royal au milieu de ses gens qui tenaient à  lui. Pourquoi me faire ça ? C?est de ma faute. C?est paradoxal, mais il est aussi blanc que d?habitude. J?ai l?impression qu?il va se réveiller d?un instant à  l?autre et hurler que c?était une blague avec un sourire qui illuminera son visage et ses yeux malins. Une blague dont il sera faussement fier, et qui ne fera rire que lui. Lève-toi ! Fais-nous ta blague de merde nom de dieu ! Plus rien ne me retient. Il faut qu?il se réveille, je suis seul, il m?a abandonné. Il m?avait juré de ne pas m?abandonner. Ma mère était partie une fois en courses sans m?emmener, j?avais couru après la voiture, mais elle ne me voyait pas, j?hurlais, la voiture s?éloignait toujours. Cette phobie de l?abandon m?avait toujours hanté. Et là , le seul être sur lequel reposaient tous mes espoirs venait de m?abandonner, se donnant la mort de la façon la plus égoïste qui soit. J?avais sûrement dû dire quelque-chose qui ne lui a pas plu. C?est ça hein ! Greg, dis le moi s?il te plaît, je t?en prie, ouvre ces putains d?yeux. C?est de ma faute et je suis tout seul. J?en tremble. C?est affligeant, tous ces hommes et ses femmes qui pleurent autour de moi. Qu?est-ce qu?ils y peuvent eux ? Barrez-vous ! Laissez-moi avec lui. Lui qui me disait « A demain ! » la veille au soir. Lui qui voulait me revoir. Mais ce n?était qu?un mensonge conventionnel. La convention m?a aveuglé, je me serais damné pour lui dire au revoir. Moi je le lui ai toujours dit de façon sincère, mais était-ce son cas ? Maudite convention. Maudite éducation conventionnelle. Elle m?avait voilé la réalité pendant des années et je me retrouve face au résultat. Elle a tué mon ami, m?anéantissant par la même occasion.

Rentré chez moi je m?attable. Trace son visage sur un bout de papier, puis le mien. Nous sommes collés sur ce papier, côte à  côte, j?aime cette image. La mine grasse du crayon le ressuscite. Je décroche les photos, il me regarde. Toutes ces parcelles de couleurs qui le forment, et qui le figent avec une expression heureuse. Encore un mensonge sans doute. Tout n?est qu?illusion. Mon ami, mon très cher ami est mort. Il s?est donné la mort pour une raison qui m?est inconnue et ça m?est épouvantable. Je prends un briquet. Allume le dessin. Regarde Grégoire, c?est pour toi. C?est le dernier dessin que je te fais et je veux qu?il t?arrive rapidement. La fumée s?envole dans la pièce et stagne au plafond. La flamme grandie, prend avec elle les photos. Les couleurs deviennent sombres et le sourire de mon ami disparaît. Je pleure. Laisse tomber le papier qui se consume. La flamme grandit encore et en forme de nouvelles. C?est beau, c?est pour toi Greg, tu les vois ? Le tapis en paille tressée noircit, s?embrase, ma chambre est isolée. Je suis seul dans le bâtiment. On ne m'entendra pas crier. Je m?assois. Tout sera rapide. J?arrive. Je pourrai finalement te le donner en main propre ton dessin.

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MessagePublié: 15 Oct 2004, 23:44 
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Pamplemousse Panchromatique
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Inscription : 28 Avr 2004, 01:00
Message(s) : 6475
Localisation : Paris, France.
Pas ce qu'il y a de plus original, mais ça fonctionne. L'histoire de ce que l'on pourrait appeler une "double nouvelle" est simple, c'est sur la manière dont elle est racontée que repose tout le récit, comme souvent en littérature.



Le premier texte ne m'a guère surpris : je connais fort bien le talent de Grhyll. Il a le don, c'est indéniable. Ses récits, très émotionnels et souvent dépressifs, se caractérisent par une plume assurée, une "patte", une personnalité. Je n'ai encore jamais vu de gentil héros avec les histoires de Grégoire. Il semble aimer l'attaque rapide : les incipits qui frappent droit au coeur (peut-être inspiré par un Bloody lui aussi adepte de ce genre d'entrée en matière ?), préludes à  des ambiances sombres, fouillées. En résumé, un texte extraordinaire : je vois mal comment on pourrait le lire sans se rendre compte qu'il est habité d'une force qui manque à  beaucoup d'écrits, mais certains ne le ressentent pas.

J'appréhendais la seconde nouvelle, ayant pour seules connaissances des capacités de Chat-Sakurazukamori à  l'écrit des messages plus ou moins caustiques ou comiques sur des forums, des répliques judicieuses dans des bandes dessinées, quelques extraits de courriers électroniques qu'il m'avait donné à  lire jadis et des combats de JDR grosbillesque sur d'autres forums.
Autant dire que j'ai été bluffé. Sans arriver au niveau de la précédente oeuvre, le texte de Noë la complète. Difficile de dire auquel des deux personnages on accroche le plus, quelle nouvelle a le plus d'impact sur le lecteur captivé. Ambiance plus diffuse, mais en quelque sorte plus réelle, plus crédible, car Noë grossit moins le trait que Grégoire.

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MessagePublié: 18 Oct 2004, 08:43 
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Maître Van Eltanhir
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Inscription : 18 Mai 2004, 11:58
Message(s) : 309
Localisation : Rennes
Oh, un commentaire dithyrambique sur les deux nouvelles, et de la part de Raphaël qui plus est. Bon, je l'imprime et l'encadre. :D

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