Georges était le patron de Margareth qui était ma patronne. C?était il y a quatre mois. Je n?étais pas encore embaumeur. Je travaillai dans les bureaux d?une entreprise. Margareth avait cinquante ans. Un jour, elle vient dans mon bureau, s?assit sur une chaise en face de moi et se met à me parler de sa fille. Carla.
Pourquoi elle me parle d?elle? Je n?en sais guère.
Elle me dit que sa fille à vingt-trois ans. Qu?elle a les cheveux bruns, les yeux marrons. Qu?elle fait un mètre soixante et onze et qu?elle pèse cinquante-six kilos.
Je m?en contrefous. Voyant que je préfère regarder une fiche indiquant les pertes et les bénéfices de l?entreprise pour ce mois-ci, elle retourne à son poste. Je croyais ne plus l?entendre parler de sa fille. Je croyais que désormais elle allait m?adresser la parole juste pour m?ordonner de lui donner le dossier numéro machin ou la fiche de paye d?untel. D?aller lui chercher du café ou lui faire des photocopies. Les ordres ordinaires de patrons ordinaux. J?avais tort.
Le lendemain, elle revient dans mon bureau. Je suis en train de lire un discours que je suis censé prononcer durant une conférence cet après-midi. Elle me colle une photo sous les yeux. Cheveux bruns, yeux marrons, environ un mètre soixante-dix, je suis prêt à parier que c?est sa fille.
_ C?est Carla, dit elle.
J?aurais dû parier.
En fait, elle n?est pas si mal que ça. Elle est même plutôt mignonne en fait. Carla est en maillot de bain sur cette photo. Visage angélique, lèvre fine, petit nez fin également. Sa poitrine est le contraire de Pamela Anderson , mais je suis sur que ses seins sont biens fermes.
_ Alors, comment la trouves- tu?
Elle veut vraiment me caser avec sa fille. Je lui répond avec un brin d?hésitation. Je ne peux pas dire que je la trouve belle sinon ma patronne profitera de l?occasion pour organiser fiançailles, mariage, voyage de noces et toutes les autres choses qui suivent. Ma vie sera régie par ma patronne jusqu?à ma mort. A moins que ce soit elle qui meurt de vieillesse avant. Ce qui est fort probable. La rupture d?un anévrisme de l?aorte entraîne la mort. La vieillesse entraîne également la mort. La vieillesse est l?ultime recours utilisé par la mort pour vous happer. Je ne veux pas fonder un couple. Le sexe en lui-même ne m?intéresse pas. Je préfère être seul. Rester seul. La solitude n?entraîne pas la mort il me semble. Alors que lui répondre? Je ne peux pas lui dire qu?elle est moche, ça ne se fait pas.
_ Elle a du charme.
J?ai finalement répondu. Peut être de travers vu l?éclat qui a brillé dans les yeux de Margareth pendant un bref instant.
Elle part, me laissant seul. Pas exactement seul puisque j?ai mon discours et la photo en face de moi. La photo, le discours. Le discours, la photo. Il faut faire un choix. Facile. Je choisis le discours. La conférence est dans quarante minutes. J?ai déjà assez perdu de temps.
Quarante minutes plus tard, je me retrouve donc dans la salle de conférence en train de lire mon discours à Georges et ses lieutenants. Quatre-vingt-dix minutes s?écoulent avant la fin de la conférence. Je sors de la salle avec une migraine épouvantable. La rupture d?un anévrisme de l?aorte en traîne la mort. Le syndrome malin secondaire de Marfan entraîne la mort. Une conférence d?une heure et demi n?entraîne pas la mort mais vous donne envie de la provoquer pour vous débarrasser des rangées de chiffres qui se sont placées dans votre cerveau. Le même cerveau qui m?a fait rire alors que ce n?était pas drôle. Je déteste les conférences.
Heureusement, après celle-ci, j?ai l?autorisation de retourner chez moi malgré le fait qu?il me reste normalement plus d?une heure de travail. Je rejoins mes tuiles vertes. Le trajet est court. Premier quartier, deuxième quartier, chez moi. Je passe dans le premier quartier. Il y a une boîte de nuit, vide à l?heure qu?il est. Les boîtes de nuit sont des endroits où des personnes vont pour en rencontrer d?autre. La plupart pense y trouver leur âme s?ur. Foutaise. Il y a déjà les agences patrimoniales pour ça. Je déteste les boîtes de nuit. Deuxième quartier, rien à signaler, la routine quotidienne c?est installée dans les rues de ce quartier.
