Dans le cas de votre serviteur.
Le brouhaha me tire du fin fond de ma retraite corrézienne. Et me voilà paré à faire l’avocat du diable ! En noircissant plus de papier virtuel, sans doute, que le long métrage animé qui sortira le mois prochain ne le mérite… mais qui sait !
Je vais m’opposer un peu à tous vos avis (en omettant celui du Posteur Masqué, satané Troll caché

) alors que sur le fond, je suis d’accord avec vous : « Rebuild of Evangelion », ça pourrait être intéressant, mais au vu des dernières images, ça a juste l’air chiant, tant ça semble coller au plus près de promesses absurdes de « reconstruction » de la série en reprenant plan par plan les scènes et en se contentant d’y ajouter des nouveautés pas si terribles que ça (l’Eva-01 qui brille dans le noir, l’A.T. Field de la Gay Pride…).
Donc, je n’en attends plus guère de choses, de cet Eva deuxième mouture, mais je dois quand même (outre conseiller la prudence tant quelques scènes similaires ne peuvent laisser présager d’un traitement identique dans l’essence, rien ne nous dit que Shinji 2.0 n’est pas toxicomane ou que Rei 2.0 ne va pas aimer la viande) relever des inexactitudes fondamentales dans vos propos.
Dans le cas de "Rebuild of Evangelion".
Jalk a écrit:
Ca reste encore une fois mon avis, mais n'aurait-il pas été plus intéressant d'un point de vue créatif de repenser totalement la série, en changeant, par exemple, le design des personnages, en modifiant certaines lignes de l'intrigue ? (je pense au premier projet de film de Dune qui bouleversait totalement le roman tout en en gardant la force intrinsèque)
On parle bien de la version excellente où l'Epice était véritablement vivant et où l'Empereur vivait en symbiose avec son double robotique ? La version avec Salvador Dali, Mick Jagger, Orson Welles, David Carradine, Alain Delon... bref, bref, la version dont tout le monde rêve encore qu'elle ait été tourné, quelque part, dans un univers parallèle ?
Ouais, personnellement, j'aurais aimé un "Rebuild of Evangelion" comme ça.
Remanié de bout en bout, avec une conception graphique des personnages entièrement refaite, d’autres psychologies, une progression dramatique différente, tous les Anges nouveaux (pas un seul ancien Ange réutilisé), des Evas remodelées, et tout simplement, une charte visuelle qui ne ressemble pas du tout à l’originale, voire une approche opposée.
C'est même à ça que je m'attendais, dans un premier temps. Il faut dire que nos amis de Gainax ont commencé par faire dans le mystère, par diffuser les nouveaux logos, ce genre de choses.
Comme on peut le voir plus haut, mon enthousiasme a fini par s'éteindre. Car, oui, au final, c'est de la "re-création" déclarée comme telle.
Pour l'instant, en tant que vague connaisseur de la série, je peux déclarer que 90% des plans que nous avons vu en proviennent directement. Mais même 30%, ça aurait été trop.
Pour le reste, il me semble, messieurs, que vous vous étonnez un peu trop vite d’un état des choses dont « Rebuild of Evangelion » est pourtant loin d’être le fer de lance ou le symptôme le plus évident.
Brossons un peu le contexte.
Dans le cas du Japon.Le manga, la japanimation et, tiens, le jeu vidéo, sont, au moins en paroles et en organisation, entièrement une
industrie. Le point de vue occidental sur la question est généralement faussé par un certain ethnocentrisme : les Japonais développent la plupart de leurs Å“uvres d’art avec une mentalité de marché et de divertissement. Je qualifierais cela, personnellement, d’obscénité mercantile, face à laquelle le formatage hollywoodien lui-même passerait pour un sommet d’art et d’essai !
Nous avons naturellement tendance à interpréter le culte de la personnalité dont certains créateurs sont l’objet comme le signe d’une reconnaissance de leur statut d’artiste. Ce n’est pas forcément le cas. Les Japonais ne comprennent peut-être même pas le statut d’artiste, ne serait-ce que comme une caricature. Nous parlons d’un peuple qui ne connaissait pas le concept d’amour au sens « Roméo et Juliette » du terme, qui n’avait d’ailleurs, si je ne m’abuse, pas de mots pour cela jusqu’à l’ouverture des communications avec l’Occident.
En manga, en japanim’ et en jeu vidéo, au Japon, on ne crée pas d’œuvres d’art. On participe à une industrie. Il arrive que le système débloque un maximum, et que la folie soit d’ailleurs le but recherché de la chose, mais dans l’ensemble, c’est du commerce.
