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En plus court, on appelle ça martyr.
Ah non, pas du tout d'accord, justement. Un martyr, c'est quelqu'un qui est persécuté. Un martyr ne se fait pas tout seul, il a besoin d'un bourreau (tiens, dialectique du maître et de l'esclave ? :p). Ce n'est pas lui qui prend l'initiative de sa mort, même s'il l'accepte et la préfère à une éventuelle alternative (généralement la trahison). Le martyr est passif au moins en partie. Le héros romantico-morbide, lui, est actif. C'est lui qui va au-devant de la mort. Et il me semble que pour lui, peu importe comment elle vient. Un martyr tire sa gloire du fait qu'il meurt pour une idéologie, contre une autre. Dans l'image du sacrifice romantico-morbide, comme je le disais, il me semble que la mort est une fin en elle-même ; pour qui il meurt, contre qui il meurt, c'est secondaire, même si on parlera forcément de patrie et de hordes d'envahisseurs. Depuis le début, mon idée est celle-ci : un sacrifice fait uniquement pour celui qui le fait, un sacrifice en quelque sorte "pur" (dans le sens neutre du terme), sans aucun élément extérieur, un sacrifice qui ne vaut que pour lui-même. Je ne sais pas du tout si c'est une idée valable, car forcément, la propagande n'en rendrait pas compte et il faudrait être dans la tête, voire dans l'inconscient, d'un de ces sacrifiés pour le savoir. Mais il me semble que c'est une hypothèse que l'on peut prendre en compte, ne serait-ce que pour le plaisir de la spéculation.
En tout cas, si on suit cette idée, le sacrifié romantico-morbide est un être égoïste dans tous les sens du terme, car tout se fait par lui et pour lui, alors que le martyr n'est que le sujet, le terrain de rencontre de forces qui lui sont extérieures.
PS : puisqu'on parle de première guerre mondiale et de
kamikaze. On est souvent scandalisé par l'idée de pilotes-suicides ; on invoque d'ailleurs souvent cela comme la preuve du "fanatisme japonais". Moi, j'en suis venu à me demander si la pratique des
kamikaze n'est pas finalement plus honnête et j'oserai même dire plus humaniste par certains côtés que notre "bonne vieille" guerre de 14-18.
Dans le cadre de la guerre des tranchées, il est assez net que les premiers à sortir de la tranchée lors d'une attaque sont généralement sûrs d'y rester. L'état-major lui-même, ou au moins une partie de celui-ci, est conscient (et indifférent) du fait que l'on envoie à la mort, et non pas à une mort possible mais à une mort certaine, des milliers de soldats, comme le reflète ce mot d'un aide de camp de Pétain : "on attaquera à tel endroit et tel endroit, on perdra 2 000 hommes dans chaque attaque, et tout le monde sera content". Les soldats, eux, le savaient-ils ? Difficile à dire. On ne peut pas nier que, dans une partie au moins de la troupe, la stagnation de la guerre a, sinon fait naître la mutinerie (assez rare), au moins a créé la lassitude. Je pense surtout, par rapport au débat que vous avez, Captain et Yves, que la plupart des soldats ne se posaient pas de questions, surtout au moment du combat. C'est ce que reflètent des auteurs comme Remarque et Barbusse, du moins. On ne sait pas pourquoi on est là , on n'aime pas spécialement ça, mais c'est devenu la routine, cela semble fatal. Alors on continue par force d'inertie (Remarque évoque également la solidarité entre soldats comme facteur). Mais en tout cas, il est assez évident que la première guerre mondiale est une guerre "industrielle", qui n'a que peu à faire des sentiments ou de la valeur des individus. Il s'agit de jeter dans la balance du volume : volume d'acier, volume de poudre, volume de chair. On la fait par routine, comme on travaille à la chaîne. Il en va de même pour les états-majors : la stratégie et la tactique du temps sont en général peu inventives.
Le
kamikaze, maintenant. Pour le
kamikaze, la mort est (normalement) sûre et certaine. D'ailleurs il le sait, on le lui dit, c'est même le coeur de l'affaire. N'est-il pas, en un sens, plus honnête d'annoncer une mort certaine que de laisser croire au poilu (au tommy, au casque-à -pointe, au yankee, à l'aussie, etc) de première ligne qu'il a une chance de s'en sortir ? Il y a plus. Dans le cas du
kamikaze, le sacrifice, et celui qui l'accomplit, sont sublimés. C'est un acte très personnel, avec tout un cérémonial. On ne meurt pas en anonyme dans la boue après avoir reçu une rafale de mitrailleuse dans le ventre. Le départ est tout un rituel. Bien sûr, dans les deux cas des hommes sont utilisés comme outils, comme armes pour la machine de guerre, et en ce sens les deux sont odieux. Mais il y a la manière de faire, qui compte tout de même. Dans un cas, on meurt sac de chair parmi d'autres sacs de chair (bien sûr, c'est aussi le lot des soldats de la seconde guerre, japonais et autres, mais sans cet aspect particulier de la guerre industrielle des tranchées). Dans l'autre cas, on meurt individu. La liberté du choix est discutable dans les deux cas, certes, mais ce me semble un point important à considérer (et à relier avec l'hypothèse que j'ai précédemment évoquée).