Puis mon refuge aux tuiles vertes et là , en face de moi. A l?époque j?étais encore seul chez moi. J?allume la télé. On ne me l?avait pas encore explosé contre le mur à l?époque. Je tombe sur des publicités du genre: comment pouvez-vous vivre alors que vous avez trois grammes de trop pour ressembler à notre mannequin à la poitrine siliconée, les fesses fermes et autre détails de sa physionomie tout aussi parfait. Bref, un corps de rêve. Mais heureusement la crème unetelle vous permettra de perdre vos trois grammes pour la modique somme de 50?. Autre pub. Machin, star ultra connue du football mange Danone. Unetelle, actrice ultra connue par le grand public mange Danone. Vous aussi devenez ultra connue en mangeant Danone. Les médias nourrissent leur moutons et proposent même du rab. Oh! Ma machine à laver est en panne! C?est normal, vous n?utilisez pas la lessive X. Grâce à la lessive X, votre machine ne tombera jamais en panne et votre lessive sera toujours propre. Le géant capitaliste a les médias pour fer de lance. Soudain, pub pour Interflora. Alors qu?il vient de se fâcher avec sa femme, il décide de lui envoyer un bouquet de fleurs de chez Interflora pour se réconcilier. Il téléphone et une seconde après, le bouquet arrive. Deux secondes après, le couple est réuni avec un sourire niais sur le visage.
Et si je lui achetai des fleurs? Qu?est ce que je raconte. Achetez des fleurs à qui? A Carla tiens. Pourquoi? Comme ça ta patronne ne te fera plus chier. Bonne réponse. J?ai toujours les bonnes solutions.
J?ai encore le numéro prononcé en ch?ur par le couple Interflora qui résonne dans ma tête. Je prends le téléphone et compose le numéro. A l?époque on avait pas encore tenté de m?étrangler avec le cordon de celui-ci. Une sonnerie. Musique d?attente. Six minutes après, j?ai enfin une standardiste.
_ Interflora bonjour, vous désirez envoyer un bouquet à quelqu?un qui vous est cher?
C?est le but de mon appel, sauf que je désire envoyer un bouquet de fleur à quelqu?un qui m?est inconnue.
_ Oui.
_ Quel type de fleurs?
Être standardiste c?est un peu comme travailler à la chaîne. Toujours les mêmes paroles. Presque toujours les mêmes réponses. Quel type de fleurs? Des roses? Oui, des roses. Déjà parce que c?est la seule fleur que je connaisse et qu?en plus ça me fait penser à un terme médical. L?hydrophobique de Rose. Un tétanos provoqué par une plaie de la face et qui peut entraîner une paralysie faciale.
_ Des roses.
_ Très bien, puis-je avoir votre nom, prénom et numéro de carte bleue ainsi que l?adresse de la personne à qui vous désirez envoyer vos fleurs de chez Interflora?
Je m?acquitte de ces formalités. Ne connaissant pas l?adresse de Carla, je décide d?envoyer le bouquet à ma patronne.
_ Vous désirez ajouter un petit mot avec?
Décidément elle ne sait parler qu?en question.
_ Oui, si vous pouviez marquer: transmettez à votre fille.
_ Très bien, votre commande a bien été effectué, nous vous remercions d?avoir appeler Interflora.
Je raccroche avant qu?elle ne puisse prononcer au revoir. Elle n?a dit que trois fois Interflora dans la discussion. Peut beaucoup mieux faire.
C?est pas tout ça, mais j?ai faim moi. Ouverture du frigo. D?un côté tout les aliments à réchauffer, de l?autre, toutes les bières mises au frais. Escalope de dinde et patates déjà cuites au menu. Il me suffit de mettre tout ça une minute au micro-onde et je pourrai me substanter avant d?aller me coucher. Belle invention le micro-onde.
Marrant, ce soir j?ai rêvé que je retournais au collège et que tout mes anciens profs me gueulaient dessus. Pourquoi? Encore une réponse que détient mon cerveau.
_________________ J'avais envie de tout salir d'une fumée bien noire...
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