Cela ne dénie pas la profondeur et la recherche esthétique (appelons ça, grosso modo, les caractéristiques de l’art moderne et de l’art tout court) aux créations nipponnes : il faut seulement avoir conscience que dans la démarche, au moins, c’est la grosse fête du slip sous couvert de profit. Comme partout, il y a des chefs-d’œuvres, mais les animés s’inscrivent dans un appareil « capitalisto-médiatique » immense.
Et à ce titre, l’approche du « recyclage » n’est pas celle à laquelle nous pourrions nous attendre.
Quand Capcom commercialise dix mille versions quasiment identiques de « Street Fighter », cela n’a pour eux rien de honteux : le public japonais est très heureux ainsi, et le studio de jeu vidéo nippon est satisfait de leur fournir ce qu’ils souhaitent, à savoir un produit de série.
Dans le cas de la Gainax.La Gainax est à la base un ensemble d’amateurs. Ce sont des passionnés pas forcément sociables, et dans certains cas, de véritables otakus. Ils sont reconnus pour leur travail excellent et souvent expérimental, qui a changé à de multiples reprises le visage de la japanim’. Ce sont également des spécialistes du fan service (nous y reviendrons).
Dans le cas d’Hideaki Anno.Jalk a écrit:
Ceci dit, je me pose la question en toute honnêteté : du point de vue du créateur, ça ne doit pas être un peu aliénant de travailler depuis près de vingt ans sur le même univers fictionnel ?
Considérer que, depuis près de dix ans, Anno s’enferre, que dis-je, s’enlise, dans « Evangelion », c’est mésestimer le bonhomme et sa créativité.
Sa dernière vraie participation à l’univers se résume à la version remaniée (Renewal, comme on dit) de la série avec moult scènes additionnelles à la charte graphique évolue, et ce travail date quand même… de 1998 !
Voilà presque dix ans que justement, Anno l’a laissé derrière lui, « Evangelion ».
Anno, avant d’être l’homme d'Eva, c’est d’abord celui de « Nadia et le Secret de l’Eau Bleue »,
« Gunbuster »… et avant d’être réalisateur, c’est surtout un animateur au talent extrême, ayant officié un peu partout, et surtout dans les entreprises les plus prestigieuses et les plus légendaires.
Et après « Eva », c’est le réalisateur des films « Love and Pop », « Ritual » et
« Cutie Honey », de la série « Elle et Lui », et le quasi-sauveteur du désastre
« Diebuster ».
Nous parlons d’un passionné de science-fiction et de culture otaku à la japonaise. C’est un cas social, certes, psychologiquement/philosophiquement/existentiellement des plus étranges, mais c’est avant tout un doux dingue, un
fanboy de la plus belle eau.
Au passage, coupons court à certains préjugés sur le lien Anno/Evangelion (je ne dis pas que vous les avez forcément, ces préjugés, hein, mais il faut mieux déblayer le terrain).
- La majeure partie des thématiques de la série sont bien imputables aux troubles psychologico-philosophico-existentiels d’Anno.
- Le dénouement de la série n’est pas celui que Anno souhaitait. Il a fait au mieux en tenant compte des contraintes du moment (c’est-à -dire une équipe et un budget réduits à néant).
- Anno a travaillé ardemment sur les films « Death & Rebirth » et « The End of Evangelion ». Les racontars propagés depuis un siècle par des admirateurs français, considérant qu’il n’avait pas pu pondre de films d’animation aussi affreux et chaotiques, et qu’il ne s’agissait que de produits secondaires des méchants producteurs (des méchants producteurs ? Chez Gainax ?), n’ont aucun fondement.
- Les épisodes 25’ et 26’ intègrent bien un certain ressentiment d’Anno vis-à -vis des réactions populaires à la conclusion de « Evangelion ». Les têtes de la Gainax n’ont pas l’habitude de mâcher leurs mots vis-à -vis du public : on se souviendra qu’en cette belle année 2007, pour
« Tengen Toppa Gurren Lagann », Tajami Akai, l’un des fondateurs du studio quittera son poste en lançant des injures quant aux critiques des fans. Outre un ton particulièrement âpre, sanguinaire et charnel (aaah, les dominantes violacées qui imprègnent la majeure partie du film…), 25’ et 26’ utilisent, en images subliminales, de nombreuses lettres ordurières, et autres menaces de mort, envoyées par les spectateurs de la série.
- Les épisodes 25’ et 26’ sont la conclusion qui correspond le plus aux desideratas d’Anno. Cependant, il n’a jamais confirmé que l’un des dénouements était plus valide qu’un autre (précision, les dénouements se situent bien dans des branches temporelles parallèles, et ne sont pas des visions diverses d’une fin unique).
- Nul ne sait si Anno considère « Evangelion » comme son Å“uvre majeure. Que ce soit le cas du public, c’est un fait avéré.
- Anno n’est aucunement satisfait de son œuvre.
- Après 1998, le réalisateur s’est borné à vaguement valider les informations supposément canoniques du jeu vidéo « Evangelions », à faire les scènes supplémentaires pour la version Renewal et encore une ou deux autres friandises dans ce goût-là .
- Anno a déclaré, à plusieurs reprises, avoir laissé « Evangelion » derrière lui, et en avoir oublié la majeure partie.
- Cependant, ses Å“uvres ultérieures portent toutes la marque, non d’Eva, mais de ses obsessions dévoilées par Eva (voir par exemple « Cutie Honey » pour le rapport à autrui).
- Anno n’a pas guéri de ses troubles avec « Evangelion ».
- Dernière information, et sans nul doute la plus importante, c’est bel et bien Anno qui fait la voix du chien dans « FLCL », et non un imposteur.
Dans le cas du fan service.Yves a écrit:
Ajoutez à cela que la procédure est viciée de base puisqu'elle semble vouloir en même temps donner satisfaction à la "fanocratie".
Dans ce cas-là , Gainax est vicié de base !
Nom de Lilith ! On parle du studio dont la grande innovation technique fut le Gainax Bounce, la légendaire technique d’animation des seins !
Gainax a
vendu son corps et son âme au racolage du public, ils le revendiquent depuis bien des années. Et leur « putasserie » s’est toujours trouvée accompagnée du perfectionnisme des débuts (jusque dans l’exemple du Gainax Bounce, qui, depuis « Gunbuster », n’a cessé de briller… héhéhé).
A l’heure où Hollywood (encore une fois, parlons-en, d’Hollywood), entrant dans sa phase ultime de pré-formatage et de satisfaction des plus bas instincts du public, se préoccupe davantage des desideratas des fandoms de tous les horizons que de ceux des réalisateurs (Venom imposé à Sam Raimi pour « Spider-man 3 », rien de moins !), je ne suis pas sûr qu’il soit très logique de s’acharner sur Gainax qui a toujours joué franc jeu.
Dans le cas de la divination quant au résultat probable.Yves a écrit:
Bref, on est parti dans un truc absurde, fait pour le plaisir d'Anno en premier lieu et en second lieu pour le fan-service de base.
Cruelle sera sans doute ta désillusion si je rappelle que rien ne nous prouve que les objectifs de la série originelle étaient plus honorables…
A la limite, tu pourras évoquer la note d’intention d’Anno, de l’époque, indiquant exactement ce qu’il comptait faire avec « Evangelion ». Certes. Et moi de te rapporter qu’il était beaucoup moins « intellectualiste » et « auteurisant » dans ses quelques mots qu’il ne l’est à présent dans ses moult déclarations sur « Rebuild of Evangelion ».
Si on devait jauger cette nouvelle version à l’aune des paroles d’Anno, on pourrait s’attendre à deux fois plus profond.
Le problème, bien sûr, c’est qu’Anno est un fou furieux parfaitement ingérable.
... dans le cas du grand spectacle ?!Yves a écrit:
En clair, Anno va se branler un coup en faisant ce qu'il n'a pas pu faire jadis, soit parce qu'il n'avait pas le fric, soit parce qu'il ne savait pas comment s'y prendre. Si vous êtes exactement sur la même longueur d'onde que lui, tant mieux, vous y trouverez votre compte, mais sinon, tant pis pour vous.
Bref, c'est une démarche profondément et totalement égoïste. Alors oui, il faut se faire plaisir dans son travail, mais il y a des limites.
Et tu en viens là à l’intérêt véritable de la démarche « Rebuild of Evangelion ».
Le grand spectacle.
Anno est un animateur de génie et un grand réalisateur. Parmi les prouesses réalisées pour la série originelle, beaucoup ont été mutilées, et certaines n’ont jamais été tournées du tout.
Ce qu’Anno n’avait pas pu faire jadis, parce qu’il n’avait pas le budget et parce qu’à l’époque, tout simplement, la technologie de l’animation ne le permettait pas, inclut une bataille épique en plein ciel entre un Ange et une Eva. Et mille autres scènes d’action ébouriffantes. On peut aussi compter sur lui pour avoir eu de nouvelles idées.